lundi 30 novembre 2020

« Pression », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Inutile de se cacher derrière les mots : la « réécriture » annoncée de l’article 24 de la proposition de loi de sécurité globale est une forme de suspension qui ne dit pas son nom. C’est-à-dire la mise en sommeil de l’article, dans sa version actuelle, qui s’attaque au droit de diffuser les images de policiers en intervention. C’est donc un premier recul du pouvoir. Et un acquis à l’actif du profond mouvement démocratique contre cette dérive liberticide. Un acquis, non une victoire : on en est même encore loin, tant l’option que Christophe Castaner a eu pour mission de présenter sent l’entourloupe à plein nez.

Une réécriture, pour quoi faire ? N’en était-il pas déjà question dans l’idée vite abandonnée par Jean Castex, la semaine dernière, d’une « commission indépendante » dédiée à cette tâche, soit dit en passant au mépris le plus total du Parlement ? L’avenir dira si la promesse de « nouvelle écriture complète de l’article » n’est qu’une manière d’habiller une retraite, ou s’il s’agit d’un subterfuge pour gagner du temps en comptant sur l’essoufflement de la mobilisation. Mais de sérieux indices penchent pour le second choix. Le ministre des Relations avec le Parlement a ainsi indiqué que le vote des mêmes dispositions dans un autre projet de loi était une piste sur la table.

Reste qu’on n’avait pas connu depuis longtemps un tel revirement sur un texte tout juste adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Il fallait se retenir pour ne pas s’esclaffer, lundi, devant les mots de Christophe Castaner : « L’incompréhension s’est intensifiée… » En fait d’« incompréhension », c’est la pression sur le pouvoir qui est devenue insoutenable sous les effets conjugués de la protestation contre l’article 24, de la crise déclenchée jusqu’au sein du camp présidentiel, de la réprobation internationale, et de l’émotion populaire après le tabassage de Michel Zecler par trois policiers filmés à leur insu. La suite n’est pas écrite : réécriture ou retrait définitif de la loi, tout dépendra de celle de la mobilisation en cours.

 

« R. 434-14 », le billet de Maurice Ulrich.



Si on pensait la police autrement, on pourrait écrire ceci : « Le policier ou le gendarme est au service de la population. Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement. Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toutes circonstances d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération (…). Il ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler (…).

Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant. Le policier ou le gendarme ayant la garde d’une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne. » On plaisante. Enfin, un peu. Ces dispositions existent. Ce sont celles de l’article R. 434-14 du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie. Gérald Darmanin doit ignorer son existence.

 

« Un tour de passe-passe pour sauver un texte liberticide »


Emilio Meslet

Pierre Laurent continue de demander le retrait total de la loi et compte sur le Sénat, dont il est vice-président, pour faire reculer la Macronie.

PIERRE LAURENT, Sénateur PCF, vice-président du Sénat

Les responsables de la majorité ont annoncé une « réécriture complète » de l’article 24. Est-ce satisfaisant ?

PIERRE LAURENT : Pas du tout. Le groupe LaREM, depuis le début de cette affaire, a le faux nez du gouvernement. Et le gouvernement se moque du monde : depuis une semaine il joue au chat et à la souris pour tenter de sauver l’article 24. Or l’exigence de la foule de citoyens mobilisés samedi est absolument claire : le retrait de l’article 24 est demandé, et non sa réécriture. Nous – et toute une partie des forces mobilisées – voulons le retrait pur et simple de cette loi. C’est un tour de passe-passe pour sauver la face du gouvernement et cette disposition liberticide. Il a présenté un projet de loi via le groupe LaREM pour échapper à toute étude d’impact et tout contrôle par le Conseil d’État. Il essaye de faire revenir par la fenêtre une disposition massivement et majoritairement condamnée dans le pays. J’attire l’attention sur le fait qu’il existe, dans la loi « renforçant les principes républicains », l’article 25, qui introduit les mêmes dispositions de l’article 24 de la proposition de loi « sécurité globale ». Il y a donc bel et bien un acharnement gouvernemental à vouloir faire passer, sous une forme ou une autre, cet article.

Christophe Castaner a parlé d’ « incompréhensions » autour du texte. Qu’en pensez-vous ?

PIERRE LAURENT : C’est toujours le même argument méprisant qui consiste à nous dire que, quand nous contestons un projet, nous n’avons pas su le lire. Les citoyens sont adultes. Il y a eu un débat important dans le pays, la presse a correctement expliqué ce qu’il en était : les gens ont parfaitement compris que cette loi présente une restriction gravissime au droit à l’information. Il faut aussi continuer l’information sur les autres articles du projet qui vise une privatisation amplifiée des fonctions régaliennes de sécurité publiques. Tout cela dessine un projet parfaitement inacceptable.

Comment jugez-vous la façon dont le gouvernement a traité le Parlement au cours de cette crise politique ?

PIERRE LAURENT : C’est le mépris que nous connaissons depuis des mois. On aura bientôt vécu une année sous état d’urgence sanitaire. Pendant cette période, le gouvernement a multiplié le recours aux ordonnances pour faire passer ses projets, plus de 200 depuis le début du quinquennat Macron. C’est la plus grave atteinte au Parlement qu’on ait jamais connue depuis la guerre d’Algérie. Nous sommes dans une dérive extrêmement inquiétante.

Quel a été le rôle des récentes mobilisations dans la décision de réécrire l’article 24 ?

PIERRE LAURENT : Elles ont fait bouger le gouvernement même s’il essaie de s’en tirer avec un tour de passe-passe qui ne trompera personne. La réaction dans les jours à venir va le montrer. Confiné depuis des mois, le pays a montré qu’il était présent et capable de se mobiliser. C’est réjouissant. Le confinement n’a pas éteint la soif de liberté. Ça nous donne beaucoup de confiance pour mener la bataille au Sénat, où l’enjeu est de stopper le projet. Il ne faut manquer aucune occasion de le faire. Quel que soit le rapport de forces sénatorial avec la présence massive de la droite, il ne faut pas se résigner. À tout moment, il est possible de faire reculer le pouvoir. Avec l’affaire Benalla, le Sénat avait montré qu’il pouvait se mettre en travers d’atteintes à la liberté. J’espère qu’il le fera cette fois-ci.

 

Covid-19. Une stratégie vaccinale en cinq étapes


Lola Scandella

Les personnes âgées résidant en Ehpad devraient être les premières à se faire vacciner, plaide la Haute Autorité de santé, qui rejette par ailleurs toute procédure obligatoire.

