samedi 30 octobre 2021

Emploi, retraites : " L'enfumage "



Ministres, chroniqueurs ont entonné ces derniers jours le même refrain : « Tout va pour le mieux au chapitre de l’emploi ». Sauf que ces commentateurs avertis, et toujours prompts à assurer le service après-vente pour le pouvoir macronien, omettent volontairement  d’évoquer deux sujets, pourtant ô combien important. D’abord l’immense majorité des contrats d’embauche sont des CDD, et souvent pour une durée de un ou deux mois. Second sujet : 40% des personnes partant à la retraite ne sont déjà plus en activité. Pourtant, Macron, Castex,  Philippe, Le Maire, Bertrand, Barnier, Pécresse, Zemmour et compagnie entonnent le même refrain : « Les français ne travaillent pas assez », il est urgent de repousser l’âge légal de départ à la retraite, à 65, voire 67 ans » S’empressant d’ajouter qu’il faudrait au préalable augmenter le taux d’emploi des plus de 60 ans. Enfumage ! La démonstration est faite que la seule proposition fiable reste bien de fixer à 60 ans l’âge de départ à la retraite

vendredi 29 octobre 2021

Retenez cette date : Le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon « l’Odyssée antarctique ». Une magnifique réalisation et un hommage à Maurice SEBBAH (Robert Clément)



L’histoire portée à l’écran dans ce film documentaire, réalisé par Djamel TAHI appartient au patrimoine de l’exploration polaire française. Cette odyssée polaire témoigne d’une des plus grandes aventures scientifiques et humaines sur le continent antarctique. En 1956, le monde scientifique décide d’explorer l’Antarctique. Douze pays, dont la France, entreprennent un vaste programme de recherche destiné à percer les mystères du Continent blanc. L’Année Géophysique Internationale (AGI) est née. En décembre 1956, après 77 jours de mer pour rallier la France à l’Antarctique, une poignée d’hommes accompagnés par Paul Émile Victor débarque en Terre Adélie pour implanter deux bases. La base principale, baptisée Dumont d’Urville, prévue pour accueillir une vingtaine d’hommes est installée à la côte. La seconde, une petite maison baptisée du nom de Charcot est implantée à 320 kms à l’intérieur du continent. Dans cet éblouissant documentaire, nous retrouvons les témoignages des derniers témoins des missions de l’AGI. Parmi eux Maurice SEBBAH, membre de la première expédition emmenée par Robert GUILLARD, qui a eu en charge la construction et l’implantation des deux bases françaises en Terre Adélie. Maurice SEBBAH, radio de cette expédition, nous apporte son précieux témoignage ainsi que des documents inédits. Maurice nous a quittés le 15 févier dernier. Il ne verra pas « sa belle aventure polaire ». Je me souviens, c’était à la fin de l’année 2019, à Romainville. Maurice, m’avait dédicacé  un magnifique ouvrage « La grande Odyssée » Ce soir-là, son ami, Djamel TAHI nous avait confié qu’il envisageait la projection de « l’Odyssée Antarctique », dans notre Trianon. Maurice s’en faisait une joie immense. Malheureusement, la crise sanitaire en décidera autrement. Alors, ce 7 décembre, nos pensées iront vers lui. Maurice SEBBAH était pour moi, un ami, un camarade très cher. Les plus anciens d’entre nous se rappellent l’élu, le militant, tracts à la main et musette de l’Humanité sur le dos, dans son quartier Jaurès. C’était la partie connue de la vie de Maurice SEBBAH. L’autre moins connue aura été son aventure en Terre Adélie. C’est pour vivre cette aventure polaire, et en hommage au « Grand Monsieur » qu’a été Maurice SEBBAH, que je vous invite, mes très cher.e.s ami.e.s,  à nous retrouver le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon.

 

« L’Odyssée Antarctique », racontée par Antoine De Caunes

Film documentaire long métrage

Réalisateur : Djamel TAHI

Productrice : Nathalie DEFOSSEZ

« Si… », le billet de Maurice Ulrich.

