mercredi 30 juin 2021

Inventer une démocratie nouvelle, l’éditorial de L’Humanité Dimanche du 01 au 04 juillet 2021 – par Patrick Le Hyaric.



Si nous nous contentions de constater la reconduction des présidents de région sortants, nous nous aveuglerions sur la profondeur des manifestations de défiance qui tourmentent le pays. Sans évidemment contester la légitimité de celles et ceux qui ont gagné les élections, force est de constater qu’ils ne le doivent qu’à une minorité d’inscrits sur les listes électorales.

Songeons que les candidats soutenus par le président de la République n’ont rassemblé sur leur nom que… 3% des inscrits lors du premier tour. Ajoutons qu’une démocratie qui laisse si massivement sa jeunesse se détourner de la vie de la cité se condamne à moyen terme.

Ce terrible désaveu n’est en aucun cas la manifestation d’un désintérêt pour la politique. L’abstention devient pour beaucoup un acte politique pour être écouté et entendu. C’est parce que les pouvoirs restent sourds à la multitude des mouvements syndicaux, sociaux, citoyens, aux luttes pour une réforme juste du système de retraite comme pour la défense de la sécurité sociale, aux mouvements des Gilets jaunes comme aux « nuits debout », aux combats unitaires pour empêcher la privatisation d’EDF ou de la SNCF, aux actions des jeunes pour le climat, des femmes pour l’égalité, ou encore à la diversité des actions des travailleurs pour défendre l’industrie, l’emploi et les services publics, qu’en conscience une majorité de nos concitoyens organisent le silence des urnes.

Toutes ces manifestations de la volonté populaire se heurtent aux pouvoirs successifs qui, refusant d’écouter ces exigences, accélèrent la mise aux normes du pays aux canons de la mondialisation capitaliste.  Le système représentatif est ainsi englué dans une « alternance » qui perpétue les mêmes politiques au service des puissances d’argent. Mais le fameux duo Macron-le Pen, qui ne sert qu’à verrouiller le paysage politique, est ébranlé. D’évidence, notre peuple cherche une autre voie.

Ce qui tend à devenir une farce démocratique trouve parmi ses causes premières le poids exorbitant des institutions européennes sur les politiques nationales et locales qui fixent le cadre d’un consensus libéral dévastateur pour le modèle républicain, notamment la conception républicaine des services publics, et empêchent son déploiement vers une République sociale démocratique et écologique, réellement protectrice.

Le système institutionnel agonise ainsi dangereusement. Le pouvoir, qui prend appui sur les classes supérieures bien plus mobilisées que la moyenne, subit une déroute d’ampleur qui laisse augurer un redoublement de la crise de légitimité des institutions. Mais si l’extrême droite ne sort pas renforcée du scrutin, gare à en tirer des conclusions trop hâtives car ses idées nauséabondes, derrière lesquelles court une bonne partie des droites et du pouvoir, sont toujours là : aux présidentielles qui concentrent toute l’attention pourrait s’exprimer tout autre chose… Au point de déliquescence où se trouve la démocratie, il faudra plus que des rustines pour la  faire revivre. Le présidentialisme grotesque et les politiques libérales menées sous les auspices de l’Union européenne produisent un cocktail amer qui mine l’ensemble de l’architecture démocratique.

L’enjeu réclame d’engager un processus de transformation radicale des institutions portant une souveraineté populaire sur les choix politiques et économiques. Une nouvelle République, la sixième, qui devrait devenir la première République sociale, démocratique et écologique. Partout, de l’usine à l’université jusqu’au Parlement et au plus haut niveau de l’Etat, l’urgence est d’inventer de nouvelles formes de démocratie et d’interventions conférant de réels pouvoirs aux citoyens. C’est ce que demandent celles et ceux qui souffrent de ne pouvoir correctement se nourrir, se loger, travailler avec des bons salaires ou des revenus corrects pour les paysans et les artisans. La 5ème République se meurt. Il faut, avec les citoyens, en inventer une nouvelle.

Patrick Le Hyaric

Directeur de l’Humanité

 

« Pour prendre note », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Sans même avoir pris le temps de se reprendre après le camouflet des dernières élections, Stanislas ­Guerini voudrait charger sabre au clair. Pour le délégué général de LaREM, « il faut qu’il y ait une réforme des retraites. Nous aurons besoin de réformer notre modèle social ». Il va de soi que le mot réforme est ici utilisé à contresens. Bruno Le Maire, cela dit, n’est pas en reste, lui qui plaidait, dès lundi, tiens, sur CNews, pour un relèvement de l’âge de départ, en demandant qu’on ne remette pas à demain « ce qu’on peut faire ­aujourd’hui », non sans s’interroger toutefois : « Est-ce qu’il y a des risques sociaux, des risques de troubles ? Tout cela relève de la seule appréciation du président de la République. » Oui, et un peu de celle des Français et des syndicats, non ? L’un et l’autre semblent oublier que, tout juste avant la crise du Covid, la France a connu deux mois de grève face à la « réforme » annoncée et alors que le report de l’âge est majoritairement rejeté par l’opinion…

Mais voilà, Emmanuel Macron, alors qu’il doit prendre la présidence de l’Union européenne au 1er janvier 2022, est fortement incité à ne pas tarder. Dans l’Opinion, Nicolas Beytout le dit sans fard, ses lecteurs pouvant l’entendre : « Rouvrir le dossier de l’âge de la retraite fait partie des preuves de crédibilité envoyées à l’Allemagne. » Ce serait aussi confirmer, pour les grands patrons étrangers et dans la suite du sommet Choose France de Versailles, « la volonté réformatrice » du pouvoir. Ce serait, enfin, montrer que le président, d’ici à l’élection présidentielle, ne reste pas, pour le dire crûment, les deux pieds dans le même sabot en s’adressant en même temps à l’électorat de droite, favorable à la remise en cause des acquis sociaux. En d’autres termes, si jamais le président de la République prend le risque, après les mois de crise sanitaire et leurs conséquences, en particulier sur l’emploi, d’une crise sociale d’ampleur, ce sera pour autant de raisons et de calculs politiciens dont l’intérêt réel des Français est totalement absent. On peut en prendre note.

« Saucisses », le billet de Maurice Ulrich.



C’est un conflit dont on ne saurait encore mesurer les conséquences. L’Irlande du Nord se trouve en effet depuis le Brexit au centre d’un affrontement entre Londres et l’Union européenne déjà appelé la « guerre de la saucisse ». Les nouvelles règles sanitaires en vigueur interdisent en effet à la Grande-Bretagne d’exporter de la viande qui ne serait pas congelée à moins 18 degrés. L’Irlande du Nord, de par son statut particulier qui la maintient dans le marché unique et l’union douanière des 27, se trouve donc privée de ses approvisionnements en saucisses fraîches anglaises. On ignore les qualités qui les font visiblement apprécier du peuple mais outre que la situation jette un froid entre la capitale britannique et Bruxelles en quête d’une solution de compromis, c’est aussi le cas en Irlande même, où les esprits s’échauffent entre les unionistes et les républicains, favorables à une réunification de l’Irlande. En attendant, on prête aux services secrets de Sa Majesté l’intention de préparer des parachutages clandestins et massifs de saucisses sur Belfast et Londonderry.