Protéger en priorité « les plus vulnérables et ceux qui s’en occupent », c’est la ligne que s’est fixée la Haute Autorité de santé (HAS), qui présentait lundi 30 novembre ses recommandations préliminaires pour la stratégie vaccinale française. Le début de la campagne de vaccination doit marquer une nouvelle étape dans la lutte contre le ­Covid-19 et s’inscrire dans la nouvelle formule « tester, alerter, protéger, soigner », définie par le chef de l’État, Emmanuel Macron, le 24 novembre.

Une question était sur toutes les lèvres depuis l’annonce de l’arrivée des premières doses début 2021 : qui vacciner en priorité ? La HAS y a répondu en proposant cinq phases vaccinales, dont la première concerne les personnes âgées prises en charge dans les Ehpad, soit 750 000 résidents environ. Ils seront prioritaires, « compte tenu du nombre limité de doses qui seront disponibles au démarrage de la campagne de vaccination », a-t-elle précisé. Les personnels exerçant dans ces établissements, et qui « présentent eux-mêmes un risque de développer une forme grave » du Covid-19, « c’est-à-dire âgés de 65 ans et plus, et/ou atteints de comorbidités », seront également prioritaires, a-t-elle indiqué. Environ 90 000 personnes sont concernées, selon son estimation. Les maladies respiratoire chroniques, l’hypertension, l’obésité ou encore le diabète font partie des comorbidités identifiées par la HAS.

La deuxième phase vise à vacciner les personnes âgées à partir de 75 ans (6,4 millions), puis celles âgées de 65 à 74 ans (7,3 millions), avec dans les deux cas une priorisation des personnes présentant des comorbidités, ainsi que « les professionnels des secteurs de la santé et du médico-social âgés de 50 ans et plus et/ou présentant une ou plusieurs comorbidités quel que soit le mode d’exercice » (1,2 million), a précisé la HAS. Dans un troisième temps seront ciblés les personnes à risque « du fait de leur âge (50-65 ans) ou de leurs comorbidités », ainsi que les professionnels de santé « non vaccinés antérieurement ». Cette troisième phase inclut également « les professionnels des secteurs “essentiels” » et « indispensables au fonctionnement du pays ». Il appartiendra « au gouvernement » de définir qui sera concerné.

Des vaccins à une inconnue : protègent-ils de la contagiosité ?

La HAS a précisé que ses recommandations « seront à actualiser et à adapter en fonction des données sur chaque vaccin, de leur disponibilité effective et des tensions éventuelles sur l’approvisionnement ». Le passage d’une phase à une autre s’effectuerait « en fonction de la disponibilité des doses », qui arriveront « au fur et à mesure ».

De plus, une inconnue demeure sur les vaccins les plus aboutis, qui doivent être validés par l’Agence européenne du médicament, avant de pouvoir obtenir des autorisations de mises sur le marché. « On sait qu’ils protègent des formes graves mais on ne sait pas encore s’ils protègent de la contagiosité », a expliqué la présidente de la HAS, Dominique Le Guludec. Une donnée susceptible de faire évoluer les prescriptions de l’Autorité.

Les deux dernières phases poursuivent l’élargissement et doivent conduire à la vaccination « de toutes les personnes vulnérables et à risque » avec, dans un quatrième temps, l’inclusion des « professionnels dont l’environnement de travail favorise une infection (contacts réguliers du public, milieu clos…) » (1,2 million environ) et des « personnes vulnérables ou précaires ayant un pronostic moins favorable en cas d’infection (résident en hôpital psychiatrique, sans domicile fixe, détenus…) » (550 000 environ). « Les professionnels prenant en charge les personnes vulnérables, dont les travailleurs sociaux, non vaccinés antérieurement du fait de leur âge ou de comorbidités », seront également concernés. Enfin, la cinquième phase pourrait lancer la vaccination des personnes de plus de 18 ans et sans comorbidités, là encore « sous réserve que les allocations de doses vaccinales auront été suffisantes pour vacciner chacune des populations prioritaires ».

La HAS n’est pas favorable à une vaccination obligatoire et compte sur « l’adhésion » de la population. Une adhésion qui reste à conquérir, sachant que seulement 41 % des Français auraient l’intention de se faire vacciner, selon un récent sondage Ifop pour le Journal du dimanche. Ce pourrait être la véritable première étape de la campagne de vaccination à venir, dont la continuité dépend, aussi, de son succès.

Quid des mineurs ?

Les mineurs ne sont pas concernés par les différentes phases de la stratégie vaccinale présentée par la Haute Autorité de santé (HAS). Ils ne font pas l’objet de recommandations, car les études cliniques les plus avancées n’ont pas inclus cette population, a expliqué l’Autorité, notamment car ils n’apparaissent pas comme des vecteurs importants de transmission du virus. «  L’autorisation de mise sur le marché ne sera pas délivrée pour les enfants, puisqu’il n’y aura aucune donnée d’efficacité et surtout de tolérance vis-à-vis de cette population », a indiqué Daniel Floret, membre de la commission technique des vaccinations de la HAS.

 

« Sécurité globale ». La Macronie manœuvre en recul mais ne retire pas sa loi.


Aurélien Soucheyre

Julia Hamlaoui

Convoqués à l’Élysée, les présidents de groupes parlementaires de la majorité ont annoncé lundi à la presse une « réécriture » de l’article 24. Mais aucune garantie de retrait des pires dispositions n’a été apportée.

Branle-bas de combat en Macronie ce lundi. Après les mobilisations qui ont réuni samedi près de 500 000 personnes pour la liberté d’expression et contre les violences policières à l’initiative de la coordination contre la loi de « sécurité globale », la majorité, acculée, a tenté le coup de communication pour calmer la contestation. « Ni un retrait, ni une suspension », selon la majorité, le très décrié article 24 fera l’objet d’une simple « réécriture » . Le président du groupe LaREM, Christophe Castaner, a annoncé que seule la disposition sur la diffusion de vidéos de policiers sera modifiée, au sein de la proposition de loi adoptée la semaine dernière par l’Assemblée nationale. L’ancien ministre de l’Intérieur n’a d’ailleurs prononcé aucun mea culpa sur le fond, se contentant de regretter une « incompréhension ». Les journalistes, leurs syndicats, les associations de défense des droits de l’homme comme tous les citoyens qui sont descendus dans la rue ce week-end malgré le contexte sanitaire auraient, tout simplement, mal interprété les intentions des promoteurs du texte. « En aucun cas nous ne voulons interdire à qui que ce soit de filmer des forces de l’ordre en intervention », « interdire la diffusion de ces images sur les réseaux sociaux », « contraindre les journalistes et citoyens à flouter les visages », ou « demander aux journalistes de s’accréditer dans une manifestation », a ainsi plaidé le député LaREM, prenant à revers de nombreuses déclarations de son successeur place Beauvau, Gérald Darmanin.

