L’ancien ministre du Travail communiste, né il y a
cent vingt ans, le 28 janvier 1901, fut l’un des grands artisans de notre
système de Sécurité sociale. Bien qu’il ait prouvé sa robustesse face à la
crise, ce dernier est toujours la cible d’attaques.
« Libérer
les Français de l’angoisse du lendemain. » Cette injonction, brandie
comme un credo, Ambroise Croizat (1901-1951), qui aurait eu 120 ans ce
jeudi, s’est attaché à la faire vivre à travers la Sécurité sociale, édifice
maintes fois attaqué mais plus que jamais d’actualité. Aux lendemains de la
Seconde Guerre mondiale, le ministre du Travail (1) a contribué à jeter les
bases du système de protection sociale français, dans l’esprit indiqué par le
Conseil national de la Résistance (CNR). Aujourd’hui, même les responsables du
gouvernement se félicitent de ce « filet de protection » qui
nous a aidés à amortir le choc de la crise. Ce sont pourtant les mêmes qui
travaillent à son affaiblissement.
1/ L’assurance-maladie, indispensable mais attaquée
Hospitalisations, arrêts maladie,
campagnes de dépistage, de vaccination… la crise sanitaire a mis à l’épreuve la
branche maladie de la Sécurité sociale, et l’édifice pensé par Ambroise Croizat
a tenu le choc. Mais, si notre système de protection sociale a permis
d’éviter une explosion de la précarité, l’État, en choisissant de financer ses
mesures d’urgence liées à la pandémie par l’alourdissement de la dette de la
Sécurité sociale, « continue de poser les jalons de son
démantèlement », déplore la CGT. Ainsi, de 1,5 milliard d’euros
de déficit en 2019, la branche maladie de la Sécurité sociale a enregistré un
déficit record de 33,7 milliards d’euros en 2020. Et les prévisions pour
2021 tablent sur un endettement de 19 milliards d’euros.
« C’est le rôle de la Sécurité sociale de
prendre en charge la santé dans son ensemble, elle a été fondée sur cette base,
pour éviter que la santé ne soit une marchandise », explique Murielle Pereyron, de la CGT organismes
sociaux du Rhône. Pour la syndicaliste, « ce trou » ne doit
pas être vu comme n’importe quelle dette. « La Sécu est
constitutionnelle, elle ne peut pas faire faillite », rappelle-t-elle.
Pourtant, « ce gouvernement, que la pandémie n’a jamais fait varier de
politique, va chercher à faire payer la note aux salariés et aux retraités par
le biais des contributions au remboursement de la dette sociale ».
Les faits donnent d’ailleurs raison au
syndicat. La loi de financement de la Sécurité sociale, votée fin 2020, en
pleine crise sanitaire, prévoit 800 millions d’euros de réduction des
dépenses. Une austérité menée au nom du déficit de l’assurance-maladie, qui
justifie depuis des années, déremboursements, suppressions de postes, de lits
d’hôpitaux et autres restrictions. Quant aux tests PCR, « une franchise
médicale de 2 euros est facturée aux assurés pour chacun d’eux », relève
Murielle Pereyron.
2/ L’assurance-chômage mise sous tutelle
Le gouvernement persiste et signe dans son
ambition de rogner les droits des privés d’emploi. S’il promet de n’appliquer
certains points de sa réforme régressive de l’assurance-chômage de 2019 qu’en
cas d’éclaircie économique, les mesures les plus dangereuses comme le
changement du mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) sont
toujours d’actualité. Faisant fi de l’opposition farouche des syndicats, le
ministre du Travail envisage un décret d’application d’ici quelques
semaines.Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron poursuit au bulldozer
son entreprise de reprise en main de l’Unédic. En octobre 2018, une première
étape cruciale avait été franchie avec la suppression de la cotisation
salariale pour financer le régime au profit de la CSG, entérinant un changement
de philosophie majeur. Au fondement même de l’assurance-chômage, la gestion
paritaire (syndicat et patronat) prend alors un sérieux coup dans l’aile.
Créé en 1958 sous l’impulsion du général
de Gaulle, ce système était à son origine conçu pour verser un revenu de
remplacement aux salariés de l’industrie et du commerce se retrouvant sans
emploi. La première convention fut signée la même année par le CNPF (ancêtre du
Medef) et la CGC, FO et la CFTC. La CGT, elle, aurait alors préféré que cette
caisse devienne une 5e branche de la Sécurité sociale.
Soixante-deux ans plus tard, le pouvoir
macroniste s’inscrit à rebours de l’histoire. Et ce n’est pas fini. Dans une
étude dévoilée le 12 janvier, les économistes du Conseil d’analyse
économique préconisaient même une étatisation de sa gouvernance. Pour la CGT,
en ces temps de crise majeure, il serait plutôt temps « d’ouvrir
l’assurance-chômage à toutes celles et tous ceux privés du droit au travail ».
