Entré en vigueur ce
jeudi 30 septembre, le Code de la justice pénale des mineurs revoit la
manière dont l’État prend en charge les enfants délinquants. Des professionnels
se lèvent contre le texte et dénoncent son orientation répressive.
C’est tout un pan du droit français qui s’écroule. L’ordonnance du
2 février 1945 régissait la justice pénale des mineurs. Sa
philosophie ? Un enfant délinquant est d’abord un enfant en danger, qu’il
revient à l’État de protéger plutôt que de punir. « La France n’est pas
assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en
faire des êtres sains », énonçait-elle en préambule. Ce jeudi
30 septembre, elle est définitivement supprimée et remplacée par un Code
de la justice pénale des mineurs. Décryptage des points soulevés par les
organisations professionnelles opposées à la réforme.
1/Un jugement en deux temps pour les enfants
Dans le secteur de la protection de l’enfance, une réforme de la justice
pénale des mineurs est attendue depuis longtemps. L’ordonnance de 1945,
réécrite de nombreuses fois par les gouvernements désireux de réagir aux faits
divers et de durcir la réponse pénale, introduisait de nombreuses exceptions à
ses principes et finissait par devenir peu compréhensible. L’ancienne ministre
de la Justice, Christiane Taubira, promettait déjà une refonte en 2013, avant
d’abandonner. À l’époque, la volonté de la chancellerie était de réduire le
temps de traitement des dossiers. Aujourd’hui, en moyenne, il se passe presque
dix-huit mois entre la commission des faits et le jugement de l’auteur par un
tribunal pour enfants. La lenteur de la justice est telle que, dans 45 %
des cas, le mineur est jugé alors qu’il est devenu adulte. Dorénavant, le
procès d’un mineur se déroulera en deux temps. Il sera jugé une première fois
sur sa culpabilité, dix jours à trois mois après les faits reprochés.
L’éventuelle sanction sera prononcée par le tribunal dans un second temps, six
à neuf mois plus tard. Entre les deux, une période de « mise à
l’épreuve éducative » sera mise en place.
2/Le rôle des éducateurs remis en question
« On est dans un changement radical de philosophie », dénonce Pierre
Lecorcher, cosecrétaire général de la CGT protection judiciaire de la jeunesse
(PJJ). Jusqu’ici, les éducateurs de son service travaillaient la plupart du
temps avec des jeunes pas encore reconnus coupables. Le rôle de la PJJ
consistait ainsi à établir un dialogue avec eux, en prenant le temps de
connaître leur environnement social et familial avant l’audience. « Maintenant,
le magistrat n’aura plus la maîtrise du temps judiciaire et ne laissera pas le
temps de la rencontre. La procédure ne permettra pas de tenir
compte de notre travail avant de condamner », regrette le
syndicaliste, qui craint un dévoiement de la mission de l’éducateur, résumée au
contrôle des mineurs, pour vérifier qu’ils suivent bien leurs
obligations. « L’accompagnement éducatif durait jusqu’à l’audience.
Dans la majorité des cas, cela menait les enfants à reconnaître les faits »,
relate Me Élisabeth Audouard, du Syndicat des avocats de France (SAF), habituée
à accompagner les jeunes devant la justice. Pour elle, l’instauration du
nouveau Code tend à rapprocher le traitement des mineurs de celui des
adultes, « alors que l’ordonnance de 1945 considérait la délinquance
d’un mineur comme celle d’un être en construction et à protéger. L’acte était
vu comme l’expression d’une souffrance, d’une rupture avec son environnement ».
3/Faire l’impasse sur l’éducatif pour juger vite
Alors que les piles de dossiers ne désemplissent pas les tribunaux, le
nouveau Code demande aux juges et au personnel administratif de travailler plus
vite, à moyens constants. Pour parvenir à tenir ces délais, les juridictions
pourraient être tentées de faire de l’exception la règle en interprétant
largement les possibilités légales d’audience unique. Pour Lucille Rouet, juge
des enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, cette
procédure pourrait viser en particulier les mineurs isolés étrangers. Là
encore, le principe de la protection des enfants délinquants est remis en
cause. « En les jugeant vite et en une seule fois, on laisse tomber le
travail éducatif et on se prive de voir comment l’enfant évoluerait dans le
cadre d’une mise à l’épreuve éducative », analyse la magistrate.
Le recours à l’audience unique peut advenir dans un second cas. Selon l’âge
de la personne poursuivie, si elle encourt un certain nombre d’années
d’emprisonnement et connaît des antécédents, le procureur peut demander son
déferrement. Dans ce cas, le mineur sera incarcéré pour un délai d’un mois au
maximum avant de comparaître devant le tribunal. « La
procédure se rapproche du fonctionnement de celle des majeurs : c’est quasiment
une comparution immédiate, juge Lucille Rouet. Quand vous
arrivez détenu au tribunal, il est très rare que vous ressortiez libre, vous
n’avez pas le temps de préparer un projet de sortie avant l’audience. »
4 /La France rattrape son retard sur le droit international
Le nouveau texte est
aussi l’occasion d’introduire un seuil d’âge sur la responsabilité pénale des
mineurs. Auparavant, il revenait au juge d’apprécier si le mineur était « discernant »
au moment des faits, c’est-à-dire en capacité de vouloir et comprendre l’acte
qu’il a commis. La disposition allait à l’encontre de la Convention
internationale des droits de l’enfant. Celle-ci imposait aux pays signataires
d’établir un âge minimal au-dessous duquel les enfants seraient présumés ne pas
avoir la capacité d’enfreindre la loi pénale. Le Code de la justice pénale des
mineurs introduit une présomption simple, selon laquelle l’enfant de moins de
13 ans ne disposera pas du discernement suffisant pour voir sa
responsabilité pénale engagée. Or, il ne s’agit que d’une présomption « simple »,
à laquelle le juge peut déroger. La mesure est jugée « insuffisante »,
par la Défenseure des droits : « Il n’y aura donc pas de
réel changement par rapport au régime applicable aujourd’hui. Des enfants de
7-8 ans pourront toujours faire l’objet de poursuites pénales, comme cela
peut arriver actuellement », affirmait-elle dans un avis en 2020.
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