vendredi 31 décembre 2021

« 2022, année de solidarité et de luttes », l’éditorial de Fabien Gay dans l’Humanité.



À l’aube d’une nouvelle année, avec toutes les équipes de l’Humanité, nous présentons à chacune et chacun d’entre vous nos meilleurs vœux. L’an dernier à la même époque, nous espérions toutes et tous que ce maudit virus n’allait être qu’un mauvais souvenir. Il n’en fut rien, et nos vies en sont encore durement affectées. Nos pensées solidaires et fraternelles entourent celles et ceux qui ont été touchés, comme les familles qui ont perdu un proche, en France comme partout dans le monde. L’urgence est de donner les moyens aux travailleurs et travailleuses de première ligne, dont le personnel hospitalier, d’affronter cette nouvelle vague en rouvrant les milliers de lits fermés pendant ce quinquennat et en lançant un grand plan de recrutement et de formation pour soigner l’hôpital public dans les prochaines années.

Si la majorité des peuples paie un lourd tribut à cette crise aux effets multidimensionnels, sanitaire bien sûr, mais également social et économique, ce n’est pas le cas des grandes entreprises du numérique ou pharmaceutiques ni celui de leurs actionnaires, qui amassent des profits gigantesques. Alors que près de la moitié de la planète est très mal vaccinée ou n’a pas accès aux vaccins, il est urgent de lever les brevets sur ces vaccins pour en faire un bien commun de l’Humanité et aider à la production sur tous les continents.

L’année qui s’ouvre est décisive pour le monde du travail, la jeunesse et nos aînés. Alors que le débat politique et citoyen devrait porter sur des enjeux d’avenir, des solutions concrètes pour résoudre la crise climatique, la construction d’un nouveau projet démocratique dans une république qui s’essouffle, d’une autre répartition des richesses en augmentant les salaires et les pensions de retraite pour vivre dignement de son travail, les forces de droite et d’extrême droite verrouillent le débat dans une féroce bataille idéologique autour des thématiques les plus rances. En plus d’instiller le poison du racisme dans la société et donc de diviser, cette stratégie leur permet d’avancer masqués sur le reste : en finir avec le modèle social français, la Sécurité sociale, nous faire travailler au-delà de l’espérance de vie en bonne santé.

À cela nous ne devons pas, nous ne pouvons pas nous résigner. Nous porterons et soutiendrons tous les combats de solidarité, de fraternité, de liberté, d’antiracisme, de féminisme, d’écologie, de justice sociale, de paix et de désarmement. Pour toutes ces raisons, l’Humanité se renouvelle au mois de janvier. Tout d’abord, le 20 janvier, vous découvrirez l’Humanité Magazine, qui succédera à l’Humanité Dimanche. Le 24 janvier, ce sera au tour de la nouvelle version de l’Humanité quotidienne. Enfin, le 26 janvier, vous pourrez vous rendre sur notre nouvelle plateforme numérique. De nouvelles formes au plus près des luttes que nous menons et des enjeux auxquels nous devons faire face.

 

jeudi 30 décembre 2021

Disparition de Sabine Weiss, photographe humaniste



MAGALI JAUFFRET 

La photographe s’est éteinte mercredi. Figure majeure de cet art, elle était l’ultime représentante de ce courant d’après-guerre qui privilégiait l’humain. Elle avait été fêtée, cet été, aux dernières Rencontres d’Arles.

Elle avait 97 ans et avait très envie d’arriver à ses 100 ans. Elle était devenue très fragile. Ces derniers temps, elle ne reprenait souvent son souffle que grâce à l’oxygène. Sabine Weiss, qui incarnait avec verve et esprit, le fameux mouvement photographique humaniste qui enchanta Paris après-guerre, est décédée mercredi à Paris. Elle avait survécu à ses collègues Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat, Izis…

Les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, qui lui avaient organisé une belle rétrospective, l’avaient fêtée sur la scène du théâtre antique, en juillet. La semaine passée, elle était encore à Deauville pour découvrir les expositions du festival Planches Contact. Elle aura goûté jusqu’à son dernier souffle succès et reconnaissance du public.

 

Née à Saint-Gingolph, en Suisse, le 23 juillet 1924, (elle sera naturalisée française en 1995), la petite Sabine Weber, dont le père, chimiste, fabrique des perles artificielles, n’aime pas trop les études, ne finit pas le lycée, s’achète un premier petit appareil photo avec son argent de poche, à une époque où cela ne se faisait guère, et décide, dès 17 ans, de devenir photographe. Une vocation, donc !

Trois ans durant, elle apprend la chimie au sein du studio de la famille Boissonnas, à Genève. Lavages, glaçages, tirages, retouches n’ont bientôt plus de secret pour elle. Encore lui faut-il acquérir un œil, une vision, un point de vue, ce à quoi sa famille, qui aime l’art, l’a formée en lui montrant des livres, en l’emmenant dans des expositions.

Quand Paris s’offrait à elle

En 1945, sans se douter de tout ce qui couve artistiquement dans la photographie, elle se sent d’ouvrir son propre studio et, un an plus tard, s’installe à Paris où elle devient l’assistante de Willy Maywald, photographe de mode et de portrait. Excellente formation ! D’autant que le reste du temps, le Paris des surréalistes, « sans télévision et sans droit à l’image » qui a une grande soif de vivre après la guerre, s’offre à elle comme un spectacle. Tout fait image à son regard : les marchés aux puces, les faubourgs, les bars et même les terrains vagues. Déjà, elle montre une grande attirance pour la nuit, les contrastes de lumière.

La voilà bientôt qui reçoit des commandes des grands magasins. Ainsi, photographie-t-elle les changements de décor des vitrines du grand magasin le Printemps pendant des années. C’est l’époque où cette profession est très sollicitée par la publicité et gagne correctement sa vie grâce, aussi, à l’essor de la presse illustrée. Elle apprend également beaucoup de la mode, s’essaie à la couleur. Et lorsqu’elle rentre chez elle le soir, du côté de la porte de Saint-Cloud, elle fait le grand écart (« je passais de la mode à la morgue », disait-elle), en cadrant des enfants infortunés, gitans et autres poulbots qui peuplent les terrains vagues et bidonvilles d’alors. Photographier les enfants, leurs jeux, leurs rites ou leur gravité, restera l’une de ses passions. Elle y reviendra avec talent toute sa vie. Et le grand public la connaît pour ses instantanés d’enfants jouant, par exemple, au cheval…

 

« Abstention, piège à cons », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



« La démocratie, c’est ce qu’il reste de la République quand la lumière s’éteint », assure le philosophe ­Régis Debray. À quatre mois d’une échéance électorale décisive, nous continuons d’observer le corps social en parodie, à l’agonie, qui insiste et s’acharne à nous inquiéter. Le tertre piétiné de la citoyenneté est là, sous nos yeux, et nous ne savons ce qu’il adviendra de la présidentielle, sans parler des législatives, deux rendez-vous hantés par le pire des spectres : celui de l’abstention.

