dimanche 31 janvier 2021

Intervention de Brigitte MORANNE sur la vaccination à l’occasion du point COVID

 


 « Groupe communiste-citoyen et anticapitaliste »

 Conseil municipal du 28 Janvier 2021

Alors que la pandémie a fait plus de 2 millions de morts partout dans le monde, que les personnels soignants sont épuisés et que les hôpitaux travaillent à flux tendus depuis bientôt un an, l’accès au vaccin n’est pas assuré. Après le fiasco gouvernemental des masques et du manque de protections pour les personnels soignants en début de crise sanitaire, aujourd’hui le vaccin anti-Covid n'est pas assuré !!

Ce sont les mêmes politiques à courte vue, d'austérité et de marchandisation de la santé, qui ont détruit tout le tissu hospitalier, organisé la pénurie médicale, et étranglé financièrement les hôpitaux, qui ont aussi fait le choix d'abandon de recherche/développement et de production de médicaments sur le territoire français !

Alors que tout le monde s’accorde à dire que les pénuries de médicaments ou les délocalisations de production sont inacceptables, le Sénat a rejeté le 9 décembre, par 252 voix CONTRE et 27 POUR cette proposition de loi du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste « pour un service public du médicament » au service de l’intérêt général, qui aurait permis de s’affranchir du pouvoir des groupes pharmaceutiques, et de retrouver une souveraineté nationale dans un secteur essentiel.

Alors qu'après plusieurs mois de pandémie et l’arrivée de nouveaux variants, que nous pouvons enfin avoir accès à un vaccin anti-covid, notre pays n'a aucune maitrise, et aucune stratégie, si ce n'est de déléguer ses prérogatives de santé publique à des consultants et des plateformes privées telle que Doctolib !

L'hôpital de Montreuil et la Ville de Romainville avec son centre de Santé et les médecins libéraux ont créé les conditions pour vacciner le plus vite possible les populations ciblées...

 Mais voilà : les vaccins ne sont pas au rendez-vous !! Le préfet a demandé aux maires du département l’annulation des RDV et le report des inscriptions. Vous avez d’ailleurs pu prendre connaissance de ce communiqué dont Mr le Maire nous a fait part. Alors que notre territoire a été un des plus durement touché en termes de surmortalité pendant la 1ère vague aucun centre de Santé n’est en capacité de démarrer la vaccination. Le directeur de l’ARS a déclaré la semaine dernière, le stock peut permettre de vacciner 1% de la population d’Ile de France. Ceci est inadmissible au regard de la crise sanitaire et de la crise sociale qui en découle

LE MEDICAMENT EST UN BIEN COMMUN UNIVERSEL ! " a proclamé la présidente de la Commission Européenne

Alors oui ! C'est une exigence immédiate et vitale !

L’industrie pharmaceutique a marqué l’histoire de Romainville. Le territoire de l’Horloge porte les traces de ce passé industriel et du développement de l’aventure pharmaceutique, avec Roussel-Uclaf puis Sanofi Aventis. Sanofi dont les plans de réductions d’activité et d’emploi sont inversement proportionnels à la courbe de ses cotations en bourse et des dividendes versés aux actionnaires ; En ce moment même, Sanofi supprime 400 postes de travail. Cette firme est passée en quelques années de 11 laboratoires à 3 laboratoires. Voilà ce que nous sommes en train de payer au prix de milliers de vies humaines en ce moment.

Il y a un an la dernière entreprise pharmaceutique de Romainville « Fareva » licenciait ses 55 salariés, tous trentenaires, ils avaient acquis des compétences en chimie fine. Ils conditionnaient de la Framycétine et de l’Hydrocortancyl injectable. Dès décembre 2018, ils avaient interpellé l’ensemble du conseil municipal mais n’avaient pas été entendus par l’ex- majorité. Après avoir rencontré ces salariés, à plusieurs reprises, notre groupe a tenté d’intervenir au Conseil municipal pour une action commune contre cette fermeture et porter la parole de ces employés qui défendaient leurs emplois mais alertaient aussi sur le risque de rupture, il faut croire que le sujet dérangeait puisque mon micro avait été coupé lors de mon intervention en Conseil municipal.

Fareva a fermé en décembre 2019 pour une opération foncière, la reconversion de ce site a été inscrite dans la modification N° 15 du PLU malgré une pénurie d’hydrocortisone en France survenue en Mai 2019. Nombre de nos concitoyens découvrent ainsi notre dépendance totale de laboratoires privés étrangers due pour une part essentielle à l’affaiblissement organisé de nos capacités de production, au bénéfice de la financiarisation. Il est urgent de mettre ces enjeux en débat. D’ores et déjà, notre groupe a répondu à l’appel de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux en publiant l’appel à signer la pétition européenne sur les réseaux sociaux. Nous refusons de rester silencieux face à ce scandale sanitaire.

Les outils existent pourtant pour faire du vaccin un bien public mondial, émancipé des règles de fer de la propriété privée intellectuelle. Il y a vingt ans, la déclaration de Doha à l’OMC a reconnu le droit des pays confrontés à une pandémie comme le VIH de faire primer les impératifs de santé publique sur les lois des brevets. L’Union Européenne y peut quelque chose. Depuis mars 2020, l’Allemagne dispose, par exemple, d’un cadre permettant d’aller jusqu’à l’expropriation en cas d’urgence pandémique. Avec son texte sur l’état d’urgence sanitaire, la France détient également plusieurs cartes pour réparer un système privé défectueux : elle a ainsi la possibilité de « prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients des médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire » et elle peut aussi procéder à la « réquisition de biens ou de services ».

L’article 613-16 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’un vaccin peut faire l’objet d’une « licence d’office » (c’est-à-dire une autorisation de fabrication sans l’accord du détenteur du brevet) lorsqu’il est « mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés ». Alors, qu’attend-on pour éviter la rupture de stock ? On doit pouvoir permettre à des entreprises comme Sanofi, par exemple de produire les vaccins actuellement validés par l’agence européenne du médicament.

