lundi 31 août 2020

« CINQ SUR CINQ », L’ÉDITORIAL DE MAURICE ULRICH DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR !




Non, ça ne passe pas ! Ça ne passe pas quand Emmanuel Macron téléphone lui-même à Danièle Obono, après la publication d’une fiction par l’hebdomadaire Valeurs actuelles représentant la députée de la France insoumise en esclave. La condamnation du monde politique serait unanime. Admettons, quand bien même certaines déclarations ont les allures de politesses de crocodiles.

Mais le président de la République aurait-il oublié qu’il accordait, il y a moins d’un an, une très longue interview au même journal lors d’un voyage de retour de La Réunion en déclarant à cette occasion : « C’est un très bon journal, il faut le lire pour savoir ce que pense la droite » ? Il ne le savait pas quand, au fil de ses unes, Valeurs actuelles martèle depuis des années les mêmes thématiques, de la droite peut-être, mais surtout de ses extrêmes ? Aurait-il oublié aussi une certaine rencontre, auparavant, avec Philippe de Villiers suivie par un photographe et un seul journaliste, de Valeurs actuelles  où ont également défilé Marlène Schiappa, Gérald Darmanin, Jean-Michel Blanquer ? Une légitimation en bonne et due forme.

Non, ça ne passe pas quand la direction de l’hebdomadaire, tout en feignant de présenter devant le tollé ses excuses à la députée, « qui a pu être choquée », ne fait que renouveler les raisons de son choix. L’objectif aurait été de montrer que l’esclavage n’a pas été le fait unique des blancs. Et alors ? C’est censé laver plus blanc ? Ça autorise à proposer aux lecteurs et à l’opinion qui y est le plus disposée le fantasme d’une élue de la nation, de la République, nue et enchaînée ? Manière de dire, n’est-ce pas, qu’elle l’aurait bien cherché ? Ce n’est pas du racisme, assure l’hebdomadaire qui a fait d’Éric Zemmour, condamné déjà pour incitation à la haine raciale et poursuivi à maintes reprises pour les mêmes raisons, son homme de l’année il y a trois semaines.
Ça ne passe pas mais, ce qui se passe, c’est la dérive, toujours plus à droite des débats politiques nationaux. La volonté de rééditer le second tour de 2017 qui est celle d’Emmanuel Macron n’y est pas pour rien et ça, Valeurs actuelles l’a très bien compris et reçu cinq sur cinq.


« PLAN B », LE BILLET DE MAURICE ULRICH !




Ah, la rentrée ! On retrouve les collègues, les copains et copines dans la cour du collège. On parle des vacances. « Salut ça va ? » « Ouais, super et toi ? » En fait ça ne va pas, enfin pas vraiment. Les sourires ne se devinent plus qu’aux yeux. Plus d’accolades, plus d’embrassades et dans cet étrange pays qu’est notre pays lui-même chemine une angoisse diffuse qui ne s’avoue pas toujours. Il va falloir vivre avec, nous dit-on. C’est juste, c’est la vérité. Combien de temps. Des mois, des années ? On pense comme dans la chanson aux paroles de Prévert écrites pour un amour perdu. « La vie avant était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. » Ce n’est pas tout à fait vrai. Pas seulement parce que le Covid n’a pas empêché la canicule mais parce que nous allons de crise en crise, parce qu’avant le monde était déjà ravagé par les inégalités et le saccage de la Terre. Nous n’avons pas de planète B. Bonne rentrée.
Le billet de Maurice Ulrich


LIBAN. « MACRON VIENT POUR RÉANIMER UN RÉGIME MORT » (PIERRE BARBANCEY)




Alors que le président français est de retour à Beyrouth, les jeunes Libanais disent leur envie d’être maîtres de leur destin et rejettent le confessionnalisme. Des groupes s’organisent pour proposer une alternative.
Beyrouth (Liban), envoyé spécial.

Assis à même le sol sur la place des Martyrs, en plein centre de Beyrouth, ils sont une dizaine de jeunes – filles et garçons – à prendre un peu de repos. Depuis le 4 août, date de la déflagration dans un hangar du port qui a défiguré la capitale et fait plus de 180 morts ainsi que 6 000 blessés au bas mot, ils s’activent comme des beaux diables pour venir en aide aux habitants des quartiers sinistrés. À Gemmayzé comme à Achrafié ou Geitaoui, ils ont balayé, déblayé, monté des étages du matin au soir.

« Le gouvernement ne fait rien », tonne Rima, 20 ans, étudiante en sociologie. Wissam, le même âge et futur ingénieur en électronique, renchérit : « On a un État débile. Au début, le gouvernement n’a même pas envoyé l’armée pour aider à sortir les gens des décombres. Il n’a pris aucune initiative. » Même constat de la part de Joëlle, 25 ans, en fac d’audiovisuel. « En fait, il faut qu’on soit prêt à tout moment pour aider les autres parce qu’il n’y a jamais les moyens. Comme si l’État attendait qu’une catastrophe se produise pour obtenir des aides et des dons. » La veille de notre rencontre, ils se sont rendus dans le quartier de la Karantina, ainsi nommé à cause de l’hôpital qui s’y trouve et dans lequel, dans le temps, on maintenait en quarantaine ceux qui arrivaient par bateau dans le port mitoyen. « Alors qu’on passait dans les rues dévastées, on a entendu des gens », raconte Maryam, elle aussi dans sa vingtaine, qui étudie les mathématiques. « Ils étaient en plein désarroi, dans leurs maisons qu’ils ne voulaient pas abandonner. Ils n’avaient même pas d’eau. Malgré ça, la Compagnie nationale d’électricité n’a envoyé personne pour tenter de soulager leurs difficultés, alors que la plupart de ces bâtiments risquent de s’écrouler. »