Dès la matinée, Emmanuel Macron avait fait savoir qu’il prenait la main pour revoir la copie, en réunissant à l’Élysée son premier ministre, Jean Castex, les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de la Justice, Éric Dupond-Moretti, ainsi que les chefs de file des députés de la majorité. « En tant que président de la République, je suis garant de cet alliage entre liberté et ordre, et je ne veux pas passer d’un côté ou de l’autre », aurait-il déclaré, selon le Figaro. Une fuite sur le contenu de la rencontre visant à faire connaître la réplique du chef de l’État aux critiques sur l’autoritarisme du pouvoir… « L’illibéralisme, ce n’est pas notre identité », aurait-il encore lancé, reprochant aux participants de l’avoir mis dans une situation qui « aurait pu être évitée ».

Sur le fond comme sur la forme, rien n’est clair

C’est dans la foulée de ce rendez-vous que les trois présidents de groupes parlementaires macronistes ont annoncé une conférence de presse de dernière minute en compagnie des rapporteurs du texte mis en cause, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. La première tentative pour trouver une issue de secours, imaginée jeudi dernier à Matignon, n’a pas eu, il est vrai, le succès escompté avec une levée de boucliers contre le principe d’une « commission indépendante » passant par-dessus le Parlement pour réécrire l’article 24 sur la diffusion de vidéos de policiers.

« Dès cet après-midi, nous nous mettrons au travail pour proposer une nouvelle écriture complète » de celui-ci, a annoncé devant la presse Christophe Castaner. Mais, sur le fond comme sur la forme, rien n’est clair. « Il appartiendra au gouvernement de savoir quel est le meilleur véhicule législatif », ajoute le député, qui n’a détaillé ni le « calendrier » ni le « cheminement parlementaire » qui sera choisi. Mais Alice Thourot a précisé que la « réécriture » allait se faire conjointement entre les trois groupes de la majorité et Matignon, preuve que le gouvernement n’entend lâcher aucune bride. Les violons sont pourtant loin d’être accordés : la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, a estimé que l’heure était à « l’examen et au vote du texte au Sénat », en janvier, après quoi se posera la question d’une commission mixte paritaire, moment où la majorité « pourra présenter » sa version réécrite. Mais Olivier Becht, président du groupe Agir, a de suite ajouté que « rien n’interdit d’insérer une nouvelle rédaction dans un nouveau véhicule législatif ». À n’y plus rien comprendre, en somme, rien n’étant encore décidé. D’autant que l’on se demande bien ce que la Macronie veut changer dans le texte, puisqu’elle n’a toujours pas compris ce qui n’allait pas dedans.

Christophe Castaner l’a d’ailleurs défendu d’emblée dans son ensemble, vantant un nouveau « continuum de sécurité », qui s’avère pourtant très dangereux en transférant des missions de police au privé et en généralisant l’usage des drones de surveillance. Quant à l’article 24, il a estimé qu’il n’avait pas été « unanimement compris ». Face à ce manque de discernement des citoyens, il propose donc une réécriture. « Il faut savoir reconnaître ses torts », fait mine d’abonder Patrick Mignola, pour qui « cette loi est bonne » et doit être « votée dans une version qui ne puisse souffrir la moindre contestation ». Il s’agirait à les entendre de « lever les doutes ». Mais comment y croire, dès lors que Christophe Castaner affirme que « l’article 24 n’aurait nullement impacté la diffusion des images montrant Michel Zecler » en train de se faire agresser par des policiers ?

Les opposants au texte n’entendent pas en rester là

Certes, Gérald Darmanin, qui a défendu le « statu quo » devant le président de la République, n’a pas obtenu gain de cause face aux députés de la majorité. Mais ceux qui parmi eux plaidaient pour le retrait de l’article non plus. En revanche, quelques heures plus tôt, le ministre chargé des relations avec le Parlement préparait déjà le terrain pour une ultime solution de repli. Interrogé par France Inter sur l’article 25 de la loi « confortant les principes républicains » (anciennement de « lutte contre les séparatismes »), qui reprend quasiment dans les mêmes termes l’article 24 de la loi de « sécurité globale », Marc Fesneau a admis que «  c’est peut-être une des voies », car « au fond c’est le même but à atteindre »« L’article 24 touche à la loi de 1881 et l’article 25 au Code pénal », a-t-il précisé, omettant de mentionner que son collègue Éric Dupond-Moretti avait d’abord pensé modifier la loi sur la liberté de la presse, avant de rétropédaler.

Les opposants au texte n’ont pas tardé à réagir. « C’est un premier recul », a apprécié le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, avant d’exiger « le retrait de cet article et de toute la loi de sécurité globale pour pouvoir restaurer une police publique, nationale et démocratique aux services des citoyen·nes ». Le chef de file des députés FI, Jean-Luc Mélenchon, a aussitôt proposé une « réécriture efficace de l’article 24 : “la loi sécurité globale est abrogée” », estimant qu’il « faut stopper la dérive autoritaire dans tous ses aspects » et mettre fin aux « atermoiements »« La séquence d’aujourd’hui démontre que notre combat est le bon, et qu’il faut poursuivre sur cette voie », mesure également Emmanuel Vire, membre de la coordination contre la loi. Mais le secrétaire général du SNJ-CGT affirme que « nous ne pouvons pas nous arrêter là. Car le mandat de la coordination est clair : c’est le retrait des articles 21, 22 et 24 », en plus de « la réécriture du schéma national du maintien de l’ordre ». Le coup de bluff de la Macronie est donc loin d’avoir pris.

La commission de la carte des journalistes dénonce les violences et les lois « votées ou en préparation »

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a dénoncé lundi les « atteintes au droit à l’information, inacceptables dans notre démocratie ». Elle a tenu « à exprimer son indignation » face à des cas de journalistes « pris à partie ou agressés par des agents des forces de l’ordre », citant ceux de « Brut et de France 3 à Paris, de Médiabask à Bayonne » ou encore le « dernier fait en date, un photojournaliste collaborateur de l’AFP et Polka Magazine ». La Commission s’émeut également « des textes de loi votés ou en préparation et du risque qu’ils font peser sur la liberté de la presse ».