Les derniers scrutins ont sonné l’alarme. La désertion des urnes lors des régionales et des départementales, en juin, a atteint un record historique sous la Ve République (hors référendum). L’abstention reste le premier « parti » de France, singulièrement dans les classes populaires et chez les jeunes, lesquels ont boudé à 90 %… Depuis, impossible de ne pas échapper à un débat, une tribune, des enquêtes et des chiffres annonciateurs de catastrophes. Des taux de participation aussi faibles et récurrents laissent à penser que notre démocratie – très malade – bascule peu à peu dans ce que nous pourrions nommer une « République de l’abstention », aux conséquences désastreuses.

Abstention, piège à cons ! Car ne pas voter, à l’évidence, signifie soit nourrir le système libéral, soit créditer les extrêmes droites qui profitent du confusionnisme ambiant et de la crise des institutions, littéralement à bout de souffle. La monarchie républicaine a non seulement organisé l’irresponsabilité des dirigeants en leur octroyant le pouvoir suprême de mettre en péril nos biens communs, mais elle a également écarté les citoyens du processus de décision politique. La confiance semble rompue, expliquant en grande partie l’accélération du désenchantement du bulletin de vote au risque d’un séparatisme civique de grande ampleur.

Rien n’est pourtant écrit, ni fatal. À condition de retrouver le chemin du développement démocratique – une VIe République – à partir des réelles préoccupations des Français et des valeurs collectives de justice et d’émancipation. Les penseurs progressistes, les syndicats et les forces de gauche prônant les Jours heureux ont un énorme rôle à jouer pour éviter le pire, alors qu’un dispositif politique pensé en haut lieu est mis en place pour sauver le capitalisme financier et empêcher toute alternative de transformation sociale.

mercredi 29 décembre 2021

« Passe-passe », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Cohérence et protection ne sont décidément pas les maîtres mots du premier ministre et du président de la République. Eux préfèrent équilibrisme et élections. Autrement, comment comprendre les annonces de Jean Castex ? On peut prendre le métro pour aller travailler, mais un jour sur deux. On doit s’asseoir dans les cafés, mais pas dans les bus… Et, cerise sur le gâteau, pas d’obligation vaccinale, mais un passe vaccinal sans lequel rien n’est plus possible. L’exécutif joue les funambules en pariant que la dangerosité d’Omicron restera au niveau actuel. Dans la dernière ligne droite avant la présidentielle, le locataire de l’Élysée est bien décidé à ne prendre aucune mesure qui puisse le rendre trop impopulaire. Reste que la situation sanitaire l’obligera peut-être à passer à la vitesse supérieure dans quelques semaines.

Ces fêtes sous Omicron montrent que le vrai problème est de nature structurelle. Malgré les promesses du Ségur, en pleine pandémie, des milliers de lits d’hôpitaux ont été fermés. La revalorisation des métiers de santé se fait toujours attendre. Les démissions en cascade compliquent encore la situation. Au point qu’il est presque devenu banal que des soins soient repoussés faute de lits ou de bras. La logique comptable, à l’œuvre depuis des années, qui se traduit par les fermetures de « petits » hôpitaux ou de services, a fragilisé l’ensemble du système de soins. Dans la même logique, le démantèlement de la médecine scolaire prive la collectivité de la capacité de tester massivement les enfants dans les écoles. Et peut-être bientôt de les faire vacciner dans le milieu scolaire pour désengorger les centres de vaccination qui manquent déjà de bras alors qu’une possible 4e dose se profile.

Le Covid est un terrible révélateur de l’inanité du néolibéralisme tant sur le plan économique qu’idéologique. Là où l’on promouvait la seule responsabilité individuelle, où l’on divisait la société entre « ceux qui réussissent » et « ceux qui ne sont rien », où seul comptait la liberté des forts, la crise sanitaire démontre que les sociétés humaines ont besoin de collectif, de solidarité et de services publics.

 

Droits des femmes. Retour sur une année de mobilisations féministes



Kareen Janselme

Une nouvelle loi sur l’inceste et le seuil de consentement, le 3919 sauvé, la PMA acquise pour toutes les femmes : 2021 a permis quelques avancées, mais, faute de volonté politique, le chemin est encore long pour obtenir l’égalité.

Livres chocs, manifestations et nouvelles lois : un tournant s’amorce dans la compréhension des rapports de domination et la prise en charge des violences sexistes et sexuelles. Mais les structures et les lois avancent moins vite que la société.

1/ Convergence des luttes sexistes et sexuelles

L’année n’a pas débuté en douceur. Sous le mot-clé #MeTooInceste, sur les réseaux sociaux, l’avalanche de témoignages dénonçant un père, un oncle, une mère, un grand-père auteurs d’agressions ou de violences sexuelles aura sidéré dès les premiers jours de janvier. Et, toute l’année, de nouveaux scandales, de nouvelles paroles, de nouveaux aveux sont venus noircir nos journaux et la Toile. N’épargnant aucun secteur ni milieu, des collectifs naissaient chaque jour. « Nous nous sommes retrouvées un soir réunies par notre colère », raconte Céline Langlois, du collectif #MeTooThéâtre, né en octobre. Derniers en date : #MeTooMédias et #MeTooPolitique, cristallisés autour des accusations d’agressions sexuelles contre des hommes de pouvoir comme Nicolas Hulot et Patrick Poivre d’Arvor. Le 11 décembre, un collectif agrégeant #MusicToo, #MeTooMédias, #MeTooPolitique, #MeTooInceste, #MeTooVin, #PayeTonTournage, #MeTooGay et bien d’autres interpellait le président de la République, qui s’était vanté de faire de la lutte contre les violences sexuelles une grande cause nationale. Alors que cinq ans ont passé et qu’une nouvelle campagne présidentielle commence, les « #MeToo réunis interpellent les candidat.e.s et leur posent une simple question : qu’allez-vous faire pour que les hommes cessent de harceler, d’agresser et de violer ? ».

