jeudi 30 septembre 2021

« Nécessité », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Où sont-ils ? Où sont les zélateurs de l’ouverture à la concurrence « libre et non faussée » ? En 2007, ils nous promettaient que la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité permettrait « une sécurité d’approvisionnement à un prix abordable à tous les consommateurs ». On voit le résultat : une catastrophe. Sous l’effet d’une demande mondiale pressante, le prix du gaz n’en finit plus de s’enflammer, avec une hausse historique de 12 % prévue ce 1er octobre. Depuis 2006, la facture a gonflé de 142 % ! Quant au tarif réglementé de l’électricité, lié à celui du gaz, il a augmenté en dix ans de près de 60 % – soit quatre fois plus que l’inflation – et devrait prendre 12 % de plus en janvier… Vous avez dit « prix abordable » ?

Le sujet prêterait presque à sourire s’il n’était si grave. Car, derrière ces chiffres, des millions de Français – et d’Européens – affrontent la précarité énergétique, vivent le calvaire des privations, développent des pathologies liées à l’insalubrité thermique de leur logement. Des secteurs économiques, les plus « électro-dépendants », se voient également menacés d’éteindre leurs machines. Chacun paye ici l’orientation ultralibérale de l’Union européenne. Ce dogmatisme qui consiste à voir le gaz et l’électricité, biens de première nécessité, comme de simples marchandises, prisonnières des fluctuations du marché répercutées, in fine, sur le porte-­monnaie des consommateurs.

Des solutions de court terme s’imposent pour stopper l’hémorragie. Invité sur TF1 jeudi soir, Jean Castex n’a même pas fait le service minimum : un chèque énergie de 100 euros, insuffisant pour compenser les hausses, et un blocage des prix du gaz… après la douloureuse du 1er octobre ! En revanche, rien dans l’immédiat sur la réduction de la TVA à 5,5 %. Et encore moins sur la maîtrise du secteur énergétique. Pourtant, nombre d’économistes le répètent : seule une reprise en main de notre souveraineté en matière de production et de distribution serait à même d’offrir une régulation sérieuse et des prix garantis. L’énergie, au même titre que l’éducation ou la santé, est un secteur trop fondamental pour être laissé aux mains des marchands du Temple. 

 

« Radicalité », le billet de Maurice Ulrich.



La radicalité est dans l’air du temps. Z, par exemple, dont le nom finit par nous écorcher les oreilles, est un salaud radical. À l’inverse, Sandrine Rousseau, Greta Thunberg dans leur fureur écologique et leur féminisme sont des foldingues radicales dont les bonnes intentions sont devenues le cauchemar de quelques mâles blancs, dont Z d’ailleurs. C’est au point que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, dont la radicalité de rejeton de bonne famille n’échappe à personne, la revendique : « Nous, on a une radicalité dans nos actes, c’est ça aussi, le macronisme. Sur certains sujets, on va plus loin, on est plus radicaux que la gauche ou que la droite. » On cherche un peu, mais c’est vrai. Par exemple, au vu des yeux crevés et des mains arrachées, son rapport aux gilets jaunes a été assez radical, comme dans un autre registre sa politique économique, qui a rendu les plus riches plus riches, dont les patrons du CAC 40, avec des revenus qui ont radicalement augmenté de 40 % l’an passé.

 

Énergie. L’usine à gaz de Castex pour faire avaler la hausse des prix



Aurélien Soucheyre, Julia Hamlaoui

Blocage des prix, baisse de la TVA, nationalisation… Face à l’envolée des prix du gaz de 12,6 % prévue ce vendredi, nombre de propositions se sont invitées dans le débat. Le premier ministre s’est contenté d’annoncer jeudi un « lissage » des tarifs sur les mois à venir.

C’est la goutte de trop. Une goutte qui ne pèse pas moins de 12,6 % sur les factures de gaz à partir de ce vendredi. Un nouveau record qui porte le total de la hausse des tarifs réglementés, depuis janvier, à 57 % ! Sans compter le prix de l’essence qui se rapproche des 2 euros le litre, et le coût des produits agricoles et alimentaires en augmentation de 8,2 % cet été. Mais ce n’est pas tout. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a déclaré, avant l’intervention de Jean Castex ce jeudi, que la prochaine élévation des prix de l’électricité serait « aux alentours des 12 % ».

Face à cette situation intenable pour des millions de Français, le premier ministre a annoncé jeudi soir au journal télévisé de 20 heures que le gouvernement a décidé de « bloquer » les augmentations à venir… sauf celle prévue pour le gaz ce vendredi. L’explication est laborieuse : « Les experts prévoient à nouveau 30 % d’augmentation du prix » d’ici la fin de l’année, a commencé l’hôte de Matignon. Et de poursuivre : « Les mêmes experts expliquent que l’on va avoir à partir du printemps une forte baisse des prix du gaz. » Conclusion de l’exécutif : les Français paieront bien la facture mais étalée sur l’ensemble de l’année. « Nous répercuterons la hausse d’aujourd’hui sur une moindre baisse après », résume Jean Castex.

Début d’un casse-tête pour la Macronie

Une façon de donner le change, juste avant l’échéance, alors que la pression monte depuis des jours sur un exécutif hanté par le spectre des gilets jaunes et soucieux des élections à venir. « Je demande une chose au président de la République, il peut le mettre en œuvre tout de suite : bloquer les prix de l’électricité et du gaz », a lancé le candidat à la présidentielle Fabien Roussel, dès le 23 septembre. Mais le député du Nord a dénoncé une « charlatanerie » à propos de l’annonce du premier ministre. Les autres forces de gauche ne sont pas en reste. Mardi, à l’occasion des questions au gouvernement, les interpellations se sont multipliées. « Alors que 8 millions de Français font déjà la queue à l’aide alimentaire, combien d’autres devront arbitrer cet hiver entre le loyer, le chauffage, les repas afin de payer les factures ? » a interrogé le député FI Loïc Prud’homme. Seulement quelques minutes après la réponse de la ministre Emmanuelle Wargon, se réfugiant derrière « la crise mondiale », la socialiste Christine Pirès Beaune enchaîne : « La colère gronde, le feu couve et il est de votre responsabilité, Monsieur le premier ministre, de l’éteindre avant qu’il ne se propage. » Le lendemain, l’offensive ne se relâche pas au Sénat : « Consentez-vous à mettre à contribution, par exemple, Engie, qui annonce avoir engrangé un bénéfice de 2,3 milliards sur les six premiers mois de l’année et envisage d’accroître encore son résultat ? » lance la sénatrice communiste Céline Brulin. Une pression encore accrue par les associations de consommateurs et les syndicats. « Nous sommes vent debout contre ces augmentations, d’autant qu’elles étaient prévisibles », rappelle notamment Arnaud Faucon, de l’Indecosa-CGT.