 

dimanche 29 novembre 2020

« Jusqu’au retrait », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



C’est ce que redoutait le gouvernement. La Marche des libertés a donné lieu samedi à des mobilisations inattendues et spectaculaires un peu partout en France. Si des centaines de milliers de personnes ont bravé les difficultés du contexte sanitaire pour manifester leur refus de la loi « sécurité globale », c’est qu’ils savent que l’État de droit est à l’article (24) de la mort. Les citoyens se sont déconfinés pour défendre leurs droits essentiels, attaqués par le gouvernement : la liberté de manifester, la liberté d’expression, la liberté d’informer, mais aussi le droit à la sécurité, donc à un contrôle public des forces de police. Bref, tous les piliers d’une République que l’incendiaire ministre de l’Intérieur prétend vouloir « renforcer », alors qu’il organise le chaos en jetant la police dans les bras de l’extrême droite.

Quelle plus grande insécurité que vivre dans un pays où les citoyens n’ont plus confiance en leurs gardiens de la paix ? Gérald Darmanin est allé tellement loin que sa loi vire déjà à la crise politique, provoquant des couacs à répétition dans une majorité divisée et affaiblie. Grâce au travail des journalistes et députés de l’opposition, le front citoyen ne cesse de s’élargir. Pourtant, Emmanuel Macron, à qui incombe la responsabilité de retirer ce texte, se contente jusqu’ici de couvrir son ministre et d’assurer le service minimum. Le président, si prolixe pour expliquer aux Français comment aérer leur intérieur, se montre beaucoup plus avare pour dénoncer les violences policières et s’exprimer sur ce projet de loi absurde et dangereux.

L’affaire est si grave que le monde entier s’émeut de voir la France, « le pays de la liberté » prompt à donner des leçons de démocratie, se transformer en « Absurdistan autoritaire ». Face à l’indignation générale, le gouvernement est forcé de manœuvrer en recul. C’est une première victoire. Toute la loi peut être mise au placard. La journée de samedi a rappelé combien la force du peuple est immense quand il se rassemble. Ne lâchons rien, jusqu’au retrait.

 

Loi « sécurité globale ». Le gouvernement s’embourbe en pleine crise politique



Aurélien Soucheyre

Le mauvais film de l’exécutif tourne au fiasco. Plus de 500 000 personnes ont défilé en France samedi, deux jours après la vidéo d’un passage à tabac de Michel Zecler par des policiers. L’heure est à l’abandon pur et simple de la loi interdisant de filmer la police.

En niant beaucoup trop longtemps les violences policières, et en voulant empêcher citoyens et journalistes de filmer la police, le gouvernement a provoqué une grave crise politique dans laquelle il ne cesse de s’enfoncer. Samedi, plus de 500 000 personnes ont défilé partout en France, dont 200 000 à Paris, pour dénoncer le nouveau projet liberticide de la Macronie. Une mobilisation spectaculaire, en pleine épidémie de Covid-19, qui montre que la prise de conscience contre la loi de « sécurité globale » ne cesse de s’élargir. Elle touche désormais des pans entiers de la société. Même les footballeurs de l’équipe de France, pourtant habitués à tourner sept fois leur langue dans leur bouche, interpellent désormais le gouvernement, à l’image d’Antoine Griezmann et de Kylian Mbappé. De très nombreuses personnalités montent au créneau, tout comme les directeurs et rédacteurs en chef de France Télévisions, TF1, M6 et BFMTV. « En exigeant une validation de nos reportages, les pouvoirs publics veulent s’octroyer un droit à la censure », s’alarment-ils dans une tribune collective (voir ci-contre).

Darmanin refuse de démettre Didier Lallement de ses fonctions

La vague d’indignation suscitée par le passage à tabac de Michel Zecler par des policiers est venue percuter de plein fouet l’argumentaire de l’exécutif. La vidéo dévoilée jeudi montre qu’il est plus que jamais nécessaire de pouvoir filmer la police, non pas pour lui nuire, mais pour lutter contre ses pires dérives et la remettre sur le droit chemin. Les images, insoutenables, mettent Emmanuel Macron et Gérald Darmanin face à leurs responsabilités, quelques jours à peine après le vote en première lecture de la loi « sécurité globale » à l’Assemblée nationale. Le président de la République a été obligé de réagir, vendredi, à l’occasion d’un message publié sur Facebook. Il y dénonce des images « inacceptables » qui « nous font honte ». La France « ne doit jamais se résoudre à la violence ou la brutalité », écrit celui qui maintient pourtant coûte que coûte Didier Lallement en poste. Le préfet de police de Paris, spécialiste de la répression des gilets jaunes, mais aussi de la moindre manifestation, qu’il s’agisse de réfugiés sans abri, de militants écologistes ou de soignants pacifistes, a même tenté de faire interdire le défilé de samedi, avant d’être contredit par le tribunal administratif de Paris.

Gérald Darmanin a également été contraint de s’expliquer. Qu’il semble loin le temps où le ministre de l’Intérieur plastronnait : « Quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe. » C’était en juillet dernier. Jeudi soir, sur le plateau de France 2, il a affirmé avoir demandé la suspension des agents qui ont frappé Michel Zecler. « Dès que les faits seront établis par la justice, je demanderai la révocation de ces policiers », a-t-il annoncé, avant d’ajouter : « Lorsqu’il y a des gens qui déconnent, ils doivent quitter l’uniforme. » Mais il a répondu par la négative, quand la présentatrice Anne-Sophie Lapix lui a demandé s’il avait lui-même « pensé à démissionner » et à démettre Didier Lallement de ses fonctions. Une question formulée en direct, qui montre bien à quel point le maintien du ministre interroge désormais l’opinion publique.

Le premier ministre Jean Castex a bien essayé de déminer cette situation politique de plus en plus compromettante pour l’exécutif. Il a directement mis l’article 24 dans la balance, celui-là même, voulu par Gérald Darmanin, qui prévoit de dissuader citoyens et journalistes de filmer la police, s’attaquant ainsi à la liberté d’expression et à celle d’informer. Sauf que l’hôte de Matignon l’a fait en demandant la création d’une « commission indépendante » chargée de « réécrire » cet article.

« La commission des Lois du Sénat va clarifier le texte »

Cette annonce a provoqué une secousse institutionnelle, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat fustigeant la méthode. « Confier à un organe extérieur une telle mission constituerait une atteinte aux missions du Parlement, qui seul écrit et vote la loi », a réagi Richard Ferrand. « La commission des Lois du Sénat va clarifier le texte. C’est à elle d’y travailler désormais », a fait valoir Gérard Larcher.

