vendredi 30 juillet 2021

Covid. Passe et impasse pour le droit du travail.



Sarah Lavoine

Sous réserve d’une validation du Conseil constitutionnel, les salariés des établissements recevant du public devront présenter un passe sanitaire à partir du 30 août. Pourtant, de nombreux flous juridiques persistent.

« Il ne faut pas laisser croire aux salariés qu’il ne peut pas y avoir de licenciement », a prévenu Élisabeth Borne, ministre du Travail. Alors que l’extension du passe sanitaire et l’obligation vaccinale pour certaines professions ont été adoptées à l’Assemblée dans la nuit du 25 au 26 juillet, des interrogations demeurent sur les conditions de travail des salariés employés dans des établissements accueillant du public.

Ces derniers seront soumis à l’obligation du passe sanitaire à partir du 30 août. Dans le cadre d’un accord entre députés et sénateurs, le motif de licenciement prévu dans le texte initial a été supprimé, remplacé par la suspension. Dans le cadre d’un CDI, un employé sans passe aura la possibilité, en accord avec son employeur, de prendre des congés ou RTT, ou de changer de poste de travail, le temps d’en produire un. Sinon, son contrat de travail et sa rémunération seront suspendus – seuls les CDD pourront être rompus.

« Plus d’incertitude et de précarité » 

« Comment un salarié pourrait vivre sans salaire ? » s’interroge Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Aucune limitation à la suspension de la rémunération n’est fixée par la loi. « C’est le vide juridique, un no man’s land sans protection économique pour le salarié et sans protection juridique pour les entreprises », ­dénonce François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

«  La suspension entraîne de graves conséquences tout de suite puisque le salarié n’aura pas de revenus, n’aura aucun droit au chômage… Est-ce que ça peut être une longue période de suspension ? Quelles en seront les conséquences ? » se demande Judith Krivine, avocate spécialiste en droit du travail.

Quant à la possibilité d’un simple changement de poste, qui est prévue par le texte, elle ne convainc pas davantage. « On peut essayer de lui trouver un poste administratif, mais si l’employeur a plusieurs salariés dans ce cas, comment il choisit ? » s’interroge Céline Verzeletti. De plus, aucun cadre juridique n’est prévu par la loi pour le remplacement du suspendu : « Si c’est un CDI, il me semble impossible de le remplacer par un autre. L’employeur va-t-il conditionner l’embauche à la production du passe sanitaire ? » ajoute Judith Krivine.

La ministre du Travail a indiqué être prête à compléter cette loi imprécise devant les deux Chambres parlementaires, notamment si le passe sanitaire devait perdurer au-delà du 15 novembre. Se voulant rassurante, elle a également ajouté que, en cas d’abus, « (ils encadreraient) les choses » – a posteriori, donc, et sans plus de précision.

Ce que craignent les opposants à cette mesure, c’est le risque que les employeurs « convoquent le licenciement sur la base d’autres critères liés à l’absence du salarié suspendu », s’alarme le député Pierre Dharréville (GRD). « Cela va créer une zone d’incertitude et de précarité supplémentaire pour un certain nombre de salariés. Ils utilisent la méthode du chantage, de la pression et de la stigmatisation. Le gouvernement renonce à ses propres responsabilités pour les transférer sur les individus, avec des mesures de contrôle permanent des uns par les autres », complète-t-il.

Un secret médical plus vraiment secret

Le passe sanitaire au travail soulève aussi la question du secret médical. Alors que seule la médecine du travail est habilitée à déclarer l’aptitude d’un salarié, les employeurs auront à présent ce pouvoir. « C’est du jamais-vu, il y a une absence de préservation, s’inquiète Céline Verzeletti.  On met les questions de santé dans le contrat et l’employeur peut agir dessus. » Éric ­Coquerel, député FI, partage son avis : « C’est une entorse. Le salarié pourrait être licencié pour suspicion de maladie, c’est un recul terrible. »

À présent, le texte doit passer le cap du Conseil constitutionnel. Les dispositions qu’il porte à l’encontre des salariés pourraient bien être considérées comme discrimi­natoires. En effet, elles sont liées à l’état de santé du salarié et donc contraires au principe d’égalité de la Constitution, du fait de la « différenciation de traitement injustifiée en fonction des entreprises. Il y a donc des arguments qui permettraient au Conseil constitutionnel de juger la loi non conforme », achève Judith Krivine. Verdict le 5 août.

 

« L’âme d’un pays », l’éditorial de Christophe Derobaix dans l’Humanité.



« La culture n’est pas un supplément d’âme, c’est l’âme d’un pays », disait fort justement Jack Ralite. Mais quel est donc le problème du pouvoir macroniste avec la culture ? Pourquoi salles de cinéma, théâtres et festivals ont-ils dû se conformer, avant tout le monde, au passe sanitaire ? Y a-t-il plus de risques de créer un cluster dans les gradins d’un théâtre antique qu’à la terrasse d’un café ? Pourquoi aucune souplesse n’a-t-elle été accordée aux acteurs du secteur ? Est-on plus enclin à contracter le Covid assis dans un fauteuil de salle de cinéma que dans celui d’un TGV ? D’une certaine façon, ces questions relèvent de la rhétorique car le mal est fait.

Le premier bilan s’avère catastrophique : baisse de la fréquentation, désaffection des publics, annulations en cascade. Le secteur se relevait à peine d’un « annus horribilis » de confinements qu’il reprend un uppercut en pleine poire. Le choc économique est rude. Mais le dispositif du « passe » porte également atteinte à la « mission » des acteurs culturels, comme nous le dit un directeur de compagnie : « On nous demande donc de refuser l’accès à la culture à des gens qui en auraient le plus besoin. » Même si ce n’est pas sa fonction première, le passe sanitaire accélère le passage de « la culture pour tous », chère à Jean Vilar, à « la culture pour chacun », théorisée par Nicolas Sarkozy.

