vendredi 30 octobre 2020

« Il faut que ça s’arrête ! », l’éditorial de Patrick Le Hyaric dans l’Humanité de ce jour

 


L’ignoble assassinat de Samuel Paty et ses suites le laissaient malheureusement présager. Les horribles crimes perpétrés jeudi matin à Nice dans une église, lieu de paix, l’ont tragiquement confirmé. Nous pensons très fort à ses familles et les assurons de notre soutien. Les rats du terrorisme djihadiste sortent des égouts à mesure que s’organise à l’échelle internationale une cabale contre la France. L’émoi et l’effroi, ô combien légitimes, devant la décapitation d’un professeur deviennent prétexte à des meurtres d’une sauvagerie inouïe. C’est le propre du terrorisme islamiste, déformation hideuse de l’islam, que d’organiser la division et d’intimer le silence des bouches et des émotions, fût-ce par la plus sanglante des violences. Après la communauté éducative, les catholiques sont aujourd’hui visés, et nul doute que chaque fraction du peuple français, considéré par ces obscurantistes comme un seul et même ennemi, est susceptible de l’être demain, ici comme ailleurs.

 

Le lieu du dernier forfait confirme la visée fanatique des assassins qui tentent d’activer, dans un pays qui l’a si durement éprouvée dans son Histoire, une nouvelle guerre de religion. Frapper une église - un temple, une synagogue, une mosquée - n’est pas chose anodine, et nous revient en mémoire l’assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray. Voilà qui confirme également la volonté, tout autant nourrie par nos extrêmes droites, de mener une guerre de civilisations.

 

La théorie du choc des civilisations, qui germait dans les cerveaux néoconservateurs au crépuscule du siècle dernier, trouve, plus de vingt ans après son élaboration, un écho dans les palais de quelques apprentis dictateurs, comme dans la bouche de prédicateurs illuminés. Le président turc joue un rôle dévastateur, usant de sa position pour tenter d’enrôler la communauté musulmane sous la bannière d’un projet « Grand Ottoman » revitalisé, jugé seul apte à affronter « l’Occident ». Avec, en arrière-plan, de basses considérations de politique intérieure. Cette chimère digne de l’extrême droite nationaliste s’appuie autant sur la multiplication des fronts militaires que sur l’instrumentalisation politique d’une religion. Et la France, engluée dans des alliances géopolitiques et militaires contre-nature, fournit d’excellents prétextes à toutes les cassandres belliqueuses, atlantistes ou islamistes.

 

Le piège où se trouve notre pays se construit année après année et désormais semaine après semaine. Si bien qu’il semble se refermer sur des populations, quelles que soient leurs origines ou religion, étrangères à cette propagande réactionnaire. Le chemin, pour déjouer les scénarios noirs et bâtir l’unité populaire, doit être défriché d’urgence. En faisant de la laïcité un atout pour le respect et la liberté de chacun.

 

« La note », le billet de Maurice Ulrich !


Il y a des moments où le réel déborde. Journée noire hier avec les terribles attentats de Nice, Avignon, après Conflans. Avec ça, le coup de massue du reconfinement. Nous vivons sous tension. Elle est plus forte encore chez celles et ceux qui sont aujourd’hui menacés dans leur travail, dans leur vie même par la maladie et la crise sociale, les plus discriminés aussi, souvent. La pauvreté a explosé.

 

On a entendu le président de la République s’inquiéter, dans les mots, du sort des plus précaires et des plus modestes. Mais où étaient dans ses propos la revalorisation des minima sociaux, le relèvement des salaires ? Oui, le pays doit se rassembler, faire preuve de civisme, mais pour cela, la justice sociale doit être la règle pour tous. On s’inquiète de la note à payer. Elle sera salée. Qui va payer ? Où sont les « premiers de cordée » dans cette bataille du civisme ? C’est toujours le point aveugle de la politique d’Emmanuel Macron, celui qui fait douter de son engagement. « Quoi qu’il en coûte », disait-il, mais à qui ? 

 

jeudi 29 octobre 2020

Covid-19 / reconfinement : tout mettre en œuvre pour protéger nos vies, se rassembler pour imposer d'autres choix politiques (PCF)


Le constat dressé par le président de la République, ce 28 octobre, oblige à la responsabilité  et à la mobilisation du pays et de l'ensemble de ses forces vives.

Face à l'explosion du nombre de patients admis à l'hôpital et dans les services de réanimation, face au nombre de décès et de drames familiaux, la protection de la santé des Français est plus que jamais une priorité. La situation de tension au sein de l'hôpital public, la détresse des personnels soignants confrontés à l'afflux constants de nouveaux patients, imposent de prendre toutes les mesures nécessaires pour enrayer la progression exponentielle de l'épidémie.

 

 

Si le reconfinement est sans conteste devenu nécessaire, c'est bien parce que la stratégie sanitaire du pouvoir a échoué, et que les alertes des scientifiques ont été minimisées. Emmanuel Macron et le gouvernement portent une lourde responsabilité. Et si chacun(e) comprend que nous allons devoir vivre avec le virus, il est dangereux que cela conduise à priver durablement nos concitoyen-n-es de leurs droits et libertés fondamentales, de leur vie sociale, familiale, culturelle.

 

 

• Le déconfinement aurait dû être celui d'un changement de politique.