De quoi, dès mardi, pousser le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, à assurer que l’exécutif, outre l’augmentation de 100 euros du chèque énergie, « réfléchit évidemment à d’autres mesures ». Le début du casse-tête pour une Macronie où chacun tente de pousser ses pions. L’hypothèse d’une baisse de taxe à peine évoquée…, « ce n’est pas la solution mise sur la table », réplique Bruno Le Maire. Et le ministre de l’Économie d’ajouter : « On n’a pas de marge de manœuvre. La seule, c’est le chèque énergie. » Une solution qui agrée au secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, plaidant pour « l’augmenter encore » et « l’élargir ». Mais qui est loin de faire l’unanimité. Le premier ministre a choisi le ni-ni : ni chèque énergie supplémentaire, ni baisse de la TVA pour le moment. « Si je ramène la TVA de 20  % à 5 %, cela permettra une hausse de 15 % au lieu de 30 » comme prévu, a-t-il justifié. Mais si le cours ne baissait pas en avril, alors il actionnerait cet « outil ». Concernant l’électricité, en revanche, l’objectif est bien de limiter « la hausse de l’électricité à 4 % » via une réduction du montant des taxes.

Les solutions ne manquent pas

Face à l’urgence, beaucoup défendent pourtant l’usage du levier fiscal dès aujourd’hui. « À très court terme, dans le projet de loi de finances 2022, le gouvernement peut reconnaître l’énergie comme un produit de première nécessité en lui appliquant un taux de TVA à 5,5 % », assure Fabrice Coudour, de la CGT mines-énergie. « Une TVA à 0 % pour les produits de première nécessité et une TVA plus forte pour les produits de grand luxe », avance même Adrien Quatennens (FI), tout en proposant une « loi d’urgence sociale » pour « le blocage des prix sur les produits de première nécessité ».

Surtout, pour en finir avec ces envolées dictées par la loi du marché, les solutions ne manquent pas. Alors que Bruno Le Maire promet de discuter, lors de la réunion des ministres européens des Finances, lundi prochain, des règles du marché unique de l’électricité, Fabien Roussel plaide pour une renationalisation d’EDF et Engie : « Si nous retrouvons la maîtrise de cette production, nous fixerons le tarif et nous refuserons d’aller nous mettre à table à Bruxelles avec ceux qui veulent à tout prix libéraliser notre électricité. » En attendant, les mesures avancées par Jean Castex jeudi soir pourraient ne pas suffire.

Le chèque énergie peine à convaincre

Depuis l’annonce de l’augmentation du chèque énergie par l’exécutif, même si le coup de pouce qu’elle représente est salué, les critiques ne manquent pas pour autant. Première remarque : « Les conséquences de l’emballement de la “loterie énergie” concernent tous les usagers », pointe la CGT mines-énergie, alors que le chèque énergie est destiné aux 5,8 millions de foyers les plus modestes. Le syndicat dénonce « ce lobbying des fournisseurs alternatifs pour s’assurer un retour financier sur les impayés des plus précaires ». À gauche, si les insoumis ont défendu un temps une augmentation du chèque énergie de 300 euros, il « ne peut plus être une solution », estime Jean-Luc Mélenchon. « D’abord parce qu’il consiste en une subvention aux pétroliers, dont les produits sont achetés par ce moyen », plaide le candidat, estimant qu’« il faut désormais s’attaquer à la concurrence libre et non faussée ». Une concurrence à laquelle veulent aussi s’attaquer les communistes, qui ne sont pas plus tendres avec le chèque énergie. « Les Français l’autofinancent, une fois en acquittant leur facture, une 2e en payant leurs impôts », a pointé en séance la sénatrice PCF Céline Brulin.

 

Hommage. Georges Brassens, un Sétois à Paris



Jusqu’au 22 octobre, le Hall de la chanson célèbre le centenaire de la naissance de l’artiste dans son théâtre et dans les quartiers parisiens où il vécut.

« Je suis de la mauvaise herbe, braves gens… Et je me demande pourquoi, bon Dieu. Ça vous dérange que je vive un peu », chantait Georges Brassens en 1954 dans la Mauvaise herbe. Ce morceau sert de fil conducteur au spectacle éponyme joué sur la scène du Hall de la chanson, à Paris.

Mésaventures de jeunesse

Le Sétois, qui aurait eu 100 ans le 22 octobre prochain, y évoque ses mésaventures de jeunesse, qui l’ont poussé à trouver refuge dans la capitale occupée en 1940. « Adolescent, Brassens commet un vol avec des copains qui est suivi d’un procès, où il sera condamné à une peine de sursis, rappelle Serge Hureau, codirecteur du Hall de la chanson et cometteur en scène de la création. Il est considéré comme un délinquant et sa mère lui assène qu’il est la honte de Sète. C ’est ce drame à partir duquel il a rebondi qui nous a intéressés. »

À découvrir aussi notre dossier :  Brassens : l’homme qui rêvait d’être poète

Dans le décor d’un cimetière stylisé, Alexandra Lacour, Arthur Goudal, Lucie Durand et Baptiste Chabauty entonnent les Quatre Bacheliers (1966), dans lequel l’homme blessé évacue encore son traumatisme. « Et à 19 ans, il s’est dit  “ah bon, je suis une crasse ? Alors je pars de la ville qui m’insulte !” » poursuit le spécialiste. Le jeune adulte s’installe chez sa tante Antoinette, au 173, rue d’Alésia. Il ne quittera le 14 e arrondissement qu’à la fin de sa vie pour migrer dans le 15 e.

La plume engagée d’un anarchiste

Aux puces de la porte de Vanves, l’autodidacte se procure la fameuse Méthode rose pour apprendre à jouer du piano tout seul. Et au lieu d’utiliser la pédale forte, il tape du pied ! Exercice auquel s’adonnent les jeunes artistes de la troupe qui revisitent à l’aide d’arrangements acoustiques une vingtaine de morceaux, où jaillit la plume engagée de l’anarchiste. Opposé à toute forme d’autorité, Brassens regarde en face le pardon et la mort ( le Fossoyeurle Fantôme…) à travers des personnages vils, mesquins, poètes ou philosophes qui prennent vie sur scène.