 

mardi 29 juin 2021

« Pour la plupart des Français, l’organisation de la politique ne fonctionne plus  »

 


Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof, voit dans ces records d’abstention la suite du mouvement des gilets jaunes, qui réclamait aux élus plus d’efficacité. 

Contrairement aux régionales de 2015, la participation n’a pas connu un rebond significatif entre les deux tours. Comment l’expliquez-vous ?

Luc Rouban : Dès le premier tour, le RN a marqué le pas. En 2015, il y avait eu une mobilisation pour éviter qu’une grande région ne tombe dans les mains de l’extrême droite. Là, il n’y avait de risque qu’en Paca. Pour les électeurs de gauche, l’enjeu n’était plus aussi important. D’autant plus qu’un certain nombre de sortants, comme Laurent Wauquiez ou Xavier Bertrand, étaient déjà quasiment assurés d’être réélus. Mais, derrière, il y a une lame de fond plus inquiétante avec une abstention record. La loi NOTRe a permis de créer d’immenses régions où le conseil régional peut être à plusieurs centaines de kilomètres. Elles sont perçues comme des instances de gestion, avec des compétences réduites et techniques. Ces élections mettent aussi en scène des professionnels de la politique. Avec les fusions de listes, tout cela peut donner l’impression d’une démocratie de l’entre-soi.

Dans quel contexte plus large s’inscrit cette abstention ?

Luc Rouban : Il ne faut pas oublier que, entre 2015 et 2021, il y a eu la crise des gilets jaunes et le grand débat national. C’était aussi des contestations de la démocratie représentative : il y avait une demande d’efficacité, parfois autoritaire, à l’égard des élus. Cette idée est maintenant très ancrée : 42 % des interrogés disent qu’en démocratie rien n’avance et qu’il vaudrait mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. Il y a l’idée que la démocratie, c’est bien, mais qu’elle ne résout pas les problèmes de fond (égalité, justice sociale…). La demande d’équité est très présente en France et détermine la confiance dans les institutions et la démocratie représentative. Selon moi, c’est le principal moteur de l’abstention.

Pourquoi, cette fois, l’électorat du RN s’est-il plus abstenu que d’habitude ?

Luc Rouban : L’abstention touche essentiellement des jeunes non diplômés. Or, c’est le cœur de l’électorat du RN. C’est aussi le résultat d’un populisme de droite qui a consisté à dire, pendant des années, que le système est corrompu avec des gens qui ne méritent pas qu’on les soutienne. Marine Le Pen a été entendue, mais ça se retourne contre elle. S’ajoute à cela que l’éventail de compétences de ces collectivités ne permet pas de traiter les sujets au cœur de l’électorat du RN comme l’immigration ou les frontières. Il ne faut donc pas projeter ces résultats sur la présidentielle.

La majorité présidentielle propose des ajustements techniques sur les modes de scrutin pour répondre à l’abstention. Est-ce vraiment le cœur du problème ?

Luc Rouban : Pas du tout. Il ne faut pas se tromper : les trois quarts des Français s’intéressent à la politique. Mais, pour eux, l’organisation de cette politique ne fonctionne plus : ils ne voient pas l’impact au quotidien.

À quoi doit-on s’attendre pour 2022 ?

Luc Rouban : Tout va dépendre de la campagne. Les Français ne veulent pas d’un nouveau duel entre Macron et Le Pen. On peut penser qu’il y a un renouvellement de l’offre de la droite parlementaire, notamment autour de Xavier Bertrand, et de la gauche, avec peut-être une alliance socialo-écologiste. Le potentiel électoral à gauche, aujourd’hui, est plus important qu’en avril 2017 : l’électorat qui avait suivi Macron en est revenu. Sans oublier que le clivage droite-gauche n’a jamais disparu, mais il faut qu’il soit incarné. À ce moment-là, l’abstention ne sera pas la même, puisque ce ne seront pas des candidats par défaut.

« Légitimité(s) », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Du côté de l’Élysée, tout a été tenté pour enjamber le second tour des élections et l’échec cinglant des listes LaREM, y compris lorsqu’elles étaient conduites par des ministres. Parler et faire parler d’autre chose, voilà quelle a été la stratégie présidentielle : de l’annonce du calendrier de l’élection présidentielle aux larmes de crocodile sur l’abstention de la part de ceux qui en sont les premiers responsables. Mais les ressorts de la fracture démocratique sont les mêmes que ceux qui ont conduit à la défaite de la majorité.

Le macronisme, qui se faisait fort de réenchanter la politique, aboutit dans les faits à son abaissement. Le dédain affiché à l’égard des institutions locales, le mépris vis-à-vis du débat démocratique au Parlement, la violence comme réponse aux mouvements sociaux ont affaibli un peu plus l’idée même de la démocratie et de l’utilité du vote. Le président peut bien tenter de passer à autre chose, le déficit démocratique, dont il est le premier responsable, couplé à l’échec électoral, pose la question de la légitimité de son gouvernement et de ses futures actions, mais aussi de ses ambitions politiques. Certes, ces élections ne disent rien de définitif sur la suite. L’échec du RN et de LaREM ne signifie pas que le duel Macron/Le Pen n’aura pas lieu. Mais elles prouvent qu’il n’est pas inéluctable. Elles illustrent le fait que le « moment Macron » de 2017 traduisait plus un rejet des autres que l’adhésion à une nouvelle offre. Elles démontrent que le réenchantement démocratique et le changement ne sont pas espérés de ces côtés de l’échiquier.

Mais, déjà, les prétendants s’agitent, non pour réduire la fracture démocratique, mais pour remettre au plus vite Le Pen au centre du jeu afin de s’arroger le titre de meilleur rempart. Or, les Français n’en peuvent plus de cette politique par défaut. L’espace existe pour une vraie confrontation de projets de société. Cela pourrait être une bonne nouvelle… Pour peu que le débat se hisse au-dessus de la caricature et de l’agitation des peurs.

 

lundi 28 juin 2021

« Pour qui sonne le glas », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Au premier tour on choisit, au second on élimine, dit l’adage. Ou disait, devrait-on plutôt écrire. Dimanche, une nouvelle rupture démocratique s’est produite. Après un premier scrutin régional et départemental calamiteux marqué par l’abstention de deux électeurs sur trois, le deuxième n’a pas mobilisé davantage. Comme si, quel que soit l’enjeu, donner de la force à ses idées ou barrer la route à celles que l’on combat, l’électeur ne voyait plus l’intérêt de passer devant les urnes.