Jean Castex a immédiatement rétropédalé. La commission « pourra formuler des propositions », a-t-il rectifié. Le premier ministre cherchait ici une porte de sortie. C’est d’ailleurs le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Jean-Marie Burguburu, hostile à l’article 24 et à l’ensemble du projet de loi, qui devrait prendre la tête de cette commission indépendante. Mais, plutôt que d’attendre ses conclusions, ou une réécriture au Sénat attendue en janvier, il existe d’ores et déjà une solution, la meilleure d’entre toutes : abandonner dès à présent l’intégralité du projet de loi, en le jetant aux oubliettes. « Il y a plus d’honneur à retirer un texte quand il heurte les consciences et divise la société qu’à le maintenir, pour un gouvernement ou un président de la République, quand le risque est de créer de l’incompréhension et des violences », a ainsi appelé l’ancien président de la République, qui en sait quelque chose, lui qui s’est tant abîmé dans l’irrationnel et dangereux projet de loi sur la déchéance de nationalité.

L’Élysée a demandé des « propositions » au gouvernement

Des ténors de la majorité ne disent pas autre chose, preuve que le front contre la loi est désormais, grand ouvert. « Quand une mesure suscite autant de résistance, il est parfois préférable d’y renoncer plutôt que de s’obstiner. L’article 24 ne doit pas devenir notre CPE ou notre déchéance de nationalité ! », Insiste le député LaREM et vice-président de l’Assemblée Hugues Renson. Reste à savoir si Emmanuel Macron empruntera ce chemin ou s’il se montrera intransigeant, au risque de voir monter la contestation et d’abîmer toujours plus la République, la démocratie et l’État de droit, comme il s’y attelle depuis son élection malgré de fortes résistances : lors du mouvement des gilets jaunes, celui contre la réforme des retraites et aujourd’hui face à la loi « sécurité globale ».

Devant l’ampleur du problème et l’émotion nationale, l’Élysée a certes demandé des « propositions » au gouvernement. Selon le JDD, Matignon songerait à une réforme de l’IGPN, la police des polices. Un premier pas intéressant, s’il se concrétisait, à ajouter à l’abandon de ce projet de loi qui inquiète tant le pays.

Retirez la loi « sécurité globale » (Patrick Le Hyaric)



Il n’y a qu’un moyen pour le pouvoir de répondre à l’immense protestation populaire qui parcourt le pays : retirer la loi dite « sécurité globale ». Certes, le mouvement a commencé par réclamer la suppression de l’article 24, mais c’est l’entièreté de la loi qui vise un contrôle de l’ensemble de la population qui doit être jetée aux orties.

Ainsi la police nationale, les polices municipales et les entreprises de sécurité privées seraient demain sous les mêmes commandements. Ce sont bien les droits fondamentaux des citoyens qui étaient au cœur des manifestations : liberté d’expression, liberté d’information et droit de savoir, liberté de manifester, droit à la sécurité. Ce dernier implique désormais la refondation des services de polices pour une police respectueuse des principes républicains, proche des citoyens. Et de remplacer une IGPN aux ordres par un organisme indépendant du pouvoir. Il est inacceptable que les policiers frappeurs continuent d’être jugés par leurs pairs.

Du reste, si cette loi était en application, si donc la diffusion des images que ce texte veut réglementer, étaient interdites, le producteur de musique M. Michel Zecler serait sans doute poursuivi pour rébellion ou violences à l’égard de fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique. Peut-être serait-il placé sous mandat de dépôt à l’heure qu’il est, c’est-à-dire en prison.

Depuis trop longtemps maintenant, nous voyons des violences policières déchainées contre les mouvements sociaux comme ceux des Gilets jaunes, ou lors du mouvement s’opposant à la contre-réforme des retraites. Ces violences vont parfois jusqu’à provoquer la mort : un livreur à Paris, un jeune à Nantes… Quant aux banlieues… Avant on appelait cela « des bavures », mais les vidéos des violences contre les réfugiés, militants et journalistes de la place de la République et le déchaînement de haine raciste et de coups contre un producteur de musique sur son propre lieu de travail révèlent une situation révoltante dans laquelle les forces de sécurité se croient tout permis.

Et, si elles le peuvent, c’est parce que pour répondre à un électorat de droite et d’extrême droite, des consignes sont données en haut lieu, les procédures et le droit sont jetés à la poubelle. Du reste, si ces exactions n’avaient pas été filmées, les victimes auraient été les accusées et les policiers, assurés d’impunité, rendus encore plus libres dans leurs méfaits.

Le président de la République peut bien écrire son long texte sur les réseaux, faisant mine comme son sinistre-ministre de l’Intérieur de condamner ces agressions policières, sans ne jamais utiliser l’expression « violences policières », il en porte la lourde responsabilité. D’abord ce ministre n’a pas été choisi dans les rangs de la droite par hasard : sa mission est de chasser l’électeur de l’extrême droite, pour le faire voter Macron à la prochaine présidentielle. Eux encore, qui sont allés chercher le préfet de police Lallement pour mettre « de l’ordre à Paris ». Lorsqu’il a déclaré à une citoyenne Gilet jaune sur le rondpoint de la place d’Italie qu’il n’était pas du même camp qu’elle, on a compris clairement que sa mission n’était pas de protéger les citoyens mais de s’inscrire dans le nouvel ordre « libéro-autoritaire » que le pouvoir est en train de construire pour protéger les puissances d’argent et le capitalisme internationalisé. Ils le font en n’hésitant pas à souiller l’image de la France à travers le monde. Comment ces gens pourront-ils se rendre demain dans un pays étranger et dire qu’ils représentent « la patrie des droits de l’Homme » sans devenir la risée mondiale ?

Oui, c’est toute la loi sur la « sécurité globale » qu’il faut déchirer (tout en écartant dès maintenant ceux qui l’appliquent avant l’heure). Et ne pas la faire revenir par la fenêtre. En effet l’article 25 du projet de loi « confortant les principes républicains » n’est que la reprise de l’article 24 de la loi « sécurité globale ». Que continue de se déployer l’intervention populaire ! Que l’on débatte à nouveau pour revenir aux principes fondamentaux de notre République !

vendredi 27 novembre 2020

« Permis de tabasser », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Que se passe-t-il dans notre pays ? Comment trois policiers peuvent-ils agresser et rouer de coups durant vingt minutes un homme sur son pas de porte ? Que se passe-t-il dans nos institutions pour que trois individus portant l’uniforme de gardien de la paix se comportent comme les pires nervis d’extrême droite ? Pour qu’un préfet se croie autoriser à organiser une chasse aux migrants dans les rues de la capitale ? Que se passe-t-il dans notre République pour qu’une loi qui prévoit une limitation inédite de la liberté de la presse et des libertés en général soit adoptée sans coup férir à l’Assemblée ?