Ces images, ils ne sont pas près de les oublier. Elles alimentent leur colère déjà forte. La place des Martyrs est le symbole de cette révolte où, depuis le 17 octobre dernier, se dresse une sculpture emblématique érigée par les manifestants. Un poing fermé pour dire « le pouvoir au peuple » mais aussi un message à ceux qui détiennent ce pouvoir et qu’ils veulent éjecter, mettre K.-O. « Tous, c’est tous ! » criaient ces milliers de jeunes Libanais, toutes confessions confondues. L’explosion du 4 août a été la goutte sanglante qui a fait déborder un vase déjà plein. Alors, quatre jours plus tard, le 8 août, ils sont redescendus dans la rue. Sur cette même place des Martyrs avec l’envie d’aller se faire entendre dans le centre opérationnel de ce pouvoir défaillant, à quelques encablures. La réponse a été sans équivoque : la répression. Pas seulement à coups de matraque. Les grenades lacrymogènes ont saturé l’air, pendant que les balles de caoutchouc (mais aussi réelles) fendaient la foule.

Mohammed, 19 ans, a été touché au pied. Ce qui n’entame en rien sa détermination. « L’État préfère nous tirer dessus plutôt que satisfaire nos revendications. Nous étions là en octobre pour réclamer nos droits, avoir un accès gratuit à l’éducation, pouvoir aller à l’hôpital se soigner, avoir de l’électricité et de l’eau en permanence », assure-t-il en allumant une cigarette. Lui habite dans le quartier de Dahieh, dans la banlieue sud de Beyrouth. L’eau, il doit la payer deux fois. D’abord à l’État et ensuite au Hezbollah, qui contrôle la zone. Une pratique courante qui ne serait pas le fait du seul parti chiite.

Ces seules évocations de la part de Mohammed font se délier les langues de ses potes. « À l’université publique, il n’y a pas de laboratoires d’expérimentation, pas de toilettes. Seuls les riches peuvent aller dans les universités privées. Dans le public, il faut payer 500 000 livres libanaises par an alors que, dans le privé, c’est 6 000 dollars minimum à régler en dollars », témoigne Rima. La sélection sociale se double d’un confessionnalisme-clientéliste qui détermine votre place dans la société libanaise. « Dans mon amphi, deux filles ont réussi à avoir du travail. L’une est membre d’Amal (parti chiite dirigé par le président du Parlement, Nabih Berri – NDLR), l’autre du Courant patriotique libre (CPL, la formation chrétienne du président de la République Michel Aoun – NDLR), assure la jeune femme. Il y a encore deux mois, tous ceux qui manifestaient étaient désespérés de la situation. Mais maintenant, il faut que ça change. »

Mohammed (un autre), 25 ans, vient de terminer ses études de gestion. « Je ne trouve pas de travail dans ma branche », regrette-t-il. Alors, il travaille dans un restaurant. Ses parents étant du sud du pays, une région pauvre, il n’a pas de logement à Beyrouth et est hébergé de façon précaire dans les locaux l’Union de la jeunesse démocratique libanaise (UJDL), dans laquelle se retrouvent la plupart des membres du groupe des étudiants que nous avons rencontrés. Une organisation marquée à gauche, proche du Parti communiste libanais (PCL). Mohammed est plutôt pessimiste. « L’explosion n’a pas vraiment affecté la situation. Les gens restent attachés à leur confession et à ceux qui les dirigent, soutient-il. Je ne sais pas ce qui va se passer, mais il faut essayer de persuader les gens qu’on ne peut pas rester comme ça. Il ne faut plus remplacer l’État comme nous le faisons en nettoyant les rues pour qu’enfin les gens réalisent que ça ne peut plus durer. C’est comme si on leur injectait de la morphine. » Le constat est dur mais lucide, un brin désabusé.

Dans ce marasme, alimenté par les puissances extérieures (lire ci-contre) et la volonté des partis confessionnels de maintenir leur emprise sur le pays, les initiatives se multiplient pour tenter de trouver une sortie laïque et démocratique sans, pour l’instant, parvenir à unifier un véritable mouvement. Pourtant, les revendications sont en partie semblables. Mais la suspicion, les craintes de manipulations, les conceptions régionales (notamment le positionnement face au Hezbollah) freinent, voire empêchent une cristallisation programmatique apte à rassembler encore plus largement, à créer une vague de fond capable de balayer le système confessionnel et ouvrir la voie à un nouveau Liban.

« Il existe une alternative face au communautarisme », estime Charbel Nahas, animateur du mouvement Citoyens et citoyennes dans un État, affirmant par ailleurs, depuis des mois, qu’ « il faut allouer des pouvoirs législatifs exceptionnels à un gouvernement transitoire ». C’est aussi le souhait d’Hanna Gharib, le secrétaire général du Parti communiste libanais (lire entretien ci-contre). Même le parti phalangiste (Kataëb, maronite), dont les trois députés ont démissionné, dit s’inscrire dans une nouvelle dynamique. « Le combat n’est pas entre musulmans et chrétiens, nous certifie Alain Hakim, ministre des Finances de 2014 à 2016. Nous voulons changer le jeu parce que nous n’avons pas un État mais une ferme. »

Tarek Ammar, qui, en 2016, avait été l’un des fondateurs de Beirut Madinati (Beyrouth ma ville), mouvement présent aux municipales de mai 2016 et ayant remporté quelques sièges, est l’un de ceux qui pensent nécessaire de « lutter en créant un système de travail » permettant « la formation d’une sorte d’alliance pour imposer un gouvernement législatif qui ne passerait ni par le Parlement ni par le président ». Des réunions ont lieu, agrégeant des petites structures. Des rassemblements hebdomadaires étaient programmés pour une expression publique et « consolider la lutte politique et le programme pour passer ces idées au peuple ». Mais le confinement du pays, jusqu’au début du mois de septembre, pour cause de Covid empêche ce type d’actions.