Cette exigence commence à gagner du terrain puisqu’il y a 2 jours, nous avons appris qu’un accord entre Sanofi et Pfizer prévoyait 100 millions de doses pour Juillet 2021. Ceci pour toute l’Europe, c’est insuffisant, mais cela montre que c’est possible de faire autrement. Il faut continuer de porter cette exigence afin que d’autres entreprises participent aussi à la fabrication du vaccin anti-Covid., car pour l’instant, il est le seul espoir de retrouver une vie normale.

 

 

 

 

 

 

vendredi 29 janvier 2021

Caricature(s), le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin



 La liberté d’expression, jusqu’où ?

Fidèles. La sacro-sainte «liberté d’expression» justifie-t-elle tout et n’importe quoi, que ce soit par la parole, l’écrit ou le dessin ? Abrupte et moins conjoncturelle que philosophique, revoilà donc dans le débat public la fameuse question casse-tête qui hante toutes les têtes de ceux que nous appelons les « émetteurs » d’information, et qui devraient penser avant tout aux récepteurs – autrement dit les citoyens, que nous ne saurions balayer d’un revers de main au prétexte que nous détenons, nous autres, la vérité supposée sur ce qui est ­admissible ou non. Albert Camus écrivait : «Un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.» Dans un autre genre, l’ami François Morel convoque «l’humour et la nuance», ce qui n’exclut en rien la liberté. Une nouvelle « affaire » vient en effet d’éclabousser le paysage médiatique. En annonçant son départ du journal le Monde, après avoir provoqué une vaste polémique en publiant un dessin inexplicable sinon inqualifiable sur l’inceste et les transsexuels, le dessinateur Xavier Gorce a réveillé les réactions d’indignation sur le thème : «censure idéologique», «régression démocratique», «liberté chérie assassinée», etc. Logique, ce débat récurrent mérite sa place et prend de l’épaisseur à chaque évocation. D’autant que la direction du journal le Monde n’a pas tardé à s’excuser, sans pour autant supprimer ledit dessin. Son directeur, Jérôme Fenoglio, expliquait dans une mise au point : «Nous persisterons à défendre ce genre particulier de liberté d’expression, y compris quand il nous dérange et nous bouscule, tout en restant vigilants sur notre liberté de publier en demeurant fidèles à nos valeurs.» En toute responsabilité, comment le dire mieux ?

 

Prudence. Ne tournons pas autour du pot. Un journal diffuse un dessin qui choque. Et quelles que soient les explications, ce dessin offusque pour de bonnes raisons ! Est-ce « drôle » ou « comique » de définir l’inceste dans les familles recomposées par une évocation gratuite et scandaleuse de l’homo­parentalité et des transgenres ? D’ailleurs, nous, à l’Humanité, aurions-nous publié ce dessin ? Certainement pas, bien que la tâche soit difficile, pour la direction d’une rédaction, d’admettre qu’un dessin puisse révulser et qu’une forme de « prudence » s’impose dès lors. D’où une autre question compliquée : qui est la «victime», dans cette histoire, puisque le dessinateur incriminé, et on le comprend, s’est immédiatement paré d’une posture victimaire ? Lui ? Ou ceux qui osent prétendre polémiquer contre les polémistes, partant du principe assez élémentaire que ces derniers n’ont pas le monopole de la liberté d’expression ? Vaste controverse…

 

Boussole. «Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire», nous assignait Jean Jaurès. Le bloc-noteur, qui n’en est pas moins chronicœur sur les routes du Tour de France, sait de quoi il parle. En septembre 2020, lors de l’épreuve, nous avions été contraints de cesser notre collaboration avec Espé, après la publication par erreur, sur notre site, d’un dessin dégradant et sexiste de l’auteur, à l’opposé de l’orientation éditoriale et des combats qui sont nôtres. Répétons-le tranquillement : ce dessin, incompatible avec nos valeurs, notre éthique et nos principes fondamentaux, ne pouvait avoir sa place dans l’Humanité. Devrions-nous accepter pour autant la place peu envieuse de «censeurs», nous qui comptions parmi nos collaborateurs la plupart des martyrs de Charlie Hebdo ? Absurde référence, admettons-le, sauf à verser dans la culture de l’irresponsabilité qu’aucun journal, oui, aucun journal, n’est tenu d’embrasser. Encore une fois, la bonne boussole reste très proche de celle de Camus : «Un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.»

 

« Disque rayé », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



Encore un sondage qui fait couler beaucoup d’encre. « Le Pen-Macron au coude-à-coude au second tour en 2022 », s’affolent les réseaux sociaux depuis jeudi. Si les sondages, redoutable outil de manipulation de l’opinion, peuvent se tromper, ils offrent une photographie d’un rapport de forces. Cette étude d’Harris Interactive confirme l’affaiblissement politique d’Emmanuel Macron mais surtout la puissante lame de fond de grève civique qui submerge notre démocratie. À moins d’un an et demi de l’élection présidentielle, la mise en scène du remake de 2017 tourne au disque rayé. Et Emmanuel Macron pourrait bien s’y casser les dents. Conscient qu’il ne devrait sa réélection qu’à l’épouvantail Le Pen, le président inscrit à l’agenda politique et médiatique toutes les obsessions de sa meilleure ennemie d’extrême droite. Cliver toujours plus la société française pour rester au centre du jeu, telle est la stratégie assumée du locataire de l’Élysée, pompier pyromane d’une démocratie qui se consume.

Mais les Français ne sont pas dupes. Il y a quelques mois, une autre enquête, passée inaperçue celle-là, ­révélait que 80 % des électeurs étaient mécontents de l’offre politique en vue de la présidentielle de 2022 et rejetaient le duo Macron-Le Pen. Lesquels partagent en réalité le même objectif de défendre coûte que coûte le capitalisme, au moment où son inefficacité sociale, économique, écologique saute pourtant aux yeux du plus grand nombre.

