vendredi 3 mars 2023

« Boîte de Pandore », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



À chaque réforme des retraites, c’est la même histoire. Celle de la der des ders, qui va accomplir ce que les précédentes réformes n’ont prétendument pas fait, alors qu’elles nous avaient pourtant été vendues pour cela: redresser les comptes pour «sauver» le système par répartition, et mettre pour longtemps nos retraites à l’abri des vents mauvais. On peut ouvrir les paris: cette réforme, comme celles dhier, ne sera sûrement pas la dernière. Après elle en viendra une autre, plus antisociale encore. Elle est déjà en discussion: il suffit de prêter loreille à ce qui se murmure sur les bancs de la droite au Sénat, et de lire entre les lignes de ses amendements. De quoi est-il question? De tout ce que, cette fois, le gouvernement naura pas accepté dinclure dans son projet.

Prenons les régimes dits spéciaux. Leur suppression a bien été ratifiée une première fois par les députés – c’est même le seul article qu’ils ont voté – mais les sénateurs LR en demandent plus: ils veulent abroger la «clause du grand-père», cette disposition selon laquelle les salariés déjà embauchés gardent le bénéfice des régimes auxquels ils ont cotisé. En réalité, cette «clause» a tout du trompe-l’œil pour acheter la paix sociale – sans y parvenir, les salariés des dits régimes n’étant pas dupes du tout. L’argument des jusqu’au-boutistes libéraux coule de source: comment, s’étranglent les sénateurs LR, les salariés dune même profession cotiseront à deux systèmes différents pendant 43 ans, le temps que les derniers affiliés à ces régimes aient achevé leur carrière? Quelle usine à gaz!

Voilà pourquoi il ne faut pas toucher à l’écheveau du gouvernement: en tirant, cest la pelote entière qui se dévide. Que la droite nobtienne pas gain de cause sur tout lui importe peu, ses élus prennent date. Ils n’oublient pas qu’ils ont fait campagne pour la retraite à 65 ans. Cette réforme est pour eux la boîte de Pandore. Si elle passe, la voie sera ouverte pour la suivante. Si elle est stoppée, c’est non seulement Emmanuel Macron, mais aussi tous ceux qui préparent le mauvais coup d’après qui seront en échec. 

 

« Nombril », le billet de Maurice Ulrich.



Ce n’est pas très sérieux, quoique… La métamorphose du tourisme inquiète Luc Ferry. 700 millions de personnes en Europe et, écrit l’ancien nouveau philosophe dans le Figaro, c’est avec ça que l’on entend retrouver «une sorte de moi authentique. Bon voyage vers votre nombril». Ainsi, «depuis plusieurs années, les yogis amateurs ou professionnels ont investi lespace public et les réseaux sociaux. Voilà quils sinstallent sur les pontons des bateaux de croisière». Mais lui, que diable va-t-il y faire? Voilà des années qu’il y participe en invité rétribué. Grèce, Suède, Norvège, Mékong… Et voici comment il évoquait, dans une vidéo, un bâtiment de la flotte Ponant, qui, il est vrai, n’a rien à voir avec les géants à 5 000 passagers. «Cest un 5 étoiles sur l’eau. Comme un yacht privé avec un service exceptionnel, une gastronomie digne de nos meilleurs restaurants…» ​​​​​​​Mais il y donne des conférences. Ce doit être pour rendre, comme le voulait Diderot, «la philosophie populaire» et développer l’esprit critique. 

 

jeudi 2 mars 2023

« Les dix plaies d’Égypte », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



Le gouvernement serait-il pris de panique? Il est vrai quavec larrivée de la réforme des retraites au Sénat, lexécutif est coincé entre plusieurs marteaux et plusieurs enclumes. La droite, qui domine la Chambre haute, veut faire adopter des amendements pour alléger la régression pour les «mères» (pas les femmes, donc). Mais les députés de droite, dont il s’agira ensuite de s’assurer les voix pour faire voter la loi à l’Assemblée, préfèrent axer leurs revendications sur les carrières longues. Si le gouvernement cède aux deux, les économies que permettrait la réforme, dont ses promoteurs peinent déjà à convaincre de l’utilité, deviendraient faméliques au regard des efforts demandés aux salariés. Casse-tête en vue.

La droite sénatoriale a également fait, depuis longtemps, de la fin des régimes dits «spéciaux» un cheval de bataille. Elle voudrait donc accélérer leur suppression. Si le gouvernement accepte ce recul supplémentaire, cela reviendrait à rompre le contrat passé avec les salariés concernés au beau milieu de leur carrière. De quoi alimenter légitimement la colère dans des secteurs stratégiques en vue du blocage du pays prévu à partir du 7 mars. Nouveau casse-tête.