La désaffection est particulièrement nette par rapport à 2015 où la participation, déjà peu glorieuse, de 50 % au premier tour des régionales était remontée à près de 60 % en une semaine. Le glas a aussi sonné de l’espérance en ce sursaut civique et, avec elle, de la croyance que l’abstention serait la faute au beau temps ou au gros temps, à la distraction ou la désinvolture. Dimanche, fort heureusement, le danger de voir glisser une ou plusieurs régions dans les mains du RN a été conjuré. La gauche, même si elle ne défait pas partout la droite sortante, peut être satisfaite de son bilan, qui devrait conforter ses positions. Le PCF regagne des élus, et la communiste Huguette Bello présidera La Réunion. Mais ces résultats ne sont pas le fruit d’une remobilisation des électeurs.

Ce qui se joue dans ces élections n’a pourtant pas faibli, au contraire. Les compétences des collectivités ont augmenté avec la décentralisation. Toute la vie est concernée : transports, aides sociales, formation, enfance, dépendance, handicap… L’extrême droite fait peser en permanence la menace que l’action dans ces domaines soit confisquée au service d’un projet antirépublicain. Mais la dépolitisation du scrutin opérée par le chef de l’État, qui en a exclu tout effet sur la politique nationale, l’ultra-personnalisation de la vie publique autour du duel fantasmé Macron-Le Pen à la présidentielle 2022 et la confusion voulue à droite par l’appel à un « front républicain » à l’envers, contre la gauche, se sont combinées pour brouiller les enjeux. Un cocktail suicidaire pour les forces politiques. Au point de se demander pour qui sonne le glas de la participation aux élections.

dimanche 27 juin 2021

Second tour. L’abstention s’enracine et profite aux sortants.



Julia Hamlaoui

Avec un taux d’abstention entre 65 % et 66 %, la participation était à nouveau en berne, dimanche soir. Tandis que le RN a perdu son duel en Paca, la gauche a maintenu son score au plan national et marqué des points dans certaines régions, notamment à La Réunion.

Dimanche, tous les regards se sont braqués sur un chiffre : l’abstention. Sursaut ou nouveau record ? Les estimations confirment vite le naufrage démocratique : entre 65 % et 66% des électeurs ont à nouveau boudé les urnes pour le second tour des élections régionales et départementales. «  Cela montre qu’il y a peut-être eu une sidération à l’issue du premier tour et son record de 66,7 % d’abstention, mais qu’elle n’a pas conduit à une surmobilisation pour le second », note Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. La part de votants ne progresserait quasiment pas, bien loin du sursaut de 2015 où, en une semaine, la participation avait bondi de 8,5 points pour atteindre 58,41 %.

Des élus PCF dans dix régions

Certes, le FN (devenu RN) faisait alors la course en tête dans six régions, loin de son score du 20 juin. « Le scénario qu’on nous a vendu pendant des mois, qui consistait à expliquer que la vie politique se résumait à un affrontement entre le RN et LaREM, est complètement remis en cause », constate d’ailleurs le porte-parole du PCF, Ian Brossat, dont le parti progresse, mais qui risquait de perdre a présidence du Val-de-Marne. « Nous avions des élus communistes dans cinq régions, ce sera dix demain parce que nous avons fait le choix de l’union des majorités de gauche sortantes. Et surtout nous gagnons de nombreux conseillers départementaux, notamment dans le bassin minier contre l’extrême droite », a réagi le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Selon les estimations nationales disponibles, LaREM obtiendrait 6,7 % des suffrages et le RN, 19,8 %, devancés par la gauche (34,7 %) et la droite qui, avec 38,8 %, prend l’avantage. Mais le parti de Marine Le Pen livrait tout de même bataille en Paca, avec un duel dont l’extrême droite espérait sortir victorieuse pour faire oublier sa déconfiture au premier tour. Selon les résultats disponibles à 22 h 30, le pari a échoué : le président LR sortant, Renaud Muselier, devancerait, selon l’Ipsos, le candidat lepéniste Thierry Mariani, avec 57,3 % contre 42,7 %.

Les doubles scrutins de dimanche lui auront toutefois permis de marquer des points dans ses velléités de « normalisation » et de conquêtes sur l’électorat et les cadres de la droite dite républicaine. Outre ses prises de guerre au sein de feu l’UMP, le RN a pu compter sur le soutien de dernière minute du candidat LR, Jean Sol, aux élections départementales dans les Pyrénées-Orientales pour poursuivre sa dédiabolisation. Interrogé sur la possibilité de proposer une vice-présidence au RN en cas de victoire, le sénateur LR a ainsi répondu que « la porte, en ce qui (le) concerne, est ouverte ». Comme pour les autres départements, le résultat de l’élection définitif n’était pas connu à l’heure où nous bouclions cette édition. Marine Le Pen n’en a pas moins fustigé « les alliances contre nature » qu’elle a rendues responsables, au même titre que les problèmes d’organisation du scrutin, de la défaite de son parti. Pourtant, le « front républicain » a été à sens unique pour les régionales. Alors que la victoire était loin d’être acquise en Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay (PS) n’ayant devancé Julien Odoul (RN) que d’un peu plus de 20 000 voix au 1er tour, les appels au désistement n’ont pas été entendus par LaREM. « C’est un double discours, un leurre politique qui sert tout simplement les intérêts du président de la République dans le duel qu’il veut imposer entre lui-même et Marine Le Pen ! » tance le porte-parole du PS, Pierre Jouvet. La présidente socialiste sortante l’emporterait malgré tout avec 42,5 %, contre 24,4 % pour LR, 23,7 % pour le RN et 9,4 % pour LaREM. En Centre-Val de Loire, le socialiste François Bonneau aurait recueilli 38,6 %, contre 22,9 % pour la droite, 22,4 % pour le RN et 16,1 % pour LaREM.

Pour ce second tour, la gauche misait également sur les autres conseils régionaux, où ses sortants étaient arrivés en tête, le 20 juin. En Occitanie, Carole Delga (PS) conserve sa large avance avec 57,8 % dans une triangulaire contre LR (18,3 %) et le RN (23,9 %). Les candidats de gauche ne s’y sont pourtant pas accordés, tout comme en Nouvelle-Aquitaine et en Bretagne où ont eu lieu, dimanche, des quinquangulaires. Dans la première des deux régions, Alain Rousset (PS) gagnerait toutefois avec 39,3 %. Après un score moins confortable au premier tour, en Bretagne, Loïg Chesnais-Girard (PS) obtiendrait 29,5 %, contre 14,8 % pour LaREM, 20,3 % pour la candidate EELV, 22 % pour LR et 13,4 % pour le RN, selon Ipsos. « La force motrice qu’est le PS » se doit « de rassembler l’ensemble de la gauche et des écologistes pour pouvoir aller vers l’élection présidentielle », en a tiré comme conclusion le premier secrétaire du PS, Olivier Faure.