Celui d'une vaste mobilisation de moyens pour des recrutements massifs et des mises en formation, dans la santé et l'éducation, pour permettre de dédoubler les classes et garantir les meilleures conditions pour la réussite de tous les élèves.

Celui de la création de milliers d'emplois, notamment en recrutant des jeunes, au lieu du plan gouvernemental qui les enferme dans la précarité.

Celui d'une autre utilisation de l'argent, d'une sécurisation de l'emploi et de la formation de chaque salarié-e, d'une aide à la hauteur des besoins des TPE-PME au lieu de déverser des centaines de milliards d'euros à des groupes supprimant des activités et des emplois, de l'encadrement du télétravail, de mesures d'ampleur contre la pauvreté et la précarité.

 

 

• La politique de l'exécutif a échoué

Le gouvernement ne peut s'exonérer de la situation dans laquelle se trouve l'hôpital.

Lors des trois derniers PLFSS, trois milliards d'économies ont été demandées à l'hôpital public. Entre 2018 et 2019, 7 600 lits d'hospitalisation ont été fermés. Des fermetures de lits dans certains hôpitaux se sont poursuivies depuis mars. Pire, plus de 800 millions d'euros de baisse de crédits pour 2021 sont encore prévus dans le Projet de Loi de Finances. Quant aux personnels hospitaliers et des Ehpad, la revalorisation de leurs métiers est très loin d'être à la hauteur.

Le gouvernement a également échoué dans sa stratégie de prévention comme en témoigne le fiasco sur les tests, le traçage et l'isolement des malades.

Il a enfin refusé d'assumer la gratuité des masques.

Le Parti communiste français regrette, pour toutes ces raisons, que ses propositions, au printemps, n'aient pas été entendues par le gouvernement et le président de la République.

 

 

• Ce nouveau confinement nécessaire doit être mis à profit pour engager une véritable rupture avec les choix opérés depuis le début de la pandémie.

Au contraire des décisions prises par un pouvoir isolé, cette rupture, urgente et incontournable, doit se construire sur une véritable démocratie sanitaire, qui permette l'expression du Parlement, des élus locaux, des organisations de salariés, des équipes de recherche et des personnels médicaux, des acteurs des services publics.

À ce titre, le Parti communiste français réitère sa demande de mise en place d'un comité d'urgence nationale, prenant appui sur des structures similaires dans les territoires.

 

L'urgence sanitaire est inséparable de l'urgence sociale. Ce deuxième confinement peut être celui d'une aggravation terrible de la crise sociale. Tous les moyens doivent être mobilisés afin qu'il ne conduise pas à de nouvelles inégalités, à une explosion du chômage, de la précarité et de la pauvreté. Les aides annoncées par le gouvernement ne suffiront pas à l'éviter. C'est une toute autre politique économique et sociale qu'il faut engager.

 

 

Immédiatement, l'aide massive, dont ont besoin nos hôpitaux et nos soignants pour faire face à la crise, doit être débloquée. Il ne faut pas se contenter de vœux pieux sur la protection des salariés qui continueront à se rendre sur leurs lieux de travail, des dispositions concrètes doivent être décidées après négociation avec les organisations syndicales. Un plan pauvreté doit être déployé afin que toutes celles et tous ceux qui vont subir un terrible choc social ne sombrent pas dans l'exclusion.

Le PCF appelle à la mobilisation de toutes les forces de progrès, des forces syndicales et associatives, des forces politiques de gauche et écologistes pour faire de cette période un temps utile afin de construire un projet rompant avec le désastre des politiques poursuivies depuis des décennies et contribuer à des victoires sociales et politiques. 

Ses militant-e-s et élu-e-s continueront, comme lors du premier confinement, à porter cette ambition et à organiser les solidarités indispensables dans les territoires.

 

« La vie d’abord », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité de ce jour !

 


C’est un pays sous le choc qui se réveille ce matin. La France se reconfine, refermant une fragile parenthèse de liberté pour de nouvelles semaines de privations de vie sociale et de culture, d’isolement, de vies sous cloche, de désastre économique et humain. Bref, « c’est le retour de l’attestation », selon les mots du président. Certes, ce sera cette fois dans une version moins stricte qu’en mars dernier. La continuité de l’enseignement scolaire sera garantie, une sage décision pour protéger l’avenir de nos enfants. Le confinement était devenu inéluctable face à une épidémie désormais hors de contrôle et un système de santé mis à genoux par les politiques d’austérité. 100 000 lits d’hôpital fermés en vingt ans, 7 400 par la majorité macroniste en deux ans.

 

Le pouvoir, qui s’est lui-même désarmé, a donc dû choisir entre la peste et le choléra. Sauver des vies menacées par le virus, quitte à compromettre sur le long terme celles des plus fragiles socialement, qui mourront à petit feu et loin des projecteurs du crash économique et social qui s’annonce. Si les Français font preuve d’une grande responsabilité, le pouvoir devra rendre des comptes. Le président a d’ailleurs bien conscience que ce reconfinement sera bien plus difficile à accepter par les citoyens qu’au mois de mars. Une fois n’est pas coutume sous cette monarchie présidentielle en état d’urgence quasi permanent, l’exécutif soumettra ses décisions à un débat, puis à un vote au Parlement, dès demain, dans l’espoir d’imposer le silence dans les rangs de l’opposition pour faire front face à l’exaspération populaire.