Rima, l’étudiante en sociologie, veut y croire. « Durant les dix mois qui se sont écoulés, nous avons fait tomber deux gouvernements, se réjouit-elle. Nous avons montré qu’entre le Mouvement du 8 mars (1) et celui du 14 mars (1), il y a autre chose, qu’une partie du peuple réclame des choses différentes. L’État ne peut plus fermer les yeux. » Même son de cloche chez Tarek : « On a fait sauter le gouvernement de Saad Hariri, il y a un an, il faisait partie du régime confessionnel. Ils se protègent tous ensemble. Hariri est un des piliers de ce régime. » Alors qu’une campagne se développe visant exclusivement le Hezbollah comme cause de tous les maux, Rima et Tarek, chacun de son côté, rappellent la revendication essentielle du 17 octobre : « Qu’ils dégagent tous. Tous, veut dire tous. »

Dans ce cadre, la visite d’Emmanuel Macron le 6 août, et son retour aujourd’hui et demain (à l’origine pour célébrer la proclamation par la France coloniale de l’État du « Grand Liban » il y a cent ans), n’est pas du goût de tous ceux qui prônent la révolution. « Il est venu faire son show dans les rues dévastées mais, en réalité, il a réuni tous ces partis que nous rejetons, afin de nommer un premier ministre et surtout sans aucune consultation du peuple », s’emporte Rima. « Macron n’est pas là pour être avec le peuple mais pour réanimer un régime mort, souligne Tarek Ammar. Il pense peut-être ainsi garantir la stabilité du Liban mais en réalité cela tue le peuple petit à petit. Notre combat, c’est celui d’un peuple contre un régime. » Un régime dont la nature confessionnelle recèle intrinsèquement la corruption et le népotisme.

Cette fois, Emmanuel Macron ne devrait pas recevoir le même accueil qu’au début du mois d’août. Malgré la pandémie, beaucoup voudront lui faire comprendre que le temps du mandat est révolu. Le jeune Mohammed, malgré sa blessure, aura, comme il nous l’a dit, un message supplémentaire pour le président français : « Georges Ibrahim Abdallah, le militant communiste libanais qui est dans une prison française depuis trente-six ans doit être libéré et retrouver son pays et les siens. »

Pierre Barbancey

(1) Le Mouvement du 8 mars regroupe : le Courant patriotique libre (CPL, maronite) du président Michel Aoun, le Hezbollah et Amal (chiites). Le Mouvement du 14 mars rassemble le Courant du futur (sunnite) de Saad Hariri, le Parti socialiste progressiste (druze) de Walid Joumblatt et les Forces libanaises (maronite) de Samir Geagea. Les phalangistes du parti Kataëb (maronite) qui en faisaient partie ont pris leurs distances.

vendredi 28 août 2020

« LA MALADIE, L’ÉDITORIAL DE BRUNO ODENT DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR !




Un terrible seuil a été franchi aux États-Unis avec les événements de Kenosha, où Jacob Blake, un jeune père de famille africain-américain, est venu ajouter son nom à la longue et sinistre liste des victimes de violences policières. Après avoir reçu sept balles dans le dos, il risque de rester paralysé à vie. Le forfait a déclenché une explosion de colère qui a pris parfois la dimension d’émeutes, comme à Minneapolis après la mort de George Floyd, il y a seulement trois mois. Pour toute réponse, on a assisté au déploiement de miliciens d’extrême droite dans les rues. Une jeune tête brûlée arme au poing, mais forte d’une « tolérance » avérée de la police, a pu faire un carton sur deux des « protestataires »…

Ces stigmates révèlent la gravité autant que la profondeur du mal qui mine toute une société. Le climat qu’a laissé se répandre Donald Trump, candidat à un nouveau mandat le 3 novembre et adoubé par une convention républicaine qui se réunissait au même moment, a naturellement exacerbé cette déliquescence politique. Le président, si sensible aux sirènes des suprématistes blancs, a versé consciencieusement de l’huile sur le feu, espérant que l’exacerbation des haines communautaires créerait une telle polarisation parmi les électeurs qu’il aurait ses chances, en dépit de son bilan calamiteux sur les plans économique et sanitaire, d’apparaître comme l’homme providentiel, seul capable de rétablir la loi et l’ordre.

Mais l’affection qui ronge la démocratie et la paix civile est si profonde, si ancrée qu’un diagnostic obnubilé par les seules funestes préoccupations tactiques du locataire de la Maison-Blanche paraît bien court. Le mouvement Black Lives Matter (les vies des Noirs comptent) ne cesse, à juste titre, de pointer la dimension « systémique » de « bavures » qui n’ont pas attendu l’avènement du président nationaliste pour proliférer. Les résistants de l’aile gauche du Parti démocrate ont raison. C’est tout un système dominé toujours davantage par Wall Street et la finance qui a fait exploser les inégalités, creusé les fractures, sociales avant que d’être « raciales », élever les murs des ghettos et torpiller le « vivre-ensemble. »

Par Bruno Odent


GOUVERNEMENT. QUAND L’EXÉCUTIF FAIT PLACE À L’EXTRÊME DROITE




Chacune de leur côté, Marlène Schiappa et Marion Maréchal ont fustigé, mercredi soir, la « culture de l’excuse ». Quand le gouvernement emprunte les termes de l’extrême droite, c’est cette dernière qui en tire profit.