Les espoirs de conquêtes de la gauche, eux, se sont concrétisés à La Réunion, où la communiste Huguette Bello obtiendrait la victoire. En métropole, ils reposaient sur deux candidats écologistes à la tête de liste d’union, Matthieu Orphelin en Pays de La Loire et Julien Bayou en Île-de-France. Dans ces deux régions, la droite n’a eu de cesse de tirer à boulets rouges. « Je demande aux Franciliens de se lever contre cette alliance avec une extrême gauche qui a perdu sa boussole républicaine », a martelé la présidente LR sortante d’Île-de-France, Valérie Pécresse. Sans compter que certaines flèches ont été décochées par la gauche elle-même, comme celle de Jean-Paul Huchon, ancien président PS de la région, qui a appelé à voter… pour la candidate de la droite. Cette dernière aurait finalement obtenu 46 %, contre 33,6 % pour Julien Bayou, 11 % pour le RN et 9,4 % pour LaREM. Le succès n’est pas davantage au rendez-vous pour la gauche, en Pays de la Loire, où son candidat recueillerait 34,6 % contre 46,3 % pour la sortante LR Christelle Morançais, 10,8 % pour le RN et 8,3 % pour LaREM. « Les sortants ne sont pas sortis mais nos candidats écologistes ont eu plus de voix qu’en 2015 malgré l’abstention », a temporisé l’écologiste Yannick Jadot qui a plaidé pour un « choc de démocratie » alors que commence dès lundi « une autre élection ».

LaREM veut vite tourner la page

De leur côté, outre Valérie Pécresse, les autres prétendants de droite à la présidentielle de 2022 font carton plein. Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand surfe sur son avance du premier tour avec 53 %, tout comme Laurent Wauquiez qui serait lui aussi en tête avec 55,3 %. De quoi laisser entière la question du « candidat naturel » tant recherché par LR. Dans le Grand-Est comme en Normandie, la droite semblait aussi en très bonne voie avec 39% pour Jean Rottner et 44,2 % pour Hervé Morin, tous deux dans le cadre d’une quadrangulaire. Le président de LR, Christian Jacob, n’a pas manqué, à l’issue du vote, de présenter la droite comme « la seule force d’alternance ».

Grande perdante de cette soirée électorale comme de la précédente, la majorité présidentielle a déjà pris les devants pour tourner la page au plus vite. Emmanuel Macron, qui a de nombreuses fois assuré qu’il n’y avait pas lieu de tirer des enseignements nationaux de ce scrutin, doit ainsi, dès ce lundi, se démultiplier avec une visite dans les Hauts-de-France, avant de recevoir 150 grands patrons français et internationaux à Versailles, puis d’inaugurer, mardi, les nouveaux locaux parisiens de la banque américaine JP Morgan. Le chef de l’État, en effet, ne retient aucune leçon.

 

jeudi 24 juin 2021

« Nausée(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin.



Ce Roi-Soleil déconnecté des réalités…

Fracture. Ne regardons pas ailleurs, ne détournons pas les yeux: deux tiers des citoyens ont donc refusé de se rendre aux urnes dimanche dernier. Il s’agit d’ailleurs moins d’une «farce démocratique» que d’une alerte civique de très grande ampleur, façon vol de nuit. L’affaire était déjà bien engagée, et ne venez pas nous seriner, otage des lieux communs, que nul n’est prophète en son pays! Car tout de même: les stades d’évolution en putréfaction antirépublicaine se succèdent en séquences, comme ces drames cosmiques qui montent en boucle. La pseudo-politique du pouvoir tourne à vide. Spectacle affligeant, conclu comme il se devait par la déroute électorale du parti présidentiel. L’abstention massive traduit la mise en doute de la capacité des élus à changer la vie. La déculottée subie par Mac Macron, elle, nous raconte que les promesses de «renouvellement» – tout changer pour ne rien changer – ont en vérité entretenu le désenchantement, faute d’avoir été suivies d’effet, bien au contraire. Chaque jour un peu plus, la fracture sociale continue de se creuser. Et comment réagit notre prince-président? En espèce de Roi-Soleil d’un monde déconnecté des réalités. Au lendemain du premier tour des régionales et des départementales, avec les résultats que nous connaissons, le lundi 21 juin restera en effet dans les annales de notre histoire contemporaine. Résumons d’une phrase. Champagne et honneurs pour les puissants… matraque et lacrymos pour les jeunes. Le bloc-noteur se pince encore d’avoir assisté – de loin, dieu merci – à l’invraisemblable mise en scène par Mac Macron de deux mondes parfaitement hermétiques l’un l’autre.

Symboles. Deux univers diamétralement opposés cohabitent ainsi par une seule conjonction: la violence sociale et policière. Enfermé dans sa gestion «d’en haut», égotique et au nom d’une caste supérieure, comprenons bien qu’il n’était pas évident pour Mac Macron de commenter les décombres de ce suffrage universel, qui, finalement, ne fixe pas tant que cela le paysage politique, contrairement à ce que certains entrevoyaient. Ce lundi, comme si de rien n’était, il eut l’audace, sinon la morgue, de citer à nouveau la formule du programme du Conseil national de la Résistance: «C’est le retour des jours heureux.» Scènes hallucinantes, de le voir parader aux côtés de Bernard Arnault pour l’inauguration de la Samaritaine, dont nous nous souvenons qu’elle fut l’un des symboles du Second Empire déclinant, puis, tout guilleret, d’organiser au Palais une réception pour la Fête de la musique avec en invités de «prestige» Jean-Michel Jarre et Marc Cerrone (69 ans). Sans sombrer dans le commentaire dit «populiste», qu’avons-nous vu, vraiment? Rien d’autre que l’apologie du luxe, de la richesse, des strass et de la peopolisation à l’ancienne en tant que préfiguration du futur. En somme, le voilà ce monde «d’après», si semblable au conservatisme ambiant. L’argent, la gloire, la notoriété. Toujours les «premiers de cordée». En entendant Mac Macron louer la Samaritaine comme un «formidable trésor patrimonial français», nous pensions aux sept cents employés et vendeurs présents, tous en livrée pour honorer leurs maîtres, dans ce lieu devenu cette bulle de magasins luxuriants – à des prix inabordables pour le bon peuple – rehaussée d’un palace de soixante-douze chambres et de bureaux au standing inimaginable. Avions-nous tort de ressentir une sorte de nausée?

Chaîne. Sachez-le, Pierre Bourdieu et Jacques Derrida nous manquent. Eux auraient disséqué à merveille l’état de notre France, en tant qu’exemple d’une crise majeure en devenir – ou comment conjurer les catastrophes en cours et surmonter tristesse, passions tristes, fatalisme et désespoir qui nous hantent trop… Quand les puissants et les malins dominent, il n’est pas interdit de se révolter. Mieux: il devient nécessaire de ne pas rompre la chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon. Espérer n’est pas toujours délirer.

