jeudi 28 janvier 2021

Anniversaire. L’indispensable héritage d’Ambroise Croizat



Cécile Rousseau

Marion d'Allard

Cyprien Boganda

L’ancien ministre du Travail communiste, né il y a cent vingt ans, le 28 janvier 1901, fut l’un des grands artisans de notre système de Sécurité sociale. Bien qu’il ait prouvé sa robustesse face à la crise, ce dernier est toujours la cible d’attaques.

« Libérer les Français de l’angoisse du lendemain. » Cette injonction, brandie comme un credo, Ambroise Croizat (1901-1951), qui aurait eu 120 ans ce jeudi, s’est attaché à la faire vivre à travers la Sécurité sociale, édifice maintes fois attaqué mais plus que jamais d’actualité. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le ministre du Travail (1) a contribué à jeter les bases du système de protection sociale français, dans l’esprit indiqué par le Conseil national de la Résistance (CNR). Aujourd’hui, même les responsables du gouvernement se félicitent de ce « filet de protection » qui nous a aidés à amortir le choc de la crise. Ce sont pourtant les mêmes qui travaillent à son affaiblissement.

1/ L’assurance-maladie, indispensable mais attaquée

Hospitalisations, arrêts maladie, campagnes de dépistage, de vaccination… la crise sanitaire a mis à l’épreuve la branche maladie de la Sécurité sociale, et l’édifice pensé par Ambroise Croizat a tenu le choc. Mais, si notre système de protection sociale a permis d’éviter une explosion de la précarité, l’État, en choisissant de financer ses mesures d’urgence liées à la pandémie par l’alourdissement de la dette de la Sécurité sociale, « continue de poser les jalons de son démantèlement », déplore la CGT. Ainsi, de 1,5 milliard d’euros de déficit en 2019, la branche maladie de la Sécurité sociale a enregistré un déficit record de 33,7 milliards d’euros en 2020. Et les prévisions pour 2021 tablent sur un endettement de 19 milliards d’euros.

« C’est le rôle de la Sécurité sociale de prendre en charge la santé dans son ensemble, elle a été fondée sur cette base, pour éviter que la santé ne soit une marchandise », explique Murielle Pereyron, de la CGT organismes sociaux du Rhône. Pour la syndicaliste, « ce  trou » ne doit pas être vu comme n’importe quelle dette. « La Sécu est constitutionnelle, elle ne peut pas faire faillite », rappelle-t-elle. Pourtant, « ce gouvernement, que la pandémie n’a jamais fait varier de politique, va chercher à faire payer la note aux salariés et aux retraités par le biais des contributions au remboursement de la dette sociale ».

Les faits donnent d’ailleurs raison au syndicat. La loi de financement de la Sécurité sociale, votée fin 2020, en pleine crise sanitaire, prévoit 800 millions d’euros de réduction des dépenses. Une austérité menée au nom du déficit de l’assurance-maladie, qui justifie depuis des années, déremboursements, suppressions de postes, de lits d’hôpitaux et autres restrictions. Quant aux tests PCR, « une franchise médicale de 2 euros est facturée aux assurés pour chacun d’eux », relève Murielle Pereyron.

2/ L’assurance-chômage mise sous tutelle

Le gouvernement persiste et signe dans son ambition de rogner les droits des privés d’emploi. S’il promet de n’appliquer certains points de sa réforme régressive de l’assurance-chômage de 2019 qu’en cas d’éclaircie économique, les mesures les plus dangereuses comme le changement du mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) sont toujours d’actualité. Faisant fi de l’opposition farouche des syndicats, le ministre du Travail envisage un décret d’application d’ici quelques semaines.Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron poursuit au bulldozer son entreprise de reprise en main de l’Unédic. En octobre 2018, une première étape cruciale avait été franchie avec la suppression de la cotisation salariale pour financer le régime au profit de la CSG, entérinant un changement de philosophie majeur. Au fondement même de l’assurance-chômage, la gestion paritaire (syndicat et patronat) prend alors un sérieux coup dans l’aile.

Créé en 1958 sous l’impulsion du général de Gaulle, ce système était à son origine conçu pour verser un revenu de remplacement aux salariés de l’industrie et du commerce se retrouvant sans emploi. La première convention fut signée la même année par le CNPF (ancêtre du Medef) et la CGC, FO et la CFTC. La CGT, elle, aurait alors préféré que cette caisse devienne une 5e branche de la Sécurité sociale.