Une aubaine pour l’extrême droite. Depuis le remaniement du 6 juillet, le gouvernement de Jean Castex a décidé d’appuyer fort sur le sécuritaire et de jouer la carte identitaire, en attestent notamment l’hyperactivité et les débordements du ministre de l’Intérieur, ou encore la future loi sur le « séparatisme », prévue pour les prochaines semaines. Sur ces questions, la Macronie pénètre dangereusement sur le terrain du Rassemblement national, en empruntant son vocabulaire, d’abord. Exemple le plus marquant : le 24 juillet, dans le Figaro, Gérald Darmanin appelait à « stopper l’ensauvagement d’une partie de la société ». Le ministre légitime ainsi un terme clairement connoté à l’extrême droite. Celle-ci peut donc désormais le théoriser en toute impunité, comme l’a démontré Marion Maréchal, interrogée par Azur TV, mercredi : « Une fois de plus, je vais choquer les belles âmes. Cet ensauvagement de la société est le résultat de trois phénomènes : l’immigration, la culture de l’excuse et l’effondrement de la chaîne pénale », a-t-elle osé.

Mercredi, quelques minutes avant cette interview de Marion Maréchal, l’Express publiait sur son site un entretien de Marlène Schiappa dans lequel la ministre déléguée à la Citoyenneté déclarait : « Il existe maintenant une gauche identitaire qui porte une culture de l’excuse en fonction de l’identité face aux atteintes à la citoyenneté, à la délinquance, aux crimes. » C’est l’ex-premier ministre Manuel Valls qui résume le mieux le sens de cette critique, utilisée depuis plusieurs années par la droite et surtout par l’extrême droite et les réseaux les plus conservateurs. « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser », prétendait-il en 2016.

Le gouvernement, par son discours réactionnaire, repousse les limites de ce qu’il est acceptable de dire ou non. Ainsi, des mots comme ensauvagement, malgré leurs relents racistes, se banalisent. Tout comme les positions du RN, alors que son discours haineux envers les banlieues ou les immigrés est légitimé au plus haut sommet de l’État – « Le droit d’asile ne donne pas le droit à foutre le bordel  ! » déclarait encore Gérald Darmanin, le 16 août. « Marion Maréchal-Le Pen a elle-même conceptualisé l’idée de combat culturel, elle le dit clairement. C’est-à-dire l’idée qu’il faut d’abord influencer l’opinion publique avant de pouvoir gagner des élections, rendre des propos naguère jugés choquants aujourd’hui raisonnables », expliquait Clément Viktorovitch, professeur de rhétorique, en novembre 2019 dans l’émission Clique. La nièce de Marine Le Pen n’imaginait certainement pas que leur adversaire, Emmanuel Macron, les aiderait autant dans cette entreprise.

En faisant cela, le président de la République veut draguer les électeurs de droite, orphelins d’un parti, LR, aux abois, en allant sur ses thèmes historiques. « Or, si le ministre de l’Intérieur insiste sur le sécuritaire, le gouvernement ne présente pas de résultats satisfaisants, selon les électeurs de droite ou d’extrême-droite, concernant la délinquance, les incivilités », observe le politologue Jérôme Sainte-Marie. Une forme d’impunité lui est même systématiquement reprochée, par les médias conservateurs notamment, Valeurs actuelles en tête. À ce petit jeu, Emmanuel Macron prend un risque considérable : s’il espère remettre en selle son duel avec Marine Le Pen, focaliser le débat sur ces thèmes identitaires pourrait finir par profiter à son adversaire.
Florent Le Du


mercredi 26 août 2020

L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 27 août – par Patrick Le Hyaric.



C’est à y perdre son latin ! Les mêmes qui se sont évertués à expliquer en mars que «le masque ne servait à rien» organisent aujourdhui la chasse à celle ou celui qui nen porte pas en certains lieux. Si ce dispositif de protection individuelle est indispensable, sil permet de contenir et de faire éteindre la pandémie, alors il convient de respecter les consignes sanitaires. Il y aurait moins de doutes si le gouvernement n’avait pas dit tout et son contraire dans sa gestion des pénuries et s’il n’y avait pas dans l’arène médiatique tant de contradictions entre médecins et entre scientifiques.


Si le masque est quasiment partout obligatoire, l’État doit le traiter comme un bien commun indispensable pour la santé publique. Cela induit de le soustraire des violentes griffes du marché capitaliste et de la concurrence. Au nom du bloc de constitutionnalité française qui garantit la protection de la santé de toutes et de tous, le masque doit être gratuit. Il risque de représenter une charge mensuelle d’environ 300 euros pour une famille de quatre personnes, soit 3600 euros au moins pour une année. Si on en croit les propos du directeur de lOrganisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, cela risque fort de durer plus longtemps, puisquil espère que nous pourrons «en terminer avec cette pandémie en moins de deux ans», ajoutant que «ses effets seront ressentis pour les décennies à venir».


C’est donc une grave injustice supplémentaire pour les familles modestes qui n’en peuvent plus. Certaines ne pourront acheter des masques en quantité suffisante et utiliseront celui porté dès le matin toute la journée, avec de graves conséquences possibles pour leur santé, et celle des autres.
Cette obligation sans gratuité peut devenir vite une discrimination supplémentaire. Le pouvoir répète que cela coûterait cher à l’État. Sans doute, mais que sont quelques milliards pour protéger les citoyens et les familles à côté de ceux qu’il distribue chaque jour sans contrôle ni contreparties, des capitalisations boursières qu’encourage le système, des dépenses pour le surarmement ou des réductions d’impôt pour les sociétés et les plus fortunés?