Au cœur de ce nouvel été moribond, il serait injuste de ne pas y adjoindre les lieux de loisirs, où les familles populaires profitent aussi des congés d’été – obtenus grâce à une grève générale en 1936 (cela peut se rappeler de temps en temps). Refusant d’assumer l’obligation vaccinale, Emmanuel Macron a opté pour une option intrinsèquement inégalitaire et injuste : vous avez le choix mais, selon votre décision, vous serez interdit d’un certain nombre d’activités. Imaginons ce principe de droits différenciés répliqué à l’échelle de l’ensemble de l’organisation de la société.

 

jeudi 29 juillet 2021

Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 : défendre la sentinelle de la démocratie



Monument législatif de la République naissante, la loi sur la liberté de la presse a 140 ans aujourd’hui même. Alors que nous observons, au XXIe siècle, des reculs majeurs, ce texte demeure fondamental.

PAR PATRICK LE HYARIC, Directeur de l’Humanité

Nous soufflons aujourd’hui les 140 bougies de la loi sur la liberté de la presse promulguée le 29 juillet 1881. Monument législatif de la République renaissante, ce texte demeure au fondement de notre démocratie. Dans les pas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de sa promesse d’assurer « la libre communication des pensées et opinions », cette loi garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Loin d’être un dispositif corporatiste au seul avantage des journalistes, elle protège l’ensemble des citoyens autant qu’elle concourt à l’exercice de la citoyenneté. Alors que, sournoisement ou ouvertement, cette conquête est menacée, au même titre que d’autres piliers de la démocratie républicaine, cet anniversaire doit être l’occasion d’en défendre les principes.

La précédente garde des Sceaux n’a pas fait mystère de sa volonté d’extraire de la loi de 1881 les dispositions de lutte contre « l’injure et la diffamation » pour les transférer vers le Code pénal, ce qui revient à faire sauter le garde-fou permettant aux journalistes de préserver leurs sources, tout en ouvrant le chemin à des procédures de comparution immédiate qui limitent la possibilité de se défendre. Les récentes lois dites de « sécurité globale » ou « confortant le respect des principes de la République », décidées après l’assassinat terroriste du professeur Samuel Paty, ajoutées à l’arsenal « antiterroriste » de 2014, ont chacune contribué à affaiblir les principes de la loi. Dans le même mouvement, des entraves sont appliquées au travail des journalistes, au nom de la protection des policiers. D’autres tentatives ont été mises en échec, comme cette loi retoquée par le Conseil constitutionnel visant à donner aux géants du numérique un pouvoir de censure en dehors de toute intervention d’un juge.

Les citoyens empêchés de savoir

Des reculs majeurs sur la liberté de la presse, nous retiendrons celui institué par la loi de juillet 2018 sur le « secret des affaires ». Il s’agit d’un basculement juridique d’importance qui troque les règles de la transparence contre le règne de l’opacité, dans le but de protéger les milieux d’affaires et les entreprises qui contreviennent aux nécessités de protéger l’environnement, qui pratiquent les ventes d’armes, l’évasion fiscale ou la corruption. En plus de fragiliser les lanceurs d’alerte, ce texte s’oppose à l’esprit de la loi de 1881 en ce qu’il réduit la possibilité, pour chaque citoyen, de prendre connaissance des événements jusqu’au plus dissimulé, de décrypter l’actualité et de participer ainsi à la vie de la cité dans le sens de l’intérêt général.

C’est une part de sa souveraineté qui est ôtée au peuple. La multiplication des chaînes privées d’information fait planer l’illusion d’un épanouissement de la liberté d’informer. En réalité, un système clos se met en place, avec les mêmes intervenants s’échinant à formuler des réponses de droite à des questions de droite, tout en faisant la part belle à l’extrême droite. La vie réelle des travailleurs, leurs aspirations, leurs luttes n’y pénètrent guère, sauf pour allumer la mèche de l’injure contre tout mouvement social, comme on l’a constaté lors des mouvements des cheminots, des gilets jaunes ou contre le déchiquetage de notre système de retraite.

La réduction continue du nombre de journalistes et leur précarisation réduisent le pouvoir d’enquêter, de rendre compte des événements jusqu’aux plus reculés et moins médiatisés. Le nombre de journaux nationaux et régionaux diminue sous la pression de coûts de production en continuelle augmentation, tandis que les recettes de vente et de publicité, accaparées par les géants du numérique, diminuent drastiquement. Ces derniers pillent précisément le travail des créateurs et des journalistes pour le revendre contre de la communication publicitaire. Des mobilisations populaires seront nécessaires pour que soient respectées les lois sur les droits d’auteur (ou « droits voisins ») et, au-delà, pour légiférer afin de refonder le droit de savoir des citoyens et revivifier un pluralisme de la presse indispensable à la vitalité démocratique, dans le cadre de la révolution numérique en cours.

Contrairement à l’esprit des ordonnances de la presse du Conseil national de la Résistance, la majeure partie de cette presse est aujourd’hui accaparée par une poignée de groupes industriels et financiers qui, évidemment, assurent la promotion du capitalisme. C’est, du reste, face à semblable situation qu’en 1904 Jean Jaurès s’est décidé à fonder l’Humanité, contre « la puissance de l’argent qui avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale ».

La défense et l’appel à la lecture de l’Humanité vont donc de pair avec la nécessité d’animer un débat public pour légiférer contre les concentrations capitalistes. L’État doit jouer son rôle constitutionnel visant à assurer un pluralisme plus grand de la presse au lieu de détricoter les ordonnances sur la presse issues du CNR. Préserver l’existence d’une presse libre, c’est toujours, selon les mots de Camille Desmoulins, garantir son rôle de « sentinelle de la démocratie ».