Soixante-deux ans plus tard, le pouvoir macroniste s’inscrit à rebours de l’histoire. Et ce n’est pas fini. Dans une étude dévoilée le 12 janvier, les économistes du Conseil d’analyse économique préconisaient même une étatisation de sa gouvernance. Pour la CGT, en ces temps de crise majeure, il serait plutôt temps « d’ouvrir l’assurance-chômage à toutes celles et tous ceux privés du droit au travail ».

3/ Le régime des retraites, rempart menacé

Ambroise Croizat n’a pas inventé le système de retraites, mais il fut l’un des grands artisans de son extension. En 1945, un million de Français seulement bénéficient d’une couverture, quand les autres se débrouillent avec leurs économies.

Le 22 mai 1946, après des mois de débats, le ministre arrive à ses fins : la loi posant le principe de la généralisation du régime à tous les travailleurs est votée. « Quand il quittera le gouvernement, en mai 1947, le montant des retraites aura augmenté de 130 %, écrit l’historien Michel Étiévent. Plus de 4 millions de Français en bénéficient. »

Depuis, le régime a été considérablement élargi, avant d’être attaqué par les gouvernements libéraux (réformes Balladur de 1993, Fillon de 2003, Woerth de 2010, etc.). Malgré la crise, le pouvoir macroniste n’a pas renoncé à sa réforme, qui vise notamment à instaurer un système par points, très inégalitaire. Avec le sempiternel argument du déficit comme justificatif : « Je suis désolé de devoir me répéter, mais nous aurons besoin d’une réforme des retraites qui rétablisse les équilibres financiers », a encore martelé le ministre Bruno Le Maire, ce mercredi.

4/ Une cinquième branche polémique

Alors que la pandémie a très durement frappé les personnes âgées, le débat autour de la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, consacrée à l’autonomie, est revenu sur le devant de la scène. Plébiscitée par le gouvernement et le patronat, l’instauration d’un 5e risque distinct révulse la CGT. Le syndicat plaide pour une prise en charge de la dépendance par la branche maladie. « En quoi les soins nécessaires aux personnes dépendantes diffèrent-ils des soins pris en charge par la branche maladie ? En rien », martèle le syndicat, qui fustige un projet taille patron. En effet, le financement de ce 5e risque serait, entre autres, assuré par l’impôt (CSG et CRDS). « Tout sauf les cotisations sociales, tout sauf le salaire socialisé ! » alerte la CGT, qui pourfend « une branche pour les personnes âgées qui ne coûte rien aux employeurs ».

5/ Pour une sécurité sociale intégrale

Reconquérir les principes fondamentaux de la Sécurité sociale, à savoir l’universalité, la solidarité, la répartition ou encore la globalisation des risques, devient urgent en cette période troublée. Comme le souligne la CGT, une protection sociale intégrale pourrait ainsi couvrir les besoins en termes de santé, de famille, de retraite, d’autonomie, mais aussi de formation professionnelle ou encore de droits au chômage. Alors que nombre de privés d’emploi se retrouvent sur le carreau, parfois sans allocation, le syndicat rappelle également qu’il défend depuis des années un nouveau statut du travail salarié. Celui-ci pourrait permettre à chaque personne tout au long de sa carrière professionnelle « de disposer d’un certain nombre de droits cumulatifs et progressifs, transférables d’une entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre, opposables à tout employeur ». Au cœur de ce nouveau statut, la Sécurité sociale professionnelle, proche de la sécurité emploi-formation théorisée par le PCF, propose de maintenir les droits les plus avantageux, notamment au chômage, lors de la transition entre deux emplois. Autant de projets ambitieux qui devraient trouver écho dans cette situation de précarité généralisée engendrée par le Covid.

(1) Ambroise Croizat fut ministre du Travail (puis ministre du Travail et de la Sécurité sociale) à plusieurs reprises : de novembre 1945 à janvier 1946 ; de janvier à décembre 1946 ; et de janvier à mai 1947.

Une « dette covid » à la charge des contribuables

Estimée à « au moins 150 milliards d’euros » par le gouvernement, la dette Covid va être transférée dans une structure dédiée, prévoit Bercy. Pour Bruno Le Maire, il s’agit de s’assurer que cette dette sera bien remboursée. L’échéancier prévoit son apurement à partir de 2033. À cette date, le « trou de la Sécurité sociale » est censé être comblé par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la Cades, dont les fonds proviennent d’une taxe, la CRDS. En somme, si le gouvernement assure que l’augmentation de la fiscalité n’est pas à l’ordre du jour, la supercherie de Bercy consiste, en réalité, à prolonger un impôt pourtant originellement limité dans le temps.

 

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