 

Le coefficient du vent de panique qui a soufflé ces derniers jours à l’Élysée n’a pas échappé aux Français. Tabou dans la majorité, il y a encore une semaine, ce reconfinement est de fait un aveu d’échec. « Oui nous serons prêts ! » avait pourtant assuré avec arrogance Emmanuel Macron le 14 juillet. Cette sentence présidentielle résonne aujourd’hui bruyamment aux oreilles des soignants épuisés, « ceux qui ont déjà beaucoup donné », et qui rempilent pour des semaines infernales. Les Français se précipiteront-ils une nouvelle fois au balcon pour applaudir leur héroïsme, après que les blouses blanches se sont retrouvées bien seules à défiler dans les rues pour demander plus de moyens ? La vie d’abord, aujourd’hui comme demain.

 

« Foi », le billet de Maurice Ulrich !


C’est bien le moment. « Il ne faut pas voler aux hommes le mystère de leur mort », nous dit, dans le Figaro, l’archevêque de Paris, monseigneur Aupetit, qui vient de publier la Mort, méditation pour un chemin de vie (éd. Artège). Soit. On pourrait dire cyniquement que c’est sympa pour les soignants qui se battent pied à pied. Mais bon, monseigneur Aupetit est un homme de foi, il croit à la résurrection et on ne fera pas de ses propos une caricature.

 

L’embêtant c’est qu’il va au-delà, quand, évoquant l’euthanasie, il craint à juste titre qu’on ne la prenne à la légère, mais poursuit : « Nous constatons déjà avec l’avortement l’extension systématique de la culture de mort. » Voilà donc encore l’Église en proie à ses démons en culpabilisant les femmes ou les couples accusés, en somme, d’être quoi ? Des meurtriers ? Sinon, monseigneur Aupetit estime aussi que l’angoisse de l’homme occidental devant la maladie « prend sa source dans l’athéisme pratique ». Les vrais croyants, eux, n’ont pas peur du virus. La chance !

 

« Leçons d’un échec », l’éditorial de L’Humanité Dimanche du 29 octobre – par Patrick Le Hyaric.


Plus de dix jours après l’atroce assassinat de Samuel Paty, l’onde de choc continue de secouer une France assommée. Les débats sont vifs et la cohésion dont a globalement su se prévaloir la France face aux derniers attentats se fissure dangereusement.

Anciens, actuels ministres et quelques intellectuels de média, s’évertuent à cibler les organisations de gauche en rendant un bien mauvais service à l’unité nationale qu’ils prétendent défendre. Il est insupportable que ce chœur de « politiciens » veuille faire assimiler dans la plus grande confusion les militants antiracistes avec l’islamisme politique en reprenant à leur compte, pour les qualifier, le concept, inventé par l’extrême droite, d’islamo-gauchisme. Faire des militants antiracistes les alliés du djihadisme islamique est abject et ne sert que les intérêts d’un agenda obscurantiste partagé par les extrêmes-droites islamistes et nationalistes.

La France n’est pas plus prémunie d’un nationalisme et d’un racisme dispensés à haute dose que du fondamentalisme islamique. Et il est fort probable que les premiers servent les intérêts du second, et inversement. Les progressistes héritiers des Lumières sont à la fois antiracistes et contre l’intégrisme religieux quel qu’il soit.

Si le combat antiraciste a pu prendre des chemins tortueux ou trouver parfois des alliés de circonstances, c’est qu’il a été laissé en souffrance, et avec lui, surtout, le combat pour une égalité véritable. La responsabilité première incombe, et de loin, à des choix politiques qui ont vidé la République de sa substance sociale au profit d’un ordre capitaliste inégalitaire et autoritaire.

La République française proclame son ambition à former une communauté de citoyens libres, égaux, et fraternels par-delà les origines, croyances et identités, et son refus conséquent de reconnaître en son sein des « communautés minoritaires » auxquelles l’Etat devrait reconnaitre des droits et des devoirs spécifiques. Elle dit ainsi sa vocation politique universelle.

Mais il est peu dire que cette promesse est laissée en jachère par des décennies de politiques ultralibérales et différentialistes, par l’atrophie de la souveraineté populaire et donc de la citoyenneté, par une prétendue politique de la ville conçue pour parquer les populations d’origine immigrées, par la destruction des institutions sociales égalitaires nées de la Libération, par la montée instrumentalisée d’un racisme décomplexé et la vie impossible faite aux immigrés. Comment, dans de telles conditions, mener à bien le projet d’intégration, non pas à une identité française fantasmée et figée, mais à la citoyenneté qui, seule, peut permettre de définir cette identité française de demain ?

Cette promesse ne peut s’accomplir que par la force d’une unité populaire. Celle qui a toujours permit à la République de s’élever en dépassant le cadre étroit des droits formels. Les capitalistes, eux, savent faire passer leurs intérêts, avant toute autre considération, affichant l’unité nécessaire à leur domination, par-delà les religions, pays et identités. Les classes populaires et ouvrières, les salariés exploités sont, eux, en permanence travaillés par le venin diviseur. Voilà le piège redoutable. Cette unité est rendue impossible par la segmentation des classes populaires, attaquées par des assauts différencialistes qui prospèrent sur les trahisons antirépublicaines de ceux qui font tournoyer le mot République pour mieux le noyer.