Cette demande accompagnait déjà les marches du 20 novembre, organisées pour la troisième année par le collectif #NousToutes. « Des manifestations féministes d’une ampleur inédite en France, joyeuses et déterminées », résumait la fondatrice du collectif Caroline De Haas, avant de tirer sa révérence, laissant la « main à une nouvelle génération ». Sur les pancartes, partout en France, les militantes rappelaient que, chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violence, et que seules 18 % portent plainte. Et 73 % de ces démarches sont classées sans suite. À quatre mois des élections, les associations féministes attendent toujours des moyens, des propositions claires et engageantes des candidats.

2/ Des outils obtenus grâce à la solidarité

« Les équipes du 3919 ont un savoir-faire précieux et une démarche militante à sauvegarder, car ce n’est pas un simple accueil administratif », insistait en début d’année Éric Bocquet, corapporteur pour la commission des Finances d’une analyse sévère des mesures mises en place par le gouvernement contre les violences conjugales. Le sénateur communiste, qui avait auditionné Solidarité femmes, l’association créatrice de la ligne d’écoute, s’inquiétait de voir son rôle évincé par un autre organisme à la suite d’un appel d’offres surprise de l’exécutif. Finalement, la mobilisation des associations féministes a payé. Le 3919 est toujours géré par les militantes de Solidarité femmes et 73 associations satellites. Et, depuis le 30 août, cette ligne est enfin disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Malgré cela, en 2021, Chahinez, 31 ans, était tuée par balles et immolée en pleine rue à Mérignac par son ex-mari. Stéphanie, 22 ans, était poignardée par son compagnon à Hayange. Comme Païta, Valérie, Bouchra, Irène… « 1 700 femmes actuellement bénéficient d’un téléphone grave danger, il faut changer de braquet et porter ce nombre à 5 000, dès qu’il y a tentative d’homicide. On peut être très réactif et le téléphone peut être donné dans la journée même », réagissait en mai Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, à l’origine de ce dispositif préventif en France. Le 9 juin, à la suite de deux rapports sur les féminicides, le gouvernement annonce le contrôle des acquisitions et détentions d’armes, la création d’un fichier des auteurs de violences conjugales, le renforcement du recours aux bracelets antirapprochement. Pourtant, cet automne encore, seuls 245 bracelets étaient activés. Les décisions sont lentes, les besoins immenses. Comme le dénonçait Anne-Cécile Mailfert, de la Fondation des femmes, en novembre : « Plus de 20 000 femmes auraient besoin d’un hébergement d’urgence pour pouvoir quitter leur domicile, mais les demandes ne sont pas pourvues pour plus d’un tiers des femmes avec enfant et la moitié des femmes sans enfant. »

Le 22 décembre, le recensement du groupe Féminicides par compagnons ou ex comptait 110 femmes décédées durant l’année 2021. Un triste écho aux 111 noms de victimes de l’année précédente affichés dans les rues de Paris par le collectif Collages féminicides il y a moins d’un an.

3/ Inceste : d’un livre à la loi

Le livre choc, difficile mais nécessaire, la Famila grande de Camille Kouchner ouvrait une nouvelle séquence alors que s’ouvrait l’année 2021. L’autrice évoquait pour la première fois publiquement l’inceste sur son frère de son beau-père, Olivier Duhamel, politologue reconnu. Le 14 janvier retentissait un nouveau hashtag sur la Toile : #MeTooInceste Des milliers de personnes racontaient leur histoire, souvent tue depuis des années. Le 21 avril, la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels créait de nouvelles infractions sexuelles, dont l’inceste. « Aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans, ou moins de 18 ans en cas d’inceste. » Jusqu’ici, l’inceste était considéré comme une circonstance aggravante de viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles, et non un crime en soi.

Mais ce n’est qu’un début. Après deux ans et demi de travaux, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église rendait à son tour un document accablant le 5 octobre 2021. Le rapport Sauvé dénombrait 330 000 victimes de l’institution religieuse depuis soixante-dix ans. La commission effectuait 22 signalements à la justice. De son côté, la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) entamait un tour de France pour recueillir la parole. « En réalité, les enfants ont toujours parlé, assure le juge Durand, pilote de la Ciivise, mais ils n’ont pas été écoutés, compris, respectés. Aujourd’hui, leur parole nous oblige. » Sa mission doit se poursuivre jusqu’en 2023, mais, contre toute attente, la commission a déjà émis des recommandations, comme la suspension de l’autorité parentale de la personne poursuivie, son retrait systématique en cas de condamnation et la levée des poursuites pénales du parent protecteur pour « non-représentation d’enfant » lors d’une ouverture d’enquête à l’encontre de l’autre parent pour inceste.

4/ Mon corps, mon choix, ma PMA

L’histoire est à rebondissements et la loi enfin acquise. Promise en 2016 par le candidat François Hollande, puis par Emmanuel Macron en 2017, il a fallu attendre le 2 août 2021 pour que la loi relative à la bioéthique élargisse la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Un nouveau mode de filiation est mis en place pour les enfants nés par PMA d’un couple lesbien. C’était aussi l’une des revendications phares de la marche lesbienne qui a réuni 10 000 personnes à Paris le 25 avril, du jamais-vu depuis les années 1980.

Un mois auparavant, le congé second parent (pour le père et désormais la deuxième mère) était allongé de quatorze à vingt-huit jours. Mais pour l’instant seule la première semaine peut être imposée à l’employeur et l’ensemble doit être pris dans les six premiers mois de la naissance. De fait, les plus précaires restent privés de ce droit, car, si 80 % des seconds parents en CDI et 9 fonctionnaires sur 10 prennent leur congé parental, les contractuels le déclenchent une fois sur deux. Quant aux demandeurs d’emploi, seuls 13 % se le permettent. Cet allongement n’est qu’une « demi-mesure » pour le collectif PAF (Pour une parentalité féministe), qui revendique « un congé paternité du second parent égal à celui du congé maternité » pour rétablir l’équilibre des tâches parentales et domestiques au sein du couple.

À nouveau le gouvernement s’est arrêté à la moitié du chemin concernant la contraception. Au 1er janvier 2022, elle sera gratuite jusqu’à 25 ans, et non plus seulement jusqu’à 18 ans. Mais « pourquoi pas de remboursement des patchs et des anneaux, deux dispositifs hormonaux qui ne sont pas remboursés par l’assurance-maladie ? » interroge le Planning familial, qui s’inquiète que cela entraîne un nouveau frein à leur accès.

