Après le succès, la semaine dernière, des
rassemblements contre la loi sur la sécurité globale, l’interdiction de la manifestation,
ce samedi, montre la fébrilité de l’exécutif. Mais la tentative de fracturation
du mouvement a échoué.
Risque-t-on plus de contracter le virus du
Covid-19 à défiler entre République et Bastille, qu’à rester statique ? C’est
en tout cas le prétexte fallacieux utilisé par le préfet de police de Paris,
Didier Lallement, pour interdire la Marche pour la liberté, prévue ce samedi, à
l’appel de la coordination « Stop loi sécurité globale ». Les dizaines
d’associations, de syndicats, de sociétés qui la composent voulaient, comme
elles l’ont fait samedi dernier, protester contre plusieurs articles de cette
loi. L’article 24 interdisant de diffuser des images de policiers est la
pierre angulaire de la mobilisation, mais d’autres, les 20, 21 et 22 – et pour
nombre d’opposants, l’ensemble de la loi – portent atteinte aux libertés
publiques. Cette interdiction, au profit d’un rassemblement place de la
République à 14 heures, intervient à la suite d’une série de manœuvres
destinées à éparpiller les colères et le mouvement, en faisant porter aux
journalistes la responsabilité des divisions.
Dans ce bras de fer entre gouvernement et
citoyens, les syndicats, sociétés et associations de journalistes sont au
premier rang. Avec comme casus belli, donc, cet article 24 qui
permettra, « sans préjudice du droit d’informer », dit-il en
introduction, de pénaliser d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la
diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément
d’identification » d’un policier ou d’un gendarme lorsque celle-ci a
pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Si
l’exécutif ne cesse d’affirmer que les journalistes seront protégés, aucune
garantie n’a été donnée, ni sur la définition juridique du journaliste, qui
risque de se réduire aux seuls détenteurs d’une carte de presse, ni sur la
façon dont les policiers jugeront sur le terrain du « but manifeste » de
nuire.
Les reporters, et les citoyens qui
souhaitent filmer la police pour se protéger d’éventuels abus, s’inquiètent
donc de s’exposer à des interpellations ou au minimum à des contrôles, à chaque
fois qu’un policier est filmé. D’autant plus qu’un autre texte,
l’article 25 de la proposition de loi « confortant les principes
républicains », attendue le 9 décembre, va dans le même sens. Il
dispose que « le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque
moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou
professionnelle » d’une « personne dépositaire de l’autorité
publique » dans le but de poser atteinte à son intégrité psychique ou
physique est puni de « cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros
d’amende ». Autre loi, même esprit.
« Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur »
Mais, si les journalistes ont été les
premiers à monter au créneau, ils ne veulent être les seuls. C’est d’ailleurs
ce qui inquiète le gouvernement, qui a rectifié le texte à la marge pour tenter
de les désolidariser du collectif. Peine perdue : lundi, les représentants de
la coordination, parmi lesquels syndicats (SNJ-CGT, SNJ, FO, CFDT),
associations et sociétés de journalistes, de documentaristes et de
réalisateurs, mais aussi la Ligue des droits de l’homme, claquaient la porte du
ministère de l’Intérieur. « On a un ministre qui nous a endormis en
proposant quelques améliorations par-ci, par-là, il n’en est pas question ! », pestait
le secrétaire national du SNJ, Emmanuel Poupard, à l’issue de la rencontre.
Dans la foulée, les syndicats en appelaient au premier ministre Jean
Castex : « Gérald Darmanin n’est plus notre interlocuteur », estimait
alors Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT.
Le lendemain, lors des questions
d’actualités à l’Assemblée nationale, le chef de l’exécutif faisait mine de
prendre la balle au bond. Rendez-vous était donné aux journalistes, et
seulement eux, pour clarifier ce « procès d’intention totalement
infondé », promettait-il à la représentation nationale : « Pas
question d’empêcher quiconque de filmer ou de diffuser des images permettant
d’éclairer un fait ou un événement à caractère public. Je l’expliquerai aux
syndicats que je recevrai cette semaine. » Seulement voilà, la
rencontre, qui devait se tenir jeudi après-midi, n’aura pas lieu comme il
l’espérait.