Ajoutons que la récupération/dénaturation du concept de laïcité par la droite et l’extrême droite participe d’une incompréhension de ce qu’il est dans sa réalité. Et par la même occasion tend à ranger la France dans le camp des pays ennemis d’une religion, stigmate considérablement renforcé par une politique étrangère alignée sur celle de l’OTAN et des Etats-Unis. La France doit exprimer à la face du monde son refus net du racisme en même temps que sa vocation universelle et républicaine. Elle doit offrir le titre de citoyen à quiconque la rejoint pour bâtir sur des bases démocratiques un projet politique. Elle doit tout autant sortir des logiques impérialistes dans lesquelles elle s’est placée sous commandement du grand capital et de l’impérium Nord-Américain.

Car il faut prendre la mesure des difficultés qui nous assaillent. Toutes les études disponibles indiquent un décrochage générationnel d’une partie importante des jeunes français de confession musulmane vis-à-vis de la République. Il faut d’urgence cerner les ressorts du phénomène pour se tourner vers cette jeunesse minée par le mépris, le chômage, la précarité, dont l’avenir n’est garanti que par les solidarités intra-communautaires. Les conséquences de la crise sanitaire risquent d’ajouter une couche de désarroi pour cette génération que le gouvernement cherche à utiliser comme variable d’ajustement du « marché » dit de l’emploi. Tous les efforts doivent être menés pour leur proposer un travail ou une formation, « quoi qu’il en coûte », avec pour objectif que de cette classe d’âge ne sorte aucun chômeur. Ainsi ces jeunes pourront-ils échapper à l’enfermement identitaire et religieux. Il s’agirait de mettre en œuvre les préconisations du plan Borloo, qui fut déchiré par M. Macron.

Il conviendrait, de plus, de savoir comment et par qui, en quelques années, s’est imposée auprès d’une jeunesse déboussolée une version archaïque et d’importation de la religion musulmane. L’islam aussi rétrograde que violemment capitaliste de quelques pays du Moyen-Orient fonctionne comme une franchise. Ces pays dont l’influence repose sur la rente pétrolière, l’alignement atlantiste et la violence théocratique, mènent une lutte d’influence à l’échelle planétaire, gagnant des positions de pouvoir réels et symboliques extrêmement solides, rachetant avec la bienveillante complicité de nos dirigeants ici un club de foot, là un château, là encore des parts dans les conseils d’administration de grands groupes dont ils arbitrent la destinée. Et dans leurs bagages, leur conception de la religion, toujours.

Par la force d’une propagande habile, leur conception de l’islam s’est peu à peu substituée aux traditions musulmanes maghrébines, à un islam construit sur les bords méditerranéens, sédimenté par les cultures locales, juives, berbères, chrétiennes, grecques et arabes ; par les allées et venues de la science et du savoir sur les différentes rives de notre mer commune. Si bien que les plus âgés parmi les Français musulmans peinent à avoir prise sur une partie de la jeunesse musulmane travaillée au corps par tout un arsenal idéologique nouveau. Sans oublier les Etats-Unis dont l’ambassade en France cherche à séduire, à coups de millions de dollars et sur des bases religieuses et éthiques, cette jeunesse qui se sent légitimement trahie et laissée pour compte.

C’est un nouveau contrat de citoyenneté que la République s’honorerait à proposer, surtout à sa jeunesse, et qui viserait à faire entrer la France dans un nouvel âge de son histoire. C’est en puisant dans les ressources de la République sociale et démocratique, par l’unité populaire dont la laïcité est garante, par la conscience des intérêts qui unissent la jeunesse et les travailleurs du pays, que peut s’établir un nouveau projet collectif et émancipateur. Nous souhaitons ce débat d’intérêt général.

mercredi 28 octobre 2020

Le manque d’anticipation a-t-il précipité le reconfinement ?


Florent LE DU

Si, au vu du contexte épidémique, ce nouvel isolement généralisé de la population semblait inéluctable, il aurait sans doute pu être évité par un gouvernement qui n’a cessé de multiplier les couacs.

«Nous serons prêts. » Trois mois après avoir prononcé cette phrase avec assurance, Emmanuel Macron ne peut que constater l’échec. La France et ses hôpitaux ont été insuffisamment préparés à la deuxième vague, pourtant prévisible, rendant les décisions annoncées hier par le président de la République quasi inéluctables. « Nous devons tout faire pour éviter un reconfinement généralisé », répétait pourtant le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, il y a encore deux semaines. Est-ce vraiment le cas ? Sans pour autant prétendre que d’autres auraient mieux géré cette crise, la critique est nécessaire. D’autant que les failles et les fautes du gouvernement, qui ont en partie abouti à la situation actuelle, ont été nombreuses.

1 Des hôpitaux toujours aussi peu armés

Lorsque la France s’est confinée, le 16 mars dernier, la principale raison évoquée par Emmanuel Macron était « d’éviter à tout prix la saturation de nos hôpitaux ». Ce sont donc principalement les capacités et taux de remplissage des lits de réanimation en unités Covid qui dictent les mesures sanitaires drastiques du gouvernement.