Constitutionnellement, les citoyens jouissent d’un «droit de créance» qui leur permet dexiger de leur gouvernement lexécution dune obligation, ici celle de garantir la protection de la santé pour toutes et tous. Ajoutons que des dispositions européennes, voire internationales, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé, devraient faire cesser les méfaits de firmes intermédiaires qui s’enrichissent grassement sur le commerce des masques. Le droit à la protection sanitaire et la justice sociale imposent donc la gratuité des masques. L’immédiat appelle également à se donner de nouveaux moyens pour tester la totalité de la population sans doute plusieurs fois à titre préventif et pour soigner quand c’est nécessaire. Les ravages sont déjà colossaux: 800000 décès et plus de 23 millions de contaminations.


Au lieu de la course au vaccin, chacun dans son couloir national pour favoriser les laboratoires privés et les trusts pharmaceutiques à base nationale, il serait plus utile et efficace d’impulser une coopération mondiale pour la recherche d’un vaccin et pour son accès à toutes et tous. Celui-ci devrait être considéré comme un bien commun universel, échappant à la marchandisation capitaliste. Il est tout à fait insupportable que des trusts pharmaceutiques se gavent de profits et de rémunérations de leurs actionnaires sur la pandémie tout en licenciant des salariés alors qu’ils bénéficient, comme Sanofi, de fonds publics et des travaux de la recherche publique. Non, la santé ne peut être une marchandise!

Par Patrick Le Hyaric

« LES CANNIBALES », L’ÉDITORIAL DE STÉPHANE SAHUC DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR




« Renaissance ». C’est ainsi que le Medef a décidé de baptiser sa trentième université d’été. Car il faut « un message heureux, un message d’optimisme », explique Geoffroy Roux de Bézieux. Comblé, le président de l’organisation patronale a félicité ses homologues pour leur réactivité face à la crise. La question qu’il s’est bien gardé d’aborder, c’est le coût de cette « réactivité ». Social d’abord, avec les annonces de licenciements ou d’« accords de performance » dans des pans entiers de la production. Mais aussi pour la société, avec les milliards d’euros débloqués par l’État afin de soutenir de nombreux secteurs. De cela pas un mot, si ce n’est pour féliciter le gouvernement de donner sans rien demander en retour. Car avec le Medef, c’est toujours la même ritournelle : à la collectivité de payer en cas de difficultés et aux patrons, pardon, « aux entrepreneurs » et aux conseils d’administration de décider ce « qui est bon » pour l’entreprise. Tout cela, bien sûr, « au nom de la reprise économique et de la sauvegarde de l’emploi ».

En vérité, l’idéologie du Medef n’est bonne ni pour la reprise économique, ni pour l’emploi, visant uniquement à garantir la rentabilité financière des grandes entreprises et des multinationales. Et pour cela tout est permis, même le cannibalisme. Bien sûr, tous les patrons veulent la baisse de la rémunération du travail à coups d’allègements de cotisations sociales (les fameuses « charges »), d’allongement de la durée du temps de travail ou carrément de baisses du salaire. Mais pour faire ses marges, le patronat n’hésite pas à dévorer les siens.

Les premières victimes de ce cannibalisme : les PME, pourtant chevilles ouvrières de la reprise économique et de la création d’emploi. Sous-traitants à qui l’on ordonne de baisser de 30 % leurs prix, petites entreprises qui ne verront pas la couleur des aides publiques siphonnées par les gros, donneurs d’ordres qui font traîner le paiement de leurs fournisseurs… Ce sont ces cannibales qui se retrouvent à l’hippodrome de Longchamp. Et c’est à eux que le premier ministre a dit amen. Sans doute avait-il peur de se faire manger.

Par Stéphane Sahuc


AU MEDEF, JEAN CASTEX EN TERRES AMIES




Le premier ministre a confirmé au patronat la baisse de la fiscalité des entreprises, sans contreparties sociales ou environnementales.

Face à un parterre de patrons réunis à l’ouverture des universités d’été du Medef, rebaptisées REF, pour Renaissance des entreprises de France, Geoffroy Roux de Bézieux est venu délivrer « un message heureux, un message d’optimisme ». En dépit d’une « atmosphère irrespirable » où « les économistes de tous bords prédisent défaillances d’entreprises et chômage de masse », le patron des patrons s’affiche « confiant en l’avenir ». Précédent de quelques minutes la prise de parole de Jean Castex, Geoffroy Roux de Bézieux a fait la liste de ses revendications, dictées par un unique objectif : que l’État sorte le chéquier pour soutenir des entreprises à qui, face à la menace épidémique, il « a demandé d’arrêter leur activité », mais en les laissant libres d’agir à leur guise. Ristournes fiscales, baisses des cotisations et reconstitution des fonds propres d’un côté. Télétravail à la carte, assouplissement de la règle du port du masque et abolition des 35 heures d’autre part. « On ne devient pas entrepreneur pour être mis sous tutelle de l’État », a martelé le président du Medef.

On savait ce gouvernement particulièrement attentif aux exigences patronales, le nouveau premier ministre n’aura pas fait exception. Soucieux d’ « éviter le recours à un confinement général » dans un contexte sanitaire inquiétant, Jean Castex a d’abord confirmé l’obligation du port du masque en entreprises, tout en concédant immédiatemen t « des possibilités d’assouplissement de la règle ». Idem pour le recours au télétravail. Le premier ministre se contentant de le recommander et, accédant à la revendication patronale, de ne pas ouvrir de négociations nationales. Pour le reste, « le plan de relance est prêt », a réaffirmé Jean Castex. Un plan de 100 milliards d’euros dont « un quart bénéficiera aux TPE-PME ». En réponse immédiate au discours de Geoffroy Roux de Bézieux, Jean Castex a confirmé la baisse « dès le 1er  janvier prochain, des impôts de production, à hauteur de 10 milliards d’euros par an » et la poursuite de « la baisse de l’impôt sur les sociétés ». Les dispositifs de primes à l’embauche d’un jeune salarié (4 000 euros), le développement de l’apprentissage et l’ouverture de 200 000 formations supplémentaires ont également été détaillés. Voilà pour la répartition de l’enveloppe publique. Une générosité, certes nécessaire, mais qui tranche douloureusement avec les propos du premier ministre sur « l’importance du partage des richesses ». Avec des pincettes, Jean Castex, qui a pris soin d’affirmer qu’il n’y aura, en la matière, « aucune obligation nouvelle », a tout juste demandé à son public d’entrepreneurs de « trouver la voix pour que les salariés des PME bénéficient aussi des dispositifs d’intéressement ».