« Vaincre l’abstention », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Le sursaut civique va-t-il avoir lieu ? Après un premier tour de scrutin marqué par une abstention historique, chacun lorgne avec inquiétude ce dimanche, espérant un réveil citoyen. En 2015, il avait eu lieu dans une certaine mesure. Cette fois, les sondages n’invitent pas à l’optimisme. À en croire leur dernière livraison, seuls 36 % des Français auraient l’intention d’aller voter pour ce second tour des élections régionales et départementales. À peine mieux que la semaine précédente (33,3 %). Sans verser dans la prophétie auto-réalisatrice, il est à craindre que la gifle démocratique se réitère. Avec tous les risques que cette désertion citoyenne fait peser sur les milieux populaires.

Car, il faut le rappeler, l’abstention pénalise avant tout les Français les moins favorisés. Qui s’est abstenu massivement dimanche dernier ? Les jeunes entre 18 et 34 ans – dont les votes se portent traditionnellement plutôt à gauche – et les catégories les plus pauvres, ceux qui gagnent moins de 900 euros par mois. Ce sont ceux qui gagnent le moins qui s’abstiennent le plus, laissant involontairement aux plus aisés le soin de désigner des candidats qui leur sont favorables. Résultat ? Les inégalités se creusent, tout comme le désarroi des précaires, qui, précisément, fuient déjà les urnes faute de voir changer leur quotidien…

Briser cette logique mortifère passe par une remobilisation des électeurs de gauche ce dimanche. Elle est essentielle pour faire barrage au RN, dont une victoire – en Paca ou ailleurs – effacerait la contre-­performance du premier tour et servirait de tremplin à la présidentielle. Elle est également indispensable pour contrer l’invraisemblable entreprise de diabolisation que la droite mène contre les candidats de gauche. En Île-de-France, Valérie Pécresse, bégayant le vocabulaire frontiste, va jusqu’à taxer le rassemblement EELV-PS-FI d’ « ennemi de la République », sans piper mot de l’extrême droite, dont elle espère siphonner les voix. Ce brouillage des repères, destiné à décourager le vote de gauche, est du carburant pour l’abstention. Une stratégie cynique et irresponsable à déjouer d’urgence dans les urnes.

 

« L’alerte civique », l’éditorial de L’Humanité Dimanche du 24 au 27 juin 2021 – par Patrick Le Hyaric.



Quelles leçons tirer d’une double élection régionale et départementale où les deux tiers des citoyens refusent de se rendre aux urnes ? Nous vivons un naufrage démocratique, une crise sans précédent de la représentation politique. Les classes populaires continuent de manifester leur défiance et leur contestation d’un système dans lequel elles ne se reconnaissent plus.

Le chef de l’Etat avait beau claironner qu’il allait « réduire la fracture démocratique », c’est exactement l’inverse qui est « en marche ». Sans citoyens-électeurs notre pays ne pourra conserver longtemps le statut de démocratie. Cela déplait-il aux classes dominantes ? Pas du tout ! Elles ont ainsi les mains libres pour mettre en œuvre leurs choix antipopulaires et antinationaux. L’organisation de la vie démocratique du pays est frontalement mise en cause et appelle à construire une nouvelle république sociale et démocratique.

L’indifférenciation croissante du paysage politique sous les auspices du marché tout puissant, l’écrasement de la souveraineté populaire par les forces du consensus libéral et la morgue de celles-ci figurent parmi les causes premières du désastre. Le schisme entre la population et la représentation politique s’est considérablement amplifié depuis le piétinement du vote majoritaire des français contre le projet de traité constitutionnel européen en 2005. Cette forfaiture aura été la suprême manifestation de l’arrimage des classes possédantes à l’Union européenne et à ses traités libéraux, qui se traduisent concrètement pour le peuple travailleur par la démolition de la République sociale héritée de la grande Révolution et du mouvement ouvrier.

Depuis lors, la participation électorale s’effondre de scrutins en scrutins, laissant présager une « gouvernance » sans onction populaire dont rêve le capital, sa technocratie d’Etat et ses mandataires ; une sorte de suffrage censitaire insidieusement institué par la condamnation préalable de toute forme d’alternative sociale et politique. Le suffrage est ainsi surdéterminé par le comportement électoral des classes supérieures qui, soit par habitude, soit par intérêt, se mobilisent. Une telle configuration a cependant toutes les chances de se fracasser sur le mur des réalités noires que l’époque nous réserve. En Italie, le processus d’indifférenciation est arrivé à maturation avec un gouvernement d’union nationale, englobant libéraux, sociaux-démocrates, nationalistes et populistes dits de gauche. Les néofascistes incarnent aujourd’hui seuls l’opposition et sont devenus la seconde force du pays, culminant à 20% dans les sondages les plus récents. De tels développements pourraient se produire en France si la situation venait à perdurer. Pourtant, la stratégie présidentielle consistant à créer un duo avec la cheffe de l’extrême droite subit un terrible désaveu. Le parti présidentiel est dans une situation d’extrême faiblesse et souvent disqualifié. C’est le parti de droite, empruntant honteusement les thèmes de son extrême qui en profite.

Le fait que les élections départementales et régionales soient les plus touchées par ce désaveu démocratique ne doit rien au hasard : les régions comme les départements – survivances d’une démocratie vivante et de proximité – ont été les galops d’essai de la libéralisation des institutions : les deux échelons ont été dévitalisés, et au fur et à mesure privés de leur autonomie d’action. Sous couvert de décentralisation, avec la loi de 2004 et, après elle, la loi NOTRE votée sous le quinquennat Hollande, et bientôt la loi dite 4D, ces assemblées sont tendanciellement devenues des auxiliaires du pouvoir national, lui-même arrimé à l’Union européenne et aux exigences du capital. Ainsi, personne ne relève que les transports ferroviaires devenus responsabilités des régions sont placés sous la tutelle de la directive européenne votée par les droites et ouvrant le secteur à la concurrence. Leurs budgets, désormais, sont essentiellement consacrés à leurs compétences obligatoires, avec le garrot des dotations continuellement resserré autour du cou. Ces phénomènes majeurs qui touchent à l’organisation démocratique du pays et la libre administration des collectivités, à leurs capacités d’action pour le logement, la culture, l’éducation, les transports, l’emploi, n’auront fait l’objet d’aucun débat télévisé, d’aucune analyse par les grands médias tout occupés à scénariser les desseins du pouvoir. La mobilisation à gauche des travailleurs et des citoyens dimanche doit au contraire exprimer l’exigence d’une amélioration de la vie quotidienne par des choix politiques radicalement opposées à cette gestion libérale.

