Un terrible seuil a été franchi aux États-Unis avec les événements de
Kenosha, où Jacob Blake, un jeune père de famille africain-américain, est venu
ajouter son nom à la longue et sinistre liste des victimes de violences
policières. Après avoir reçu sept balles dans le dos, il risque de rester
paralysé à vie. Le forfait a déclenché une explosion de colère qui a pris
parfois la dimension d’émeutes, comme à Minneapolis après la mort de George
Floyd, il y a seulement trois mois. Pour toute réponse, on a assisté au
déploiement de miliciens d’extrême droite dans les rues. Une jeune tête brûlée
arme au poing, mais forte d’une « tolérance » avérée de la police, a pu faire
un carton sur deux des « protestataires »…
Ces stigmates révèlent la gravité autant que la profondeur du mal qui mine
toute une société. Le climat qu’a laissé se répandre Donald Trump, candidat à
un nouveau mandat le 3 novembre et adoubé par une convention républicaine
qui se réunissait au même moment, a naturellement exacerbé cette déliquescence
politique. Le président, si sensible aux sirènes des suprématistes blancs, a
versé consciencieusement de l’huile sur le feu, espérant que l’exacerbation des
haines communautaires créerait une telle polarisation parmi les électeurs qu’il
aurait ses chances, en dépit de son bilan calamiteux sur les plans économique
et sanitaire, d’apparaître comme l’homme providentiel, seul capable de rétablir
la loi et l’ordre.
Mais l’affection qui ronge la démocratie
et la paix civile est si profonde, si ancrée qu’un diagnostic obnubilé par les
seules funestes préoccupations tactiques du locataire de la Maison-Blanche
paraît bien court. Le mouvement Black Lives Matter (les vies des Noirs
comptent) ne cesse, à juste titre, de pointer la dimension « systémique » de
« bavures » qui n’ont pas attendu l’avènement du président nationaliste pour
proliférer. Les résistants de l’aile gauche du Parti démocrate ont raison.
C’est tout un système dominé toujours davantage par Wall Street et la finance
qui a fait exploser les inégalités, creusé les fractures, sociales avant que
d’être « raciales », élever les murs des ghettos et torpiller le
« vivre-ensemble. »
Par Bruno Odent
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