Marion d’Allard

UNE RENTRÉE SCOLAIRE SOUS COVID : « AUCUNE LEÇON N’A ÉTÉ TIRÉE » ESTIMENT LES SYNDICATS




Les enseignants se réjouissent de retrouver leurs élèves, malgré un contexte sanitaire inquiétant. Inchangé depuis le 7 juillet, le protocole sanitaire actuel – dont une nouvelle version pourrait voir le jour ce mercredi – « ne permet pas une rentrée sereine pour tout le monde », affirme le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire.

Est-ce pour permettre aux journalistes présents de ressentir physiquement l’état de l’éducation nationale à la veille de la rentrée ? En tout cas, sur la péniche parisienne où le Snuipp-FSU organisait mardi sa traditionnelle conférence de presse, ça tangue pour de vrai. Et si tout le monde n’a pas le pied marin, Guislaine David, la nouvelle porte-parole du premier syndicat du primaire, assure sans vaciller, en vraie Bretonne.
« Aucune leçon n’a été tirée »
Inchangé depuis le 7 juillet, le protocole sanitaire actuel – dont une nouvelle version pourrait voir le jour ce mercredi – « ne permet pas une rentrée sereine pour tout le monde », affirme-t-elle d’entrée, en s’inquiétant que les consignes sanitaires se renforcent au travail, dans les rues… mais pas à l’école. Le syndicat demande que le protocole soit revu « en profondeur », insistant sur le port obligatoire du masque pour tous les adultes, y compris en maternelle, et sur le retour à une stricte limitation du brassage des élèves. « Aucune leçon n’a été tirée » dans le domaine de l’hygiène depuis le déconfinement, déplore Guislaine David : près d’un quart des établissements n’ont pas assez de points d’eau et « aucun travail d’ampleur n’a été entrepris en matière de sanitaires ou d’aération ».

Trop de points demeurent dans le flou : « On ignore si les sorties seront possibles, à quelles conditions, si on pourra partager le matériel de sport, si on pourra aller à la piscine à plusieurs classes, si les parents seront autorisés à pénétrer dans l’école le jour de la rentrée, s’ils pourront se regrouper aux abords… » énumère la porte-parole. En cas de nouveau recours au distanciel, les « centaines d’heures de cours enregistrées » vantées par le ministre ne seront, selon le Snuipp, guère utiles : « L’enquête de la direction des études du ministère a elle-même montré que seulement 17 % des profs ont eu recours aux cours du Centre national d’enseignement à distance pendant le confinement », assène Guislaine David, expliquant qu’ils ne sont pas adaptés aux besoins des enseignants. Quant au dispositif « Nation apprenante », les chiffres (13 %) sont encore plus bas…

Une rentrée sereine, pour le Snuipp, c’est aussi pouvoir « rattraper les retards sans mettre la pression sur les élèves ». Or, on va « assommer dès la rentrée des élèves dont certains n’ont pas repris l’école pendant six mois », alerte Guislaine David, en déclenchant dès le 14 septembre les très décriées évaluations nationales standardisées, dont le Snuipp demande l’annulation. Alors que les disparités d’apprentissage se sont creusées pendant le confinement, « il va falloir que les enseignants prennent le temps d’observer, puis de s’occuper plus de ceux qui auront beaucoup perdu », explique la porte-parole. « C’est pour ça qu’on a besoin d’enseignants supplémentaires », ajoute-t-elle, jugeant insuffisante la dotation supplémentaire de 1 248 postes.

Dans un tel contexte, les revendications propres des profs passeraient presque au second plan, même si le syndicat rappelle le gel du point d’indice depuis dix ans, avec une perte de pouvoir d’achat de 10 %. « C’est aussi une question d’attractivité du métier », note Arnaud Malaisé, co-secrétaire national du Snuipp, soulignant que tout ce que le ministre propose passerait par des primes, au sein d’une enveloppe globale de 500 millions d’euros… pour 1 million d’enseignants. Lesquels sont malgré tout « contents de retrouver leurs élèves, et enthousiastes », souligne Guislaine David. Ils risquent d’avoir besoin de cet enthousiasme. 

Olivier Chartrain

« UNIVERSEL », L’ÉDITORIAL DE LAURENT MOULOUD DANS L’HUMANITÉ DE CE JOUR



                              
                                
Ils n’étaient pas nombreux, début mai, à relayer la pétition lancée par l’Humanité pour exiger la gratuité des masques. Beaucoup, à commencer par le président de la République, snobaient cette mesure d’intérêt général. « L’État – et le contribuable français – n’a pas vocation à payer des masques pour tout le monde, tout le temps », claironnait encore Emmanuel Macron, le 21 juillet. Position facile en plein recul estival de l’épidémie. Mais intenable aujourd’hui, alors que le virus fait un retour en force et que le port généralisé s’impose dans tous les lieux publics clos. Pour de plus en plus d’élus de gauche comme de droite, et même de la majorité, c’est désormais une évidence : puisque le masque est un outil de santé publique, indispensable et obligatoire, l’État doit le prendre en charge afin d’en garantir l’accès universel. À tous. Quelle que soit sa situation.

