jeudi 26 novembre 2020

Marcher, malgré les mauvais coups du gouvernement



Grégory Marin

Après le succès, la semaine dernière, des rassemblements contre la loi sur la sécurité globale, l’interdiction de la manifestation, ce samedi, montre la fébrilité de l’exécutif. Mais la tentative de fracturation du mouvement a échoué.

Risque-t-on plus de contracter le virus du Covid-19 à défiler entre République et Bastille, qu’à rester statique ? C’est en tout cas le prétexte fallacieux utilisé par le préfet de police de Paris, Didier Lallement, pour interdire la Marche pour la liberté, prévue ce samedi, à l’appel de la coordination « Stop loi sécurité globale ». Les dizaines d’associations, de syndicats, de sociétés qui la composent voulaient, comme elles l’ont fait samedi dernier, protester contre plusieurs articles de cette loi. L’article 24 interdisant de diffuser des images de policiers est la pierre angulaire de la mobilisation, mais d’autres, les 20, 21 et 22 – et pour nombre d’opposants, l’ensemble de la loi – portent atteinte aux libertés publiques. Cette interdiction, au profit d’un rassemblement place de la République à 14 heures, intervient à la suite d’une série de manœuvres destinées à éparpiller les colères et le mouvement, en faisant porter aux journalistes la responsabilité des divisions.

Dans ce bras de fer entre gouvernement et citoyens, les syndicats, sociétés et associations de journalistes sont au premier rang. Avec comme casus belli, donc, cet article 24 qui permettra, « sans préjudice du droit d’informer », dit-il en introduction, de pénaliser d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Si l’exécutif ne cesse d’affirmer que les journalistes seront protégés, aucune garantie n’a été donnée, ni sur la définition juridique du journaliste, qui risque de se réduire aux seuls détenteurs d’une carte de presse, ni sur la façon dont les policiers jugeront sur le terrain du « but manifeste » de nuire.

Les reporters, et les citoyens qui souhaitent filmer la police pour se protéger d’éventuels abus, s’inquiètent donc de s’exposer à des interpellations ou au minimum à des contrôles, à chaque fois qu’un policier est filmé. D’autant plus qu’un autre texte, l’article 25 de la proposition de loi « confortant les principes républicains », attendue le 9 décembre, va dans le même sens. Il dispose que « le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle » d’une « personne dépositaire de l’autorité publique » dans le but de poser atteinte à son intégrité psychique ou physique est puni de « cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ». Autre loi, même esprit.

« Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur »

Mais, si les journalistes ont été les premiers à monter au créneau, ils ne veulent être les seuls. C’est d’ailleurs ce qui inquiète le gouvernement, qui a rectifié le texte à la marge pour tenter de les désolidariser du collectif. Peine perdue : lundi, les représentants de la coordination, parmi lesquels syndicats (SNJ-CGT, SNJ, FO, CFDT), associations et sociétés de journalistes, de documentaristes et de réalisateurs, mais aussi la Ligue des droits de l’homme, claquaient la porte du ministère de l’Intérieur. « On a un ministre qui nous a endormis en proposant quelques améliorations par-ci, par-là, il n’en est pas question !  », pestait le secrétaire national du SNJ, Emmanuel Poupard, à l’issue de la rencontre. Dans la foulée, les syndicats en appelaient au premier ministre Jean Castex : « Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur », estimait alors Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT.

Le lendemain, lors des questions d’actualités à l’Assemblée nationale, le chef de l’exécutif faisait mine de prendre la balle au bond. Rendez-vous était donné aux journalistes, et seulement eux, pour clarifier ce « procès d’intention totalement infondé », promettait-il à la représentation nationale : « Pas question d’empêcher quiconque de filmer ou de diffuser des images permettant d’éclairer un fait ou un événement à caractère public. Je l’expliquerai aux syndicats que je recevrai cette semaine. » Seulement voilà, la rencontre, qui devait se tenir jeudi après-midi, n’aura pas lieu comme il l’espérait.