 

Or, la situation n’a que peu évolué depuis le printemps. De 5 000 lits de réanimation structurels en mars, les hôpitaux publics en auraient désormais 5 800, selon le ministre de la Santé, Olivier Véran. Mais, au plus fort de la crise, avec l’ajout de lits temporaires, les capacités avaient pu monter jusqu’à 10 700. Un chiffre qui sera beaucoup plus difficilement atteignable les prochaines semaines, car les établissements ne pourront plus déprogrammer autant d’opérations qu’il y a huit mois. Malgré le Ségur de la santé, la casse de l’hôpital public n’est toujours pas endiguée, le personnel pas davantage valorisé, tandis que les recrutements annoncés n’ont pas été suivis d’effet : « Nous avons encore des lits fermés en réanimation, faute d’effectifs, et des postes toujours vacants. L’hôpital est bien moins solide qu’au printemps », déplore le professeur André Grimaldi. Ainsi, les fameux 800 lits supplémentaires, sur le papier, n’existent pas dans la pratique.

2 L’échec de la stratégie Tester-Tracer-Isoler

Elle était annoncée par Édouard Philippe comme le « pilier » du déconfinement. De toute évidence, la stratégie consistant à tester, tracer et isoler les symptomatiques et les cas contacts n’a pas fonctionné. Le traçage a été d’emblée un échec, du fait du fiasco annoncé de l’application StopCovid et de l’organisation désastreuse des brigades sanitaires, dépourvues de stratégie claire. Même flou concernant l’isolement. Les employeurs et les employés ne respectent pas toujours cette obligation de mise en quarantaine, qui n’a pas réellement de valeur contraignante, alors que les contrôles sont inexistants. Quant au dépistage massif de la population, si l’objectif annoncé en avril d’atteindre 700 000 tests par semaine a été atteint, les laboratoires sont submergés. Conséquence, il faut souvent plusieurs jours pour obtenir un rendez-vous, puis d’autres encore pour avoir le résultat. Et puisque ni le traçage ni l’isolement ne fonctionnent, ces délais ne font qu’accentuer l’échec de l’ensemble de la stratégie de l’exécutif.

3 Les injonctions contradictoires du gouvernement

Déjà, le 6 mars, Emmanuel Macron encourageait la population à « ne pas changer ses habitudes de sortie » et à aller au théâtre, dix jours avant de les fermer. Il y eut ensuite les masques et les tests, jugés inutiles pendant près deux mois malgré les déclarations de l’OMS. Avant de devenir obligatoires ou massifs… Plus récemment, le 12 octobre, le gouvernement et le ministre du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, invitaient les Français à partir en vacances à la Toussaint, avant de les faire rentrer à la hâte ce week-end. Tout au long de la crise sanitaire, l’exécutif a enchaîné les bourdes, les mensonges et les contradictions, tandis qu’il peinait de plus en plus à expliquer l’intérêt de respecter certaines mesures sanitaires.

4 Des gestes barrières à géométrie variable

Pour le premier ministre, Jean Castex, ce n’est pourtant pas cette confusion qui a empêché de limiter la propagation du virus. Il a préféré fustiger le supposé « relâchement » des Français, qui semblent pourtant largement respecter les gestes barrières. Mais, étaient-ils suffisants ? Obnubilé par la « relance de la vie économique du pays » et le retour massif au travail, l’exécutif en a oublié, pendant l’été, de préparer la rentrée.

 

L’ensemble des protocoles sanitaires, insuffisants et complexes, sont fustigés dans les écoles et les universités, où les contaminations ont fortement augmenté depuis le mois de septembre. Dans le même temps, alors que les secteurs des loisirs s’amenuisaient peu à peu, les transports en commun sont restés bondés. Et, malgré le reconfinement, continueront à circuler dans les mêmes conditions.

Le rapport « confidentiel » qui étrille la gestion de crise sanitaire

Le document était supposé être « à diffusion restreinte », mais il a atterri entre les palmes du Canard enchaîné. L’hebdomadaire a dévoilé, mercredi, les conclusions d’un rapport du général Richard Lizurey, ex-numéro un de la gendarmerie, sur les dysfonctionnements structurels de l’administration dans la gestion de crise sanitaire. Il met notamment en cause comme « l’un des facteurs de difficulté de conduite » de la lutte contre le virus, les rivalités contre-productives entre plusieurs cellules de crise : entre autres celle du ministère de l’Intérieur, supposée être interministérielle, mais boudée par la santé, qui a sa propre cellule. Le rapport tance aussi, à l’échelle régionale, « la superposition des structures avec des rôles proches et des frontières de compétences floues », entre les préfets et les directeurs des agences régionales de santé. De quoi « complexifier le partage et la circulation de l’information ». Contrairement au virus, qui lui circulait sans mal.

 

« Il ose tout », le billet de Maurice Ulrich !

 


Gérald Darmanin sur France Inter mardi matin et dans Libération avec un entretien qui court sur trois pages… On était gâtés hier. On notera, sur la radio publique, l’audace des questions. « Pensez-vous qu’il y ait eu des échecs dans la gestion de la crise par le gouvernement ? » « Non », répond le ministre de l’Intérieur. Étonnant ! Mais c’est dans Libération qu’il se dépasse en revenant sur les cuisines communautaires dans les rayons des supermarchés qui le choquent. « Je ne reproche rien aux consommateurs, je reproche aux capitalistes de flatter ces aspirations particulières et de découper en tranches consommatrices la communauté nationale. » 

 

Diable. On voit venir la panique chez les patrons du CAC 40. D’autant qu’il se répète plus loin. « Je reproche au capitalisme de flatter les aspirations communautaires. Pardon, d’avoir des tendances de gauche. » On connaît la célèbre phrase « les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Gérald Darmanin ose tout, mais ce sont les Français qu’il prend pour des cons.