 

Coup de force au cœur de l’été, l’éditorial de L’Humanité Dimanche du 29 juillet au 04 août 2021 – par Patrick Le HYARIC



Comme pour d’autres pandémies, seule la vaccination complète peut permettre de freiner et d’endiguer la propagation du virus Covid-19 et de ses dangereux variants. Elle est le rempart efficace pour éviter encore plus de douleurs et de deuils, comme pour éviter la surcharge de travail des médecins et des soignants.

Encore faudrait-il que les doses de vaccins soient en nombre suffisant, accessibles partout, notamment aux populations les plus modestes et précaires. Or, en janvier dernier le pouvoir refusait de mener une grande campagne d’information, de prévention, et d’ouvrir des centres de vaccinations comme s’y employaient d’autres pays, tout en limitant, dans un premier temps, la possibilité pour les médecins de familles et les pharmaciens de vacciner autant que de besoin.

Ajoutons qu’il n’y aura pas de solution à cette pandémie en un seul pays. Ce combat mondial doit être placé sous la responsabilité de l’ONU et de l’Organisation mondiale de la santé pour ne pas faire l’objet de tractations dans les arrières salles de l’Organisation mondiale du commerce, sous pression des trusts pharmaceutiques. Le vaccin est un bien public. Voilà, pourquoi, doit être amplifiée la bataille pour la levée des brevets qui les transforment en propriétés privées marchandes, contre l’intérêt général humain.

Voici désormais, après avoir expliqué il y a quelques semaines que nous étions sortis « de manière durable de la pandémie », que le télé-président est venu le 12 juillet se contredire et édicter ses ordres en demandant au gouvernement d’exécuter et au Parlement d’avaliser et de se soumettre. Décidément, il n’a rien entendu du silence des urnes en juin dernier pour produire un si dangereux déni de démocratie sous couvert de l’urgence à faire voter une loi « d’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire ». Malgré les remarques du Conseil d’Etat, les critiques sévères de la CNIL, de la Défenseur des droits, de multiples associations, de la CGT, de juristes de haut niveau, de la plupart des groupes parlementaires et de nombreux députés de la majorité, le pouvoir macronien produit au cœur de l’été un coup de force aux gravissimes conséquences.

Le Conseil d’Etat va même jusqu’à qualifier les dispositions du texte  de « police sanitaire ». En effet, à l’opposé des préconisation du président du groupe des démocrates et républicains à l’Assemblée nationale, André Chassaigne, soulignant que « la France porte en elle assez de générosité et de ressorts collectifs pour se mobiliser autour d’une stratégie vaccinale altruiste, fraternelle et acceptée par le plus grand nombre », le pouvoir choisit une forme de passeport sanitaire en outil de contrôle social, transformant notamment les salariés des services, des lieux de culture, des entreprises accueillant du public en contrôleurs en lieu et place des services de police. C’est du reste l’opinion du Conseil d’Etat craignant « une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale ».

Ce n’est pas tout ! A la faveur de ce texte, le pouvoir provoque en douce une grave insécurité juridique des salariés : pour éviter le mot « licenciement », possibilité est donnée aux employeurs de « rompre le contrat de travail » d’un salarié ne répondant pas aux exigences du passe sanitaire. Dès lors que les entreprises elles-mêmes contrôlées vont disposer d’un pouvoir de contrôle et de sanction, on peut s’attendre à des effets d’aubaine contre les travailleurs. A force d’affaiblir la médecine de prévention au travail, carte blanche est donnée à une médecine de contrôle sans médecins !

Faute de pouvoir convaincre, le pouvoir a choisi de contraindre, quitte à porter de nouveaux coups de canifs dans le socle des libertés publiques et du droit du travail. L’affaire est sérieuse. Il faudra obtenir que tout ceci puisse être levé dès lors que l’immunité collective sera acquise. La Fête de l’Humanité, à la mi-septembre, consacrera une large place dans ses débats à ces enjeux.

 

« Colonialisme nucléaire », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



Les déchets de la « grande force de dissuasion » à la française sont terriblement encombrants. Pas facile de se débarrasser des désastres du colonialisme nucléaire. Chassée du Sahara après l’indépendance de l’Algérie, la France a transformé la Polynésie en un terrain d’expérimentation militaire de 1966 à 1996. Dans ce décor paradisiaque, pas moins de 193 essais nucléaires ont été menés au mépris des règles de sécurité et des risques sanitaires. Depuis, les habitants réclament justice et réparation. En vain. À ce jour, seule une petite poignée de victimes civiles ont été indemnisées.

En visite sur les lieux, Emmanuel Macron s’est défaussé de ses responsabilités, en usant, comme peu savent le faire, de l’art du « en même temps ». Il a enfin reconnu que la France avait une « dette » envers ce confetti d’empire et ses populations. Mais le président n’a formulé ni pardon ni excuses officielles pour les dommages subis. La déclassification des documents permettant de faire toute la lumière sur les conséquences des exercices nucléaires sera soumise à conditions. Comment pourrait-il en être autrement quand sa majorité parlementaire promeut l’article 19 de la loi relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, qui verrouille l’accès aux archives classées « secret-défense » ?