C’est tout le drame de la situation : jamais le besoin d’alternatives à ce système destructeur n’a été autant d’actualité, et pourtant les forces de gauche, affaiblies et éclatées, préparent malgré elles le terrain au duo mortifère. C’est écrit : aucun candidat de gauche ne peut aujourd’hui prétendre à lui seul représenter une alternative crédible, qui permette d’inverser la tendance. Pourtant, les ingrédients d’une dynamique de progrès social sont là, les idées et propositions existent, et les forces militantes sont disponibles. Rassemblées dans une démarche inventive, elles peuvent encore éviter le pire, mais surtout accélérer le passage au « monde d’après », celui de l’Humain et de la planète d’abord. 

 

« Salut », le billet de Maurice Ulrich.



On a eu suffisamment d’occasions de critiquer ici notre confrère Jean-Michel Apathie, pour ne pas saluer cette fois ses propos sur plusieurs antennes concernant la colonisation de l’Algérie et son souhait de voir les statues et rues dédiées au général Bugeaud (1784-1849), l’un de ses acteurs majeurs, exclues de l’espace public. « Nous avons martyrisé un peuple pendant plus d’un siècle », a-t-il souligné lors d’un débat autour du rapport remis à Emmanuel Macron par Benjamin Stora et intitulé « Les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie », ajoutant : « Nous devons des excuses à l’Algérie. » 

Plus particulièrement Bugeaud, salué parfois comme « le Soldat laboureur », fut, a-t-il également rappelé, un assassin et un véritable boucher, gouverneur général d’Algérie et n’hésitant pas à pratiquer les enfumages, tel celui de Dahar, près de Mostaganem en 1845 où, sur ses consignes, plus de 1 000 hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled Riah, qui s’étaient réfugiés avec leur bétail dans une grotte, ont été asphyxiés. Ça valait d’être dit.

Moyen-orient. Les menaces de guerre d’Israël contre l’Iran se précisent


Pierre Barbancey

Les faucons américains et israéliens tentent par tous les moyens d’empêcher l’administration Biden d’acter le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire. L’armée israélienne prépare des plans opérationnels.

Au sein de l’armée israélienne, le général Aviv Kochavi a prononcé un véritable discours de guerre lors de la conférence annuelle de l’Institut de recherche de défense de l’université de Tel-Aviv (INSS), un think tank très prisé par les dirigeants politiques et militaires israéliens.

Le chef d’état-major a ainsi parlé de la « prochaine guerre », qui dans sa bouche semble inéluctable. Désignant l’Iran, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien comme menaces, il a prévu qu’Israël répondra « par une contre-attaque extrêmement importante qui comprendra le ciblage de roquettes, de missiles et d’armes, que ce soit dans des zones ouvertes, ou à proximité et à l’intérieur des bâtiments ». Sans doute pour donner plus de poids et de sérieux à son propos, il a évoqué les « populations au Liban et à Gaza », qui seront « alertées dès que les tensions commenceront » pour qu’elles quittent « les zones où les roquettes et les missiles sont stockés ». Il a également mis en garde les civils israéliens sur un ton martial : « Le jour J, pendant une guerre, de nombreux missiles et roquettes exploseront ici et ce ne sera pas facile. »

Le soutien des Émirats arabes et de Bahrein

Un enrobage dramatique et potentiellement dangereux pour asséner l’idée qu’un retour à l’accord sur le nucléaire iranien « serait une mauvaise chose ». Il a ainsi ordonné à l’armée de « préparer des plans opérationnels additionnels » en 2021, qui « seront prêts » en cas de décision des politiques de mener une offensive contre l’Iran. « Tout accord qui ressemble à l’accord de 2015 est une mauvaise chose, tant sur le plan stratégique qu’opérationnel », a dénoncé Kochavi. « Les pressions sur l’Iran doivent se poursuivre, l’Iran ne peut pas avoir de capacités pour posséder une bombe nucléaire », a-t-il rajouté, en évitant d’évoquer l’arsenal nucléaire que détient Israël en toute illégalité.

De telles déclarations, si elles ne sont pas à prendre à la légère, marquent néanmoins les craintes de Tel-Aviv devant les nouveaux développements en cours. Israël avait dénoncé l’accord sur le nucléaire signé en 2015 (plan d’action global commun, JCPOA en anglais) entre l’Iran et le Groupe des six (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne), après douze années de tensions. Le retrait des États-Unis en 2018 avait réjoui le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Mais celui-ci fait grise mine avec l’intention affichée du nouveau président de réintégrer l’accord tout en le modifiant pour y inclure les missiles balistiques et la présence iranienne dans la région. Lors d’un entretien téléphonique, mardi, avec Vladimir Poutine, Joe Biden a évoqué le dossier nucléaire iranien sans grande surprise au vu de ses déclarations antérieures. Moscou estime que Washington doit faire le premier pas pour sauver l’accord et garantir son respect par Téhéran.

Comme toujours, Israël ne craint rien de plus qu’un règlement des problèmes régionaux sans qu’il y soit associé, c’est-à-dire sans que ses intérêts ne soient au centre des préoccupations. D’où ces inhabituelles déclarations israéliennes sur ces attaques menées contre 500 cibles au Moyen-Orient en 2020, parmi lesquelles des bases de milices pro-iraniennes en Syrie. D’où aussi ce discours enflammé du chef d’état-major, prononcé avec l’accord plein et entier de Benyamin Netanyahou. Les responsables israéliens savent qu’ils alimentent ainsi la campagne en cours aux États-Unis contre la nouvelle orientation de la Maison-­Blanche.