Certes, les éditeurs, qui avaient fait savoir leur inquiétude dans une lettre ouverte quant à « la multiplication d’actions législatives sanctionnant la presse », étaient de la partie. Les syndicats, qui reprochaient à juste titre à Matignon de ne pas avoir « élargi cette entrevue à la coordination “Stop Loi sécurité globale”, pourtant à l’origine de (la) demande », ont choisi, comme les sociétés de journalistes, de boycotter le rendez-vous. L’opération de division a échoué. Car, même avec l’appui de Roselyne Bachelot, ministre de tutelle des journalistes, additionner quatre éditeurs et RSF ne fait pas un dialogue avec l’ensemble de la profession.

La loi votée à l’Assemblée, examinée en janvier au Sénat

« Nous irons (place de la République – NDLR) et nous marcherons (jusqu’à Bastille – NDLR) pour défendre cette liberté », écrivait hier la coordination au préfet de police de Paris. « Vous n’avez pas dit mot quand les journalistes ont été battus et menacés de mort. (…) Nous savons les risques que nous prenons. (…) Nous acceptons de prendre ce risque parce que ce pour quoi nous nous battons dépasse les risques que nous prendrons. »

Car la loi de sécurité globale, contre laquelle sont organisés des dizaines de rassemblements et manifestations, autorisés, eux, partout en France, samedi, ne doit pas alarmer seulement les journalistes et les citoyens qui souhaitent filmer la police pour se protéger d’éventuels abus. Si le texte, conçu par les députés LaREM Alice Thourot, ex-avocate, et Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du Raid (l’unité d’élite de la police nationale), entend restreindre le droit de filmer la police, de son côté elle pourra plus facilement filmer les citoyens : l’article 20 prévoit ainsi d’élargir le recours aux images de vidéosurveillance, l’article 21 étend l’usage de la caméra individuelle dont dispose chaque agent. Sans compter que ce dernier article autorise aux policiers et gendarmes l’accès direct aux enregistrements. Les images pourraient donc être altérées, même si le texte exige des « dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité des enregistrements lorsqu’ils sont consultés dans le cadre de l’intervention », sans plus de détail.

Enfin, l’article 22 développe la vidéosurveillance aérienne par drone durant les opérations de maintien de l’ordre. L’usage des drones, inauguré durant le premier confinement, est supposé être suspendu depuis mai, par décision du Conseil d’État (faute de cadre légal), mais la préfecture de Paris y a eu recours… lors de la manifestation de samedi dernier ! L’article 22 entend fournir ce cadre légal. Seule limite : les drones doivent être employés de telle sorte qu’ils « ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Il est aussi dit que « les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné ». C’est donc tout un arsenal sécuritaire qui est déployé à travers cette loi, et autant d’atteintes potentielles aux libertés individuelles, qui concernent tout un chacun. Le texte, largement adopté le 25 novembre à l’Assemblée nationale, doit être examiné en janvier au Sénat, avant retour au ­Palais-Bourbon. La marche pour son retrait, elle, commence à peine.

Lallement droit dans ses bottes

Après les violences survenues à Paris lundi dernier, le préfet de police Didier Lallement s’est vu « renouveler (sa) confiance » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Celui-ci a évoqué des « gestes inappropriés inacceptables », sans lui attribuer la responsabilité du déchaînement de violences qui s’était abattu sur les exilés, leurs soutiens et les journalistes à la suite de l’évacuation de la place de la République. Pourtant, les critiques à son encontre se multiplient depuis le début de la semaine. Chez les politiques de gauche mais aussi de quelques syndicats de police. Dès sa nomination, en mars 2019, Didier Lallement avait été contesté pour avoir notamment créé les Brav-M, des brigades motorisées rappelant le sombre souvenir des voltigeurs, unités à l’origine du meurtre de Malik Oussekine en 1986. Ces derniers jours, celui qui n’est « pas dans le même camp » que les manifestants, selon ses propres termes, est sous le feu de nouvelles critiques. Il a interdit mercredi la tenue d’une manifestation, et de nouvelles violences policières (lire ci-contre) ont été rapportées jeudi.

 

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