« Dans Grand-Père (1957), il parle d’une famille endeuillée et sans le sou. Du coup, le curé et le croque-mort lui claquent la porte au nez. Sur scène, la chanteuse distribue des coups de pied au cul ! Chez Brassens, le comique était déjà là. Et nous, on interroge son œuvre avec la même insolence qu’au théâtre », se félicite Serge Hureau. Chanter le Paris de Brassens, c’est aussi se remémorer la bicoque aux rideaux de dentelle du 9, impasse Florimont, où il vécut « avec une femme de plus de trente ans que lui, avec son mari sous le toit, c’est la fameuse couturière Jeanne Le Bonniec. Il rachète cette maison dans les années 1960. Alors célèbre, il y fait mettre l’eau et l’électricité ».

L’amour de la poésie au collège

Le Hall de la chanson produit aussi le Prof de Brassens donné dans des collèges d’île-de-France. Escorté par le guitariste Alban Losseroy, le chanteur et comédien Olivier Hussenet y dévoile le rôle essentiel qu’a joué le professeur de français, Alphonse Bonnafé dans la carrière du poète. « C’est lui qui lui transmet son amour de la poésie en classe de 3 enote Serge Hureau. Avec son gramophone, il fait écouter à ses élèves l’Invitation au voyage de Baudelaire. Il met ses mains sur son visage, les retire à la fin et pleure en leur disant “la poésie, c’est ça” ! »

Et Brassens se danse aussi ! Pour swinguer sur ses musiques, rendez-vous aux bals gratuits « modernes-trad » organisés ce dimanche 3 octobre dans le parc parisien qui porte son nom (15 e), et le 22 octobre sur l’esplanade de la mairie du 14 e arrondissement. Jazz, tarentelles, sardanes… Brassens est aussi pétri de tout ça !

Ingrid Pohu

 

Théâtre. Gérard Mordillat : « L’actualité ne parvient pas à s’éloigner de ce que j’ai écrit »



Jean-Emmanuel Ducoin

Dix-sept ans après le livre et onze ans après l’adaptation pour la télévision, les Vivants et les Morts, de Gérard Mordillat, reviennent cette fois sur les planches, sous forme musicale. ENTRETIEN

Dans une petite ville, l’usine qui fournit du travail à la majorité de la population doit être « restructurée ». C’est-à-dire qu’une partie du personnel va être licencié. Soudain, pour un jeune couple, Dallas et Rudi, c’est un cataclysme, une catastrophe qui va bouleverser leurs vies et la vie de ceux qui leur ressemblent. Tout explose : les familles, les amitiés, la municipalité, les syndicats, l’usine elle-même… C’est aussi une incroyable histoire d’amour dans un monde en tempête que Gérard Mordillat met en scène au théâtre sous forme musicale.

Vous avez écrit les Vivants et les Morts en 2004 (prix RTL/Lire), vous avez réalisé l’adaptation télévisée en 2010 (record d’audience sur France 2 et Arte). Comment est née l’idée d’en faire une pièce de théâtre musicale ?


GÉRARD MORDILLAT  : Tout est parti d’une rencontre avec Hugues Tabar-Nouval, le musicien qui, un soir, m’a abordé dans la rue pour m’en faire la proposition… J’étais à la fois perplexe et flatté. Perplexe, parce que je croyais en avoir fini avec cette histoire ; flatté parce qu’il était évident qu’elle continuait à vivre à travers le temps et les générations.

Vous ne parvenez pas à vous séparer desVivants et les Morts ?

GÉRARD MORDILLAT : C’est plutôt l’actualité qui ne parvient pas à s’éloigner de ce que j’ai écrit. En 2021, il y a toujours de plus en plus de licenciements, d’usines qui ferment, de vies ruinées dans la quête infernale du profit qui gouverne la pensée économique et politique en France comme ailleurs dans le monde capitaliste…

Pourquoi y revenir au théâtre ?

GÉRARD MORDILLAT : Parce que le théâtre et le roman m’apparaissent comme les deux derniers lieux où l’on peut jouir d’une véritable liberté de création. Où l’on peut faire entendre une parole qui, désormais, est proscrite des grands médias et édulcorée sur la plupart des écrans.

Vous avez transforméles Vivants et les Mortsen comédie musicale ?

GÉRARD MORDILLAT : Pas exactement. Hugues et moi, nous avons voulu enlever tout ce qu’il n’était pas nécessaire, les accessoires, les décors. Nous avons voulu dépouiller la scène et tout laisser porter par les actrices et les acteurs. Si le terme ne paraissait anachronique, je dirais que la meilleure définition de notre spectacle serait l’oratorio. Du théâtre parlé et chanté…

Vous avez écrit les chansons ?

GÉRARD MORDILLAT : Non, c’est François Morel qui nous a rejoints dans cette aventure. C’est lui qui a composé les chansons.

La musique est un hommage à Kurt Weil ?

GÉRARD MORDILLAT : Peut-être à sa mémoire mais la musique d’Hugues Tabar-Nouval ne lui doit rien comme elle ne doit rien à la variété. C’est une pure création originale faite pour le théâtre et n’ayant de vérité qu’au théâtre. C’est à l’image de notre ambition primordiale. Faire une pièce qui ne doive rien au roman ni au cinéma. Faire du théâtre, rien que du théâtre !

Comment avez-vous fait le casting ?

GÉRARD MORDILLAT : Des auditions, des auditions, des auditions… Et de ces auditions sont sortis des jeunes filles et des jeunes gens habités par leurs rôles. Que ce soit Nina Gorini, qui joue Dallas, Gunther Vanseveren (qui joue Rudi) ou Camille Demoures (qui joue Varda). L’enjeu était d’être bon acteur avant même d’être bon chanteur ou bonne chanteuse.

Il y a aussi des acteurs et des actrices avec qui vous aviez déjà travaillé ?

GÉRARD MORDILLAT : Oui, Patrice Valota, avec qui j’ai fait plusieurs films, Esther Bastendorff qui était dans Mélancolie ouvrière, Odile Conseil, qui y était aussi comme dans le Grand Retournement, et un nouveau membre de la troupe, Nicolas Beaucaire.

Vous commencez par vous produire en province ?

GÉRARD MORDILLAT : Oui, nous sommes à Évreux le 1 er octobre, puis Vernon, Dieppe, Douchy-les-Mines, Cherbourg, Chambéry, Marseille, etc. Avant d’arriver à Paris, fin 2022. La Covid a tout mis à l’envers !