Joe Biden entend nommer Robert Malley comme son envoyé spécial pour l’Iran. Malley, qui avait dirigé l’équipe américaine de négociation de l’accord de 2015, est la bête noire des conservateurs et de la droite israélienne. Netanyahou a déjà exprimé son opposition (sic) à une telle nomination. Quant au sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton, il a cru bon dire : « Les ayatollahs n’en croiraient pas leur chance s’il était choisi. » Dans ce combat, les faucons américains et israéliens peuvent compter sur les Émirats arabes unis et Bahreïn. Ils ont exhorté Israël à se joindre à eux dans un effort de sensibilisation auprès des États-Unis pour que leur position quant à la menace iranienne dans la région soit claire.

Moscou défend l’accord

La Russie et l’Iran veulent rétablir l’accord sur le nucléaire iranien, ont annoncé leurs deux responsables de la politique étrangère. L’administration de Joe Biden devant décider si les États-Unis reviennent à ce texte clé. « Un thème particulièrement d’actualité est celui de sauver l’accord. Et nous, comme l’Iran, souhaitons un retour à sa mise en œuvre pleine et entière », a assuré le ministre russe Sergueï Lavrov en présence de son homologue iranien Mohammad Javad Zarif, en visite à Moscou. Les Iraniens demandent la levée des sanctions américaines et le respect par Washington de ses obligations. La Russie a également exhorté Téhéran à éviter toute « surenchère ». Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, pense qu’un « dialogue sélectif » avec les États-Unis peut se tenir sur l’Iran.

 

 

Jean-Pierre Luminet « Pour voir le réel, il faut se détacher du visible »

 


Anna Musso

Dans son dernier livre, l’Écume de l’espace-temps, l’astrophysicien présente de façon accessible et littéraire l’état actuel de la recherche et des débats qui animent la physique théorique pour comprendre notre Univers.

Votre dernier ouvrage (1), qui traite des mystères de l’Univers et de l’origine du monde, soulève la question de savoir si le réel, ou du moins ce qui est supposé en tenir lieu, exploré par la physique à l’aide des mathématiques, peut être exposé dans un langage accessible aux non-spécialistes. Comment y êtes-vous parvenu ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Sans être certain d’y être vraiment parvenu, j’ai osé le pari de rendre moins innommable le vertigineux mystère du monde qui nous entoure et nous fait. J’ai toujours eu présent à l’esprit que, pour déchiffrer quelques fragments du réel sous l’écume des astres, il faut se détacher des limites du visible, se déshabituer des représentations trompeuses, et surtout que la fécondité de l’approche scientifique est souterrainement irriguée par d’autres disciplines de l’esprit humain comme l’art, la poésie, la philosophie. L’écriture de mon livre a donc été autant un exercice littéraire qu’un exercice de vulgarisation scientifique, assorti d’une réflexion philosophique sur l’étoffe ultime dont nous sommes faits.

Qu’est-ce qui se cache derrière le titre poétique de votre ouvrage, qui fait référence à l’expression de Paul Valéry ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Je cite d’emblée l’aphorisme de Valéry « les événements sont l’écume des choses, mais c’est la mer qui m’intéresse » pour signifier, d’une part, que la profondeur de la vitalité marine est suffisamment riche pour interpréter les manifestations les plus ténues de l’existence, d’autre part le décalage saisissant entre l’unité associée à la permanence et l’accident associé à l’évanescence. C’est justement ce que cherche à décrire le physicien théoricien sous la chair aride de ses équations. « L’écume de l’espace-temps » est également une expression utilisée dans les années 1960 par le grand physicien américain John Wheeler dans ses premières tentatives de quantification de l’espace-temps.

Deux grandes théories coexistent depuis un siècle dans la physique théorique : celle de la mécanique quantique, qui explique le monde microscopique, notamment les interactions entre particules élémentaires, et celle de la relativité générale d’Einstein à l’échelle astronomique. Comment est-ce possible sans devenir schizophrénique ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Il est vrai que le physicien, selon qu’il traite de phénomènes à petite ou à grande échelle, peut appliquer soit la théorie quantique, soit la théorie relativiste sans tenter de les mélanger. Mais cette stratégie, pour efficace qu’elle soit dans la plupart des situations, n’est pas forcément satisfaisante sur le plan conceptuel : on aimerait en effet que la physique dans son ensemble soit décrite de façon cohérente par un modèle unifié de toutes les interactions connues. Dans cette optique, il existerait une théorie d’ordre supérieur, dont la mécanique quantique et la relativité générale ne seraient que des approximations valides dans leurs domaines respectifs.

Comment expliquez-vous que les tentatives de dégager un modèle cohérent unifié d’explication de l’Univers, aux échelles macroscopique et microscopique, n’aient pas abouti jusqu’à présent ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Il existe des phénomènes physiques, comme les trous noirs ou les premiers instants de l’Univers lors du big bang, dont la description est incomplète dans le cadre des modèles dits « standard » de la physique des particules et de la cosmologie. Ceci semble donc appeler une théorie unifiée d’ordre supérieur, dite de gravitation quantique. Si plusieurs approches ont été proposées – dans mon ouvrage je décris les sept principales –, aucune d’entre elles n’a encore abouti, soit parce que le problème est si complexe qu’il reste encore hors de notre portée, soit parce qu’il n’existe tout simplement pas : il se pourrait en effet que la quête d’une théorie totalement unifiée de la physique ne corresponde pas à une propriété intrinsèque de la nature, mais relève d’un pur besoin psychologique des physiciens !

Pourriez-vous nous donner les idées de base de la fameuse théorie des cordes développée il y a un demi-siècle et devenue depuis dominante, pour aboutir à une théorie unifiée ?