Quant aux indemnisations, le chef de l’État s’est prêté à une grotesque pirouette : « C’est un devoir de la nation que d’accompagner tous les Polynésiens (…) frappés par les nouvelles formes de cancer (…). Une autre chose est de dire que tous les gens qui ont de nouvelles formes de cancer (…) doivent être pris en charge au titre des essais. » En Polynésie, la prévalence des cancers de la thyroïde chez les femmes est la plus forte au monde. Mais il n’y aurait pas de lien de cause à effet, selon Emmanuel Macron. L’hôte de l’Élysée reste ici fidèle à la pratique du secret d’État inhérente à la Ve République. Et pour cause : au même titre que la population de ces territoires martyrs, les Algériens pourraient bien, à leur tour, présenter à la France l’addition nucléaire. En Polynésie, on parle de crimes contre l’humanité. Paris ne peut continuer à y opposer un silence coupable.

 

mercredi 28 juillet 2021

« La machine », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Ce 29 juillet sera – déjà – le jour d’après, ou de trop. Nous aurons consommé ce que la Terre est capable de nous donner en un an. Cela vaut aussi pour le climat. Nous aurons produit plus de gaz à effet de serre et principalement de CO2 que ce que la planète est capable d’absorber. Depuis lundi, 195 pays ont entamé l’examen des nouvelles prévisions du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, en vue d’un rapport qui devrait être publié le 9 août. On peut le prédire sans risques, mais pas sans dommages : nous allons vers des situations catastrophiques, dues au réchauffement, telles que l’actualité l’a démontré ces derniers temps. Pluies diluviennes, fournaises mais aussi famines, comme à Madagascar.

Nous y allons donc, mais pas tous à la même allure. Tous solidaires pour le devenir de la planète ? Quelle blague, ou plus exactement quelle cynique imposture, quels mensonges éhontés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les 10 % les plus riches de la planète consomment vingt fois plus d’énergie que les 10 % les plus pauvres. Les 1 % les plus riches émettent deux fois plus de CO2 que la moitié de l’humanité. Notre système économique, avec ses phénoménales inégalités sociales, est devenu, selon les mots de l’économiste Maxime Combes, une formidable machine à réchauffer la planète.

Au bal des hypocrites les dirigeants de l’UE évoquent une transition « efficace au regard des coûts, ainsi que socialement équilibrée et équitable » avec une réduction de 55 % des émissions de CO2 d’ici à 2030. Imposture là encore. À quand l’imposition des yachts démesurés, des jets privés, des résidences somptuaires, que sait-on encore… ? En France, les financements des énergies fossiles par les grandes banques ont presque doublé depuis 2016 ! Les députés communistes, insoumis et socialistes viennent de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il soit enjoint au gouvernement de respecter ses engagements environnementaux. Mais, pour aller plus loin, il faut changer la machine.

 

Réchauffement. « Nous entamons un voyage sans retour ».



Alors que dômes de chaleur, pluies diluviennes et incendies dévastent la planète, depuis le 26 juillet, les représentants des 195 États et des scientifiques travaillent sur le 6 e rapport du Giec, rendu public le 9 août. Entretien.

CHRISTOPHE CASSOU, Directeur de recherche au CNRS

Entre deux sessions d’approbation du 6 e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le climatologue Christophe Cassou a pris le temps de nous répondre. Depuis lundi 26 juillet et pour deux semaines, les délégations de 195 États et des scientifiques sont réunis pour approuver ligne par ligne le « résumé pour les décideurs ». La première partie du rapport, consacrée aux sciences du climat, sera rendue public le 9 août

En quoi les événements climatiques auxquels nous assistons sont-ils liés au réchauffement climatique. Y-a-t-il une accélération ?

Christophe Cassou : Depuis trente ans, les climatologues expliquent que, sous l’effet du réchauffement, la plupart des événements extrêmes allaient devenir plus fréquents, plus intenses et plus longs. Ça y est, nous y sommes. Et leur évolution suit très bien les trajectoires évaluées par le Giec. En ce sens, il n’y a pas d’accélération, et le rythme des changements ne va pas plus vite que prévu. Dans notre jargon, nous parlons d’« émergence » : ce que nous observons émerge des fluctuations naturelles du climat ou, dit autrement, ne peut pas s’expliquer sans facteur extérieur.

Il y a toujours eu des événements extrêmes, des canicules et des pluies diluviennes : nos parents, grands et arrière-grands-parents en ont connu. Mais l’intensité de ceux que nous vivons maintenant et leur récurrence ne correspondent plus à la mémoire générationnelle des événements extrêmes qui permet de s’adapter et d’anticiper. Car ce que nous vivons est inédit. Nous sommes désormais entrés en territoire inconnu, et nous entamons un voyage sans retour. Il faut comprendre qu’on ne reviendra pas, à l’échelle de plusieurs générations, au climat de nos parents ou de nos grands-parents.

Nous ne sommes pas surpris en tant que scientifiques. Les changements dans les événements extrêmes s’expliquent par des processus physiques bien connus du système climatique. Et on ne négocie pas avec les lois de la physique : la relation de Clausius-Clapeyron établit que, pour 1 degré de réchauffement, il a 7 % d’augmentation de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Or, cette dernière s’est réchauffée de + 1,1 °C depuis le début de l’ère préindustrielle à la fin du XIX e siècle, il y a donc plus de vapeur d’eau, et potentiellement plus de précipitations.

Est-ce qu’il est encore possible de limiter le réchauffement global à + 1,5 °C d’ici à la fin du siècle, comme le prévoit l’accord de Paris ?

Christophe Cassou : Selon la littérature scientifique, ce seuil de 1,5 °C sera très probablement franchi dans la prochaine décennie. Une fois ce seuil dépassé, tout l’enjeu est de limiter le réchauffement au plus bas. Cela ne signifie pas que tout est perdu. Mais pour limiter le réchauffement il n’y a qu’une seule solution : la neutralité carbone. Il ne faut pas émettre plus de CO 2 que ce qui peut être absorbé. Toute molécule additionnelle de CO 2 dans l’atmosphère conduit à un réchauffement. De nouveau, c’est la physique qui parle.

