vendredi 30 juillet 2021

Covid. Passe et impasse pour le droit du travail.



Sarah Lavoine

Sous réserve d’une validation du Conseil constitutionnel, les salariés des établissements recevant du public devront présenter un passe sanitaire à partir du 30 août. Pourtant, de nombreux flous juridiques persistent.

« Il ne faut pas laisser croire aux salariés qu’il ne peut pas y avoir de licenciement », a prévenu Élisabeth Borne, ministre du Travail. Alors que l’extension du passe sanitaire et l’obligation vaccinale pour certaines professions ont été adoptées à l’Assemblée dans la nuit du 25 au 26 juillet, des interrogations demeurent sur les conditions de travail des salariés employés dans des établissements accueillant du public.

Ces derniers seront soumis à l’obligation du passe sanitaire à partir du 30 août. Dans le cadre d’un accord entre députés et sénateurs, le motif de licenciement prévu dans le texte initial a été supprimé, remplacé par la suspension. Dans le cadre d’un CDI, un employé sans passe aura la possibilité, en accord avec son employeur, de prendre des congés ou RTT, ou de changer de poste de travail, le temps d’en produire un. Sinon, son contrat de travail et sa rémunération seront suspendus – seuls les CDD pourront être rompus.

« Plus d’incertitude et de précarité » 

« Comment un salarié pourrait vivre sans salaire ? » s’interroge Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Aucune limitation à la suspension de la rémunération n’est fixée par la loi. « C’est le vide juridique, un no man’s land sans protection économique pour le salarié et sans protection juridique pour les entreprises », ­dénonce François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

«  La suspension entraîne de graves conséquences tout de suite puisque le salarié n’aura pas de revenus, n’aura aucun droit au chômage… Est-ce que ça peut être une longue période de suspension ? Quelles en seront les conséquences ? » se demande Judith Krivine, avocate spécialiste en droit du travail.

Quant à la possibilité d’un simple changement de poste, qui est prévue par le texte, elle ne convainc pas davantage. « On peut essayer de lui trouver un poste administratif, mais si l’employeur a plusieurs salariés dans ce cas, comment il choisit ? » s’interroge Céline Verzeletti. De plus, aucun cadre juridique n’est prévu par la loi pour le remplacement du suspendu : « Si c’est un CDI, il me semble impossible de le remplacer par un autre. L’employeur va-t-il conditionner l’embauche à la production du passe sanitaire ? » ajoute Judith Krivine.

La ministre du Travail a indiqué être prête à compléter cette loi imprécise devant les deux Chambres parlementaires, notamment si le passe sanitaire devait perdurer au-delà du 15 novembre. Se voulant rassurante, elle a également ajouté que, en cas d’abus, « (ils encadreraient) les choses » – a posteriori, donc, et sans plus de précision.

Ce que craignent les opposants à cette mesure, c’est le risque que les employeurs « convoquent le licenciement sur la base d’autres critères liés à l’absence du salarié suspendu », s’alarme le député Pierre Dharréville (GRD). « Cela va créer une zone d’incertitude et de précarité supplémentaire pour un certain nombre de salariés. Ils utilisent la méthode du chantage, de la pression et de la stigmatisation. Le gouvernement renonce à ses propres responsabilités pour les transférer sur les individus, avec des mesures de contrôle permanent des uns par les autres », complète-t-il.

Un secret médical plus vraiment secret

Le passe sanitaire au travail soulève aussi la question du secret médical. Alors que seule la médecine du travail est habilitée à déclarer l’aptitude d’un salarié, les employeurs auront à présent ce pouvoir. « C’est du jamais-vu, il y a une absence de préservation, s’inquiète Céline Verzeletti.  On met les questions de santé dans le contrat et l’employeur peut agir dessus. » Éric ­Coquerel, député FI, partage son avis : « C’est une entorse. Le salarié pourrait être licencié pour suspicion de maladie, c’est un recul terrible. »

À présent, le texte doit passer le cap du Conseil constitutionnel. Les dispositions qu’il porte à l’encontre des salariés pourraient bien être considérées comme discrimi­natoires. En effet, elles sont liées à l’état de santé du salarié et donc contraires au principe d’égalité de la Constitution, du fait de la « différenciation de traitement injustifiée en fonction des entreprises. Il y a donc des arguments qui permettraient au Conseil constitutionnel de juger la loi non conforme », achève Judith Krivine. Verdict le 5 août.

 

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