JEAN-PIERRE LUMINET : La théorie des cordes est la plus ancienne et la plus étudiée des théories d’unification. Son idée de base est d’une grande élégance : elle consiste à décrire l’ensemble des particules en termes de modes vibratoires de minuscules bouts d’espace unidimensionnels, sortes d’élastiques infinitésimaux qui se réduiraient à seulement deux formes, les ouverts et les fermés. Pour tenter de rendre cette idée mathématiquement cohérente, il a fallu cependant la complexifier de plus en plus en supposant, par exemple, que notre espace possède dix dimensions et non pas trois, que notre univers n’est pas une réalisation particulière au sein d’un vaste ensemble de configurations formant un multivers, et ainsi de suite. Outre qu’elle se heurte à un grand nombre de difficultés conceptuelles, la théorie des cordes reste hors de portée de nos vérifications expérimentales, et n’a fait aucune prédiction testable. Il se pourrait donc que malgré les centaines de brillants physiciens qui ont travaillé dans son champ, elle se révèle être au bout du compte un pur mirage mathématique.

Les deux théories de la mécanique quantique et de la gravitation ne parvenant pas à être unifiées, il demeure deux lignes de recherche séparées : d’une part la théorie des cordes et de l’autre la gravitation quantique à boucles. Est-ce à dire que l’interprétation scientifique de l’Univers est condamnée à relever durablement de deux théories rivales ?

JEAN-PIERRE LUMINET : J’ai justement tenté dans mon livre de dépasser cette vision binaire trop réductrice mais couramment répandue dans la vulgarisation scientifique, voire dans une bonne partie de la communauté spécialisée. Il est vrai que la théorie des cordes et la gravité quantique à boucles – les deux approches pour le moment les plus étudiées – se décrivent dans des cadres conceptuels très différents et sont donc rivales. La première privilégie plutôt la théorie quantique des champs, en décrivant tous les phénomènes en termes d’interactions dans un espace-temps de fond fixe et immuable ; la seconde privilégie l’approche einsteinienne, où la gravitation est une pure manifestation de la géométrie de l’espace-temps sous-jacent, laquelle n’est pas fixe mais fluctue constamment au gré de la matière qui s’y trouve et s’y déplace. L’espace-temps y est granulaire, discontinu, et ne nécessite aucune dimension supplémentaire. Mais d’autres approches particulièrement prometteuses, comme la géométrie non commutative ou la gravité émergente, dépassent ce clivage et ouvrent de fascinantes perspectives.

L’expansion observée de l’espace montre qu’il y a environ 14 milliards d’années, l’Univers a dû être petit, dense et très chaud, écrivez-vous. Cela soulève la question du « début du temps », c’est-à-dire de savoir quelles étaient les conditions initiales du big bang. Ce modèle standard de la cosmologie ne fait pas l’unanimité des scientifiques. En quoi est-il utile ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Par définition, un modèle est dit « standard » lorsqu’il fait consensus, c’est-à-dire qu’il est provisoirement adopté comme la meilleure (ou la moins mauvaise, au choix !) description du monde. Mais aucun modèle ne peut être définitif : quelle que soit sa précision, « la carte n’est pas le territoire », pour reprendre une autre expression célèbre, et à cet égard il est heureux qu’il n’y ait pas unanimité complète, sinon la recherche s’arrêterait. Dans le cas plus spécifique de la cosmologie et son modèle standard du big bang, une difficulté philosophique se rajoute : celle d’un possible début absolu du monde il y a 14 milliards d’années. Le dernier chapitre de mon ouvrage traite justement d’une nouvelle physique où, grâce à la quantification de la gravitation, le big bang ne marquerait plus le début singulier de l’univers, mais traduirait une transition entre des phases différentes de son évolution. Tout cela reste cependant très spéculatif.

Faut-il supposer qu’il existe plusieurs Univers, comme l’avait imaginé le philosophe Leibniz, voire un Univers antérieur au big bang, ou maintenir l’unicité aristotélicienne de l’Univers pour dépasser la dualité des théories physiques contemporaines ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Leibniz avait en effet imaginé qu’il pourrait exister une infinité d’univers munis de lois de la nature différentes, mais pour des raisons théologiques il estimait que Dieu n’avait sélectionné que notre seul monde présent, sur le seul critère qu’il soit « le meilleur possible ». Dans les théories physiques actuelles (où l’on évite de faire intervenir un créateur de façon aussi naïve !), le concept d’univers multiples est réapparu sous diverses formes. Il existe toute une panoplie de modèles de multivers très différents selon les théories. Dans certaines, les univers coexistent dans un seul gigantesque espace-temps divisé en « bulles » distinctes et autonomes ; dans d’autres, ils sont dans des dimensions différentes de l’espace-temps ; dans d’autres encore, ils se succèdent au cours du temps, se régénérant lors de phases de « grand rebond » qui remplacent l’idée d’un big-bang unique et originel. Beaucoup de physiciens y voient la solution à un certain nombre de problèmes dits « d’ajustement des paramètres », mais à coup d’arguments plus philosophiques que scientifiques qui me laissent plutôt sceptique…

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui voudraient devenir astrophysicien ? Actuellement, ont-ils les moyens d’y parvenir en vivant convenablement en France ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Pendant de nombreuses années j’ai encouragé les jeunes, dont beaucoup m’écrivaient après avoir lu mes livres, à s’engager dans une carrière de chercheur en astrophysique. Je suis malheureusement aujourd’hui bien plus réservé. Non pas que le métier d’astrophysicien – ou plus généralement de chercheur – soit devenu moins passionnant, mais il se heurte maintenant, à cause des déplorables politiques scientifiques conduites en France depuis environ deux décennies, à tellement d’obstacles, de barrières, de contraintes, voire de dépréciations de toutes sortes (salaires dérisoires par rapport au niveau de compétence requis), qu’entrer aujourd’hui dans la profession relève davantage de l’apostolat que d’un projet de vie convenable ! Je suis effaré quand je compare ma propre situation de jeune chercheur d’il y a quarante ans, libre de choisir les sujets qui m’intéressaient alors qu’ils n’étaient pas encore « à la mode » (je pense notamment aux trous noirs), à celle des jeunes qui abordent aujourd’hui la recherche dans notre pays. Même s’ils ont eu la chance, après un très difficile parcours du combattant et une hyper-sélection, d’obtenir un poste au CNRS ou dans une université, comme ces institutions ne disposent plus de budgets récurrents, il leur faut tout de suite présenter un projet de recherche bien « ciblé » pour avoir une chance d’être financé par une agence française ou européenne. Or, toutes ces agences sont gangrenées par la bureaucratie. Avant même de commencer à chercher il faut donc remplir des dizaines de formulaires pour expliquer ce qu’on espère trouver et à quoi cela sera « utile » à la société. Alors que, par définition, la recherche est imprévisible, et c’est de cette imprévisibilité que naissent les plus grandes innovations.