Nous avons besoin de transformations radicales à la fois dans leur durée et dans leur ampleur, en agissant sur tous les secteurs. Les leviers d’action sont différents selon les pays. Une réflexion générale sur nos modes de vie et de production s’impose.

L’autre question qui se pose, c’est la manière dont nos sociétés peuvent et doivent s’adapter à ces événements extrêmes. Aujourd’hui, nous ne sommes clairement pas préparés, les impacts sont très forts car nous les anticipons très mal au regard des changements en cours et à venir.

Vous êtes en plein processus d’approbation du 6 e rapport du Giec, quel est l’enjeu ?

Christophe Cassou : Les 195 États membres de l’ONU sont en train d’approuver ligne par ligne ce que l’on appelle le résumé aux décideurs, soit une quinzaine de pages qui synthétisent plus de 1 000 du rapport. Le résumé, qui est d’abord écrit par les scientifiques, est au final co-construit entre États et scientifiques. Il ne sera dévoilé que le 9 août. À partir de là, le rapport du Giec ne sera plus un rapport uniquement scientifique, mais un rapport commun science-société, approuvé par les États au nom des citoyens. Il constituera le principal apport scientifique aux négociations internationales sur le climat, qui vont se dérouler à la COP26, en novembre. C’est le premier rapport général du Giec depuis l’accord de Paris, en 2015

Cela fait trente ans que les scientifiques alertent, n’y a-t-il pas une forme de lassitude ?

Christophe Cassou : Le Giec a commencé par alerter, puis il a souligné et martelé l’urgence sur la base d’éléments scientifiques très solides. Chaque scientifique vit ce moment différemment. Pour ma part, je ressens du désarroi mais pas de désespoir. Car, depuis cinq ans, on voit une vraie prise de conscience. La société civile s’est approprié les rapports du Giec. Des batailles juridiques s’ouvrent : des procès climatiques se tiennent. Ils nourrissent l’action des militants du climat, mais aussi de toute la société civile. La combinaison de tout cela va dans le bon sens. Les rapports du Giec sont absolument nécessaires mais pas suffisants. Ils nourrissent l’action des militants du climat, mais aussi de toute la société civile, incluant tous les acteurs. Comme la société civile s’empare de ces rapports, elle peut dès lors mettre la pression sur les gouvernants. En approuvant les rapports du Giec, les États ont un devoir moral d’engager des politiques qui vont dans le sens de ses conclusions.

 

mardi 27 juillet 2021

« Césarisme », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



La jeune et fragile démocratie tunisienne a connu depuis 2011 bien des soubresauts. Les convulsions présentes comptent sans nul doute parmi les plus sérieuses. Dimanche, au terme d’une journée de manifestations au cours de laquelle des protestataires ont mis le feu à des locaux du parti islamiste Ennahdha, clé de voûte de la coalition gouvernementale, le président Kaïs Saïed annonçait, en invoquant la Constitution, sa décision de s’arroger tous les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. L’hôte du palais de Carthage entend, par ce coup de force, « sauver la Tunisie ». Au milieu de l’hécatombe provoquée par la pandémie de Covid-19, dans un pays asphyxié, cette décision a été accueillie par des scènes de liesse.

Elles n’ont rien de surprenant. Depuis la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, un spectre hante la Tunisie : celui de l’homme providentiel. Il faut dire que depuis dix ans la promesse démocratique de la révolution tunisienne n’en finit plus de sombrer dans les marécages de la corruption, des intrigues politiques et de la crise économique. Venue, en 2011, des tréfonds du peuple, la demande d’égalité et de justice sociale n’a jamais été entendue par des élites arrogantes, sûres de leurs privilèges. Les institutions se trouvent dans un état de délitement avancé, les caisses sont vides, les services publics, à terre. Devant ce désastre, Kaïs Saïed prétend restaurer l’autorité de l’État en incarnant l’ultime recours. Ses adversaires d’aujourd’hui étaient ses alliés d’hier : les islamistes ont beau jeu de dénoncer un « coup d’État », eux qui ont contribué de façon décisive à porter ce rigide conservateur au pouvoir. « La magie se retourne contre le magicien », dit un proverbe arabe…

Les « amis » de la Tunisie portent, dans cette crise sans fin, une lourde responsabilité. Jamais on n’aura vu la couleur du « plan Marshall » promis la main sur le cœur, en 2011, au G8 de Deauville, pour appuyer la transition démocratique. Au contraire, le fardeau de la dette extérieure, qui atteint 100 % du PIB, accable le pays, le mettant à la merci du FMI et des bailleurs de fonds étrangers. Les tensions et les lignes de faille qui traversent aujourd’hui l’Afrique du Nord sont lourdes de menaces. Personne, dans ce contexte, n’aurait intérêt à voir enterrée la précieuse tentative démocratique du peuple tunisien. 

Loi sanitaire. Fabien Gay : « On va créer des chômeurs sanitaires ».



Naïm Sakhi

Fabien Gay, sénateur communiste de Seine-Saint-Denis, était dans l’Hémicycle lors de l’examen du texte issu de la commission mixte paritaire. Il s’inquiète des dérives sociales du passe sanitaire. Entretien.

La suspension du contrat et de la rémunération des salariés en CDI travaillant dans des établissements recevant du public et ne pouvant justifier d’un passe sanitaire, ainsi que des soignants non vaccinés est rendue possible. Comment accueillez-vous cette mesure ?