Les trémolos dans la voix et des larmes feintes face à l’abstention de la part de ceux qui portent une responsabilité majeure dans la faillite démocratique sont d’autant plus obscènes. Le pouvoir et les médias qui lui sont affiliés n’auront cessé de maquiller les enjeux des scrutins en cherchant à organiser un simulacre de confrontation avec l’extrême droite par la mise en scène des thèmes qui lui sont chers. Ils portent une responsabilité écrasante dans la situation. La sécurité aura ainsi été au cœur des débats alors qu’elle n’est une compétence ni des régions, ni des départements… Responsabilité majeure, ensuite, par l’impéritie du gouvernement qui s’est rendu incapable de faire parvenir dans de nombreuses boîtes aux lettres les programmes et professions de foi. Aussi faut-il rappeler que la distribution de la propagande électorale – c’est-à-dire des conditions d’une information pleine et entière des citoyens sur les choix démocratiques – a été privatisée dans 51 départements… Au chapitre des responsabilités, ajoutons celles du pouvoir précédent qui aura concocté un mode de scrutin des élections départementales particulièrement illisible pour les citoyens, avec quatre candidats pour chaque canton dont on peine à saisir le rôle. 

Bref, tout a été méticuleusement entrepris pour pousser les citoyens à rester chez eux. Le pouvoir pourra ainsi tenter de relativiser sa phénoménale déroute qu’aucun autre parti majoritaire au Parlement n’a jusqu’ici subi. Et passer au plus vite à la seule élection qu’il daigne considérer, celle du César omnipotent qui siège pendant cinq ans à l’Elysée.

La mobilisation pour le second tour n’en est que plus importante. Partout, il convient d’empêcher droite et extrême-droite de se saisir d’exécutifs départementaux et régionaux. Des listes de gauche et des candidatures communistes ont fait preuve d’une belle résistance. Elles sont les seules à proposer l’alternative que le système tente par tous les moyens de condamner. Leur donner de la force dimanche, c’est refuser l’abandon démocratique qui chemine à l’ombre de l’emprise capitaliste globale.

mercredi 23 juin 2021

« À droite toute » sur les ondes, l’éditorial de Cathy Dos Santos



La présence de Vincent Bolloré dans les murs d’Europe 1 fait souffler un vent de protestation inédit. Les salariés de cette radio emblématique craignent que leur micro ne se transforme en un mégaphone de propagande et de fake news dont l’unique finalité serait de continuer à façonner les esprits pour le pire. On les comprend. L’arrimage de la station à CNews, vitrine d’un prosélytisme fascisant, a déjà trouvé ses visages et ses voix : un ancien de Valeurs actuelles en la personne de Louis de Raguenel et, à la matinale, Dimitri Pavlenko, connu pour tendre la perche à Éric Zemmour sans opposer la moindre contradiction aux logorrhées de ce sinistre personnage.

Des journalistes sont rappelés à l’ordre, sanctionnés. Comme ce fut le cas à I-Télé avant l’enterrement de cette chaîne pour laisser place à CNews. Telle est la loi dans les monopoles médiatiques qui matraquent en continu une information uniformisée, repeinte en brun. Ces empires sont en train de tuer le pluralisme, le débat d’idées et les espaces d’expression démocratique. Nous ne sommes pas condamnés à supporter les torrents de boue et d’incitation à la haine que déversent désormais trop de médias. Il existe un cahier des charges entre le CSA et les chaînes de radio et de télévision : le matraquage d’idées toxiques peut donc être stoppé.

Certains nous rétorqueront que la liberté d’expression est intouchable. Le racisme éructé par les chroniqueurs de CNews et consorts n’a rien à voir avec le droit, les libertés, ni même avec les opinions : il constitue un délit au regard de la loi. Ne nous voilons pas la face. La refondation médiatique de ces deux dernières décennies a servi le virage « à droite toute » du paysage politique. Il faut mettre un terme à cette dérive, sauf à revivre cette terrible prophétie d’Albert Camus : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »

 

« Bon appétit », le billet de Maurice Ulrich.



On ne peut que saluer l’événement de la réouverture à Paris de la Samaritaine, fermée il y a quinze ans, un plan social à la clé. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas manqué de la visiter, lundi, avec Bernard Arnault, qui est par bonheur un ami du couple présidentiel, propriétaire des lieux avec son groupe LVMH. Au lendemain d’une claque (celle reçue par LaREM aux élections régionales), ça change les idées. La nouvelle Samaritaine ne ressemblera guère à l’ancienne, où l’on trouvait « tout », et même la couronne de la reine d’Angleterre, selon une ancienne pub. Sur ses cinq niveaux, l’établissement est entièrement voué à la beauté et à la mode, autrement dit aux produits phares du géant mondial du luxe qu’est LVMH. Il jouxte aussi un hôtel de grand standing de 72 chambres et comprend de multiples salons et pas moins de 12 restaurants qui, selon les termes même de la direction, permettront de « faire dînette » et d’avaler « du caviar sur une baguette ». Bon appétit, mesdames et messieurs, etc.

« Le pouvoir a les joues qui chauffent », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.

 


La séquence est décidément mauvaise pour le président de la République. Après les claques des élections régionales, qui ont vu l’échec des listes conduites par des ministres, voilà qu’Emmanuel Macron se prend une nouvelle gifle. Le Conseil d’État a annoncé qu’il suspendait la réforme de l’assurance-chômage. En raison de « l’incertitude économique liée à la crise sanitaire », le nouveau système pénaliserait de « manière significative » les salariés qui « subissent plus qu’ils ne choisissent l’alternance entre périodes de travail et périodes d’inactivité », précise l’institutionCertes, les motifs de la suspension ne sont pas révolutionnaires, et cela «  ne remet pas en cause le principe de la réforme elle-même ». Mais c’est indéniablement une victoire pour les intermittents de l’emploi et les syndicats. Des estimations montraient, en effet, qu’elle aurait entraîné des baisses importantes des allocations-chômage pour des millions de personnes.

Pour le gouvernement, le coup est rude, même si la ministre du Travail, Élisabeth Borne, minimise la portée de la décision. Plus qu’économiquement, c’est politiquement que la suspension fait mal car l’exécutif voulait faire une triple démonstration. D’abord, celle de sa détermination à mener jusqu’au bout les « réformes » annoncées. Ensuite, la preuve de la normalisation de la situation sanitaire et économique en France. Enfin, plus que les milliards d’euros d’économies prévus, ce qui motive le pouvoir, c’est de donner des gages aux institutions européennes et aux marchés quant à sa volonté de remettre l’austérité à l’ordre du jour.

Cette première victoire permet à des millions de salariés de gagner un répit avant que leurs droits soient recalculés. Le Conseil d’État annonce en effet que les recours « au fond » seront jugés d’ici quelques mois. Autant de temps accordé aux syndicats pour tenter de faire grandir la mobilisation, gagner le retrait définitif et ne pas être à la merci d’une décision de justice.

 

« Tri social », le billet de Maurice Ulrich.