« Laïcité et jésuitisme », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité de ce jour !


Le concept derrière le mot est l’un des piliers de notre République. Et, depuis plus d’un siècle, on tente de le dévoyer. Le débat actuel sur fond de terrorisme islamique fait ressurgir des antagonismes qui existent depuis l’invention de la laïcité. Ceux qui s’en prétendent les plus ardents défenseurs aujourd’hui étant souvent les mêmes qui ont tenté de la transformer en une notion rabougrie. On se souvient de Sarkozy plaidant pour une laïcité « positive » et affirmant que, « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé ». Positive n’étant que l’un des nombreux qualificatifs accolés à laïcité. Elle doit être « ouverte » pour certains, « de combat » pour d’autres, ou encore « intransigeante ». Or, la laïcité ne peut avoir de qualificatif, il lui suffit d’être… la laïcité. Elle n’est ni l’œcuménisme ni la neutralité. Elle n’est pas plus la religion de la République ni celle de ceux qui n’en ont pas.

 

« Non seulement je n’ai jamais ­compris la séparation des Églises et de l’État comme une persécution, mais je ne l’ai jamais comprise comme une vexation, comme une taquinerie », écrit Jean Jaurès dans un article du 30 avril 1905, en réponse à des parlementaires, dont Clemenceau, qui l’accusent d’être un « socialo-papalin », car il refuse une loi anticléricale. Des mots qui résonnent dans une actualité où l’anathème « d’islamo-gauchisme » est utilisé pour mettre à l’index ceux qui refusent les logiques d’affrontement identitaire. Mettre en question la loi de 1905, fusse pour prétendument « renforcer » la laïcité contre le « séparatisme islamique », c’est faire croire que la version de l’islam qu’en donnent des fanatiques intégristes est peu ou prou celle de l’ensemble des musulmans. Et donc sortir du cadre de la laïcité. « Le jésuitisme est haïssable partout, dans la libre-pensée comme dans la religion », ajoutait Jaurès dans le même article. C’est toujours vrai Messieurs Macron, Blanquer et consorts.

 

mardi 27 octobre 2020

L’école publique, champ de bataille historique de la laïcité


Cyprien Caddeo

Florent LE DU

L’assassinat de Samuel Paty, en raison de son enseignement et de l’utilisation en classe des caricatures de Mahomet, a relancé le débat ancien sur la place du religieux dans l’enseignement.

La future loi dite sur « les séparatismes » prévoit de rendre obligatoire, pour la rentrée 2021, la scolarisation à l’école dès 3 ans, dans le but de contrecarrer d’éventuels enseignements prosélytes à domicile. Depuis sa fondation, l’école publique est de fait un outil d’application de la laïcité et un contrepoids à l’enseignement par les religieux. C’est d’ailleurs à l’école que la séparation des Églises et de l’État a été instaurée en premier, dès 1882 et les lois Jules Ferry rendant l’école « publique, gratuite, laïque et obligatoire ».

 

Alors que la France sort de plusieurs siècles de régime monarchique combattu l’un après l’autre depuis 1789, l’école publique devient un instrument d’édification démocratique sous la IIIe République, et son caractère laïque un levier d’émancipation. En 1886, le législateur va plus loin, en imposant que les élèves soient confiés à un personnel, exclusivement laïque dans les écoles publiques. Jean Jaurès met en avant l’importance de faire découvrir aux enfants la différence entre l’opinion et le savoir, la croyance et la science : « L’enseignement public ne doit faire appel qu’à la seule raison et toute doctrine qui ne se réclame pas de la seule raison s’exclut d’elle-même de l’enseignement primaire. »

La loi ne dit rien sur le fait d’évoquer en classe des sujets directement liés aux croyances

 

En 1905, il n’est pas directement question, dans la loi de séparation de l’Église de l’État, de l’école, mais certains, dont Jaurès, l’investissent pour évoquer la nécessaire émancipation de l’État vis-à-vis de la religion. Pour la droite de tradition cléricale, à l’inverse, le combat en faveur de l’enseignement catholique privé deviendra dès lors un cheval de bataille. Quitte à provoquer « des entorses à la laïcité », note l’historien Jean-Paul Scot. À l’image de la loi Debré de 1959 qui permet le financement par l’État de toutes les écoles privées sous contrat.

 

Autre point de débat ancien : la place à accorder aux religions dans l’enseignement. Aujourd’hui, le Code de l’éducation nationale stipule que «  l’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe ». La loi ajoute que les signes ostentatoires religieux en sont bannis, pour le personnel puis, à partir de 2004, pour les élèves. Elle ne précise rien cependant sur le fait d’évoquer des sujets directement liés aux croyances. En août 2019, un enseignant de l’Indre a été ainsi suspendu par l’éducation nationale pour avoir montré des extraits de la Bible à ses élèves, avant d’être mis hors de cause par la justice.

 

En 1883, Jules Ferry proposait une réponse, qui ferait aujourd’hui couler beaucoup d’encre : «  Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment. » « Déjà Jules Ferry avait prévu que certaines propositions à l’école laïque pouvaient heurter les sensibilités religieuses des familles », observe l’historienne Valentine Zuber. Jean Jaurès a, lui, une vision opposée, lorsqu’il explique en 1888 que ne pas admettre l’ouverture des programmes aux questions les plus sensibles, c’est « déserter l’esprit laïque et républicain ».