3/ Le régime des retraites, rempart menacé
Ambroise Croizat n’a pas inventé le
système de retraites, mais il fut l’un des grands artisans de son extension. En
1945, un million de Français seulement bénéficient d’une couverture, quand les
autres se débrouillent avec leurs économies.
Le 22 mai 1946, après des mois de
débats, le ministre arrive à ses fins : la loi posant le principe de la
généralisation du régime à tous les travailleurs est votée. « Quand il
quittera le gouvernement, en mai 1947, le montant des retraites aura augmenté
de 130 %, écrit l’historien Michel Étiévent. Plus de
4 millions de Français en bénéficient. »
Depuis, le régime a été considérablement
élargi, avant d’être attaqué par les gouvernements libéraux (réformes Balladur
de 1993, Fillon de 2003, Woerth de 2010, etc.). Malgré la crise, le
pouvoir macroniste n’a pas renoncé à sa réforme, qui vise notamment à instaurer
un système par points, très inégalitaire. Avec le sempiternel argument du
déficit comme justificatif : « Je suis désolé de devoir me répéter,
mais nous aurons besoin d’une réforme des retraites qui rétablisse les
équilibres financiers », a encore martelé le ministre Bruno Le Maire,
ce mercredi.
4/ Une cinquième branche polémique
Alors que la pandémie a très durement
frappé les personnes âgées, le débat autour de la création d’une cinquième
branche de la Sécurité sociale, consacrée à l’autonomie, est revenu sur le
devant de la scène. Plébiscitée par le gouvernement et le patronat,
l’instauration d’un 5e risque distinct révulse la CGT. Le syndicat plaide pour
une prise en charge de la dépendance par la branche maladie. « En quoi
les soins nécessaires aux personnes dépendantes diffèrent-ils des soins pris en
charge par la branche maladie ? En rien », martèle le
syndicat, qui fustige un projet taille patron. En effet, le financement de
ce 5e risque serait, entre autres, assuré par l’impôt (CSG et CRDS). « Tout
sauf les cotisations sociales, tout sauf le salaire socialisé ! » alerte
la CGT, qui pourfend « une branche pour les personnes âgées qui ne
coûte rien aux employeurs ».
5/ Pour une sécurité sociale intégrale
Reconquérir les principes fondamentaux de
la Sécurité sociale, à savoir l’universalité, la solidarité, la répartition ou
encore la globalisation des risques, devient urgent en cette période troublée.
Comme le souligne la CGT, une protection sociale intégrale pourrait ainsi
couvrir les besoins en termes de santé, de famille, de retraite, d’autonomie,
mais aussi de formation professionnelle ou encore de droits au chômage. Alors
que nombre de privés d’emploi se retrouvent sur le carreau, parfois sans
allocation, le syndicat rappelle également qu’il défend depuis des années un
nouveau statut du travail salarié. Celui-ci pourrait permettre à chaque
personne tout au long de sa carrière professionnelle « de disposer d’un
certain nombre de droits cumulatifs et progressifs, transférables d’une
entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre, opposables à tout
employeur ». Au cœur de ce nouveau statut, la Sécurité sociale
professionnelle, proche de la sécurité emploi-formation théorisée par le PCF,
propose de maintenir les droits les plus avantageux, notamment au chômage, lors
de la transition entre deux emplois. Autant de projets ambitieux qui devraient
trouver écho dans cette situation de précarité généralisée engendrée par le
Covid.
(1) Ambroise Croizat fut ministre du
Travail (puis ministre du Travail et de la Sécurité sociale) à plusieurs
reprises : de novembre 1945 à janvier 1946 ; de janvier à décembre 1946 ; et de
janvier à mai 1947.
Une « dette covid » à la charge des contribuables
Estimée
à « au moins 150 milliards d’euros » par le gouvernement, la dette Covid
va être transférée dans une structure dédiée, prévoit Bercy. Pour Bruno Le
Maire, il s’agit de s’assurer que cette dette sera bien remboursée.
L’échéancier prévoit son apurement à partir de 2033. À cette date, le « trou de
la Sécurité sociale » est censé être comblé par la Caisse d’amortissement de la
dette sociale, la Cades, dont les fonds proviennent d’une taxe, la CRDS. En
somme, si le gouvernement assure que l’augmentation de la fiscalité n’est pas à
l’ordre du jour, la supercherie de Bercy consiste, en réalité, à prolonger un
impôt pourtant originellement limité dans le temps.
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