FABIEN GAY : C’est insupportable. Mais, en réalité, il existe dans le texte un flou juridique car, au bout de deux mois de suspension, rien n’est précisé. Et pour les TPE, cela peut se traduire par des ­licenciements économiques. La privation de salaire va aussi pousser les gens à la démission. De plus, mettre quelqu’un en congé sans solde pendant deux mois est une double peine car il n’aura ni salaire ni droits. On va créer des chômeurs sanitaires. Enfin, c’est une très grave attaque contre le contrat de travail tel que nous le connaissons depuis 1973, car une personne pourra être discriminée en raison de son état de santé. Jusqu’à présent, pour modifier le contrat de travail, il faut un accord tacite du ­salarié. Or, la décision gouvernementale va toucher des millions d’employés sans leur demander leur avis ou celui des organisations syndicales. C’est aussi inquiétant car il s’agit d’une mesure dérogatoire qui est inscrite dans le droit commun.

En revanche, les employeurs pourront rompre un CDD ou le contrat d’un saisonnier ne justifiant pas d’un passe sanitaire… Est-ce là un moyen pour le gouvernement de se défausser de ses responsabilités ?

FABIEN GAY : Il y a encore quelques semaines, les jeunes n’avaient pas le droit de se faire vacciner et, ­aujourd’hui, on nous explique que si vous n’êtes pas vacciné, vous pouvez perdre votre travail dans deux mois… Se défausser ainsi sur les employeurs est d’autant plus insupportable que même le patronat ne souhaite pas cette mesure.

Dans l’Hémicycle, vous avez souligné les inégalités sociales dans l’accès aux vaccins. Comment peut-on résoudre cette situation ?

FABIEN GAY : Nous sommes pour une vaccination optimale. Et, plutôt que de contraindre et de sanctionner, il faut convaincre et proposer. Cela demande une grande campagne d’éducation populaire pour montrer que le vaccin permet de se protéger d’un virus qui tue. Quant à la vaccination elle-même, il faut encore davantage de proximité. Nous avons fait la proposition de vacciner dans les entreprises et dans les lieux d’études en s’appuyant sur les médecines scolaires et du travail. Nous devons aussi en faciliter l’accès dans les villes populaires, en allant presque toquer à la porte des habitants. Mais cela demande un déploiement humain, pas un passe sanitaire attentatoire aux libertés publiques, qui sera au final inefficace.

 

lundi 26 juillet 2021

Antoine Flahault : « L’ampleur de cette nouvelle vague est sans précédent.



Nadège Dubessay

Pour l’épidémiologiste Antoine Flahault, l’avancée de la vaccination va atténuer les effets du variant Delta sur l’hôpital, mais pas les prévenir totalement. ENTRETIEN.

PROFESSEUR ANTOINE FLAHAULT, Directeur de l’Institut de santé globale

Nous faisons face à une quatrième vague. Était-elle prévisible ? De cette ampleur ?

ANTOINE FLAHAULT : Cette pandémie est imprévisible depuis le début. Elle contient des ingrédients dangereux, sur le plan sanitaire mais aussi du point de vue de notre cohésion sociale et de notre économie. L’ampleur de cette nouvelle vague est sans précédent, en raison de la très haute transmissibilité du variant Delta. Heureusement, une partie de la population est déjà protégée contre ses complications graves.

Doit-on s’attendre à voir les hôpitaux surchargés ?

ANTOINE FLAHAULT : Hélas, il reste encore un réservoir conséquent de personnes fragiles, âgées et vulnérables qui pourraient avoir des complications les conduisant à l’hôpital. Et cela pourrait engorger à nouveau les hôpitaux.

Est-ce pertinent, dans ces conditions, de lever l’obligation de port du masque, notamment dans les lieux soumis au passe sanitaire ?

ANTOINE FLAHAULT : On peut entendre que les autorités veuillent donner des gages de confiance aux vaccinés. Mais il n’est pas encore venu le moment où on peut s’affranchir du port du masque dans des milieux clos et mal ventilés, ce qui inclut les transports publics. Même chez les personnes vaccinées, il vaut mieux tout faire pour éviter de contribuer à la propagation du virus, alors qu’on est à un moment de croissance exponentielle de l’épidémie.

Quelles mesures devraient être appliquées rapidement ?

ANTOINE FLAHAULT : L’exécutif a misé sur un confinement des personnes non vaccinées en proposant l’extension du passe sanitaire aux bars, restaurants, à toute vie sociale, culturelle, sportive et aux transports publics. Cette mesure peut s’avérer efficace, tout en préservant une forme de vie sociale et économique. Mais elle doit être appliquée de toute urgence et avec beaucoup de rigueur et de fermeté.

Que pensez-vous de l’efficacité du passe sanitaire ?

ANTOINE FLAHAULT : Il va devenir très difficile de confiner toute la vie sociale et économique. Sur le plan de l’acceptation sociale, comme de l’économie du pays. Toute l’Europe est dans la même situation et cherche des solutions aussi efficaces mais moins brutales. L’extension « à la française » du passe sanitaire pourrait s’avérer efficace, d’autant que les écoles et les universités sont fermées. Mais aux Pays-Bas, par exemple, cela a plutôt été un échec, parce qu’elle n’était pas rigoureusement appliquée.

Quelle couverture vaccinale faut-il atteindre pour espérer sortir de cette crise ?

ANTOINE FLAHAULT : La question fait encore débat chez les scientifiques et évolue avec l’accroissement de transmissibilité des nouveaux variants. Je vous aurais répondu 50-60 % avec la souche originelle de Wuhan, puis 70 % avec le variant Alpha. Avec le variant Delta, on évoque plus de 90 %. Comme on parle ici de toute la population, cela nécessite de vacciner les enfants.

Faut-il une obligation vaccinale pour tous ?