5/ Vers l’égalité économique et professionnelle ?

Emmanuel Macron évoquait l’égalité professionnelle comme prioritaire en début d’exercice… Il ne restait plus que quelques mois pour agir. La timide proposition de loi pour « une égalité économique et professionnelle réelle » a été définitivement adoptée le 16 décembre. Elle impose un quota d’au moins 30 % de femmes en 2027 parmi les cadres dirigeants dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés. Les établissements supérieurs devront calculer un « index de l’égalité » à l’image de celui rendu obligatoire aux entreprises, quand les jurys d’admission aux grandes écoles devront être plus mixtes. Pour prévenir les violences économiques au sein du couple, la loi prévoit l’obligation de verser le salaire et les prestations sociales individuelles sur un compte bancaire dont le salarié est le détenteur ou le codétenteur. Les familles monoparentales seront favorisées pour obtenir une place en crèche. Pour Laurence Cohen, sénatrice du groupe CRCE, qui s’est abstenu de voter, le titre de la loi est « trompeur » et peu ambitieux : « Les entreprises de moins de dix salariés représentent 96 % du nombre total ; celles de plus de mille salariés moins de 1 %. » La sénatrice ne soutient pas cette loi muette sur la place des hauts cadres femmes dans la fonction publique, son index égalité flou… « Ce texte est un tout petit pas, principalement au profit des classes très favorisées, à l’image de ce quinquennat… » a-t-elle expliqué devant les parlementaires. Un constat que confirme le refus de déconjugaliser l’allocation aux adultes handicapés une nouvelle fois cette année. Pourtant, 34 % des femmes en situation de handicap sont victimes chaque année de violence de la part de leur conjoint. Mais en continuant d’intégrer le revenu du compagnon dans le calcul de l’allocation, le gouvernement choisit d’exposer davantage ces personnes à une dépendance et une vulnérabilité économiques. Malgré la pandémie, malgré les odes aux premières de corvée, l’année 2021 n’a pas été propice à des mesures plus égalitaires pour les précaires.

Malgré les déconvenues, sans relâche, les femmes sont mobilisées, unies et solidaires pour obtenir, de haute lutte, quelques conquêtes.

 

mardi 28 décembre 2021

« Si nous nous taisons, qui parlera ? », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



C’est un poison à diffusion lente, aux effets funestes. Le négationnisme restait circonscrit aux salons feutrés de l’extrême droite française, s’offrant de temps à autre d’infâmes vitrines, entre profanations et autre « détail » de Le Pen. Puis il y eut le succès des spectacles du clown triste Dieudonné, passé du rire à la nausée, et, plus pernicieux, la messe médiatique du samedi soir où deux révisionnistes notoires (les dessins antisémites de Yann Moix ont été révélés en 2019) ont eu leur rond de serviette sur une chaîne du service public. Ajoutez à cela une bonne dose de confusionnisme, et voilà un candidat à la présidentielle qui affirme tranquillement que « Pétain a sauvé des juifs », que l’ « on ne saura jamais » si le capitaine Dreyfus était innocent, et choisit le neveu du négationniste Robert Faurisson comme conseiller de campagne.

« Anecdotique », « marginal », nous rétorquait-on, quand, à juste titre, notre journal s’indignait de la montée en puissance de ces faussaires de l’histoire.

Certes, quelques responsables politiques et historiens, sont montés au créneau et certains médias ont fait leur travail. Mais, face à ces horreurs, un sentiment d’impuissance – ou d’indifférence ? – gagne une grande partie des citoyens. Entre l’ignorance (en 2018, un Français sur dix affirmait n’avoir jamais entendu parler du génocide des juifs, selon un sondage Ifop) et l’ironie (l’usage intempestif du concept de « point Godwin » serait finalement devenu un moyen de disqualifier la dénonciation de l’antisémitisme), le négationnisme, doucement mais sûrement, se fraye un chemin au moment même où les derniers témoins des camps d’extermination disparaissent. Quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle, l’écho dont bénéficient aujourd’hui les inepties d’Éric Zemmour laissera des traces.

Le négationnisme à ciel ouvert, tel un canari dans la mine, est un avertissement de grands dangers. « Si notre témoignage vient à manquer, dans un avenir tout proche, les récits de la bestialité nazie pourront être relégués au rang des légendes, tant ils sont énormes », écrivait Primo Levi en 1955. « Si nous nous taisons, qui parlera ? »

 

lundi 27 décembre 2021

« Panique », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



En politique peut-être plus qu’en tout autre domaine, la peur n’est jamais bonne conseillère. Face à la vague Omicron, le Conseil des ministres extraordinaire convoqué ce lundi aurait intérêt à ne pas céder à la panique s’il ne veut pas qu’elle gagne le pays, et à se garder de toute mesure qui viendrait augmenter une tension déjà palpable. Le risque est là, et la porte étroite entre, d’un côté, la nécessaire adaptation de nos règles sanitaires au nouveau variant et, de l’autre, la sauvegarde d’une cohésion sociale mise à mal par deux ans de pandémie qui ont aggravé toutes les fractures.

La transformation du passe sanitaire en passe vaccinal cristallise les appréhensions. Si l’accroissement du nombre de vaccinés, reconnu comme meilleur bouclier à ce jour face au virus, fait l’objet d’un large consensus, le moyen divise toujours. Celui-ci présente tous les inconvénients de l’obligation vaccinale – qui ne peut se substituer à l’appel aux intelligences – sans les avantages que procurerait une telle mesure assumée clairement par le gouvernement – le même devoir pour tous, de préférence à la citoyenneté à deux vitesses instaurée avec le passe sanitaire.

En attendant, le passe, sanitaire ou vaccinal, permet surtout à l’État, d’esquiver ses propres responsabilités en termes d’accès égal pour tous à la vaccination, et de mobilisation pour convaincre les réfractaires. Et ce n’est pas le semblant de discussion parlementaire, où l’urgence se confond avec la précipitation, qui permettra d’aller au bout de ce débat. Espérons au moins que le gouvernement ne se défausse pas sur un amendement opportun pour faire revenir par la fenêtre ce que les syndicats ont fait sortir par la porte : l’obligation du passe en entreprise. On parle de conjurer la paralysie du pays par Omicron, quitte à permettre aux cas contacts de revenir travailler, ce qui, au passage, est pour le moins discutable sur le plan sanitaire. Sur ce sujet comme sur d’autres, aller contre les syndicats serait le plus sûr moyen de foncer dans le mur.