Comité de défense CHI André Grégoire : "Assemblée publique le 19 octobre à 19 heures !


 

« Autonomie ? », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



Depuis quatre ans, Jean-Michel Blanquer s’évertue à façonner une école qui respecte scrupuleusement les piliers de la religion libérale : plus de compétitivité, moins d’égalité. À chaque fois, les problèmes d’une éducation nationale, sous-dotée et en perte de sens, ont servi de prétexte aux coups de boutoir du gouvernement. C’est encore le cas avec la loi sur les directeurs d’école. Le texte dit « loi Rilhac » prévoit de donner plus de pouvoir aux directeurs et d’en faire des sortes de « managers » des écoles. Pour avancer ses pions, le ministre s’appuie sur un problème existant puisque, les principaux concernés se plaignent d’avoir toutes les peines du monde à exercer correctement leur rôle. Mais, là où ils demandent des moyens pour travailler, pour soulager leurs tâches administratives, et des personnels compétents pour gérer les problè- mes sociaux, le ministère répond : « Management. » C’est moins cher.

Au moment où la loi a été présentée, il s’agissait d’avancer vers une autonomie de gestion. Après le discours de Marseille du président tout s’accélère. Car, là encore, le gouvernement se sert d’un problème social profond, d’une défaillance de l’intervention publique pour répondre par la destruction de celle-ci. « Adapter, repenser les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d’enseigner » dans 50 écoles de la cité phocéenne, disait le chef de l’État. La droite et une partie de la majorité (pléonasme ?) s’engouffrent dans la brèche pour demander pareille libéralisation sur tout le territoire à l’occasion de la loi Rilhac.

L’immense majorité des directeurs s’oppose à ces nouvelles prérogatives qui ne régleront rien et déstructurent les collectifs de travail comme l’égalité républicaine entre établissements et donc entre élèves. Mais voilà à nouveau l’école soumise aux recettes de l’entreprise. Quand ce gouvernement arrêtera-t-il de singer le modèle anglo-saxon et de parler de République toute la journée sans jamais l’édifier ?

 

« Et vice versa », le billet de Maurice Ulrich.



L’Otan, dont le commandement suprême en Europe est logiquement assuré par le général américain Tod D. Wolters, le dix-neuvième depuis 1951, a pour objectif de garantir la liberté et la sécurité de ses membres et il faut considérer comme un léger incident le rôle des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans l’affaire des sous-marins. En revanche, c’est bien dans cet esprit de garantie de la liberté et la sécurité d’un de ses membres que la France va livrer 24 avions Rafale et 3 frégates de combat à la Grèce, membre de l’Otan, pour faire face aux menaces de la Turquie, membre de l’Otan. Bien. Et conformément aux dispositions de l’article 5 du traité à l’origine de la création de l’Alliance, « les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». L’Otan et la France combattront donc une attaque turque contre la Grèce en même temps qu’une attaque grecque contre la Turquie et vice versa.

 

Enfance. Vers une justice des mineurs encore plus dure ?



Paul Ricaud

Entré en vigueur ce jeudi 30 septembre, le Code de la justice pénale des mineurs revoit la manière dont l’État prend en charge les enfants délinquants. Des professionnels se lèvent contre le texte et dénoncent son orientation répressive.

C’est tout un pan du droit français qui s’écroule. L’ordonnance du 2 février 1945 régissait la justice pénale des mineurs. Sa philosophie ? Un enfant délinquant est d’abord un enfant en danger, qu’il revient à l’État de protéger plutôt que de punir. « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains », énonçait-elle en préambule. Ce jeudi 30 septembre, elle est définitivement supprimée et remplacée par un Code de la justice pénale des mineurs. Décryptage des points soulevés par les organisations professionnelles opposées à la réforme.

1/Un jugement en deux temps pour les enfants

Dans le secteur de la protection de l’enfance, une réforme de la justice pénale des mineurs est attendue depuis longtemps. L’ordonnance de 1945, réécrite de nombreuses fois par les gouvernements désireux de réagir aux faits divers et de durcir la réponse pénale, introduisait de nombreuses exceptions à ses principes et finissait par devenir peu compréhensible. L’ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira, promettait déjà une refonte en 2013, avant d’abandonner. À l’époque, la volonté de la chancellerie était de réduire le temps de traitement des dossiers. Aujourd’hui, en moyenne, il se passe presque dix-huit mois entre la commission des faits et le jugement de l’auteur par un tribunal pour enfants. La lenteur de la justice est telle que, dans 45 % des cas, le mineur est jugé alors qu’il est devenu adulte. Dorénavant, le procès d’un mineur se déroulera en deux temps. Il sera jugé une première fois sur sa culpabilité, dix jours à trois mois après les faits reprochés. L’éventuelle sanction sera prononcée par le tribunal dans un second temps, six à neuf mois plus tard. Entre les deux, une période de « mise à l’épreuve éducative » sera mise en place.

2/Le rôle des éducateurs remis en question

« On est dans un changement radical de philosophie », dénonce Pierre Lecorcher, cosecrétaire général de la CGT protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Jusqu’ici, les éducateurs de son service travaillaient la plupart du temps avec des jeunes pas encore reconnus coupables. Le rôle de la PJJ consistait ainsi à établir un dialogue avec eux, en prenant le temps de connaître leur environnement social et familial avant l’audience. « Maintenant, le magistrat n’aura plus la maîtrise du temps judiciaire et ne laissera pas le temps de la rencontre. La procédure ne permettra pas de tenir compte de notre travail avant de condamner  », regrette le syndicaliste, qui craint un dévoiement de la mission de l’éducateur, résumée au contrôle des mineurs, pour vérifier qu’ils suivent bien leurs obligations. « L’accompagnement éducatif durait jusqu’à l’audience. Dans la majorité des cas, cela menait les enfants à reconnaître les faits », relate Me Élisabeth Audouard, du Syndicat des avocats de France (SAF), habituée à accompagner les jeunes devant la justice. Pour elle, l’instauration du nouveau Code tend à rapprocher le traitement des mineurs de celui des adultes, « alors que l’ordonnance de 1945 considérait la délinquance d’un mineur comme celle d’un être en construction et à protéger. L’acte était vu comme l’expression d’une souffrance, d’une rupture avec son environnement ».

