mardi 27 octobre 2020

L’école publique, champ de bataille historique de la laïcité


Cyprien Caddeo

Florent LE DU

L’assassinat de Samuel Paty, en raison de son enseignement et de l’utilisation en classe des caricatures de Mahomet, a relancé le débat ancien sur la place du religieux dans l’enseignement.

La future loi dite sur « les séparatismes » prévoit de rendre obligatoire, pour la rentrée 2021, la scolarisation à l’école dès 3 ans, dans le but de contrecarrer d’éventuels enseignements prosélytes à domicile. Depuis sa fondation, l’école publique est de fait un outil d’application de la laïcité et un contrepoids à l’enseignement par les religieux. C’est d’ailleurs à l’école que la séparation des Églises et de l’État a été instaurée en premier, dès 1882 et les lois Jules Ferry rendant l’école « publique, gratuite, laïque et obligatoire ».

 

Alors que la France sort de plusieurs siècles de régime monarchique combattu l’un après l’autre depuis 1789, l’école publique devient un instrument d’édification démocratique sous la IIIe République, et son caractère laïque un levier d’émancipation. En 1886, le législateur va plus loin, en imposant que les élèves soient confiés à un personnel, exclusivement laïque dans les écoles publiques. Jean Jaurès met en avant l’importance de faire découvrir aux enfants la différence entre l’opinion et le savoir, la croyance et la science : « L’enseignement public ne doit faire appel qu’à la seule raison et toute doctrine qui ne se réclame pas de la seule raison s’exclut d’elle-même de l’enseignement primaire. »

La loi ne dit rien sur le fait d’évoquer en classe des sujets directement liés aux croyances

 

En 1905, il n’est pas directement question, dans la loi de séparation de l’Église de l’État, de l’école, mais certains, dont Jaurès, l’investissent pour évoquer la nécessaire émancipation de l’État vis-à-vis de la religion. Pour la droite de tradition cléricale, à l’inverse, le combat en faveur de l’enseignement catholique privé deviendra dès lors un cheval de bataille. Quitte à provoquer « des entorses à la laïcité », note l’historien Jean-Paul Scot. À l’image de la loi Debré de 1959 qui permet le financement par l’État de toutes les écoles privées sous contrat.

 

Autre point de débat ancien : la place à accorder aux religions dans l’enseignement. Aujourd’hui, le Code de l’éducation nationale stipule que «  l’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe ». La loi ajoute que les signes ostentatoires religieux en sont bannis, pour le personnel puis, à partir de 2004, pour les élèves. Elle ne précise rien cependant sur le fait d’évoquer des sujets directement liés aux croyances. En août 2019, un enseignant de l’Indre a été ainsi suspendu par l’éducation nationale pour avoir montré des extraits de la Bible à ses élèves, avant d’être mis hors de cause par la justice.

 

En 1883, Jules Ferry proposait une réponse, qui ferait aujourd’hui couler beaucoup d’encre : «  Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment. » « Déjà Jules Ferry avait prévu que certaines propositions à l’école laïque pouvaient heurter les sensibilités religieuses des familles », observe l’historienne Valentine Zuber. Jean Jaurès a, lui, une vision opposée, lorsqu’il explique en 1888 que ne pas admettre l’ouverture des programmes aux questions les plus sensibles, c’est « déserter l’esprit laïque et républicain ».

 

Depuis la rentrée 2013, une charte de la laïcité, qui est affichée dans tous les établissements, en rappelle les grands principes : offrir aux élèves «  les conditions pour forger leur personnalité » en les protégeant « de tout prosélytisme et de toute pression  ». Mais, concernant le principe « d’enseignement laïque», ni le droit ni l’éducation nationale ne tranchent clairement la question.

 

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