 

vendredi 24 décembre 2021

« Démocratie et rémunération du travail », billet de Patrick Le Hyaric.



L’engagement de millions de travailleuses et travailleurs en première ligne depuis presque deux ans pour faire marcher la société ne se paye pas de mots. Voilà pourquoi le récent semblant de mea-culpa du président de La République adressé aux salariés ne leur suffira pas. Il leur faut des actes immédiats de reconnaissance. C’est la seule preuve qui attesterait de la sincérité des propos du télé- candidat-président.

Alors que les prix, notamment ceux de l’énergie, flambent, l’augmentation du salaire minimum accordée par le pouvoir pour janvier sera cosmétique.
Celles et ceux que l’on a élevés au rang de « héros », depuis des mois et des mois, ne voient toujours rien venir qui améliorerait leur quotidien, alors qu’ils assistent, sur les écrans, à un incessant défilé de ministres vantant « la reprise » et « la bonne santé de l’économie ».

Tous ces ouvriers, employés, agents d’entretien, chauffeurs, caissières, aides à domicile, ouvriers agricoles ainsi que les petits paysans, les artisans bouchers, boulangers, et aussi les travailleurs de la manutention, de la logistique, des industries agro-alimentaires, du bâtiment et des travaux publics, les soignantes et soignants, dont les horaires sont les plus flexibles, sont aussi celles et ceux qui sont les plus mal rémunérés alors qu’on le sait, on le clame, ils sont indispensables à la bonne marche du pays.  

Pour les reconnaître comme des « héros », le gouvernement doit d’une part augmenter le smic et les bas salaires pour aller vers 300 euros de mieux, et de l’autre mettre tout son poids dans la balance pour obtenir des employeurs des augmentations de salaires.

Les nombreux salariés qui sont entrés en action depuis quelques semaines pour leurs salaires ont raison et Ils commencent à faire bouger la donne.

À la question de l’augmentation des rémunérations, se posent dans toutes les sociétés capitalistes, avec plus de force depuis la pandémie, les enjeux de la finalité du travail, du lien entre conditions de travail et santé. Et plus largement, celles du sens du travail, de son utilité pour la collectivité, de son rôle pour réussir la transition environnementale et son inscription dans un projet d’avenir durable pour toutes et tous.

En effet, la crise de sens du travail et l’aggravation de ses conditions d’exercice conduisent aujourd’hui des salariés de diverses disciplines, des soignants, des enseignants, des aides à domicile, des employés dans la restauration ou le nettoyage à démissionner.

Ce sont toujours des actes individuels réfléchis. Mais, devons-nous nous interroger. Ne serait-il pas  plus efficace d’organiser un mouvement collectif pour changer les conditions de travail, pour intervenir sur le sens de la production et des services dans le cadre de débats dans l’entreprise ou la filière.

Les soignants n’en peuvent plus d’exercer leur si noble fonction dans un hôpital au bord de l’effondrement.

Les soignants n’en peuvent plus d’exercer leur si noble fonction dans un hôpital au bord de l’effondrement. Les professions de justice, jusqu’aux magistrats, refusent que la justice tombe en lambeaux et que les justiciables soient si mal traités.
Les paysans asphyxiés s’interrogent de plus en plus sur le sens d’un métier visant à nourrir les hommes et à valoriser la nature et les paysages, qui ne leur permet pas de vivre décemment. Les enseignants passionnés par la transmission des savoirs ne supportent plus d’être si mal traités.

Au nom d’une éthique humaniste et écologique, des jeunes refusent de travailler au sein de multinationales qui ne respectent ni le travail ni l’environnement pour s’engager dans la concurrence effrénée qui sur toute la planète réduit toujours plus les droits sociaux et démocratiques. Le malaise se perçoit jusqu’aux directions des ressources humaines de grandes entreprises.
Ce qui pointe est la volonté des salariés, des cadres, des chercheurs, des créateurs d’être maîtres de leur travail aujourd’hui sous la domination du capital.

Ils revendiquent de pouvoir dire leur mot dans son organisation, la définition de ses finalités et sont convaincus qu’il en serait infiniment plus efficace, plus respectueux des hommes et de la nature.

Ils ne demandent pas de nouveaux comités Théodule ou, pour noyer le poisson, l’organisation de pseudo-participations. Ce qu’ils veulent, ce sont de vrais pouvoirs d’intervention sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation des activités.
Bref, la démocratie doit entrer par la grande porte à l’entreprise. Cela commence par des nouveaux droits très concrets: l’augmentation des rémunérations; la diminution du temps de travail, que permet en réalité l'augmentation de la productivité; un véritable droit à la formation tout au long de la vie. Cela demande d'engager des processus transformateurs pour une sécurité sociale professionnelle, des pouvoirs nouveaux des salariés sur les stratégies des entreprises et des services Cet ensemble de nouveaux droits et pouvoirs à conquérir constitue un tout qui permettrait un véritable bond en avant progressiste.
Un tel renouveau démocratique et social irait au bout de sa portée révolutionnaire, si s’engage un processus de libération des salariés et des travailleurs de la domination qu’exerce sur leur travail et leur vie, la grande propriété privée. Il s’agit de redonner au mouvement de la société, l’ambition de l’émancipation humaine.

 

« Nobel de la guerre », l’éditorial de Lina Sankari.



Le « négus du changement » n’aura pas tardé à tomber le masque. Deux ans après son entrée en fonction, déjà auréolé d’un Nobel de la paix pour la réconciliation avec l’Érythrée, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, présenté dans toutes les chancelleries comme un jeune réformateur libéral porteur d’avenir, voit l’horizon s’assombrir. La guerre civile déclenchée par la rébellion tigréenne ne tombe pas du ciel. La prise de pouvoir d’Abiy Ahmed s’est accompagnée d’une purge visant à mettre un terme à la mainmise des élites tigréennes sur le pays depuis la chute du colonel Mengistu Hailé Mariam, en 1991. L’héritage légué par le Front de libération du peuple du Tigré est pesant : jusqu’en 2018, la minorité contrôlait 90 % des postes de l’armée, les renseignements, tous les échelons de l’administration et la majeure partie de l’économie. L’accaparement des terres, la corruption et la surveillance de masse ont achevé de faire monter la colère.