3/Faire l’impasse sur l’éducatif pour juger vite

Alors que les piles de dossiers ne désemplissent pas les tribunaux, le nouveau Code demande aux juges et au personnel administratif de travailler plus vite, à moyens constants. Pour parvenir à tenir ces délais, les juridictions pourraient être tentées de faire de l’exception la règle en interprétant largement les possibilités légales d’audience unique. Pour Lucille Rouet, juge des enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, cette procédure pourrait viser en particulier les mineurs isolés étrangers. Là encore, le principe de la protection des enfants délinquants est remis en cause. « En les jugeant vite et en une seule fois, on laisse tomber le travail éducatif et on se prive de voir comment l’enfant évoluerait dans le cadre d’une mise à l’épreuve éducative », analyse la magistrate.

Le recours à l’audience unique peut advenir dans un second cas. Selon l’âge de la personne poursuivie, si elle encourt un certain nombre d’années d’emprisonnement et connaît des antécédents, le procureur peut demander son déferrement. Dans ce cas, le mineur sera incarcéré pour un délai d’un mois au maximum avant de comparaître devant le tribunal. «  La procédure se rapproche du fonctionnement de celle des majeurs : c’est quasiment une comparution immédiate, juge Lucille Rouet. Quand vous arrivez détenu au tribunal, il est très rare que vous ressortiez libre, vous n’avez pas le temps de préparer un projet de sortie avant l’audience. »

4 /La France rattrape son retard sur le droit international

Le nouveau texte est aussi l’occasion d’introduire un seuil d’âge sur la responsabilité pénale des mineurs. Auparavant, il revenait au juge d’apprécier si le mineur était « discernant » au moment des faits, c’est-à-dire en capacité de vouloir et comprendre l’acte qu’il a commis. La disposition allait à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci imposait aux pays signataires d’établir un âge minimal au-dessous duquel les enfants seraient présumés ne pas avoir la capacité d’enfreindre la loi pénale. Le Code de la justice pénale des mineurs introduit une présomption simple, selon laquelle l’enfant de moins de 13 ans ne disposera pas du discernement suffisant pour voir sa responsabilité pénale engagée. Or, il ne s’agit que d’une présomption « simple », à laquelle le juge peut déroger. La mesure est jugée « insuffisante », par la Défenseure des droits : « Il n’y aura donc pas de réel changement par rapport au régime applicable aujourd’hui. Des enfants de 7-8 ans pourront toujours faire l’objet de poursuites pénales, comme cela peut arriver actuellement », affirmait-elle dans un avis en 2020.

 

Il faut un débat national sur la psychiatrie et des moyens enfin à la hauteur !



En souffrance depuis des années, les acteurs de la psychiatrie attendaient beaucoup des annonces du Président de la République, en conclusion des Assises de la santé mentale des 27 et 28 septembre. Avec une hausse de 40% en dix ans de patients suivis, conjuguée à la suppression de dizaines de milliers de lits au cours des dernières décennies, le secteur est au bord de l'implosion. La pandémie de Covid-19 a mis en évidence de nouvelles souffrances liées à l'isolement, aux angoisses de toutes sortes et aux violences intrafamiliales, en pleine explosion.

Le constat est accablant puisque pas moins de 12 millions de Français souffrent de troubles psychiques.

Pourtant, alors qu'il avait promis de faire de ces assises « un moment historique », le président de la République, une nouvelle fois, n'a pas joint aux belles paroles les actes réclamés haut et fort depuis des années. Et pour cause, les professionnels de santé, les psychiatres en particulier, n’ont pas été suffisamment associés à la préparation de ces Assises et aux décisions qui les ont suivies.

En lieu et place d'un ambitieux plan d'urgence de plusieurs milliards, le chef de l'Etat s'est contenté de quelques mesures, très loin des enjeux. L'offre de remboursement des consultations de psychologues, dès l'âge de trois ans, était très attendue, mais, comme le syndicat national des psychologues le craignait, elle sera soumise à une prescription médicale, pour un montant insuffisant de trente euros, passé la première séance remboursée à 40 euros.

La création de 800 postes dans les centres médico-psychologiques, pas plus que les 800 millions d'euros destinés à la recherche sur la santé mentale ne répondent pas à l'ampleur de la crise, marquée par des fermetures exponentielles des structures hospitalières, une véritable misère de l'ambulatoire et une pénurie des psychiatres et de pédopsychiatres.

C'est la raison pour laquelle les communistes, au sein du mouvement Le Printemps de la psychiatrie, réclament notamment l’embauche immédiate, sur des postes de titulaires, des milliers de psychologues qui ont dû renoncer à leur métier. Cela permettrait de répondre à ces nouvelles demandes et de résorber les délais d’attente des CMP.

Ils appellent à un véritable débat national, afin que la société toute entière s'empare des questions de santé mentale. Nous lançons ainsi l'idée d'un tour de France des secteurs avec des débats ouverts dans les villes, pour définir les axes d'une grande loi ambitieuse de refondation du secteur de la psychiatrie.

 

mercredi 29 septembre 2021

« L’écologie en commun », l’éditorial de Gaël De Santis dans l’Humanité



Aux quatre coins de notre belle planète, du Cap à Glasgow, de Delhi à Los Angeles, vendredi, les jeunes ont repris le flambeau de la lutte contre le réchauffement climatique à l’occasion des Fridays for Future, les vendredis pour l’avenir. Car leur avenir, si rien n’est fait, sera chaud. Le dernier rapport du Giec prédit 4,4 degrés d’augmentation de la température d’ici à la fin du siècle, si aucun changement de cap n’est amorcé. Les climatologues veulent croire qu’il est encore possible de limiter la casse à 1,5  degré. Un à un, les pays prennent des mesures qui vont dans le bon sens. Dernière en date : la décision de la Chine de cesser la construction à l’étranger de centrales à charbon, matière première qui fournit l’électricité, mais particulièrement polluante.

Dans les années à venir, la demande ne va pas diminuer. L’Afrique, où 600 millions de personnes sont privées d’électricité, va prendre son essor. En Europe, à l’heure où les prix de l’énergie montent en flèche, il serait juste que des millions de personnes en situation de précarité énergétique puissent se chauffer. Autant faire en sorte que la production d’électricité soit propre.

La montée en puissance des énergies renouvelables et non émettrices de gaz à effet de serre tout comme la production pilotable d’électricité disponible à tout moment demandent un savoir-faire – actuel et à acquérir – immense. L’isolation des bâtiments pour réduire la consommation énergétique est un enjeu énorme. Avec leurs industriels, la France et l’Europe ont un rôle à jouer, à condition de partager leurs technologies.