Que se passe-t-il au sommet de l’État pour que des ministres se permettent de traiter des parlementaires en opposition avec leur politique comme des complices du terrorisme ? Que se passe-t-il à la tête du pays pour qu’un président de République dirige son pays à travers un Conseil de défense au mépris d’une représentation nationale abaissée comme rarement ?

La crise démocratique, politique et économique dans laquelle la France est engluée depuis des années est amplifiée par les choix calamiteux du gouvernement dans le contexte de la crise sanitaire.

L’exécutif ne tient plus son autorité que de la police. C’est pour protéger ce qu’il nomme d’ailleurs « les forces de l’ordre », rempart d’un pouvoir délégitimé, que le gouvernement tente d’imposer sa loi de sécurité globale, quoi qu’il en coûte. Cette tactique dangereuse endossée par Darmanin résonne chez certains policiers comme un permis de tabasser. Preuve avec cette glaçante vidéo d’un producteur frappé au sang par des agents, à la mode outre-Atlantique ?

Déjà premières victimes de la pauvreté qui s’étend avec la crise sanitaire, les jeunes des quartiers populaires endurent cette réalité depuis des années. Tout comme les migrants, les sans-papiers et les réfugiés, ainsi que la France des ronds-points et des gilets jaunes. Plus personne n’est à l’abri de ce sentiment d’impunité de certains policiers.

« Théisme(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin



Engels et la question religieuse... 

Communisme. Puisque nous croyons à l’habitation historique, le besoin impérieux de puiser à la source forme toujours le vestibule de la chambre aux espoirs politiques brûlants. Ainsi, au hasard des relectures sommaires de quelques textes de Friedrich Engels, revint à la mémoire du bloc-noteur un article de 1843 sur les «Progrès de la réforme sociale sur le continent», dans lequel le jeune homme – il a tout juste 20 ans – voyait déjà le communisme comme «une conclusion nécessaire que l’on est bien obligé de tirer à partir des conditions générales de la civilisation moderne». Une sorte de communisme «logique», en somme. Rappelons que pour le jeune Marx, en revanche, ce communisme n’était encore qu’«une abstraction dogmatique», «une manifestation originale du principe de l’humanisme». Avant 1848 et la publication du Manifeste, ce communisme que l’on pourrait qualifier de «spectral», sans programme précis, hantait donc l’air du temps «sous les formes “mal dégrossies” de sectes égalitaires ou de rêveries icariennes», comme l’écrivait le regretté Daniel Bensaïd. Déjà, le dépassement de l’athéisme abstrait impliquait pourtant un nouveau matérialisme social qui n’était autre que le communisme. Pour le dire autrement, ce communisme, qui fut d’abord un état d’esprit ou un «communisme philosophique», trouvait sa forme politique de l’émancipation. Vous connaissez la citation: «De même que l’athéisme, en tant que négation de Dieu, est le développement de l’humanisme théorique, de même le communisme, en tant que négation de la propriété privée, est la revendication de la vie humaine véritable.»

Opium. Nous y voilà. Loin de tout anticléricalisme vulgaire, ce communisme était «le développement d’un humanisme pratique», pour lequel il ne s’agissait plus seulement de combattre l’aliénation religieuse, mais l’aliénation et la misère sociales réelles d’où naît le «besoin» de religion. Tout le monde a déjà lu au moins une fois dans sa vie ces célèbres phrases de Marx: «La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.» Et si la postérité n’a retenu que la dernière formule, «la religion est l’opium du peuple» (des mots pourtant prononcés avant lui par Moses Hess), le raccourci fut aisé de transformer cette pensée en mot d’ordre faisant de l’athéisme une religion d’État, «le dernier degré du théisme». Tout en rejetant la religion, Marx ne prend pas moins en compte son double caractère: ne nourrit-elle pas la détresse qu’elle exprime, et ses contradictions, précisément par les illusions multiples qu’elle diffuse? La religion ne serait-elle que le produit et le reflet déformé des conditions sociales de la vie des hommes?

 

Illusion. Qu’en pense Engels? Tout en restant matérialiste, athée et adversaire irréconciliable de la religion, il comprend, comme Marx, la dualité de nature de ce phénomène religieux: son rôle dans la légitimation de l’ordre établi (aussi bien que les circonstances sociales s’y prêtant) et son rôle critique, contestataire et même révolutionnaire. C’est évidemment ce dernier aspect qui se trouve au centre de la plupart de ses études concrètes. Engels s’est en effet longuement penché sur le christianisme primitif, religion des pauvres, exclus, damnés, persécutés et opprimés. Esclaves, affranchis privés de leurs droits et petits paysans accablés de dettes : tels étaient les premiers chrétiens. Originaires des derniers rangs de la société. Engels va même jusqu’à établir un parallèle entre ce christianisme primitif et le communisme des premiers temps. Les chrétiens primitifs repoussaient la délivrance à l’au-delà ; le communisme, lui, la place dans ce monde. Le but de la méthode? Si la réalité de la religion réside en dehors de la religion, dans le monde social, alors c’est la critique de ce monde qui supprimera l’illusion religieuse…

 

jeudi 26 novembre 2020

Une nouvelle vidéo insoutenable de violences policières souligne le rôle décisif des images



Alexandre Fache

Trois agents ont été suspendus, jeudi, et plusieurs enquêtes ouvertes après la révélation par le site Loopsider du « tabassage » en règle de Michel, un producteur de musique, samedi, à Paris.

« Les violences policières, c’est un mensonge, ça n’existe pas », assurait, en juin, le patron des députés LR, Christian Jacob. « Quand j’entends le mot “violence policière”, moi, personnellement, je m’étouffe », avait osé, en juillet, Gérald Darmanin, alors fraîchement nommé place Beauvau. Le ministre de l’Intérieur s’est-il « étouffé » en regardant les images accablantes, presque insoutenables, de l’interpellation violente qu’a subie un producteur de musique, samedi, à Paris, et qui viennent d’être révélées par le site Loopsider ? Gageons qu’il aura au moins toussé… avant de réclamer jeudi, au préfet de police, « la suspension, à titre conservatoire, des policiers concernés » par cette affaire. Quelques heures à peine après le vote de la loi de sécurité globale et de son fameux article 24, ce scandale vient, une nouvelle fois, souligner l’importance capitale des images dans la dénonciation de certains comportements de la police, par ailleurs souvent accompagnés de mensonges éhontés.