 

Depuis la rentrée 2013, une charte de la laïcité, qui est affichée dans tous les établissements, en rappelle les grands principes : offrir aux élèves «  les conditions pour forger leur personnalité » en les protégeant « de tout prosélytisme et de toute pression  ». Mais, concernant le principe « d’enseignement laïque», ni le droit ni l’éducation nationale ne tranchent clairement la question.

 

Laïcité. L’esprit de 1905, une certaine idée de la République


Cyprien Caddeo

Florent LE DU

La laïcité est brandie par tous les camps politiques, de la gauche à l’extrême droite, parfois jusqu’à l’instrumentalisation. Alors que le gouvernement envisage de la « renforcer », retour sur un texte fondateur.

La laïcité est sur toutes les lèvres. Dans le contexte inflammable consécutif à l’assassinat ignoble de Samuel Paty, elle serait tantôt trop lâche, tantôt trop peu appliquée, tantôt détournée. Le gouvernement veut la « renforcer » par un projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres le 9 décembre. Une date loin d’être prise au hasard, puisque ce sera le 115e anniversaire de la loi de 1905, socle républicain de la laïcité « à la française » devenue un totem politique. La preuve : de la France insoumise jusqu’au Rassemblement national, tout le monde est d’accord pour s’en réclamer. Mais jamais pour dire la même chose.

Toutes les religions sont à égalité de droit dans l’espace public

 

Il y a « ceux qui considèrent que la laïcité doit être surtout la garante des libertés individuelles (dans lesquels on retrouve la FI, le PCF, certains libéraux – NDLR) et d’autres qui pensent que la laïcité doit servir de frein à l’expression religieuse dans l’espace public. Valls, le Printemps républicain, Blanquer sont les tenants de cette vision », résume l’historienne Valentine Zuber. Cette dernière conception peut comporter des dangers. Celui d’opposer une forme de culte laïque aux religions, d’abord. Celui de chasser le religieux de l’espace public, au risque de contrevenir aux grands textes internationaux sur les droits de l’homme. Et de le pousser « à agir en sous-terrain et donc de le rendre plus dangereux », ajoute enfin Valentine Zuber.

 

Mais, alors, que dit vraiment ce texte, aux fondements de la conception française de la laïcité ? Adoptée en 1905 sous l’impulsion d’Aristide Briand et dans un contexte de forte tension entre la IIIe République et le Vatican, la loi a pour premier effet de mettre fin au concordat napoléonien de 1801, qui reconnaissait quatre cultes : le catholicisme, le judaïsme, les protestantismes calviniste et luthérien. Les deux premiers articles disposent les principes directeurs de la loi, à valeur constitutionnelle : « la République assure la liberté de conscience » (article 1) mais « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2).

 

Toutes les religions sont donc à égalité de droit dans l’espace public. Le législateur de 1905 rompt avec l’idée que l’État peut organiser ou privilégier tel ou tel culte sous prétexte de le contrôler. « La loi de 1905 produit une double émancipation, explique l’historien Jean-Paul Scot. L’État se déclare neutre en matière confessionnelle et les religions sont plus libres que jamais. À partir de 1905, chaque culte choisit, dans le cadre des associations cultuelles, comment fonctionne et comment s’organisent ces associations. » « Ce n’est pas une juxtaposition d’interdits comme certains veulent l’entendre, mais d’abord une loi libérale, au sens philosophique », abonde Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’Islam dans la laïcité (Fayard, 2008).

 

Plus récemment, le législateur a néanmoins montré sa volonté de cibler certaines formes d’expression publique de l’islam, les jugeant non conformes à la loi de 1905. C’est le cas de la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école, au collège et au lycée, que certains tenants d’une laïcité « extensive » voudraient désormais appliquer à l’université. Quant à ceux qui voudraient bannir le voile de tout espace public (lire page 5), ils contreviennent frontalement à l’esprit de 1905. Pour des chercheurs comme Valentine Zuber, 2004 acte une « première encoche à 1905, en exigeant une certaine neutralité des usagers du service public, à savoir les élèves ». Une deuxième rupture, politique cette fois, a lieu le 20 décembre 2007, quand le président de la République Nicolas Sarkozy déclare depuis Rome que «  dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur  ».

L’exécutif veut ajouter des sanctions « administratives et pénales »

 

Ceux qui veulent faire de la laïcité une religion républicaine à opposer à l’islam font aussi un contresens. « La droite ou l’extrême droite dévoient le principe lorsqu’elles se réclament de la laïcité, qui n’est pas dans leur ADN historique, pour pointer du doigt des enfants qui ne veulent pas manger de porc à la cantine, par exemple, tacle Stéphanie Roza, professeure de philosophie politique. Et il y a un autre dévoiement qui consiste à considérer que la laïcité empêcherait de critiquer les religions. »

 

Dans le cadre de 1905, l’État se réserve le droit d’intervenir en matière religieuse seulement lorsqu’un culte contrevient aux autres lois de la République (comme pour faire respecter la liberté de conscience et l’ordre public). L’article 35 sanctionne tout « discours prononcé ou écrit affiché dans un lieu de culte » qui « contient une provocation directe à résister à l’exécution de la loi ». Et l’article 26 interdit de « tenir des réunions politiques dans les locaux servant à l’exercice d’un culte ». Dépourvu de réelles peines, le texte devrait être complété par le gouvernement et sa future loi sur les « séparatismes », en y ajoutant des « sanctions administratives et pénales en cas de manquement ».