 


L’abstention c’est embêtant, les élections c’est important. Mais que seraient les élus et la nation sans les administrateurs, ingénieurs de haut vol, directeurs financiers,...Bref, les élèves de Polytechnique, Centrale, des Mines, HEC et autres. L’actuel directeur général d’Arts et métiers, Laurent Champaney, va prendre la direction précisément de l’organisme qui les chapeaute pour partie, la Conférence des grandes écoles, une responsabilité importante et prestigieuse. Mais il se dit préoccupé dans les Échos par leur image « d’un milieu fermé avec des cultures obscures et la discrimination à l’entrée ». Ainsi, regrette-t-il, leurs élèves sont « plutôt masculins et issus des milieux les plus aisés », d’où sa volonté de gommer leur réputation « d’élitisme et de tri social ». Il est tout autant préoccupé de leur financement. « On est habitués à considérer que l’État finance très fortement les études, or il va falloir que tout le monde participe, y compris les familles, et il faut changer de logique en augmentant les frais de scolarité. » Quelque chose nous échappe ?

 

mardi 22 juin 2021

« Les jeux ne sont pas faits », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.

 


L’affaire des professions de foi non parvenues aux électeurs, ou jetées à côté des boîtes à lettres, peut sembler en marge du résultat des élections régionales et départementales. Sans doute, mais ce n’est pas un couac, ni même un dysfonctionnement, dû à la seule société Adrexo, comme s’est empressé de le dire le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en s’en lavant les mains. C’est la conséquence d’un choix politique jouant le privé contre le public, en l’occurrence contre La Poste. Symboliquement, c’était aussi remettre une partie du processus électoral au marché. On pourrait comprendre que certains électeurs aient évalué le sérieux de ces élections à l’aune de cette incurie.

Cela dit, les causes profondes de l’abstention massive, bien sûr, sont ailleurs. Le temps, les suites du Covid, peut-être, ont joué en partie. Mais la République en marche, souvenons-nous, devait faire de la politique autrement, faire exploser en même temps l’ancien monde et les vieux partis. C’est un flop. La formation conçue pour porter Emmanuel Macron au pouvoir s’est avérée incapable de proposer une offre politique nouvelle, jusqu’à reconduire toutes les ficelles usées de la vieille politique. L’envoi de cinq ministres en mission dans les Hauts-de-France, quatre en Île-de-France, en était une.

C’est un fiasco et les résultats d’ensemble de LaREM sont une défaite. C’est dans ces conditions que, ne voyant rien venir, celles et ceux qui se sont rendus aux urnes ont plutôt fait le choix de reconduire les sortants. Mais il y a plus encore. Quel enjeu de ces élections quand depuis des mois tout le débat politique tourne autour de l’élection présidentielle ? Avec un second tour qui serait joué d’avance dans une sorte d’hystérie monarchique exacerbant tous les traits négatifs des institutions de la Ve République. Le RN, lui-même, dès lors qu’il a voulu présenter ces élections comme un tremplin, a contribué à les dévaloriser en en faisant lui-même les frais. Bien sûr, la grande faiblesse de la participation interdit de penser que les cartes politiques sont rebattues. On peut cependant se permettre de se dire que les jeux ne sont pas faits.

 

« Info », le billet de Maurice Ulrich.

 


C’est avec une petite chansonnette sur l’air de Bella Ciao que Charline Vanhoenacker évoquait, lundi, dans sa chronique de France Inter la grève en cours à Europe 1 face à la prise en main autoritaire de Vincent Bolloré, qui contrôle déjà CNews. Une entrée en force marquée entre autres par l’éviction de la journaliste Pascale Clark, qui avait exprimé ses réserves à l’antenne. C’est une bonne chose que le service public puisse nous informer ainsi, fût-ce par le biais de l’humour, sur une sérieuse tension sociale dans une radio privée et concurrente. Sur France 2 et France 3, on entend aussi depuis quelques jours à la fin des journaux qu’ils ont été réalisés « dans des conditions particulières en raison de la grève d’une partie du personnel ». Apparemment, la télévision publique ne dispose pas d’effectifs suffisants pour nous informer sur les raisons de cette grève, liée, à ce que l’on a cru comprendre ailleurs, à la remise en cause du statut d’une partie des techniciens. Il faudrait peut-être écouter Europe 1 pour en savoir un peu plus.

 

dimanche 20 juin 2021

« Grève civique », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité



C’est un coup de tonnerre démocratique qui s’est abattu ce dimanche. Plus de deux Français sur trois ont boudé les urnes. La participation atteint son plus bas niveau sous la Ve République. Il faut prendre la mesure d’une telle désertion électorale. Le contexte de la pandémie ou les gloses météorologiques ne sauraient, à elles seules, expliquer ce qui ressemble plus à une grève civique qu’à une fainéantise dominicale. Certes, la citoyenneté ne s’épuise pas dans l’élection. Mais, si même les plus investis dans la vie publique commencent à rejoindre les rangs des « à-quoi-bonistes » – celles et ceux qui de vote en vote n’ont pas vu leur vie quotidienne changer – c’est que la cote d’alerte est bel et bien franchie et que seule une VIe République pourra revigorer notre démocratie.

Dans ce marasme, le pire était annoncé. Mais à l’heure où nous écrivons ces lignes, la grande surprise vient du Rassemblement national. Au vu des ambitions affichées par le parti d’extrême droite, qui comptait arriver en tête dans de nombreuses régions, son score est un échec cuisant. Le niveau d’abstention et la prime aux sortants semblent avoir profité à la droite LR, qui se remet en selle.

À dix mois de l’élection présidentielle, ces scrutins auront de lourdes conséquences à l’échelle nationale et pourraient rebattre les cartes. Le score écrasant de Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France lui offre une rampe de lancement inespérée pour la présidentielle. La majorité macroniste a beau avoir envoyé ses ministres au front, LaREM subit une sérieuse déroute en jouant les figurants, avec de bien maigres résultats pour une jeune formation politique au pouvoir. C’est une claque sévère pour le président de la République, dont le gouvernement aura tout mis en œuvre pour dévier le débat public vers les thématiques de l’extrême droite, afin de minimiser les enjeux de ces élections et affaiblir les conditions de l’expression démocratique, comme en témoignent les multiples manquements constatés dans l’organisation de ce vote.

Quant aux forces de gauche et écologistes, à l’heure où nous bouclons cette édition, les rassemblements très variés sur l’ensemble du territoire semblent leur avoir permis de résister mieux que prévu. Mais le message des urnes est clair : avec une telle abstention, personne ne peut se prévaloir d’une quelconque victoire. Il reste une semaine pour ramener aux urnes nos concitoyens, et barrer résolument la route à l’extrême droite. Le pari du pire n’a jamais conduit au meilleur. Notre pays est en demande d’autres alternatives radicales, celles portées par des candidats de gauche qui n’ont pas renoncé à reprendre le pouvoir sur la finance pour relever le défi des jours heureux.