Que montrent ces images ? Nous sommes samedi, un peu après 19 h 30, dans le très chic 17e arrondissement de la capitale. Trois policiers en patrouille repèrent un homme sans masque qui rentre dans un local situé au rez-de-chaussée de la rue des Renaudes, non loin de la place des Ternes. Cet homme, c’est « Michel », producteur de musique chez Black Gold Studios. Il va payer cher son oubli de masque… Car les fonctionnaires s’engouffrent avec lui dans l’entrée de son local, sans remarquer qu’une caméra de vidéosurveillance immortalise tous leurs faits et gestes, et lui infligent un déferlement de coups presque ininterrompu pendant de longues minutes. « Vingt minutes d’un tabassage en règle, d’une violence inouïe », précise le journaliste David Perrotin, qui a réalisé le sujet pour Loopsider.

La version policière vite contredite

Selon le procès-verbal rédigé par les policiers et consulté par l’AFP, ceux-ci confirment qu’ils ont tenté d’interpeller un homme pour défaut de port du masque. Jusqu’ici, tout va bien. « Alors que nous tentons de l’intercepter, il nous entraîne de force dans le bâtiment », écrivent-ils ensuite, avant d’assurer avoir été frappés à plusieurs reprises. Dans une première version, ils auraient même aussi accusé Michel d’avoir voulu prendre leur arme. Problème : les images dévoilent une tout autre réalité. Les fonctionnaires ne sont pas du tout « entraînés » dans le local, ils y pénètrent eux-mêmes de force ; et, par la suite, Michel ne fait que tenter de parer la rafale de coups de poing, de pied ou de matraque qui s’abat sur lui, sans même tenter de répliquer – un véritable exploit en termes de self-control. « Je ne voulais pas avoir des gestes virulents qui auraient pu jouer contre moi par la suite, j’étais conscient de ça, a témoigné Michel après ses 48 heures de garde à vue. Je me suis dit aussi : “Si je tombe par terre, je vais rester par terre et ne pas me relever.” » Les policiers ne sont pas contentés de porter des coups, ils ont aussi agoni d’injures leur victime du jour : « Sale nègre », « Ta gueule », « On va te défoncer »

« Sans ces images, mon client serait en prison »

Un déchaînement qui ne s’est pas interrompu quand, appelés à l’aide par leur producteur, plusieurs jeunes artistes qui se trouvaient dans le studio en sous-sol, ont rejoint le rez-de-chaussée. Les policiers manœuvrent alors en repli, mais pas vraiment pour calmer le jeu. Au contraire, ils ont appelé du renfort, comme en témoignent d’autres vidéos prises depuis un balcon voisin. Après avoir tenté d’enfoncer la porte d’entrée, les fonctionnaires brisent la vitrine du local à coups de matraque, pour y projeter à l’intérieur une grenade lacrymogène, qui enfume en quelques instants ce lieu exigu. Les images montrent aussi au moins un policier braquant son pistolet vers les jeunes et leur producteur. Tous seront finalement extraits des lieux et Michel placé en garde à vue, sous le coup d’une enquête ouverte pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ». Enquête qui sera, chose rare, classée sans suite par le parquet de Paris, après le visionnage des vidéos. Au contraire, celui-ci a ouvert une nouvelle procédure pour « violences par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « faux en écriture publique » contre les trois policiers.

Depuis, ces derniers ont bien été suspendus de leurs fonctions et une enquête a été ouverte par l’IGPN, la police des polices. « Des gens qui doivent me protéger m’agressent (…) je n’ai rien fait pour mériter ça », a insisté Michel devant la presse, jeudi, au siège parisien de l’IGPN, où il était auditionné. « Je veux juste que ces trois personnes soient punies par la loi », a-t-il expliqué, après avoir fait constater à l’hôpital ses blessures et une incapacité totale de travail (ITT) de six jours. « Si nous n’avions pas les vidéos, mon client serait peut-être actuellement en prison », a souligné son avocate, Me Hafida El Ali. Dans une déclaration inhabituelle, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a réclamé que l’IGPN enquête « le plus rapidement possible »« C’est une affaire extrêmement importante à mes yeux et que je suis personnellement depuis samedi », a-t-il assuré à l’AFP. La Défenseure des droits a indiqué avoir elle aussi ouvert une enquête sur les violences subies par Michel.

Un tollé (presque) général

Les images publiées par Loopsider ont suscité des réactions cinglantes à gauche. « Ce n’est pas une police républicaine (qu’on voit) mais une milice barbare hors de contrôle », a dénoncé sur Twitter Jean-Luc Mélenchon (FI). « Les violences policières racistes sont des réalités. Ces scènes, choquantes, scandaleuses, ne peuvent pas avoir lieu dans une société démocratique »,

a aussi regretté Fabien Roussel (PCF), en appelant à manifester samedi pour le retrait de l’article 24. « L’État de droit n’est pas négociable », s’est émue la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, « profondément choquée par cet acte intolérable ». Le patron d’Europe-Ecologie-les Verts, Julien Bayou, a lui rappelé que « sans les vidéos, rien ne serait sorti ». Côté majorité, le chef de file des députés LaREM, Christophe Castaner, a demandé une « tolérance zéro contre le racisme et contre cette violence ».

 

Marcher, malgré les mauvais coups du gouvernement



Grégory Marin

Après le succès, la semaine dernière, des rassemblements contre la loi sur la sécurité globale, l’interdiction de la manifestation, ce samedi, montre la fébrilité de l’exécutif. Mais la tentative de fracturation du mouvement a échoué.

Risque-t-on plus de contracter le virus du Covid-19 à défiler entre République et Bastille, qu’à rester statique ? C’est en tout cas le prétexte fallacieux utilisé par le préfet de police de Paris, Didier Lallement, pour interdire la Marche pour la liberté, prévue ce samedi, à l’appel de la coordination « Stop loi sécurité globale ». Les dizaines d’associations, de syndicats, de sociétés qui la composent voulaient, comme elles l’ont fait samedi dernier, protester contre plusieurs articles de cette loi. L’article 24 interdisant de diffuser des images de policiers est la pierre angulaire de la mobilisation, mais d’autres, les 20, 21 et 22 – et pour nombre d’opposants, l’ensemble de la loi – portent atteinte aux libertés publiques. Cette interdiction, au profit d’un rassemblement place de la République à 14 heures, intervient à la suite d’une série de manœuvres destinées à éparpiller les colères et le mouvement, en faisant porter aux journalistes la responsabilité des divisions.