Au cœur du débat actuel, le financement du culte

 

Au-delà de cette proposition qui vise surtout à mettre la loi de 1905 en conformité avec le droit actuel, beaucoup considèrent, comme Stéphanie Roza, qu’il est « urgent de ne toucher à rien » dans ce texte : la lutte contre l’obscurantisme religieux n’étant « pas vraiment l’affaire de la législation sur la laïcité car elle relève de la sécurité publique ». À ce titre, la loi permet de toute façon « la fermeture des lieux de culte » où sont tenus des propos de haine, d’incitation à la violence ou d’apologie du terrorisme, y compris de façon administrative depuis la réforme du 30 octobre 2017.

 

La loi de 1905 pose aussi la question du financement. Celui du culte est au cœur du débat actuel. Aujourd’hui, la majorité des mosquées (environ 90 %) sur le sol français sont en effet gérées par des associations « loi 1901 » et non 1905, contrairement aux cultes chrétiens ou judaïque. Le régime juridique 1901 comprend moins d’avantages fiscaux, mais est moins strict en termes de contrôles, notamment sur l’inventaire des sources de financement. Le 2 octobre, Emmanuel Macron déclarait que « les mosquées seront incitées à basculer vers le régime 1905. Celles qui continueraient sous le régime 1901 verraient leur contrôle renforcé. Pour celles-ci, nous allons répliquer les contraintes qui existaient dans le cadre 1905, sans les avantages fiscaux de 1905 ».

 

Cette manière différenciée d’organiser l’islam tient sans doute à l’histoire des rapports contrariés entre le culte musulman et la loi de 1905, pour des raisons essentiellement coloniales. « La République française a déjà expérimenté sur le territoire algérien un mode de gestion de l’islam et il était concordataire, rappelle Franck Frégosi. La loi de 1905 n’a jamais été appliquée aux trois départements algériens, car il fallait que le culte musulman soit surveillé étroitement. Les imams étaient recrutés et appointés par l’État. »

 

Au nom du maintien de son emprise sur « l’indigénat », la France renonce à étendre la loi de 1905 à l’Empire colonial, alors que certains oulémas algériens réclament d’y être inclus. À la décolonisation, l’islam devient « consulaire » : la gestion et le financement du culte sont en partie pris en charge par les pays d’origine des fidèles – Maroc, Algérie, Turquie, etc. C’est cette « influence étrangère » qu’Emmanuel Macron entend combattre. Toutefois, selon un rapport sénatorial, le financement étranger de l’islam en France est évalué à hauteur de 30 %, le reste étant financé par les fidèles musulmans français eux-mêmes.

Franck Frégosi synthétise cette « bascule » de l’histoire : « On reproche aujourd’hui aux musulmans de ne pas respecter la loi de 1905 et on les appelle à y entrer pour des raisons sécuritaires, alors que tout a été fait par le passé pour que l’islam reste en dehors du cadre de 1905, également pour des raisons sécuritaires. »

« Choc », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité de ce jour !


Ceux qui minimisaient le danger en ne voyant dans l’arrivée au pouvoir de l’AKP, en 2002, que l’avènement d’un équivalent ottoman de la démocratie chrétienne ont dû en rabattre depuis longtemps. Non, prévenaient les démocrates laïcs de Turquie dès le début, Erdogan et son parti ne sont pas les modérés que l’on décrit, leur projet théocratique, qui fait primer la loi de Dieu – dans les faits, celle des islamistes – sur la loi des hommes, porte en germe le fascisme et fait le lit de tous les extrémistes. Chaque jour qui passe leur donne raison.

 

Depuis le putsch militaire raté en 2016, qu’il a retourné à son avantage en coup d’État légal lui octroyant les pleins pouvoirs, Erdogan ne cesse de poursuivre sa mue de président-dictateur, renvoyant ou incarcérant tout ce que le pays compte d’opposants ou supposés tels : soldats, fonctionnaires, journalistes, militants…Faut-il rappeler que l’un de ses principaux adversaires à la dernière élection présidentielle, le candidat du parti de gauche HDP, Selahattin Demirtas, a conduit sa campagne depuis la prison où il croupit toujours ?

 

Avec Erdogan, la République d’Atatürk, qui tenait la religion à distance du palais, n’est plus qu’un lointain souvenir. Officiellement respectueux de la laïcité, l’AKP et son chef ont rusé avec la loi pour imposer, sur fond confessionnel, une doctrine rétrograde, nationaliste et ultralibérale. À mesure que la contestation de son pouvoir s’étend, tant à l’intérieur, avec la perte d’Istambul aux municipales, qu’à l’extérieur avec le conflit syrien et, désormais, dans le bourbier du Karabakh, Erdogan n’a de cesse d’accroître son agressivité envers ses alliés d’hier dans l’Otan, la France en tête.

 

Le boycott des produits hexagonaux est l’apogée de trois années de tensions avec Emmanuel Macron, sur le dossier libyen ou encore sur les forages gaziers au large de Chypre. Une escalade à laquelle les démocrates des deux pays n’ont rien à gagner : jouer le « choc des civilisations », comme s’y emploie le président turc, ne peut profiter qu’aux extrêmes droites d’un bout à l’autre de l’Europe, trop heureuses d’y voir la confirmation du chaos qui leur sert de fonds de commerce.