 

jeudi 17 juin 2021

« La clé de la participation », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Les Français se décideront – ils  contre toute attente à se rendre aux bureaux de vote, dimanche ? C’est la seule clé pour empêcher le Rassemblement national de sortir vainqueur des élections régionales et –même si le risque y est moindre – des départementales. L’enjeu est double. Il s’agit d’abord de faire résolument barrage à la conquête par le RN d’une ou de plusieurs régions, succès qui lui offrirait un tremplin pour la présidentielle de 2022 et soumettrait pour six ans des millions de Français aux choix xénophobes, ultra­libéraux et autoritaires de ce parti. Un cauchemar inédit dans notre pays depuis 1945, et un coup de massue pour les classes populaires. Celles-ci ont besoin de majorités de gauche en soutien à leurs luttes, porteuses de solutions qui les rassemblent, et non de divisions et de haine.

Une mobilisation forte des électeurs dès le premier tour en faveur de listes de gauche donnerait les meilleures assurances de construire une digue solide contre l’extrême droite, plutôt que de s’en remettre à un hypothétique « front républicain » au second tour, opération de la dernière chance sans doute nécessaire mais aussi invulnérable que la ligne Maginot. L’enjeu ne se limite pas non plus à empêcher l’extrême droite de rafler la présidence de régions. Il est aussi d’éviter que le parti de Marine Le Pen accroisse son poids dans les hémicycles. La tête de liste RN en Nouvelle-Aquitaine ne s’en cache pas : « Soit on gagne la région, soit on devient la première force d’opposition. Dans les deux cas, on a gagné. »

C’est ce scénario qu’il faut faire dérailler. Les ressources existent. Les indécis se recrutent d’abord à gauche, quand les électeurs RN sont les plus certains d’aller voter. Mais, pour convaincre, il faut démontrer l’utilité du bulletin de vote sur la résolution des problèmes du quotidien, au-delà de l’appel à battre l’extrême droite. Et au-delà des faux-semblants sur la sécurité et l’immigration, épouvantails agités loin des compétences réelles des régions.

 

« Hors sujet », le billet de Maurice Ulrich.



Mais à quoi sert la philo ? Vaste question que se posait jeudi le Parisien à propos de l’épreuve du baccalauréat du même jour. « Pas sûr que composer sur l’art, la vérité ou la liberté ait un intérêt concret pour l’étape d’après, celle de l’enseignement supérieur ou du monde du travail. » C’est clair. On imagine le dialogue. Bien, à part cuire des frites ou livrer des pizzas, quelles sont vos connaissances ? Euh eh bien ! le Discours de la méthode, la Phénoménologie de l’esprit, un peu de Voltaire et de Rousseau, Marx, avec modération… La bonne blague ! Cela dit, ça vaut aussi pour la littérature. Proust sur un CV, avec la Princesse de Clèves, comme a dit Sarkozy. Merci, on vous rappellera. Bon, note tout de même dans l’article une prof de philo, quelqu’un qui sait formuler des choses, ça peut être un atout « pour un poste de commercial ou en relation client ». Quand même ! Sinon, ces histoires de vérité, de liberté, de justice, ça pourrait peut-être aider à transformer le monde, changer la vie. Hors sujet.

Économie sociale et solidaire. « Les coopératives forment un contre-modèle ».



Juliette Barot

À l’occasion du festival l’Onde de coop, à Pantin, neuf coopératives décident de former les Licoornes pour promouvoir une autre façon de consommer. Entretien.

JÉRÔME DU BOUCHER, Coordinateur du projet des Licoornes au sein du Collectif pour une transition citoyenne

Certaines sont déjà connues, importantes, d’autres émergentes. Neuf coopératives balisant une bonne partie du quotidien (transport, numérique, énergie, réemploi, alimentation) annoncent vendredi, au festival l’Onde de coop, à Pantin, la création des Licoornes, sorte de contre-modèle des start-up capitalistes.

Quel objectif se sont fixé Citiz, Mobicoop, Commown, Enercoop, la Nef, TeleCoop, CoopCircuits, RailCoop et Label Emmaüs en créant cette sorte de label ?

Jérôme du Boucher : C’est une alliance qui a vocation à donner de la visibilité au contre-modèle que sont les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), afin de mobiliser les citoyens engagés dans la transition écologique et sociale. Nous sommes convaincus que notre modèle doit devenir la norme. Mais, pour cela, il faut aussi que nos coopératives jouent leur partie en donnant de la visibilité à leurs services et offres. Les Licoornes nous servent aussi à mettre en commun certaines ressources pour faire système.

Comment s’organise une société coopérative d’intérêt collectif ?

Jérôme du Boucher : C’est une entreprise commerciale qui défend l’intérêt collectif, car elle associe à sa gestion les différentes parties prenantes du bien ou du service qu’elle produit. Les salariés, les producteurs, les consommateurs y ont leur place, tout comme des associations ou des collectivités locales, car il s’agit d’une coopérative multi-sociétariat. La stratégie d’entreprise relève d’un compromis de toutes ces composantes qui peuvent avoir des intérêts divergents. La Scic est au service de l’intérêt de tous.

Quels autres points communs ces sociétés fédèrent-elles ?

Jérôme du Boucher : Les Licoornes sont positionnées sur des secteurs clés de la transition écologique, sociale et solidaire : l’énergie, la consommation, la mobilité, le numérique… À l’intérieur même de leur modèle économique se trouvent des solutions pour plus de sobriété, de démocratie, de solidarité. La manière de commercer elle-même est une réponse à ces enjeux écologiques. Et elles sont toutes non lucratives.

Ces Licoornes peuvent-elles concurrencer les « licornes », ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars ?

Jérôme du Boucher : Nous, Licoornes, revendiquons les actions transformatrices de l’économie sociale et solidaire. Nous ne sommes pas marginales. Nos coopératives s’engagent dans le secteur marchand en contre-modèle. Pour l’instant, nous n’envisageons pas de concurrencer les licornes. Car celles-ci ne sont pas seulement des grandes entreprises. Elles sont adossées à tout un système économique, politique, social. Pour prétendre concurrencer ces multinationales, il faudra associer à cette dynamique d’autres types d’acteurs, des responsables politiques, syndicaux, de la société civile…

Ne craignez-vous pas que vos coopératives, qui regroupent autour de 350 000 clients, restent cantonnées à un public déjà convaincu ?

Jérôme du Boucher : Dans un premier temps, on a envie de toucher les personnes très conscientes des enjeux climatiques, sociaux. Généralement, ces personnes entrent dans le monde coopératif par un secteur, une préoccupation. Une personne qui cherche, par exemple à ce que son épargne ne serve pas à financer une entreprise polluante va s’adresser à la Nef. Les Licoornes lui signifieront qu’elle peut faire de même dans d’autres secteurs grâce à d’autres coopératives.