ANTOINE FLAHAULT : La réponse est plus d’ordre politique que scientifique. L’objectif scientifique est d’atteindre la plus grande proportion de personnes vaccinées, le plus rapidement possible. Si cela doit passer par une politique d’obligation vaccinale, acceptée par la majorité de la population, alors pourquoi pas…

 

« Fractures », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



Alors que la quatrième vague laisse planer le doute, l’ampleur des inégalités vaccinales est éloquente. Le gouffre se creuse entre les quartiers populaires et les communes riches de nos métropoles.

Nous voilà donc au cœur d’un été chamboulé par ce que les autorités scientifiques nomment «la quatrième vague». Loin des théâtres sportifs, une tout autre course contre la montre s’engage sans que nous ne sachions, à l’étape actuelle, quelles seront les conséquences du variant Delta sur la crise sanitaire et l’ampleur des répercussions sur nos hôpitaux, déjà exsangues. Une constatation s’impose: la relance de la pandémie, dans ses ressorts les plus brutaux, est évidemment le résultat de l’imprévoyance au plus haut sommet de l’État, tandis qu’un homme concentre tous les pouvoirs, toutes les décisions, quitte à multiplier les choix contradictoires jusqu’à s’opposer aux recommandations du conseil scientifique. À grand renfort de communication, l’exécutif nous avait annoncé «la liberté retrouvée». Résultat, le Parlement se voit contraint – une fois encore – de voter des textes en urgence, au mépris de la représentation nationale. Et au détour d’une loi sur le passe sanitaire, de nouvelles libertés se trouvent malmenées, et le Code du travail modifié au détriment des salariés…

Parlons-en, de cette course contre la montre entre cette «quatrième vague», d’un côté, et la vaccination, de l’autre – seule susceptible de créer les conditions d’une immunité collective dont la France a urgemment besoin. Nous le savons, l’accélération de la vaccination accessible à tous, ne dépend pas que de la bonne volonté des citoyens. Une passionnante étude du géographe Emmanuel Vigneron, publiée par Le Monde, révèle sans surprise l’ampleur des inégalités vaccinales. Les données sont éloquentes. Le territoire national est ainsi «morcelé» entre les centres urbains, au-dessus de la moyenne, et les périphéries. Sans parler, bien évidemment, du gouffre qui sépare les quartiers populaires et les communes riches de nos métropoles. Les plus vaccinés? L’Ouest parisien et francilien, par exemple, ou les cinquième et septième arrondissements marseillais, et les beaux quartiers lyonnais. Les moins vaccinés? La Seine-Saint-Denis, les arrondissements populaires du nord-est de Paris, les quartiers Nord de Marseille, les villes périphériques de la région lyonnaise, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Givors, etc. L’impitoyable constat d’une France malade de ses fractures sociales.

 

vendredi 23 juillet 2021

Disparition. Lafesse est mort, et ce n’est pas un canular



Marie-José Sirach

L’humoriste aux envolées surréalistes, auteur de gags mémorables, est mort. Il avait 64 ans. La maladie de Charcot aura eu raison de son humour.

Mme Ledoux Germaine est en deuil. Elle ne pourra plus converser au téléphone avec des inconnus au hasard du bottin. Son neveu de gendarme ne pourra plus sauver la veuve et l’orphelin. Jean-Yves Lafesse est mort et les extra-terrestres ont décidé de ne plus envahir le Doubs. Quant aux escargots du Brésil bouffeurs de chien, ils viennent de demander l’asile politique en Bretagne... 

Il n’y avait que lui pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes, une carotte pour un micro. Il avait révolutionné la caméra cachée, façon arte povera, rien dans les mains, tout dans les mots, piégeant, toujours respectueusement, le quidam dans la rue. Il ferrait sa proie avec douceur, et savait la ramener dans son aire de jeu. Dans la rue, il improvisait en fonction de la personne croisée au hasard, pouvait débiter des horreurs avec le plus grand sérieux du monde et un sourire enjôleur. Il était grossier, jamais vulgaire. Son humour n’était ni préfabriqué, ni surgelé mais irrévérencieux, iconoclaste, absurde.

Au téléphone, Jean-Yves Lafesse s’aventurait dans des histoires abracadantesques en compagnie d’inconnus qui se métamorphosaient en personnages, lui donnant la réplique sans sourciller, conversant naturellement avec lui. Échanges surréalistes empreints d’une très grande humanité, on retiendra combien ses interlocuteurs pris dans le feu de la conversation, étaient prêts à tout pour venir en aide à la bonne vieille Mme Ledoux ou à un certain M. Robert, échappé de l’hôpital psychiatrique.

C’était un humoriste singulier, libre qui a donné ses lettres de noblesse au canular, à l’imposture pour démasquer les bons comme les cons, les généreux comme les égoïstes. C’était “un déconneur professionnel” comme il disait, de ceux qui ne trichent pas avec les gens; un type sincère, bourré de talent. A l’instar d’un Coluche, Desproges ou Bedos, l’humour de Jean-Yves Lafesse était un contre pouvoir à la bien pensance, un contre poison à la connerie. Salut l’artiste…

Climat, progrès social et démocratique : même comb



L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 22 au 28 juillet 2021 – par Patrick Le Hyaric.

Les phénomènes climatiques extrêmes s’enchainent avec leurs lots de paysages dévastés, de souffrances et de décès. L’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas comme le Luxembourg qui n’y étaient pas préparés comptent leurs morts par dizaines après les crues sidérantes du Rhin, de la Meuse et de leurs affluents. Dans ses premiers rapports, le GIEC soulevait déjà l’hypothèse de pareils désastres en Europe.