Dans ce bras de fer entre gouvernement et citoyens, les syndicats, sociétés et associations de journalistes sont au premier rang. Avec comme casus belli, donc, cet article 24 qui permettra, « sans préjudice du droit d’informer », dit-il en introduction, de pénaliser d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Si l’exécutif ne cesse d’affirmer que les journalistes seront protégés, aucune garantie n’a été donnée, ni sur la définition juridique du journaliste, qui risque de se réduire aux seuls détenteurs d’une carte de presse, ni sur la façon dont les policiers jugeront sur le terrain du « but manifeste » de nuire.

Les reporters, et les citoyens qui souhaitent filmer la police pour se protéger d’éventuels abus, s’inquiètent donc de s’exposer à des interpellations ou au minimum à des contrôles, à chaque fois qu’un policier est filmé. D’autant plus qu’un autre texte, l’article 25 de la proposition de loi « confortant les principes républicains », attendue le 9 décembre, va dans le même sens. Il dispose que « le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle » d’une « personne dépositaire de l’autorité publique » dans le but de poser atteinte à son intégrité psychique ou physique est puni de « cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ». Autre loi, même esprit.

« Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur »

Mais, si les journalistes ont été les premiers à monter au créneau, ils ne veulent être les seuls. C’est d’ailleurs ce qui inquiète le gouvernement, qui a rectifié le texte à la marge pour tenter de les désolidariser du collectif. Peine perdue : lundi, les représentants de la coordination, parmi lesquels syndicats (SNJ-CGT, SNJ, FO, CFDT), associations et sociétés de journalistes, de documentaristes et de réalisateurs, mais aussi la Ligue des droits de l’homme, claquaient la porte du ministère de l’Intérieur. « On a un ministre qui nous a endormis en proposant quelques améliorations par-ci, par-là, il n’en est pas question !  », pestait le secrétaire national du SNJ, Emmanuel Poupard, à l’issue de la rencontre. Dans la foulée, les syndicats en appelaient au premier ministre Jean Castex : « Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur », estimait alors Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT.

Le lendemain, lors des questions d’actualités à l’Assemblée nationale, le chef de l’exécutif faisait mine de prendre la balle au bond. Rendez-vous était donné aux journalistes, et seulement eux, pour clarifier ce « procès d’intention totalement infondé », promettait-il à la représentation nationale : « Pas question d’empêcher quiconque de filmer ou de diffuser des images permettant d’éclairer un fait ou un événement à caractère public. Je l’expliquerai aux syndicats que je recevrai cette semaine. » Seulement voilà, la rencontre, qui devait se tenir jeudi après-midi, n’aura pas lieu comme il l’espérait.

Certes, les éditeurs, qui avaient fait savoir leur inquiétude dans une lettre ouverte quant à « la multiplication d’actions législatives sanctionnant la presse », étaient de la partie. Les syndicats, qui reprochaient à juste titre à Matignon de ne pas avoir « élargi cette entrevue à la coordination “Stop Loi sécurité globale”, pourtant à l’origine de (la) demande », ont choisi, comme les sociétés de journalistes, de boycotter le rendez-vous. L’opération de division a échoué. Car, même avec l’appui de Roselyne Bachelot, ministre de tutelle des journalistes, additionner quatre éditeurs et RSF ne fait pas un dialogue avec l’ensemble de la profession.

La loi votée à l’Assemblée, examinée en janvier au Sénat

« Nous irons (place de la République – NDLR) et nous marcherons (jusqu’à Bastille – NDLR) pour défendre cette liberté », écrivait hier la coordination au préfet de police de Paris. « Vous n’avez pas dit mot quand les journalistes ont été battus et menacés de mort. (…) Nous savons les risques que nous prenons. (…) Nous acceptons de prendre ce risque parce que ce pour quoi nous nous battons dépasse les risques que nous prendrons. »

Car la loi de sécurité globale, contre laquelle sont organisés des dizaines de rassemblements et manifestations, autorisés, eux, partout en France, samedi, ne doit pas alarmer seulement les journalistes et les citoyens qui souhaitent filmer la police pour se protéger d’éventuels abus. Si le texte, conçu par les députés LaREM Alice Thourot, ex-avocate, et Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du Raid (l’unité d’élite de la police nationale), entend restreindre le droit de filmer la police, de son côté elle pourra plus facilement filmer les citoyens : l’article 20 prévoit ainsi d’élargir le recours aux images de vidéosurveillance, l’article 21 étend l’usage de la caméra individuelle dont dispose chaque agent. Sans compter que ce dernier article autorise aux policiers et gendarmes l’accès direct aux enregistrements. Les images pourraient donc être altérées, même si le texte exige des « dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements lorsqu’ils sont consultés dans le cadre de l’intervention », sans plus de détail.

Enfin, l’article 22 développe la vidéosurveillance aérienne par drone durant les opérations de maintien de l’ordre. L’usage des drones, inauguré durant le premier confinement, est supposé être suspendu depuis mai, par décision du Conseil d’État (faute de cadre légal), mais la préfecture de Paris y a eu recours… lors de la manifestation de samedi dernier ! L’article 22 entend fournir ce cadre légal. Seule limite : les drones doivent être employés de telle sorte qu’ils « ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Il est aussi dit que « les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné ». C’est donc tout un arsenal sécuritaire qui est déployé à travers cette loi, et autant d’atteintes potentielles aux libertés individuelles, qui concernent tout un chacun. Le texte, largement adopté le 25 novembre à l’Assemblée nationale, doit être examiné en janvier au Sénat, avant retour au ­Palais-Bourbon. La marche pour son retrait, elle, commence à peine.

Lallement droit dans ses bottes

Après les violences survenues à Paris lundi dernier, le préfet de police Didier Lallement s’est vu « renouveler (sa) confiance » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Celui-ci a évoqué des « gestes inappropriés inacceptables », sans lui attribuer la responsabilité du déchaînement de violences qui s’était abattu sur les exilés, leurs soutiens et les journalistes à la suite de l’évacuation de la place de la République. Pourtant, les critiques à son encontre se multiplient depuis le début de la semaine. Chez les politiques de gauche mais aussi de quelques syndicats de police. Dès sa nomination, en mars 2019, Didier Lallement avait été contesté pour avoir notamment créé les Brav-M, des brigades motorisées rappelant le sombre souvenir des voltigeurs, unités à l’origine du meurtre de Malik Oussekine en 1986. Ces derniers jours, celui qui n’est « pas dans le même camp » que les manifestants, selon ses propres termes, est sous le feu de nouvelles critiques. Il a interdit mercredi la tenue d’une manifestation, et de nouvelles violences policières (lire ci-contre) ont été rapportées jeudi.