Quel regard portez-vous sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche adopté par le Parlement ?

JEAN-PIERRE LUMINET : Je suis très remonté contre cette loi, dont de multiples aspects aggravent encore la situation de la recherche dans notre pays, sans parler de certaines dispositions visant à réduire la liberté de penser et d’agir qui sont carrément iniques. J’ai signé plusieurs pétitions à ce sujet, tout en ayant conscience que nous luttons contre un implacable « air du temps ». Cette tentative de prise de contrôle et de pilotage de la recherche veut en effet s’étendre à tous les secteurs de la société, comme on le constate notamment avec la gestion de la crise sanitaire. Certes, désormais chercheur « senior » émérite, je ne suis pas directement affecté par ce projet de loi, mais, par égard pour mes collègues plus jeunes qui vont s’y heurter de plus en plus durement dans les années à venir, je suis entré pour la première fois de ma vie en résistance.

(1) L’Écume de l’espace-temps de Jean-Pierre Luminet, édition Odile Jacob, 350 pages, 23,90 euros.

 

jeudi 28 janvier 2021

« Ambroise qui ? », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Jusqu’à tout récemment, le nom d’Ambroise Croizat, dont on célèbre aujourd’hui les 120 ans de sa naissance, ne suscitait que regards interrogatifs. « Ambroise qui ? » Un patronyme presque oublié, rayé de l’histoire de notre pays. Un million de personnes ont beau s’être pressées à ses funérailles, en février 1951, l’ancien syndicaliste, ministre communiste et cofondateur de la Sécurité sociale, n’a jamais eu droit à la reconnaissance nationale digne de son œuvre. Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas là d’un oubli. Mais bien d’une mise à l’écart politique. Les morts ne sont pas neutres et une nation n’honore que ceux qui lui conviennent.

Il fut donc considéré, durant des années, comme ­inconvenant de fêter la figure de ce métallo, pourtant maître d’œuvre d’un des plus grands conquis sociaux du XXe siècle. Pour toute la galaxie libérale, si puissante dans les cercles du pouvoir, taire l’existence même du « ministre des travailleurs » a toujours été un indispensable combat d’outre-tombe. Celui mené avec acharnement contre l’anti-modèle que représente à leurs yeux la Sécurité sociale, système solidaire et équitable, dont les milliards de budget assis sur les cotisations échappent, par principe, aux appétits infinis du marché.

Cette philosophie vertueuse n’a cessé d’être raillée, minorée, déconsidérée par le capitalisme triomphant de ces dernières décennies. Mais la crise sanitaire est passée par là. Et même les ayatollahs de la marchandisation ont dû se pincer le nez pour ­reconnaître la ­pertinence de notre Sécurité sociale face aux risques d’explosion de la précarité et au défi de l’accès aux soins. Ne rêvons pas. Ce ne sont que des mots de circonstance. Et le travail de sape, que ce soit sur le régime des retraites ou l’assurance-chômage, va reprendre de plus belle. On le voit, faire entrer Ambroise Croizat au Panthéon relève de l’urgence. Non pas seulement pour réparer une injustice en ­honorant un homme et son empreinte. Mais bien pour sceller au milieu des grands esprits le socle de notre République sociale.

 

Anniversaire. L’indispensable héritage d’Ambroise Croizat



Cécile Rousseau

Marion d'Allard

Cyprien Boganda

L’ancien ministre du Travail communiste, né il y a cent vingt ans, le 28 janvier 1901, fut l’un des grands artisans de notre système de Sécurité sociale. Bien qu’il ait prouvé sa robustesse face à la crise, ce dernier est toujours la cible d’attaques.

« Libérer les Français de l’angoisse du lendemain. » Cette injonction, brandie comme un credo, Ambroise Croizat (1901-1951), qui aurait eu 120 ans ce jeudi, s’est attaché à la faire vivre à travers la Sécurité sociale, édifice maintes fois attaqué mais plus que jamais d’actualité. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le ministre du Travail (1) a contribué à jeter les bases du système de protection sociale français, dans l’esprit indiqué par le Conseil national de la Résistance (CNR). Aujourd’hui, même les responsables du gouvernement se félicitent de ce « filet de protection » qui nous a aidés à amortir le choc de la crise. Ce sont pourtant les mêmes qui travaillent à son affaiblissement.

1/ L’assurance-maladie, indispensable mais attaquée

Hospitalisations, arrêts maladie, campagnes de dépistage, de vaccination… la crise sanitaire a mis à l’épreuve la branche maladie de la Sécurité sociale, et l’édifice pensé par Ambroise Croizat a tenu le choc. Mais, si notre système de protection sociale a permis d’éviter une explosion de la précarité, l’État, en choisissant de financer ses mesures d’urgence liées à la pandémie par l’alourdissement de la dette de la Sécurité sociale, « continue de poser les jalons de son démantèlement », déplore la CGT. Ainsi, de 1,5 milliard d’euros de déficit en 2019, la branche maladie de la Sécurité sociale a enregistré un déficit record de 33,7 milliards d’euros en 2020. Et les prévisions pour 2021 tablent sur un endettement de 19 milliards d’euros.