Pour cela, ce n’est pas l’appât du gain, mais la réponse aux besoins humains et la coopération qui doivent servir de boussole aux producteurs d’énergie. En Espagne, Unidas Podemos a déposé au Parlement une proposition de loi pour recréer une entreprise publique d’électricité. En France, plusieurs forces appellent à la création d’un pôle public de l’énergie. Pour ne pas faire brûler la planète, l’énergie doit sortir du marché pour redevenir un bien public.

 

« Camembert », le billet de Maurice Ulrich.



Mais comment a-t-il pu simplement y penser ? Le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, aurait eu l’idée de remplacer la statue de Napoléon de la place de l’Hôtel-de-Ville par une statue de Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir ou Olympe de Gouges. L’Empereur, pour le moment en restauration, sans jeu de mots, aurait été envoyé en exil sur l’île Lacroix, la troisième pour lui, aux pieds du pont Pierre-Corneille, dont il avait décidé de la construction. Ce n’était pas sans logique, quand bien même l’importance de l’opération, désormais suspendue, pouvait se discuter. Pour le directeur de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz, « le respect de notre histoire » était en jeu et, surtout, « en quoi mesdames Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir et Olympe de Gouges ont rendu service à Rouen et à la Normandie pour mériter que leur effigie remplace celle d’un tel bienfaiteur de la ville » ? Les luttes pour les droits des femmes et contre la torture et le viol n’ont rien à voir, en effet, avec un pont ou un excellent camembert.

 

mardi 28 septembre 2021

« Chauve-souris », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanté.



L’aigle, le dragon et la chauve-souris. Cela pourrait être le titre d’une fable qui raconterait comment un aigle imposant, qui depuis des années dominait le ciel, fut bien marri quand un dragon vint s’installer dans la région. Affamé et en quête de nourriture, le dragon empiétait toujours plus sur ce que l’aigle considérait comme son territoire de chasse. Incapable de l’évincer du ciel, l’aigle accusa le dragon de répandre la peste afin que les autres oiseaux s’unissent contre lui.

Et la chauve-souris dans cette histoire ? C’est la bestiole étudiée par l’Institut Pasteur du Laos qui flanque le plan de l’aigle par terre. Dans une récente étude, les chercheurs de cette institution ont identifié trois virus, avec des similitudes génomiques au Sars-CoV-2, chez des chauves-souris vivant dans le nord du Laos. Après différents tests, ils sont arrivés à la conclusion que l’hypothèse selon laquelle le virus du Covid-19 pourrait venir de ce type de chauve-souris est plus que probable. On peut donc penser que le dragon chinois ne dissimule pas d’ « informations cruciales sur les origines de la pandémie », contrairement à ce qu’affirmait l’aigle américain, il y a encore un mois.

Cette présomption de culpabilité savamment orchestrée par le pouvoir états-unien vis-à-vis de la Chine n’est qu’une des facettes de la stratégie de Washington pour tenter de contenir Pékin. Dans la guerre à l’hégémonie mondiale que se livrent les deux puissances, tous les coups sont permis, comme vient de le prouver l’épisode du contrat des sous-marins avec l’Australie. C’est une chauve-souris qui vient rappeler à la France et à l’Europe la leçon australienne : la politique étrangère américaine est au service exclusif des intérêts des États-Unis, de même que leurs alliances militaires, à commencer par l’Alliance atlantique. Alors, à quand une Europe émancipée de l’Otan et des États-Unis, qui, comme le prouve la chauve-souris du Laos, sont loin d’être nos indéfectibles alliés ?

 

« Mais oui », le billet de Maurice Ulrich.



Bon, disons-le franchement, on avait un peu oublié François Bayrou et le rôle majeur qu’il a joué ces dernières années en assumant sans faillir tous les choix d’Emmanuel Macron. Tout le monde n’en est pas capable. Mais voilà qu’il s’est rappelé à notre souvenir le week-end dernier à l’occasion de l’université de rentrée du Modem à Guidel, dans le Morbihan, où très symboliquement et fraternellement il est arrivé aux côtés du premier ministre, Jean Castex. On apprit ainsi que la République en marche et le Modem entendaient construire « une maison commune » de la majorité avant la fin de l’année et les élections. Cuisine et dépendances en quelque sorte. Mais, attention, pas pour en faire un centre Gloubi-Boulga car, a assuré François Bayrou, « je ne suis pas pour confondre la droite et le centre. Je ne veux pas de cette confusion-là » et, au sein du Modem lui-même, « tous ceux qui voulaient nous emmener à droite ont disparu. Je sais mener des batailles ». Mais oui, voyons… comment en douter ?

Santé. « Non à la psychiatrie virtuelle et verticale »



Alexandre Fache

Ouvertes lundi, les assises de la santé mentale étaient censées remettre à plat un secteur sinistré. Il n’en sera rien, assurent les membres du Printemps de la psychiatrie.

Promises en janvier par Emmanuel Macron pour une tenue « avant l’été », les assises de la santé mentale et de la psychiatrie auront donc attendu le début de l’automne pour se tenir. Mais, plus que ce retard à l’allumage, c’est le contenu de ce rendez-vous présenté comme « historique » par l’exécutif qui déçoit et inquiète nombre de professionnels du secteur, réunis au sein du Printemps de la psychiatrie, un collectif fondé en 2018. « Ces assises sont à l’image de la psychiatrie qui nous attend, virtuelle et verticale », et mettent délibérément de côté de « nombre de problématiques » comme la réforme de son financement, bientôt calqué sur la tarification à l’activité (T2A) qui a déjà fait tant de mal à l’hôpital public, ou « le débat sur les pratiques de contention et d’isolement », écrivent ces acteurs (1) qui, en réponse, organisent ce mardi, à 14 heures, un « rassemblement-tintamarre » devant le ministère de la Santé.