Il y a quelques jours, le Canada connaissait un dôme de chaleur étouffant sur ses côtes occidentales avec un thermomètre dépassant les 50 degrés, causant des centaines de décès. Un phénomène analogue s’est abattu sur l’Espagne et le Maghreb. Des chaleurs exceptionnelles ont également frappé les régions polaires de l’arctique et de la Sibérie, accélérant la fonte déjà bien entamée des glaciers. Et ce n’est pas jouer les Cassandre que de prévoir d’ici la fin de l’été des phénomènes climatiques de semblable intensité qui se traduiront en nouveaux morts et nouvelles dévastations.

L’enjeu n’est désormais plus d’anticiper ces modifications, mais d’y faire face.La Commission européenne a présenté la semaine dernière douze directives visant à atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce plan fixe pour principal objectif d’adapter le capitalisme financier aux contraintes environnementales. Pour réduire les émissions de carbone, la Commission a ainsi décidé de s’en remettre à un nouveau marché du droit à polluer pour les transports et le chauffage des bâtiments, sur le modèle de celui qui régit les émissions de carbone dans l’industrie. Le prix du carbone est ainsi déterminé par le « libre jeu » des acteurs privés, soumis à fluctuation et… à spéculation, au profit des très grandes entreprises qui peuvent s’octroyer ce droit et au détriment des PME et TPE. Il en va de même pour le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui prévoit de surtaxer les pays aux normes environnementales les moins strictes, parmi lesquels les moins développés. Le risque est grand qu’un tel dispositif, s’il a la vertu d’encourager la relocalisation, ne servent in fine qu’aux grandes entreprises et nations insérées dans la mondialisation capitaliste, qui en profiteront pour asseoir leur domination sur les échanges mondiaux. De plus, comment croire une Commission qui, d’un côté, promeut des échanges propres, et de l’autre, encourage des traités de libre-échange qui s’assoient sur les normes environnementales ?

Cette obsession à épargner le capital fait perdre un temps irrattrapable dans la course pour la sauvegarde de l’environnement, en plus de faire peser sur les classes populaires le poids des indispensables transformations. On peut ainsi douter de la volonté de passer en force pour supprimer les voitures à essence en 2030. Si les constructeurs verront s’ouvrir le nouveau marché de la voiture électrique – qui ne garantit pour l’heure en rien une neutralité carbone – les classes populaires risquent fort de ne pouvoir assumer la coûteuse transition du parc automobile, qui plus est laissée aux mains de constructeurs privés qui bénéficient d’aides publiques par milliards tout en laissant saccager les fonderies.

S’il n’est pas social, le combat écologique, par la radicalité des mesures à prendre, ne pourra aller que d’échecs en échecs. Il ne peut reposer que sur un nouveau contrat social et environnemental, avec en point d’orgue la garantie de l’emploi et de la formation. Avec un pôle public de l’énergie et des tarifs réglementés, une maîtrise publique et planifiée pour engager la rénovation thermique de tous les bâtiments, une lutte contre l’artificialisation des sols, un fret ferroviaire sous maîtrise publique qui irrigue le territoire, des investissements pour adapter les infrastructures et les industries aux contraintes environnementales et une agriculture paysanne réinventée. Bref, avec une série de ruptures avec les logiques qui  conduisent l’humanité vers le précipice. Ce combat est indissociablement social, démocratique et écologique. 

 

« Faites vos Jeux… »,l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



À l’heure d’imaginer les exploits à venir et de se livrer à la passion des compétitions, une chose est certaine: nous ne savons que penser de ces 32es olympiades, les moins désirées de l’histoire. 

«Citius, altius, fortius.» Plus haut? Plus vite? Plus fort? La flamme achève enfin son parcours dans le stade olympique de Tokyo, ce vendredi lors de la cérémonie d’ouverture, seize mois après avoir débarqué au Japon en mars 2020 – et peu avant l’annonce retentissante du report des Jeux pour cause de pandémie. À l’heure d’imaginer les exploits à venir et de se livrer à la passion des compétitions, une chose est certaine: nous ne savons que penser de ces 32es olympiades, les moins désirées de l’histoire. Rendez-vous compte. Non seulement 60% de Japonais affirment leur opposition absolue à leur tenue, mais l’anxiété due à la reprise de l’épidémie de Covid-19 dans le pays provoque colère et fronde inédites à l’égard du gouvernement local. Toutes les contestations se concentrent contre cette organisation qui aura poussé jusqu’au bout sa propre logique : les Jeux, quoi qu’il en coûte. Même sans la présence du moindre spectateur dans tous les théâtres sportifs qui accueillent nos héros, tous réduits au huis clos… une première.

La question se posa longtemps, elle fut même encore d’actualité cette semaine : fallait-il une annulation pure et simple, sachant que les cas « positifs » au ­coronavirus se multiplient parmi les athlètes présents, ce qui ne manquera pas de fausser la « légitimité » de quelques épreuves ? C’eût été, bien sûr, sacrifier la préparation de milliers de participants, voire pour certains renoncer définitivement à l’aventure des Jeux. Mais au-delà du surgissement imprévisible de cet événement mondial nommé «pandémie», une autre interrogation bien plus fondamentale s’impose désormais à tout le mouvement sportif: le «modèle» et le «format» des Jeux, trop chers, trop grands, sont-ils encore pertinents alors qu’ils s’éloignent peu à peu des valeurs universelles de l’olympisme?

Au stade suprême du néocapitalisme sportif, quand les intérêts financiers dictent leur loi et conditionnent l’overdose d’épreuves (il n’y en a jamais eu autant), une information est presque passée inaperçue cette semaine : Brisbane accueillera la fête olympique en 2032. La particularité? La cité australienne était la seule candidate. Après Paris en 2024 et Los Angeles en 2028, trois villes – uniquement – pouvaient « s’offrir » les prochains Jeux, ce qui exclut, de fait, la plus grande partie de l’humanité. Tout le contraire de l’olympisme…