« C’est le rôle de la Sécurité sociale de prendre en charge la santé dans son ensemble, elle a été fondée sur cette base, pour éviter que la santé ne soit une marchandise », explique Murielle Pereyron, de la CGT organismes sociaux du Rhône. Pour la syndicaliste, « ce  trou » ne doit pas être vu comme n’importe quelle dette. « La Sécu est constitutionnelle, elle ne peut pas faire faillite », rappelle-t-elle. Pourtant, « ce gouvernement, que la pandémie n’a jamais fait varier de politique, va chercher à faire payer la note aux salariés et aux retraités par le biais des contributions au remboursement de la dette sociale ».

Les faits donnent d’ailleurs raison au syndicat. La loi de financement de la Sécurité sociale, votée fin 2020, en pleine crise sanitaire, prévoit 800 millions d’euros de réduction des dépenses. Une austérité menée au nom du déficit de l’assurance-maladie, qui justifie depuis des années, déremboursements, suppressions de postes, de lits d’hôpitaux et autres restrictions. Quant aux tests PCR, « une franchise médicale de 2 euros est facturée aux assurés pour chacun d’eux », relève Murielle Pereyron.

2/ L’assurance-chômage mise sous tutelle

Le gouvernement persiste et signe dans son ambition de rogner les droits des privés d’emploi. S’il promet de n’appliquer certains points de sa réforme régressive de l’assurance-chômage de 2019 qu’en cas d’éclaircie économique, les mesures les plus dangereuses comme le changement du mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) sont toujours d’actualité. Faisant fi de l’opposition farouche des syndicats, le ministre du Travail envisage un décret d’application d’ici quelques semaines.Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron poursuit au bulldozer son entreprise de reprise en main de l’Unédic. En octobre 2018, une première étape cruciale avait été franchie avec la suppression de la cotisation salariale pour financer le régime au profit de la CSG, entérinant un changement de philosophie majeur. Au fondement même de l’assurance-chômage, la gestion paritaire (syndicat et patronat) prend alors un sérieux coup dans l’aile.

Créé en 1958 sous l’impulsion du général de Gaulle, ce système était à son origine conçu pour verser un revenu de remplacement aux salariés de l’industrie et du commerce se retrouvant sans emploi. La première convention fut signée la même année par le CNPF (ancêtre du Medef) et la CGC, FO et la CFTC. La CGT, elle, aurait alors préféré que cette caisse devienne une 5e branche de la Sécurité sociale.

Soixante-deux ans plus tard, le pouvoir macroniste s’inscrit à rebours de l’histoire. Et ce n’est pas fini. Dans une étude dévoilée le 12 janvier, les économistes du Conseil d’analyse économique préconisaient même une étatisation de sa gouvernance. Pour la CGT, en ces temps de crise majeure, il serait plutôt temps « d’ouvrir l’assurance-chômage à toutes celles et tous ceux privés du droit au travail ».

3/ Le régime des retraites, rempart menacé

Ambroise Croizat n’a pas inventé le système de retraites, mais il fut l’un des grands artisans de son extension. En 1945, un million de Français seulement bénéficient d’une couverture, quand les autres se débrouillent avec leurs économies.

Le 22 mai 1946, après des mois de débats, le ministre arrive à ses fins : la loi posant le principe de la généralisation du régime à tous les travailleurs est votée. « Quand il quittera le gouvernement, en mai 1947, le montant des retraites aura augmenté de 130 %, écrit l’historien Michel Étiévent. Plus de 4 millions de Français en bénéficient. »

Depuis, le régime a été considérablement élargi, avant d’être attaqué par les gouvernements libéraux (réformes Balladur de 1993, Fillon de 2003, Woerth de 2010, etc.). Malgré la crise, le pouvoir macroniste n’a pas renoncé à sa réforme, qui vise notamment à instaurer un système par points, très inégalitaire. Avec le sempiternel argument du déficit comme justificatif : « Je suis désolé de devoir me répéter, mais nous aurons besoin d’une réforme des retraites qui rétablisse les équilibres financiers », a encore martelé le ministre Bruno Le Maire, ce mercredi.

4/ Une cinquième branche polémique

Alors que la pandémie a très durement frappé les personnes âgées, le débat autour de la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, consacrée à l’autonomie, est revenu sur le devant de la scène. Plébiscitée par le gouvernement et le patronat, l’instauration d’un 5e risque distinct révulse la CGT. Le syndicat plaide pour une prise en charge de la dépendance par la branche maladie. « En quoi les soins nécessaires aux personnes dépendantes diffèrent-ils des soins pris en charge par la branche maladie ? En rien », martèle le syndicat, qui fustige un projet taille patron. En effet, le financement de ce 5e risque serait, entre autres, assuré par l’impôt (CSG et CRDS). « Tout sauf les cotisations sociales, tout sauf le salaire socialisé ! » alerte la CGT, qui pourfend « une branche pour les personnes âgées qui ne coûte rien aux employeurs ».

5/ Pour une sécurité sociale intégrale

Reconquérir les principes fondamentaux de la Sécurité sociale, à savoir l’universalité, la solidarité, la répartition ou encore la globalisation des risques, devient urgent en cette période troublée. Comme le souligne la CGT, une protection sociale intégrale pourrait ainsi couvrir les besoins en termes de santé, de famille, de retraite, d’autonomie, mais aussi de formation professionnelle ou encore de droits au chômage. Alors que nombre de privés d’emploi se retrouvent sur le carreau, parfois sans allocation, le syndicat rappelle également qu’il défend depuis des années un nouveau statut du travail salarié. Celui-ci pourrait permettre à chaque personne tout au long de sa carrière professionnelle « de disposer d’un certain nombre de droits cumulatifs et progressifs, transférables d’une entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre, opposables à tout employeur ». Au cœur de ce nouveau statut, la Sécurité sociale professionnelle, proche de la sécurité emploi-formation théorisée par le PCF, propose de maintenir les droits les plus avantageux, notamment au chômage, lors de la transition entre deux emplois. Autant de projets ambitieux qui devraient trouver écho dans cette situation de précarité généralisée engendrée par le Covid.