Certes, les éditeurs, qui avaient fait
savoir leur inquiétude dans une lettre ouverte quant à « la
multiplication d’actions législatives sanctionnant la presse », étaient
de la partie. Les syndicats, qui reprochaient à juste titre à Matignon de ne
pas avoir « élargi cette entrevue à la coordination “Stop Loi sécurité
globale”, pourtant à l’origine de (la) demande », ont choisi, comme les
sociétés de journalistes, de boycotter le rendez-vous. L’opération de division
a échoué. Car, même avec l’appui de Roselyne Bachelot, ministre de tutelle des
journalistes, additionner quatre éditeurs et RSF ne fait pas un dialogue avec
l’ensemble de la profession.
La loi votée à l’Assemblée, examinée en janvier au Sénat
« Nous irons (place de la République –
NDLR) et nous marcherons (jusqu’à Bastille – NDLR) pour défendre cette
liberté », écrivait hier la coordination au préfet de
police de Paris. « Vous n’avez pas dit mot quand les journalistes ont
été battus et menacés de mort. (…) Nous savons les risques que nous prenons.
(…) Nous acceptons de prendre ce risque parce que ce pour quoi nous nous
battons dépasse les risques que nous prendrons. »
Car la loi de sécurité globale, contre
laquelle sont organisés des dizaines de rassemblements et manifestations,
autorisés, eux, partout en France, samedi, ne doit pas alarmer seulement les
journalistes et les citoyens qui souhaitent filmer la police pour se protéger
d’éventuels abus. Si le texte, conçu par les députés LaREM Alice Thourot,
ex-avocate, et Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du Raid (l’unité d’élite de la
police nationale), entend restreindre le droit de filmer la police, de son côté
elle pourra plus facilement filmer les citoyens : l’article 20 prévoit
ainsi d’élargir le recours aux images de vidéosurveillance, l’article 21
étend l’usage de la caméra individuelle dont dispose chaque agent. Sans compter
que ce dernier article autorise aux policiers et gendarmes l’accès direct aux
enregistrements. Les images pourraient donc être altérées, même si le texte
exige des « dispositifs techniques permettant de garantir l’intégrité
des enregistrements lorsqu’ils sont consultés dans le cadre de
l’intervention », sans plus de détail.
Enfin, l’article 22 développe la
vidéosurveillance aérienne par drone durant les opérations de maintien de
l’ordre. L’usage des drones, inauguré durant le premier confinement, est
supposé être suspendu depuis mai, par décision du Conseil d’État (faute de
cadre légal), mais la préfecture de Paris y a eu recours… lors de la
manifestation de samedi dernier ! L’article 22 entend fournir ce cadre
légal. Seule limite : les drones doivent être employés de telle sorte
qu’ils « ne visualisent pas les images de l’intérieur des domiciles ni,
de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Il est aussi dit que « les
images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement
du service concerné ». C’est donc tout un arsenal sécuritaire qui est
déployé à travers cette loi, et autant d’atteintes potentielles aux libertés
individuelles, qui concernent tout un chacun. Le texte, largement adopté le
25 novembre à l’Assemblée nationale, doit être examiné en janvier au
Sénat, avant retour au Palais-Bourbon. La marche pour son retrait, elle,
commence à peine.
Lallement droit dans ses bottes
Après
les violences survenues à Paris lundi dernier, le préfet de police Didier
Lallement s’est vu « renouveler (sa) confiance » par le ministre de
l’Intérieur, Gérald Darmanin. Celui-ci a évoqué des « gestes inappropriés
inacceptables », sans lui attribuer la responsabilité du déchaînement de
violences qui s’était abattu sur les exilés, leurs soutiens et les journalistes
à la suite de l’évacuation de la place de la République. Pourtant, les
critiques à son encontre se multiplient depuis le début de la semaine. Chez les
politiques de gauche mais aussi de quelques syndicats de police. Dès sa
nomination, en mars 2019, Didier Lallement avait été contesté pour avoir
notamment créé les Brav-M, des brigades motorisées rappelant le sombre souvenir
des voltigeurs, unités à l’origine du meurtre de Malik Oussekine en 1986. Ces
derniers jours, celui qui n’est « pas dans le même camp » que les manifestants,
selon ses propres termes, est sous le feu de nouvelles critiques. Il a interdit
mercredi la tenue d’une manifestation, et de nouvelles violences policières
(lire ci-contre) ont été rapportées jeudi.
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