Malheureusement, face à cette exigence, qui relève autant de la justice sociale que de l’efficacité dans la lutte contre le Covid-19, le gouvernement tergiverse encore une fois. Il prévoit, certes, l’envoi de 40 millions de masques lavables à 7 millions de Français en dessous du seuil de pauvreté. Mais refuse de franchir le pas de la gratuité généralisée, notamment dans les collèges et les lycées. En cette rentrée, des millions de familles, sans distinction, vont devoir débourser des dizaines d’euros par mois pour assurer leur santé et celle des autres, écornant une fois de plus les principes égalitaires de l’école publique. Les macronistes le font sans scrupule, obligeant départements et régions à pallier autant que possible ce nouveau désengagement de l’État. Cynisme absolu d’un gouvernement qui fait porter le masque aux élèves et le chapeau aux collectivités locales. Pour autant, le combat pour la gratuité ne saurait s’arrêter en si bon chemin. La pétition lancée par l’Humanité, qui approche les 25 000 signatures, doit servir à accentuer la pression. Depuis le début de la crise du coronavirus, la majorité a toujours agi avec un train de retard. Il a fallu des mois pour qu’elle admette la nécessité de généraliser le masque. Gageons que seules quelques semaines seront nécessaires pour qu’elle en admette la gratuité.



MASQUES GRATUITS. UNE REVENDICATION QUI MONTE EN PUISSANCE




« Inutiles » en mars, les masques sont désormais obligatoires quasiment partout. Pour autant, ils sont toujours payants. Avec la rentrée cette protection contre le Covid 19 va peser lourd dans les budgets des familles. À moins que le gouvernement ne les rende gratuits.

Le confinement avait démarré au mois de mars par le scandale de la pénurie de masques, y compris pour les personnels soignants, et du mensonge sur sa prétendue « inutilité ». Désormais, cet outil nécessaire à la prévention des contaminations par le Covid 19 est disponible en nombre. Et bien que de plus en plus obligatoire partout sur le territoire (il le sera notamment dès le 1er septembre dans les entreprises), il est payant. Dès que la date du déconfinement avait été annoncée par Emmanuel Macron en avril dernier, des responsables politiques, notamment à gauche se sont préoccupés de cette question et ont lancé des appels et engagé des initiatives en faveur de la gratuité des masques. L’Humanité avait d’ailleurs lancé une pétition en ce sens dès le 6 mai.

En cette rentrée, la bataille pour la gratuité reprend de l’ampleur. Au point que des collectivités territoriales ont dû reprendre l’initiative et mettre elles-mêmes leurs finances à contribution pour distribuer des masques aux lycéens et collégiens à la rentrée scolaire. C’est le cas notamment des régions Île-de-France, Hauts-de-France et Occitanie. Mais aussi de départements. La Seine-Saint-Denis distribuera ainsi des masques en tissus pour les collégiens, de même que le département du Val-de-Marne. Durant le confinement déjà, de nombreuses collectivités territoriales s’étaient mobilisées pour produire et distribuer des masques.

Pour l’instant, le gouvernement rejette toujours l’idée d’une gratuité des masques. Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer s’est même réfugié derrière l’augmentation de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire, considérant que celle-ci servait également à l’achat de ces protections pour les élèves… « Je suis en profond désaccord avec la déclaration du ministre de l’Éducation affirmant que le masque sera « une fourniture scolaire comme une autre », a vivement critiqué la présidente de la région Occitanie, la socialiste Carole Delga, et qu’il devrait être supporté par les familles au même titre que l’achat d’une « trousse » ou de « cahiers ». La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui réclame des mesures exceptionnelles, sanitaire mais aussi sociale. Le port du masque en milieu scolaire en est une », a ajouté l’élue. Le président du département du Val-de-Marne, le communiste Christian Favier, est sur la même ligne : « même si on est amené à fournir des masques, nous continuons de demander la gratuité pour tous, compte tenu de l’obligation de la porter qui se généralise. On voit que ça peut peser très lourd dans le budget d’une famille, à peu près 228 euros par mois pour une famille de 4 personnes. Si ça doit durer pendant plusieurs mois, c’est très lourd ». Selon Christian Favier, « le port du masque est une mesure de santé publique. À partir de ce moment-là, il doit être pris en charge. Peut-être par la sécu. En tout cas par les pouvoirs publics, sans que cela soit soumis à la bonne volonté d’une collectivité. Je rappelle qu’elles n’ont pas toutes les mêmes moyens financiers ». L’idée d’une prise en charge selon les principes fondateurs de la République comme de la sécurité sociale, c’est aussi ce que défend le président de la Seine-Saint-Denis, le socialiste Stéphane Troussel. « L’école est laïque, publique, gratuite et obligatoire, rappelle-t-il. La Sécurité sociale rembourse à 100 % les médicaments irremplaçables. Or face au Covid, le masque est irremplaçable. Dans la philosophie qui fonde la sécu, on cotise selon ses moyens et on reçoit selon ses besoins. Les élèves ont besoin de masques ».