Disparition du mot « soin »

Pourtant, reconnaît le collectif, ce « parent pauvre de la santé » qu’est la psychiatrie avait bien besoin qu’on débatte de son organisation et qu’on lui donne enfin les moyens de faire face à des besoins croissants – 12 millions de Français souffrent de troubles psychiques (+ 40 % en dix ans), un phénomène accentué par les confinements liés au Covid. « Mais la confrontation au réel n’aura pas lieu lors de ces assises. On n’y parlera pas du nombre ridicule de pédopsys, des listes d’attente qui s’allongent, ni de ces paroles de terrain qui sont régulièrement bâillonnées », alerte Sandrine Deloche, pédopsychiatre, membre du Collectif des 39 et du Printemps de la psychiatrie. « Petit à petit, le mot “soin” a disparu du discours, témoigne aussi Marie Bakchine, psychologue et membre du Collectif Grand-Est pour la défense du secteur médico-social. O n parle au mieux d’“accompagnement”, voire d’“intervention”. La priorité, c’est la gestion des flux de patients et, au fond, de traiter les pathologies à moindre coût. Quitte à utiliser des postulats scientistes qui résument l’être humain à son seul fonctionnement neuronal. »

Même la perspective, qui pourrait être annoncée par Emmanuel Macron ce mardi, d’un remboursement par la Sécuristé sociale des consultations de psychologues ne convainc guère tant elle est soupçonnée de vouloir détourner une partie du flux des patients du secteur sinistré de la psychiatrie vers les psychologues libéraux. Lesquels craignent un montant de remboursement « indécent », autour de 30 euros, remboursement qui serait soumis « à prescription et contrôle médicaux », ce qui serait « catastrophique pour la profession », a estimé Patrick-Ange Raoult, le secrétaire général du Syndicat national des psychologues, qui appelle, lui aussi, avec la CGT ou SUD, à un rassemblement ce mardi après-midi devant le ministère.

On le voit, les colères sont multiples dans un secteur en proie à une véritable « catastrophe gestionnaire », qui a déjà conduit à la fermeture de dizaines de milliers de lits et de nombreux établissements. Dans ce contexte, la mise en place, le 1er janvier, de la tarification à l’activité (rebaptisée ici « par compartiment », sans doute pour mieux faire rentrer les malades dans des cases…) fait craindre le pire aux professionnels. « On a vu les effets délétères que cela a eu sur le reste de la médecine depuis 2003. Les actes de soin ont été découpés en tranches, à qui on a attribué des tarifs. Les plus rentables ont été privilégiés au détriment des autres. Jusqu’ici, la psychiatrie était préservée de cela. C’est bientôt fini », regrette Loriane Bellahsen, psychiatre dans un hôpital de jour accueillant des autistes, à Paris.

« Attacher et isoler »

Autre préoccupation majeure, « l’inflation des contentions physiques et des isolements psychiatriques », devenus pratiques courantes, voire « systématiques », selon Catherine Skiredj-Hahn, présidente de l’association Le Fil conducteur-Psy. « Attacher et isoler redoublent et aggravent les isolements (…) des personnes déjà fragilisées par leurs troubles psychiques », rappelle une tribune de 200 professionnels publiée dimanche sur Leparisien.fr. Des pratiques qu’il ne fait pas bon dénoncer trop ouvertement. Pour avoir saisi le contrôleur général des lieux de privation de liberté, en mai 2020, sur une « confusion entre confinement sanitaire et isolement psychiatrique » dans son établissement d’Asnières-sur-Seine, le psychiatre Mathieu Bellahsen y a été démis de ses fonctions de chef de pôle, en juillet. Un exemple parmi d’autres de la « répression » qui s’abat sur ceux qui entendent résister à la « culture de l’enfermement ».

(1) Lire la tribune « Le silence des assises de la santé mentale et de la psychiatrie » sur l’Humanité.fr.

Suicide : un numéro vert

Avant la clôture des assises par le chef de l’État, ce mardi, le ministre de la Santé a fait une première annonce. Le nouveau numéro national de prévention du suicide, promis lors du Ségur de la santé, entrera « en fonctionnement » vendredi, a indiqué Olivier Véran. « Gratuit, accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 depuis tout le territoire national, ce numéro permettra d’apporter une réponse immédiate aux personnes en détresse psychique et à risque suicidaire », a-t-il assuré. Il complète le système « de rappel et de suivi des personnes ayant fait une tentative de suicide », VigilanS, créé en 2015 dans les Hauts-de-France.

 

lundi 27 septembre 2021

« Poli », le billet de Maurice Ulrich.



Il y met tellement de bonne volonté qu’il en est presque touchant. Dans le Journal du dimanche, Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, dont le rôle essentiel dans la conduite des affaires n’a échappé à personne de ses proches, entend nous en convaincre. Non, l’Europe ne se laisse pas faire et la France encore moins. Ainsi, pour la crise des sous-marins qui a été, dit-il, un bon exemple : « Elle a montré que la solidarité entre États membres est désormais un réflexe. Assez rapidement, au plus haut niveau, de nombreux pays se sont exprimés. » Cinq jours pour la présidence de l’Union. Assez rapidement mais quand même « un certain temps ». Mais là où Clément Beaune polit avec talent sa langue de bois, c’est au sujet de l’Otan que, non, le président ne songe absolument pas à quitter : « Ce sont de pures inventions. Ce que le président a permis d’initier, c’est une réflexion de fond sur l’autonomie stratégique de l’Europe. » Sous commandement américain. Touchant, un brin pathétique aussi.

 

« L’héritage Merkel », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



Angela Merkel était l’indétrônable, la bonne gestionnaire de la première puissance de la zone euro. En matière sociale et économique, elle a fait montre d’une rigidité absolue, imposant à Berlin et à l’Union européenne l’équilibre des comptes publics tel un totem. L’exemple le plus terrible de cette intransigeance reste à ce jour sa conduite vis-à-vis de la Grèce, étranglée jusqu’à l’asphyxie. Depuis l’annonce de son départ, les médias dominants rivalisent d’éloges, brossant le portrait d’une femme d’État rigoureuse qui a su remettre debout « l’homme malade » qu’était l’Allemagne, lors de sa première élection en 2005. À quel prix ?

Durant les quatre mandats de la chancelière, les inégalités sociales ont explosé ; la fracture s’est creusée entre l’Ouest et l’Est désindustrialisé.

Elle a inscrit son règne dans le sillage de l’ordo-­libéralisme de son prédécesseur et de ses très impopulaires réformes antisociales Hartz. Elle a considérablement amplifié la flexibilisation du marché du travail. On l’oublie un peu trop vite, mais la précarité est l’autre face du taux de chômage historiquement bas. Pas moins de 7 millions d’Allemands sont des mini-jobeurs, dont 3 millions sont contraints d’empiler les boulots pour survivre. Les 4 autres millions ne touchent que 450 euros afin d’être exonérés des cotisations. Résultat, ces forçats du XXIe siècle n’ont ni assurance-chômage, ni assurance-maladie, ni retraite. Leurs salaires de la peur exercent une pression terrible sur les autres travailleurs.