Voilà donc l’exécutif otage des droites et sous la pression de salariés massivement opposés à la réforme. De quoi faire perdre les pédales au porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. Celui-ci n’a pas hésité à déclarer que, dans un contexte de sécheresse, bloquer le pays serait «prendre le risque dune catastrophe écologique, agricole ou sanitaire». Que, face au papillomavirus, ce serait «négliger la santé de nos enfants» ou qu’avec l’inflation, on risquerait d’ «alourdir une facture déjà salée». Rien que ça. «Faites grève et les dix plaies d’Égypte sabattront sur la France», nous dit-il en substance. On se souvient qu’en 2005, lors du débat sur le traité constitutionnel européen, certains n’hésitaient pas à promettre une sorte d’apocalypse en cas de victoire du non. Cette panique est un signe que la victoire du mouvement social est possible.

 

« Le verre plein », le billet de Maurice Ulrich.



C’est bien connu, les pessimistes voient le verre à moitié vide et les optimistes le voient à moitié plein. Les premiers, en France, s’inquiètent de l’inflation qui, parce qu’elle concerne en premier lieu les produits alimentaires de base, frappe d’abord les plus modestes dont la part des dépenses contraintes est la plus forte. Certains, dans la même veine, évaluent jusqu’à 2000 euros la perte de pouvoir dachat des ménages lan passé. De lautre côté notent les optimistes, «linflation a dopé la croissance et les profits des fleurons français du CAC 40» ( le Figaro, samedi 25 février), ou bien, alors que «les dividendes ont atteint de nouveaux records dans le monde» ( les Échos, mercredi), la France, est-il précisé, est le pays qui a le plus contribué à la croissance des dividendes en Europe. Plus 44% pour TotalEnergies, 64% pour Engie, 20% pour LVMH, LOréal, 62% pour Hermès En fait ce nest pas que le verre soit à moitié plein ou vide, cest que, pendant que les verres se vident, ce sont des piscines qui se remplissent.

 

mercredi 1 mars 2023

« Objectif 7 mars ! », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.

 


Alors qu’Emmanuel Macron entame une tournée africaine en annonçant vouloir faire du neuf tout en activant les vieilles recettes de la Françafrique – s’adapter pour perdurer, en somme –, l’explosif projet de loi sur les retraites est désormais en discussion au Sénat. Entre vacances et rentrée scolaire, le pays, en état d’extrême tension, semble comme suspendu dans l’attente des jours prochains, à la manière d’une sorte de «trêve» durant laquelle chacun retient son souffle pour mieux préparer le retour de la grande bataille. Une date occupe déjà tous les esprits: le 7 mars.

Ce jour-là, les mobilisations devraient prendre une tout autre forme et sans doute s’installer dans la durée. Des transports au secteur de l’énergie (raffineurs, EDF, etc.), la volonté de «bloquer le pays» nest pas quun affichage, mais bien une réalité sous la forme de grèves reconductibles, dores et déjà annoncées çà et là. Ainsi, à la SNCF, lensemble des syndicats appellent à laction dès le 7 mars. Nous connaissions la position de la CGT cheminots et de SUD rail. L’Unsa ferroviaire et la CFDT attendaient de consulter leurs adhérents. Les résultats de «la base» sont sans appel: plus de 80% davis favorables! Tous les cheminots rejoignent donc les grévistes de la RATP, qui avaient déjà annoncé, mi-février, participé au durcissement du combat.

Rien n’est écrit à l’avance. Mais l’affaire risque de se compliquer pour le couple Macron-Borne. D’autant que les sondages ne montrent aucun essoufflement, bien au contraire. Dans la dernière livraison de l’Ifop, seules 10% des personnes interrogées se déclaraient «tout à fait favorables» à la réforme. Du jamais-vu! Lexécutif a définitivement perdu la bataille de lopinion. Lampleur du mouvement de contestation nous prouve par ailleurs que la lutte sociale, quand elle redevient centrale, modifie le paysage et instaure en profondeur un nouveau rapport de forces. Toucher aux retraites a joué en point d’accroche, révélant une colère fondamentale et légitime: linaltérable exigence d’égalité, celle qui secoue les citoyens et élève les consciences. À rebours de l’histoire, Macron et ses premiers de cordée ont osé envoyer un message mortifère aux générations futures: «Après nous, le déluge!» Le rejet des Français est à la hauteur de ce mépris.

 

« Médecines », le billet de Maurice Ulrich.



Comment dire que le gouvernement ne se soucie pas du surendettement et de la précarité des ménages, alors qu’il vient de lancer une expérimentation appelée «Aide-Budget»? Elle repose sur un repérage précoce des situations de difficultés financières et un «accompagnement renforcé des ménages»Ainsi, pour Bercy, «quand un bailleur social repérera deux impayés de suite, il déclenchera une procédure pour proposer un diagnostic». Un peu comme avec les médecins de Molière. «Ossabandusnequeisnequer, potarinumquipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.» Factura retardam, argentus manqum. EDF, Engie et TotalEnergies seront également partenaires de cette opération, en plus d’engager comme il se doit les procédures légales de recouvrement auxquelles elles ne sauraient déroger. Les ménages seront alors orientés vers un conseil budget, qui les aidera à améliorer leur gestion. Sinon, selon une récente étude du CSA, les foyers français estiment qu’il leur manque chaque mois plus de 450 euros pour vivre correctement.