Comme en témoigne le reportage que nous publions aujourd’hui, l’Éthiopie n’en finit plus de s’enfoncer dans la division, le nationalisme. On mesure le danger dans un pays où cohabite une mosaïque de 80 ethnies. C’est tout le système ethno-fédéraliste qui semble s’effondrer à la faveur des exactions commises depuis deux ans par les deux parties. Massacres, viols collectifs, torture, enfants abattus à bout portant…

Loin d’être circonscrits au nord, des feux s’allument peu à peu aux frontières avec le Soudan et le Kenya. Et l’engagement de troupes érythréennes aux côtés de l’armée éthiopienne n’est plus à démontrer. La guerre civile s’étend, le séparatisme aussi. Malgré leur implication passée ou présente, les puissances extérieures – États-Unis, Arabie saoudite et Émirats arabes unis en tête – observent un silence complice. Si, comme le prédisent les cassandres, la nation éthiopienne venait à éclater, il serait trop tard pour engager un dialogue entre les parties, voire une refonte de la Constitution. La stabilité de la Corne de l’Afrique en dépend pourtant.

 

jeudi 23 décembre 2021

« Esquive », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



En présentant, le 9 décembre, les grandes lignes de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron s’est longtemps appesanti sur la dimension sociale qu’il comptait donner à son mandat. « Protéger les plus faibles », combattre le « dumping » et le « marché sans règle »… L’heure était déjà aux bonnes résolutions. Et cela tombait bien. Le même jour, la Commission dévoilait un projet de directive visant à renforcer les droits des quelque 24 millions de travailleurs des plateformes numériques de type Uber, Deliveroo ou Bolt. Et notamment sur un point : l’établissement de critères précis permettant de requalifier ces soutiers des temps modernes, aujourd’hui sans statut ni protection sociale, en salariés de plein droit. Pour un président parfumé au progrès social, l’occasion était belle de briller en inscrivant le sujet à l’agenda dès ce 1er janvier. Malheureusement, cela ne sera pas le cas.

Loin des belles promesses, les représentants français traînent des pieds. Comme le révèlent nos confrères de Contexte, plutôt que d’activer la machine législative, les macronistes vont organiser une demi-douzaine de réunions sur le thème et produire un énième rapport en juin, date où la présidence française prendra fin ! Une esquive révélatrice.

En dépit des multiples décisions de justice en faveur des travailleurs ubérisés, Emmanuel Macron, en bon apôtre de la start-up nation, a toujours protégé le modèle ultralibéral des plateformes. Les requalifications, il est contre. D’autant plus que le Parlement français examine actuellement un projet de loi où la majorité compte bien créer un sous-statut, à mi-­chemin entre salariat et indépendant. Une escroquerie sociale qui heurte juridiquement la directive de la Commission européenne… D’où l’urgence de faire traîner cette dernière. Ces tripatouillages seraient risibles s’ils ne se faisaient sur le dos de millions de travailleurs précaires, augurant bien mal de la « priorité sociale » qu’Emmanuel Macron prétend vouloir donner à son mandat européen.

mercredi 22 décembre 2021

« La chasse aux plus précaires », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Il a passé deux heures à tenter de nous convaincre, la semaine dernière. « J’ai appris », a juré à la télévision Emmanuel Macron, dont l’inclination pour ses compatriotes le pousserait dorénavant à « plus d’indulgence ». Fini, les chômeurs qui pourraient décrocher un emploi s’ils traversaient la rue ? On ne trouve pourtant nulle trace de cette humanité dans les radiations auxquelles s’apprête à se livrer Pôle emploi, sur instruction de l’exécutif. Et pour cause : la question ne tient pas à la personne du président de la République, ni à sa capacité d’empathie plus ou moins grande, terrain sur lequel Emmanuel Macron essaie de nous emmener pour mieux nous fourvoyer, mais au fond de sa politique.

Tant que la priorité restera à l’emploi dans les mots, mais à la « compétitivité » et à l’« attractivité » de l’économie française pour les capitaux dans les faits – c’est-à-dire à la réduction sans fin du « coût » du travail –, la contradiction sera résolue, si l’on peut dire, sur le dos des travailleurs, salariés ou chômeurs. La reprise tant vantée – qui s’apparente en réalité à un simple rattrapage, après une année 2020 de crise exceptionnelle – ne vient pas infirmer ce diagnostic, au contraire. Si, d’un côté, le nombre de demandeurs d’emploi retrouve son niveau d’avant-crise (5,8 millions au 3e trimestre, dont 3,5 millions sans aucun emploi), et que, de l’autre, des postes ne trouvent pas preneur, alors le problème n’est pas le chômage mais les chômeurs eux-mêmes : voilà ce dont on veut nous convaincre à travers cette véritable chasse aux plus précaires.

Plus l’exécutif sera dédouané de sa responsabilité dans le maintien d’un haut niveau de chômage, plus les chances d’obtenir un second mandat présidentiel dans la continuité du premier seront importantes. C’est du moins le calcul qui préside au grand ménage dans les listes de Pôle emploi, en plus de celui de faire des économies sur l’indemnisation des chômeurs. Les privés d’emploi n’ont pas besoin de l’indulgence d’Emmanuel Macron, mais d’un autre président au service d’une autre politique. Le bulletin de vote au nom de Fabien Roussel portera cette exigence.

mardi 21 décembre 2021

« Chile presente ! », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



Le dernier discours de Salvador Allende prononcé le 11 septembre 1973, alors que les condors d’acier pilonnaient le palais présidentiel de la Moneda, résonne avec force : « L’histoire nous appartient, ce sont les peuples qui la font ! » Après deux décennies de dictature sanglante, trente années de démocratie atrophiée par l’héritage pinochétiste, l’espoir a vaincu la peur. La victoire de Gabriel Boric est chargée de symboles : les mille jours de l’unité ­populaire, cette expérience inédite de socialisme assassinée par les ­généraux et la CIA, les figures de Neruda et Jara, les torturés, les disparus, les exilés… Le succès de la gauche consacre aussi l’irruption sur la scène politique d’une nouvelle génération désireuse d’enterrer définitivement le legs de Pinochet.