Non, il n’y a pas de modèle allemand. Durant les quatre mandats de la chancelière, les inégalités sociales ont explosé ; la fracture s’est creusée entre l’Ouest et l’Est désindustrialisé, où la population a le sentiment d’être la grande oubliée de la croissance florissante. Ce malaise n’est d’ailleurs pas étranger à la montée en puissance de l’extrême droite. Angela Merkel laisse à son successeur – que ce soit Olaf Scholz ou son dauphin, Armin Laschet – un autre problème structurel : plus d’un enfant sur cinq grandit dans la pauvreté, selon la fondation Bertelsmann. Les infra­structures et les services publics sont en lambeaux. « Une démocratie se doit d’être conforme aux marchés », a déclaré, un jour, la chancelière. Elle a assujetti l’Allemagne à ce dogme, au point de faire de l’austérité la norme pour des millions de ses concitoyens désemparés. C’est aussi ça, l’héritage Merkel.

 

vendredi 24 septembre 2021

« La France vassalisée », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



On allait voir ce qu’on allait voir : un ambassadeur rappelé à Paris, un président et son aréopage outragés par l’attitude de l’ami américain qui humilie son allié français en vendant à sa place des sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie au nom d’une guerre qui ne dit pas son nom avec la Chine… Bref, du Quai d’Orsay aux plus hautes instances de l’État, on promettait une réponse cinglante face au complot ourdi depuis Washington, Londres et Canberra. C’est tout vu. La crise diplomatique entre nos deux pays s’est dégonflée comme un ballon de baudruche. Le communiqué de l’Élysée faisant état de l’entretien téléphonique entre Joe Biden et Emmanuel Macron dit tout de l’obséquiosité du second. Sa langue de bois dissimule mal la vassalisation dans laquelle la France n’en finit plus de sombrer.

Pour tourner la page du scandale des sous-marins, le président français a marchandé une aide pour se dépêtrer du bourbier sahélien. Quelle illusion ! Il croit surtout que son homologue lui permettra de relancer son grand rêve d’un pilier européen au sein même de l’Otan qui serait le gage d’une présence accrue de l’Union européenne dans la région indo-pacifique. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Jamais le Pentagone ne partagera son pouvoir absolu sur l’Alliance atlantique. Au contraire. Pour protéger le très influent complexe militaro-industriel états-unien, il tient sa stratégie de la caporalisation des armées européennes.

Le débat sur la sortie de l’Otan et de son commandement intégré est légitime. L’explosion des dépenses militaires, la prolifération des armes nucléaires, la persistance de conflits meurtriers qui déstabilisent le monde et les relations internationales devraient pousser la France à revoir son rôle et sa place au sein de cette organisation héritée de la guerre froide. Les États-Unis, obsédés par leur rivalité avec la Chine, veulent renforcer cet instrument de dissuasion et de domination. La Macronie se plie docilement à leurs desiderata. Notre pays aurait tout à perdre à les suivre dans cette fuite en avant belliciste.

 

Dépendance. Une rallonge, mais pas de réforme



Paul Ricaud

Plutôt que de mettre en œuvre la très attendue loi sur l’autonomie, le gouvernement n’a annoncé qu’un coup de pouce au budget de la Sécurité sociale pour l’année 2022.

Le premier ministre a choisi d’incarner lui-même les annonces pour s’assurer une solide couverture médiatique, accompagné des ministres de la Santé, Olivier Véran, et de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon. Lors d’un déplacement en Saône-et-Loire, jeudi 23 septembre, c’est à l’issue d’une visite auprès d’une dame de 95 ans que Jean Castex a annoncé les mesures concernant la prise en charge des personnes dépendantes. Un « effort » de 400 millions d’euros dans le budget de la Sécurité sociale en 2022, au lieu d’une loi sur l’autonomie plusieurs fois reportée, puis abandonnée. L’investissement servira à mettre en place deux mesures principales : le recrutement de 10 000 soignants sur cinq ans dans les Ehpad et l’instauration d’un « tarif plancher » de 22 euros de l’heure pour les aides à domicile.

Comme le relève Romain Gizolme, pour l’Association des directeurs au service des personnes âgées (Adpa), l’objectif de 10 000 postes supplémentaires dans les maisons de retraite médicalisées en cinq ans représenterait 2 000 recrutements par an. Soit, selon ses calculs, un tiers de poste par structure. « Quand vous annoncez des mesures qui ne se voient pas, cela ne change rien dans le quotidien des personnes. C’est comme ça qu’on entraîne la défiance », déplore le directeur d’établissement, se souvenant du massif mouvement de grève de 2018 qui avait mobilisé toutes les organisations syndicales. En 2019, un rapport remis à la ministre de la Santé préconisait, lui, la création de 80 000 emplois dans le secteur. Sans compter que 5 % des soignants ont été suspendus depuis que la vaccination est obligatoire dans les établissements, soit en moyenne trois personnes par établissement de soixante professionnels.

Des conditions de travail qui se dégradent perpétuellement

Du côté des aides à domicile, la revalorisation des salaires était une mesure attendue, les tarifs variant selon les départements. Les rémunérations de ces professionnelles de l’assistance aux personnes dépendantes, majoritairement des femmes et souvent à temps partiel, devraient dorénavant être soumises à un minimum. « Plus de la moitié des heures effectuées (…) sont rémunérées sous ce niveau », a pointé Jean Castex lors de son discours. Mais comme le souligne Rachel Contoux, de la CGT services publics : « Cela va uniformiser les traitements sur le territoire. Mais il faut de la volonté de la part des employeurs pour que ces financements ruissellent jusqu’aux travailleuses. Ils sont tellement contraints financièrement que cela n’est même pas certain ». Le même jour que les annonces de Jean Castex, le syndicat organisait une journée de grève et de mobilisation « 24 heures sans aide à domicile ». « Il faut que les départements suivent, ça n’a pas toujours été le cas lors de la mise en place de la prime Covid », rappelle Romain Gizolme.

Sur ce volet des annonces, comme sur le premier, les mesures concernent le budget de la Sécurité sociale seulement pour l’année 2022. Aucune assurance que ces résolutions tiendront en 2023 et les années suivantes, alors que les conditions de travail se dégradent perpétuellement dans cette branche. Selon la Caisse nationale d’assurance-maladie, le secteur des Ehpad et de l’aide à la personne est le seul dans lequel le risque d’accidents du travail n’est pas en baisse. Dans l’aide et les soins à la personne, la fréquence des accidents s’élève encore à 51,9 pour 1 000 salariés, contre 33,5 pour 1 000 en moyenne dans les autres secteurs.