Une nouvelle loi sur
l’inceste et le seuil de consentement, le 3919 sauvé, la PMA acquise pour toutes
les femmes : 2021 a permis quelques avancées, mais, faute de volonté politique,
le chemin est encore long pour obtenir l’égalité.
Livres chocs, manifestations et nouvelles lois : un tournant s’amorce dans
la compréhension des rapports de domination et la prise en charge des violences
sexistes et sexuelles. Mais les structures et les lois avancent moins vite que
la société.
1/ Convergence des luttes sexistes et sexuelles
L’année n’a pas débuté en douceur. Sous le mot-clé #MeTooInceste, sur les
réseaux sociaux, l’avalanche de témoignages dénonçant un père, un oncle, une
mère, un grand-père auteurs d’agressions ou de violences sexuelles aura sidéré
dès les premiers jours de janvier. Et, toute l’année, de nouveaux scandales, de
nouvelles paroles, de nouveaux aveux sont venus noircir nos journaux et la
Toile. N’épargnant aucun secteur ni milieu, des collectifs naissaient chaque
jour. « Nous nous sommes retrouvées un soir réunies par notre colère »,
raconte Céline Langlois, du collectif #MeTooThéâtre, né en octobre. Derniers en
date : #MeTooMédias et #MeTooPolitique, cristallisés autour des accusations
d’agressions sexuelles contre des hommes de pouvoir comme Nicolas Hulot et
Patrick Poivre d’Arvor. Le 11 décembre, un collectif agrégeant #MusicToo,
#MeTooMédias, #MeTooPolitique, #MeTooInceste, #MeTooVin, #PayeTonTournage,
#MeTooGay et bien d’autres interpellait le président de la République, qui
s’était vanté de faire de la lutte contre les violences sexuelles une grande
cause nationale. Alors que cinq ans ont passé et qu’une nouvelle campagne
présidentielle commence, les « #MeToo réunis interpellent les
candidat.e.s et leur posent une simple question : qu’allez-vous faire pour que
les hommes cessent de harceler, d’agresser et de violer ? ».
Cette demande accompagnait déjà les marches du 20 novembre, organisées
pour la troisième année par le collectif #NousToutes. « Des
manifestations féministes d’une ampleur inédite en France, joyeuses et
déterminées », résumait la fondatrice du collectif Caroline De Haas, avant
de tirer sa révérence, laissant la « main à une nouvelle génération ».
Sur les pancartes, partout en France, les militantes rappelaient que, chaque
année, 220 000 femmes sont victimes de violence, et que seules 18 %
portent plainte. Et 73 % de ces démarches sont classées sans suite. À
quatre mois des élections, les associations féministes attendent toujours des
moyens, des propositions claires et engageantes des candidats.
2/ Des outils obtenus grâce à la solidarité
« Les équipes du 3919 ont un savoir-faire précieux et une démarche
militante à sauvegarder, car ce n’est pas un simple accueil administratif », insistait en début
d’année Éric Bocquet, corapporteur pour la commission des Finances d’une
analyse sévère des mesures mises en place par le gouvernement contre les
violences conjugales. Le sénateur communiste, qui avait auditionné Solidarité
femmes, l’association créatrice de la ligne d’écoute, s’inquiétait de voir son
rôle évincé par un autre organisme à la suite d’un appel d’offres surprise de
l’exécutif. Finalement, la mobilisation des associations féministes a payé. Le
3919 est toujours géré par les militantes de Solidarité femmes et 73
associations satellites. Et, depuis le 30 août, cette ligne est enfin
disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Malgré cela, en 2021, Chahinez, 31 ans, était tuée par balles et
immolée en pleine rue à Mérignac par son ex-mari. Stéphanie, 22 ans, était
poignardée par son compagnon à Hayange. Comme Païta, Valérie, Bouchra,
Irène… « 1 700 femmes actuellement bénéficient d’un téléphone grave
danger, il faut changer de braquet et porter ce nombre à 5 000, dès qu’il y a
tentative d’homicide. On peut être très réactif et le téléphone
peut être donné dans la journée même », réagissait en mai Ernestine Ronai,
responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de
Seine-Saint-Denis, à l’origine de ce dispositif préventif en France. Le
9 juin, à la suite de deux rapports sur les féminicides, le gouvernement
annonce le contrôle des acquisitions et détentions d’armes, la création d’un
fichier des auteurs de violences conjugales, le renforcement du recours aux
bracelets antirapprochement. Pourtant, cet automne encore, seuls 245 bracelets
étaient activés. Les décisions sont lentes, les besoins immenses. Comme le
dénonçait Anne-Cécile Mailfert, de la Fondation des femmes, en novembre : « Plus
de 20 000 femmes auraient besoin d’un hébergement d’urgence pour pouvoir
quitter leur domicile, mais les demandes ne sont pas pourvues pour plus d’un
tiers des femmes avec enfant et la moitié des femmes sans enfant. »
Le 22 décembre, le recensement du groupe Féminicides par compagnons ou
ex comptait 110 femmes décédées durant l’année 2021. Un triste écho aux 111
noms de victimes de l’année précédente affichés dans les rues de Paris par le collectif
Collages féminicides il y a moins d’un an.
3/ Inceste : d’un livre à la loi
Le livre choc, difficile mais nécessaire, la Famila grande de
Camille Kouchner ouvrait une nouvelle séquence alors que s’ouvrait l’année
2021. L’autrice évoquait pour la première fois publiquement l’inceste sur son
frère de son beau-père, Olivier Duhamel, politologue reconnu. Le
14 janvier retentissait un nouveau hashtag sur la Toile :
#MeTooInceste . Des milliers de personnes racontaient leur
histoire, souvent tue depuis des années. Le 21 avril, la loi visant à
protéger les mineurs des crimes et délits sexuels créait de nouvelles
infractions sexuelles, dont l’inceste. « Aucun adulte ne peut se
prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans, ou
moins de 18 ans en cas d’inceste. » Jusqu’ici, l’inceste était
considéré comme une circonstance aggravante de viols, agressions sexuelles et
atteintes sexuelles, et non un crime en soi.