(1) Ambroise Croizat fut ministre du Travail (puis ministre du Travail et de la Sécurité sociale) à plusieurs reprises : de novembre 1945 à janvier 1946 ; de janvier à décembre 1946 ; et de janvier à mai 1947.

Une « dette covid » à la charge des contribuables

Estimée à « au moins 150 milliards d’euros » par le gouvernement, la dette Covid va être transférée dans une structure dédiée, prévoit Bercy. Pour Bruno Le Maire, il s’agit de s’assurer que cette dette sera bien remboursée. L’échéancier prévoit son apurement à partir de 2033. À cette date, le « trou de la Sécurité sociale » est censé être comblé par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la Cades, dont les fonds proviennent d’une taxe, la CRDS. En somme, si le gouvernement assure que l’augmentation de la fiscalité n’est pas à l’ordre du jour, la supercherie de Bercy consiste, en réalité, à prolonger un impôt pourtant originellement limité dans le temps.

 

Quand un poète sauve les républicains espagnols



Virginie Gatti

PABLO NERUDA. NON À L’HUMANITÉ NAUFRAGÉE

Bruno Doucey

Actes Sud Junior, 65 pages, 9 euros

1949. Pablo Neruda chemine sur les sentiers de contrebande dans la cordillère des Andes. Il quitte le Chili, son pays de naissance, pour l’Argentine, afin d’atteindre l’Europe et l’Union soviétique. Avec l’arrivée au pouvoir du dictateur Videla, le poète est en danger. « Videla : un fantoche qui bénéficie du soutien des États-Unis et persécute les communistes. » 

Bruno Doucey s’attache à un épisode particulier vécu par son héros des mots et des rimes, de la musique qui relie silences et fureur du monde. Il raconte à la fois l’exil et l’entraide. « Mes écrits sont une arme que redoute le pouvoir », écrit Pablo Neruda. Février 1939 : la Retirada. L’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire contemporaine. Plus de 450 000 républicains franchissent la frontière franco-espagnole après la chute de la Seconde République espagnole et la victoire du général Franco. Et se retrouvent derrière des barbelés dans les camps de Gurs, Saint-Cyprien… Il doit agir et remet à flot le Winnipeg, un cargo oublié qui devient le bateau de la solidarité internationale.

 

À Paris, Blanquer soigne sa droite



Olivier Chartrain

Le syndicalisme mène à tout. Il vient de propulser une ex-dirigeante d’un syndicat enseignant, le Snalc, à la tête de l’académie de Paris. Ancienne égérie du courant « anti-pédagogique », désormais proche de la droite souverainiste, Claire Mazeron ne fera pas tache au côté du recteur Christophe Kerrero…

On devrait toujours lire le Journal officiel. Dans celui du 27 janvier, le très vigilant site du Café pédagogique y a débusqué une info qui ne mérite pas de passer inaperçue : la nomination de Claire Mazeron comme Dasen (Directrice académique des services de l’Éducation nationale) de Paris. Claire Mazeron ? Son CV et sa trajectoire politique sont éclairants. Agrégée de géographie, un – bref – temps enseignante en ZEP à Montereau, en Seine-et-Marne, elle a surtout été secrétaire générale adjointe du Snalc (Syndicat national des lycées et collèges), souvent classé à droite même s’il s’en défend. Il avait par exemple rejeté le soutien que lui avait apporté le collectif « Racine », émanation scolaire du Front national, lors des élections professionnelles de 2014.

Claire Mazeron, une des chefs de file des « anti-pédagogistes

Claire Mazeron, elle, se signale tout au long des années 2000 comme l’une des chefs de file des « anti-pédagogistes », ce courant de pensée dont participe le Snalc et qui, emmené par l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli (« La fabrique du crétin ») ou la journaliste Natacha Polony, reproche aux méthodes pédagogiques modernes d’abandonner la transmission des connaissances, de négliger les savoirs fondamentaux et d’avoir mis l’élève au centre de l’école alors que selon eux, c’est la figure du maître qui doit y dominer. Le « pédagogisme » serait, à les entendre, responsable de la destruction de l’école. Rien moins. Bref, il s’agit d’une critique réactionnaire de l’école publique, dont on croit d’ailleurs percevoir certains échos dans les discours ministériels depuis 2017…

Une trajectoire politique plus sinueuse

Hasard ou coïncidence ? La même année, en 2010, Claire Mazeron publie « Autopsie du mammouth », pamphlet anti-pédago, et se voit nommer inspectrice pédagogique régionale (IPR). Le ministre de l’Éducation nationale de l’époque est un certain Luc Chatel et son numéro 2, le Directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco) se nomme… Jean-Michel Blanquer. Politiquement, la trajectoire est plus sinueuse : après un appel à voter Mélenchon en 2012, elle n’a cessé de pencher vers le souverainisme jusqu’à échouer du côté de Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, dont elle fut une oratrice remarquée lors du congrès de 2015. Rappelons, pour qui l’aurait oublié, que Debout la France s’était rallié au Rassemblement national au deuxième tour des présidentielles 2017.

Claire Mazeron-Christophe Kerrero, une liaison dangereuse

Claire Mazeron va donc travailler désormais au plus près du recteur de Paris, un certain Christophe Kerrero, passé directement du poste de directeur de cabinet de Jean-Michel Blanquer au rectorat de Paris en juillet 2020. Lequel Kerrero est aussi connu comme membre du « conseil scientifique » de l’Ifrap (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques), un pseudo « institut scientifique » qui est surtout, derrière les saillies médiatiques de sa tête de gondole, l’inénarrable Agnès Verdier-Molinié, une officine de propagande ultralibérale obsédée par la réduction de la dépense et des emplois publics, quelles qu’en soient les conséquences. Ces deux-là, réunis par leur mentor, semblent donc faits pour s’entendre. Il n’est pas certain en revanche que cette union, entre sévérité budgétaire et autoritarisme pédagogique, soit le gage d’un avenir riant pour les élèves et les profs parisiens.