La main des Chiliens n’a pas tremblé, malgré une campagne anticommuniste putride, surannée. Ils étaient face à un choix : corriger le cours de l’histoire ou sombrer dans un abîme fasciste. Les électeurs – mobilisés comme rarement – ont infligé un camouflet à l’extrême droite et à José Antonio Kast, ­admirateur assumé des années de plomb. « Le Chili n’aura plus un président qui déclare la guerre à (son) propre peuple », a affirmé Gabriel Boric. C’est ce qu’exige la rue depuis l’extraordinaire soulèvement social et populaire de 2019 qui a mis au ban les ravages du néolibéralisme. L’ancien leader étudiant a d’ailleurs juré que ce modèle, dont le Chili fut le berceau, sera aussi sa tombe.

La gauche, qui n’a pas les coudées franches, ne jouit d’aucun chèque en blanc. Les marges de manœuvre seront très étroites, alors que le président et son futur exécutif sont face à l’immense défi de corriger des inégalités béantes, et d’asseoir les bases d’un pays où les libertés et la justice sociale ne font qu’une. L’extrême droite et les forces conservatrices n’ont pas dit leur dernier mot. Le Chili reste le terrain de dispute d’antagonismes politiques bien marqués. La parole est dans le camp du progrès, à lui de ne pas décevoir.

 

lundi 20 décembre 2021

« Calculs de mort », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.

 



Les révélations chocs du New York Times ces dernières heures, après plusieurs mois d’enquête, sont effarantes. Les frappes aériennes américaines, et celles des drones en particulier, auraient fait des milliers de victimes civiles en Afghanistan, Irak et Syrie. Il fallait être bien naïf pour croire à la fable de la guerre propre et chirurgicale qui nous est contée depuis la première guerre d’Irak. Le Pentagone admettait déjà un peu plus de 1 500 victimes civiles dans ces trois pays. L’enquête montre que c’est très largement sous-estimé. Mauvaises images, surveillance incertaine, confusion sur des mouvements de foule comme pour des secouristes pris pour des combattants. Les mots d’un porte-parole de l’armée sont tout aussi effarants, comme empreints d’un cynisme involontaire : « Même avec la meilleure technologie du monde, des erreurs se produisent (…), nous faisons tout pour éviter de faire du tort et nous regrettons chaque perte de vie innocente. » C’est peu, quand il s’agit de crimes de guerre.

La meilleure technologie du monde, en la matière, consiste à tuer, devant un écran et avec des manettes semblables à celles d’un jeu vidéo, ce qui est suggéré comme une cible, à des milliers de kilomètres, par l’intelligence artificielle. La décision d’appuyer sur un bouton, déshumanisée, reste en principe humaine.

La prochaine étape est déjà engagée. Le sujet des systèmes d’armes létales autonomes, en d’autres termes les robots tueurs, a déjà été abordé à la marge et sans résultats, il y a quelques jours, par les 125 pays réunis à Genève pour la conférence des Nations unies sur l’emploi de certaines armes classiques. La campagne Stop Killer Robots, lancée par 180 ONG, a été sans effet. Les États-Unis et la Russie en seraient principalement responsables. Ce n’est plus de la science-fiction. Il s’agit bien de laisser à des machines le tri entre amis, ennemis, simples passants et suspects, et la décision de mettre à mort ou non des humains. Ce sera au service d’un État, d’une vision du monde, d’une économie, dans les eaux glacées du calcul de la mort. Que fait la France ?

 

Covid-19. Pfizer : sauveur du monde ou profiteur de guerre ?

 



Thomas LEMAHIEU

Son vaccin bat des records de vente et son chiffre d’affaires pourrait dépasser en 2022 les 100 milliards de dollars, soit deux fois plus qu’avant la pandémie. Mais, pour le géant américain, hors de question de le rendre accessible aux plus démunis.

DOSSIER

Avant la pandémie, la marque phare du géant pharmaceutique Pfizer, c’était le Viagra. Aujourd’hui, c’est sans aucun doute Comirnaty, son vaccin à ARN messager contre le Covid-19: jamais un produit pharmaceutique navait permis dengranger autant de bénéfices en si peu de temps. Grâce à cette poule aux œufs d’or, développée en partenariat avec le laboratoire allemand BioNTech, son chiffre d’affaires pourrait dépasser l’année prochaine les 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros), alors qu’il culminait à 50 milliards juste avant l’apparition du nouveau coronavirus.

Albert Bourla, le PDG du groupe américain, n’en revient pas, mais il veut, en plus, monter sur le piédestal de bienfaiteur de l’humanité: «Bien sûr, je suis satisfait que lentreprise performe très bien, s’auto6congratulait-il en juillet. Mais je me réjouis encore plus de constater que, quand je pénètre dans un restaurant, il y a une standing ovation parce que tout le monde estime que nous avons sauvé le monde.»

 

Dans les pays du Sud, beaucoup, pourtant, ne sont pas prêts, mais alors pas du tout, à ériger sa statue. Depuis le début de la pandémie, non content de s’opposer radicalement à toute levée des brevets, Pfizer a choisi de ne vendre qu’au prix fort ses précieux vaccins, et s’est donc tourné vers les grandes puissances occidentales. Au printemps 2020, le laboratoire avait même réussi à ulcérer les États-Unis de Donald Trump en proposant de vendre la dose à 100 dollars, avant de rétropédaler et de fixer son prix – toujours bien supérieur à tous les autres, sauf Moderna – à 19,50 dollars. Signe toutefois que l’idée est loin d’être écartée: au printemps, les patrons du laboratoire promettaient aux marchés financiers daugmenter à terme les tarifs jusqu’à 150 dollars la dose.

Pour l’Afrique, les dés sont pipés

Dans ces conditions, pour les plus pauvres, les dés sont pipés par Pfizer. À la fin de l’année dernière, l’Union africaine cherche à acquérir auprès du groupe américain un stock initial de 2 millions de doses, afin d’entamer la vaccination prioritaire de 5 millions de travailleurs dans le secteur de la santé sur tout le continent. «Pfizer nous rétorque quils répondront la semaine suivante, et ainsi de suite jusquen avril», rapporte, dans le«Financial Times», Strive Masiyiwa, un homme d’affaires zwimbabwéen chargé des commandes pour l’institution. Puis, en mai, l’Union européenne conclut une nouvelle commande pour 1,8 milliard de doses auprès de Pfizer. Les Africains attendent encore la réponse.