Mais ce n’est qu’un début. Après deux ans et demi de travaux, la Commission
indépendante sur les abus sexuels dans l’Église rendait à son tour un document
accablant le 5 octobre 2021. Le rapport Sauvé dénombrait 330 000 victimes
de l’institution religieuse depuis soixante-dix ans. La commission effectuait
22 signalements à la justice. De son côté, la Commission sur l’inceste et les
violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) entamait un tour de France
pour recueillir la parole. « En réalité, les enfants ont toujours
parlé, assure le juge Durand, pilote de la Ciivise, mais ils
n’ont pas été écoutés, compris, respectés. Aujourd’hui, leur parole nous
oblige. » Sa mission doit se poursuivre jusqu’en 2023, mais, contre
toute attente, la commission a déjà émis des recommandations, comme la
suspension de l’autorité parentale de la personne poursuivie, son retrait
systématique en cas de condamnation et la levée des poursuites pénales du
parent protecteur pour « non-représentation d’enfant » lors d’une ouverture
d’enquête à l’encontre de l’autre parent pour inceste.
4/ Mon corps, mon choix, ma PMA
L’histoire est à rebondissements et la loi enfin acquise. Promise en 2016
par le candidat François Hollande, puis par Emmanuel Macron en 2017, il a fallu
attendre le 2 août 2021 pour que la loi relative à la bioéthique élargisse
la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes
célibataires. Un nouveau mode de filiation est mis en place pour les enfants
nés par PMA d’un couple lesbien. C’était aussi l’une des revendications phares
de la marche lesbienne qui a réuni 10 000 personnes à Paris le 25 avril,
du jamais-vu depuis les années 1980.
Un mois auparavant, le congé second parent (pour le père et désormais la
deuxième mère) était allongé de quatorze à vingt-huit jours. Mais pour
l’instant seule la première semaine peut être imposée à l’employeur et
l’ensemble doit être pris dans les six premiers mois de la naissance. De fait,
les plus précaires restent privés de ce droit, car, si 80 % des seconds
parents en CDI et 9 fonctionnaires sur 10 prennent leur congé parental, les
contractuels le déclenchent une fois sur deux. Quant aux demandeurs d’emploi,
seuls 13 % se le permettent. Cet allongement n’est qu’une « demi-mesure » pour
le collectif PAF (Pour une parentalité féministe), qui revendique « un
congé paternité du second parent égal à celui du congé maternité » pour
rétablir l’équilibre des tâches parentales et domestiques au sein du couple.
À nouveau le gouvernement s’est arrêté à la moitié du chemin concernant la
contraception. Au 1er janvier 2022, elle sera gratuite jusqu’à 25 ans,
et non plus seulement jusqu’à 18 ans. Mais « pourquoi pas de
remboursement des patchs et des anneaux, deux dispositifs hormonaux qui ne sont
pas remboursés par l’assurance-maladie ? » interroge le Planning
familial, qui s’inquiète que cela entraîne un nouveau frein à leur accès.
5/ Vers l’égalité économique et professionnelle ?
Emmanuel Macron évoquait l’égalité professionnelle comme prioritaire en
début d’exercice… Il ne restait plus que quelques mois pour agir. La timide
proposition de loi pour « une égalité économique et professionnelle
réelle » a été définitivement adoptée le 16 décembre. Elle impose un
quota d’au moins 30 % de femmes en 2027 parmi les cadres dirigeants dans
les entreprises d’au moins 1 000 salariés. Les établissements supérieurs
devront calculer un « index de l’égalité » à l’image de celui rendu obligatoire
aux entreprises, quand les jurys d’admission aux grandes écoles devront être
plus mixtes. Pour prévenir les violences économiques au sein du couple, la loi
prévoit l’obligation de verser le salaire et les prestations sociales
individuelles sur un compte bancaire dont le salarié est le détenteur ou le
codétenteur. Les familles monoparentales seront favorisées pour obtenir une
place en crèche. Pour Laurence Cohen, sénatrice du groupe CRCE, qui s’est
abstenu de voter, le titre de la loi est « trompeur » et peu
ambitieux : « Les entreprises de moins de dix salariés représentent
96 % du nombre total ; celles de plus de mille salariés moins de
1 %. » La sénatrice ne soutient pas cette loi muette sur la place
des hauts cadres femmes dans la fonction publique, son index égalité
flou… « Ce texte est un tout petit pas, principalement au profit des
classes très favorisées, à l’image de ce quinquennat… » a-t-elle
expliqué devant les parlementaires. Un constat que confirme le refus de
déconjugaliser l’allocation aux adultes handicapés une nouvelle fois cette
année. Pourtant, 34 % des femmes en situation de handicap sont victimes
chaque année de violence de la part de leur conjoint. Mais en continuant
d’intégrer le revenu du compagnon dans le calcul de l’allocation, le
gouvernement choisit d’exposer davantage ces personnes à une dépendance et une
vulnérabilité économiques. Malgré la pandémie, malgré les odes aux premières de
corvée, l’année 2021 n’a pas été propice à des mesures plus égalitaires pour
les précaires.
Malgré les déconvenues,
sans relâche, les femmes sont mobilisées, unies et solidaires pour obtenir, de
haute lutte, quelques conquêtes.
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