C’est aussi avec cet argument que le PCF réclame la prise en charge des masques par la sécurité sociale, et pas uniquement pour les scolaires, mais pour tous. Il n’est pas seul à gauche à avoir une revendication en faveur de la gratuité. Les députés de la France Insoumise avaient déjà déposé un projet de loi en ce sens dès le 28 avril dernier, par le biais d’une prise en charge par l’État. Mardi 25 août, ce sont des élus de l’opposition, dont Yannick Jadot (EELV) et Damien Abad (LR) qui ont joint leurs efforts pour réclamer la gratuité pour les scolaires au gouvernement. En Seine-Maritime, le député Sébastien Jumel, le maire de Dieppe, Nicolas Langlois, la sénatrice Céline Brulin, les maires du Tréport et d’Eu, Laurent Jacques et Michel Barbier, ont publié une lettre ouverte réclamant au gouvernement de passer commande aux 500 entreprises de la filière de production française pour assurer la gratuité des masques aux élèves de 11 ans et plus. « À considérer que le masque serait une fourniture scolaire comme une autre, écrivent les élus communistes, le risque est grand de banaliser cet objet de protection et au bout du compte de renforcer les inégalités sociales de prévention et de santé. Ce n’est pas la conception que nous nous faisons de la République pour tous et partout ». Avec la FCPE, des parents d’élève se mobilisent également : une pétition a été mise en ligne par l’association le 21 août.

Pour l’instant, le gouvernement fait la sourde oreille. Avec l’installation de la crise sanitaire dans la durée, il va devoir faire face à une campagne en faveur de la gratuité qui monte en puissance. Finira-t-il par l’entendre ?

Diego Chauvet

UNE ANNÉE DE SOUFFRANCE POUR NOS FORÊTS




Les forêts font face à une sécheresse exceptionnelle. L’enjeu est écologique et économique. Comment assurer leur résilience ? Entretien avec Sylvain Telzon, biologiste écologue à l’Inrae de Bordeaux, spécialiste de l’adaptation des forêts au changement climatique

Vous estimez que nos forêts sont « en mode survie » ? Pouvez-vous expliquer ?
Sylvain Telzon : La France connaît cette année une sécheresse exceptionnelle, avec en juillet la pluviométrie la plus basse depuis 1959. La sécheresse a plus d’impact sur les forêts que les canicules. Cette année, il n’y a pas de commune mesure, on observe de la mortalité d’arbres.
En réaction, les arbres ferment complètement leurs stomates, les pores qui se trouvent sur les feuilles, pour limiter les pertes d’eau. Ils ne fonctionnent plus. Il n’y a plus de CO2 qui entre pour faire la photosynthèse, plus de croissance, plus de formation de bois. C’est le mode survie. La plante arrête de transpirer.

C’est une façon, pour elle, de se défendre ?
Sylvain Telzon : Oui, c’est la réponse de la plante. Cela marche bien quand la sécheresse dure une à trois semaines. Mais pas quand elle dure un mois et demi comme cette année. Dans ce cas, il y a d’autres phénomènes qui ont des impacts sur la survie de la plante. Les feuilles se mettent à griller, les branches se dessèchent, puis les couronnes d’arbres, voire l’arbre entier. On se trouve à ce moment-là dans la seconde étape du processus. La 3e étape est ce qu’on appelle l’embolie gazeuse, un effet de la cavitation, c’est-à-dire une entrée d’air dans le circuit de circulation d’eau des arbres qui entraîne la rupture de ce circuit. Il s’ensuit un dessèchement entier des organes, voire de la plante. Cette année, nous avons clairement atteint les trois étapes. Nous n’avions rien connu de tel depuis 1976. Dans un contexte de réchauffement climatique, cela devient un sujet de préoccupation majeur.

Où a-t-on constaté des cas de mortalité d’arbres ?
Sylvain Telzon : L’ONF a signalé une mortalité de chênes et de hêtres dans le sud-ouest, dans le centre de la France, notamment dans la forêt de Tronçais (Allier). Mais nous n’avons pas encore assez de recul pour un bilan.
L’impact le plus important, mais invisible du dépérissement est l’émission de carbone. Un arbre qui meurt, c’est 50 % du carbone qui se dégradera dans l’atmosphère. En l’absence de photosynthèse, l’arbre stockera moins de carbone ou plus du tout. La forêt, puits de carbone, peut devenir source de carbone.

Que faut-il faire – et ne pas faire – pour des forêts plus résilientes au changement climatique ?
Sylvain Telzon : Dans le cas des forêts, pour celles, de plantation, comme les pins maritimes, il faut planter des individus, ou génotypes dans notre jargon, qui seront plus résistants. Pour la forêt naturelle, on préconise aux gestionnaires d’augmenter la diversité génétique. Par exemple, apporter des graines du sud de la France, mieux adaptées au stress hydrique, les mélanger et les replanter dans la forêt de Tronçais, ou ramener des populations qui viennent d’un peu partout en Europe. Plus il y a de diversité génétique et plus il y a de résistance.

La forêt française présente-t-elle suffisamment de diversité ?
Sylvain Telzon : Nous avons une forte diversité en France dans les forêts naturelles. C’est le cas des chênaies, notamment. Nous sommes plutôt bien adaptés à condition, comme nous le recommandons, de faire primer la résistance au réchauffement climatique sur des critères de production. Adapter la forêt au changement climatique est un travail de longue haleine. C’est un enjeu économique et écologique.

Y-a-t-il d’autres raisons d’être inquiet pour nos forêts ?
Sylvain Telzon : Pour le moment, il y a lieu de s’inquiéter pour ceux qui vivent de la forêt et de la production de bois. Il y a aura un impact certain sur la filière bois. Elle emploie 225 000 personnes en Nouvelle-Aquitaine. Or, l’arbre, c’est du long terme, car ceux que l’on plante aujourd’hui, ce seront des forêts dans 150 ou 250 ans. Mais on investit peu dans la recherche sur l’arbre, la sylviculture ne rapporte pas beaucoup. Et pourtant, l’arbre est sans aucun doute notre meilleur ami pour le futur, en particulier dans les villes.

Entretien réalisé par Latifa Madani