Pour expliquer le retard de vaccination sur le continent, Albert Bourla croit avoir trouvé la parade. Le grand patron de la multinationale américaine plaide, contre les évidences, que ce ne sont pas les doses qui manquent: lAfrique, avec son 1,4 milliard dhabitants, ne dispose pourtant aujourdhui de stocks suffisants que pour la population du Ghana (31 millions de personnes). Le problème, instille-t-il ces derniers jours, ce serait l’hésitation vaccinale, «bien, bien plus élevée quen Europe, aux États-Unis ou au Japon». Une recherche publiée dans« Nature »en juillet démonte cette grossière diversion: en réalité, 78 % des citoyens des pays en voie de développement disent vouloir être vaccinés, contre 65 % aux États-Unis et 30 % en Russie.

Ex-patron de l’agence publique de contrôle et de prévention des maladies (CDC) au sein de l’administration Obama, Tom Frieden vient d’expédier Albert Bourla et ses acolytes de Pfizer dans les cordes. «Si vous êtes un producteur de vaccins et que vous ne vous concentrez que sur la maximisation de vos profits, vous êtes un profiteur de guerre.» Clair, net… et incontestable! 

 

 

samedi 18 décembre 2021

« Application des 1607 heures » : Intervention de Brigitte MORANNE au conseil municipal du 16/12/2021 .

 


Intervention de Brigitte MORANNE au conseil municipal du 16/12/2021 concernant l’application des 1607 heures.

Groupe « communiste, anticapitaliste et citoyen »

La loi de « transformation de la fonction publique territoriale », votée par la majorité de l’Assemblée nationale le 06 Août 2019, a des conséquences profondes sur l’organisation de la fonction publique territoriale, les droits et obligations des agent.es, le dialogue social et le statut des fonctionnaires territoriaux.

Nous, élus du groupe communiste, anticapitaliste et citoyen considérons que cette loi ne répond pas aux défis d’un service public pour le 21eme siècle, qu’elle porte en elle un appauvrissement des moyens et de l’autonomie des collectivités locales, et donc du service rendu aux habitant.es. Elle pose, entre autres, l’obligation pour l’ensemble des employeurs publics de se mettre en conformité à compter du 1er Janvier 2022 avec la durée annuelle du temps de travail à 1607 heures, mettant fin aux dérogations existant jusqu’ici.

Nous n’oublions pas que le service public est en première ligne pour combattre une crise sanitaire, économique et sociale inédite par son ampleur et sa violence, et où ses agent.es font quotidiennement la démonstration de leur investissement et de leur attachement à remplir leurs missions au service de l’intérêt général. Nous n’oublions pas qu’avec le gel du point d’indice depuis 10 ans, les agent.es de la fonction publique perdent chaque année de leur pouvoir d’achat, alors que les missions qui leur incombent n’ont jamais été aussi lourdes. Mais le plus scandaleux est qu’en pleine crise, le paiement des dividendes mondiaux a augmenté de 22% en glissement annuel pour 2021 concernant les 1200 entreprises cotées et que la ministre de la fonction publique a annoncé le 09 décembre que ça n’était pas le moment de revaloriser le salaire des fonctionnaires.

Dans le contexte de crise économique et sociale que nous connaissons, nous portons l’idée que l’ensemble de la société devrait bénéficier d’une réduction du temps de travail : c’est une question de justice sociale, d’émancipation et aussi un formidable outil potentiel de relance économique.

Aujourd’hui, les collectivités ont l’obligation d’appliquer ces nouvelles dispositions, sous une menace comptable de la préfecture.

Plusieurs maires de notre territoire à l’initiative du maire de Bobigny ont adressé une lettre ouverte au préfet pour une demande de dérogation dans l’application de ce décret.

Ils dénonçaient l’annulation de tous les accords relatifs au temps de travail des fonctionnaires territoriaux, qui avaient été négociés dans les collectivités au fil des ans dans le cadre d’un dialogue social paritaire. Il s’agit bien souvent de jours de congés supplémentaires, d’applications plus favorables des autorisations d’absence, de congés exceptionnels au moment du départ en retraite … Autant de mesures aujourd’hui précieuses pour aider les agents à résister à des conditions de travail particulièrement tendues.

Ces injonctions sont dangereuses pour la pérennité des services publics. Elles remettent en cause l’attractivité de la fonction publique et la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers. Pour en faire la démonstration, je prendrai l’exemple de la fonction publique hospitalière où ces mesures sont appliquées depuis une quinzaine d’années.

Aujourd’hui, l’hôpital n’est plus en capacité d’accomplir ses missions de permanence des soins, partout en France, on ferme des lits et des services en pleine crise sanitaire.

La politique est de sanctionner ceux qui seraient des privilégiés en travaillant moins mais que fait-on pour ceux qui travaillent plus, car la réalité c’est qu’un personnel soignant peut dépasser la durée règlementaire de 48 h hebdomadaires sans que ça ne choque le gouvernement. Au contraire, il déplafonne le taux annuel d’heures supplémentaires au nom de la continuité de service et déclenche des plans blancs par manque de personnel afin de pouvoir réquisitionner des soignants déjà épuisés.

 

Aujourd’hui, les soignants fuient l’hôpital public car le secteur privé leur offre de meilleurs salaires et conditions de travail.

Alors que des accords d’entreprise se font dans le secteur privé, on supprime la liberté d’accords dans la fonction publique mettant ainsi en danger son avenir.

Alors que le principe de la libre administration des collectivités territoriales est inscrit dans la constitution, elles perdent leur autonomie dans la gestion du personnel et plus largement dans la gestion communale. La refonte de la fiscalité et la transformation des taxes communales en dotations viennent rompre le lien direct entre l’habitant et l’impôt local, finançant le service public de la commune, principe d’indépendance de la gestion communale. C’est inquiétant, sachant que ces dotations pourront servir de variables d’ajustement alors que dans le contexte que l’on connait, les communes ont besoin de moyens renouvelés.

Sur notre commune, en 2018, la majorité municipale avait, sans attendre la loi de transformation, supprimé 5 congés annuels et allongé, le contrat hebdomadaire, le passant de 35h à 37h30. Nous nous étions opposés à cette délibération.

Aujourd’hui, sous injonction du préfet, il est demandé aux élus de supprimer les jours de médaille et les 3 mois offerts en fonction de l’ancienneté avant le départ en retraite d’un agent ou agente.

Même si nous savons que Mr le Maire a la volonté de poursuivre le dialogue social concernant les modalités et les compensations possibles suite à ces injonctions.

Nos convictions nous amènent à voter contre cette délibération, nous restons en cohérence avec notre position antérieure au sein du conseil municipal. Nous refusons de répondre aux injonctions du préfet.