 


Non, « le woke n’est pas un fantasme de réac ». Dans une tribune de presse, l’auteur d’un livre sur la question appelle à la résistance. Le mouvement ainsi baptisé (woke signifie éveillé), qui a déjà fait des ravages aux États-Unis, s’acharne désormais sur la France. Il l’écrit plus amplement dans un livre au titre à rallonge, mais sans doute il le faut : OK, millennials ! Puritanisme, victimisation, identitarisme, censure… L’enquête d’un baby-boomer sur les mythes de la génération woke (Éditions de l’Observatoire). « Ainsi, par exemple, écrit-il, si les résultats en mathématiques des élèves noirs sont inférieurs à ceux des élèves blancs – et surtout à ceux des Américains d’origine asiatique – il faudrait mettre en cause le “racisme” des exercices et des tests mesurant les performances des élèves et, par-delà, le “racisme” qui persiste à structurer insidieusement la société américaine tout entière. » Il faut apprécier l’usage du « si », et des guillemets. Du racisme aux États-Unis, et puis quoi encore ? Les mathématiques, on les a dans la peau…

 

Vingt- sept centimes… Par Patrick Le Hyaric.



0,27 cts par jour. Oui, vingt-sept centimes d’euros, voilà la somme qu’octroie royalement le gouvernement à une partie de celles et ceux qui souffrent durement des hausses des prix des denrées de haute nécessité.

Les prix de l’énergie comme de la baguette de pain flambent alors que les salaires et les retraites stagnent.

Ce billet de 100€ pour celles et ceux qui gagnent moins de 2000€ par mois que sort le pouvoir des caisses de l’Etat dit exactement la nature de sa politique : éviter que la bouilloire sociale n’explose sans augmenter la rémunération du travail, ni baisser les impôts indirects.

100€ vite avalés par le prix des plein de carburants ou du caddie de la semaine. Evidemment, pour impressionner, les responsables dépensent beaucoup d’encre et de salive pour agiter le coût de l’opération : 3,8 milliards d’euros. Jamais ils ne disent que cette somme sera compensée quasi intégralement par les recettes supplémentaires de TVA et des taxes sur les carburants résultant automatiquement de cette même hausse des prix que le pouvoir et les institutions européennes refusent de combattre.  Jamais, non plus ce chiffre n’est comparé avec les manipulations dont sont coupables des banques et des fonds de pensions qui ont détourné 33 milliards d’euros de taxes sur les dividendes (1).

Il ne s’agit pas pour le pouvoir d’être juste et efficace, il veut que la somme de 100€ se voie sur les feuilles de salaires et des pensions à la veille des élections présidentielles.

Ajoutons que le critère uniforme d’octroi de cette aide pour celles et ceux qui n’ont que 2000€ par mois ne tient aucun compte des conditions de vie réelles des citoyens. Une mère de famille seule avec un ou deux enfants qui doit utiliser sa voiture pour aller au travail gagnant plus de 2000€ est sans doute plus touchée par l’actuelle inflation que le célibataire vivant dans une grande ville avec 1900€. L’efficacité sociale ou économique d’une telle disposition n’a donc pas été évaluée.  

D’autre choix bien plus justes auraient pu être mis en œuvre : celui de pousser à l’augmentation des rémunérations en commençant par celle du salaire minimum et en revalorisant les agents de l’Etat et des collectivités territoriales. Il aurait pu aussi diminuer les taxes sur les carburants et l’électricité.

Parce qu’il protège le grand patronat, le pouvoir refuse de répondre aux demandes d’amélioration des rémunérations du travail et des pensions de retraites. Les profits et la rentabilité du capital restent intacts et le billet de 100€ est en vérité un bouclier contre les revendications salariales. Les premiers de corvée connaîtront encore des mois qui finissent le 15 !

Le refus de baisser les impôts indirects, les plus injustes qui soient, répond aux orientations européennes qui dans leurs recommandations semestrielles aux Etats – issues du pacte de stabilité – demande d’augmenter pour financer la dette les impôts dit de « consommation » afin de diminuer l’impôt dit « de production » c’est-à-dire les impôts sur le capital.

Le double combat pour la justice sociale, qui implique l’augmentation des salaires et des retraites et la justice fiscale, doit prendre de la vigueur. Il doit s’accompagner d’une bataille pour abolir le pacte de stabilité européen et ses absurdes critères, et s’accompagner d’une vision à long terme pour notre indépendance énergétique avec la réhabilitation du monopole public d’EDF démocratisé et un processus de reconquête  de notre souveraineté  alimentaire qui doit cesser d’être tributaire du marché capitaliste.

L’alimentation doit donc être sortie des négociations internationales de l’Organisation mondiale du commerce et des traités de libres échanges. Cela n’exclurait pas des coopérations entre peuples et entre Etats, bien au contraire. C’est l’appel à une nouvelle cohérence progressiste contre les lois de l’argent-roi.

Patrick Le Hyaric

(1) Ce chiffre a été révélé par l’enquête de 15 médias internationaux. Voir aussi l’Humanité du vendredi 22 octobre 2021.

 

jeudi 28 octobre 2021

« Rationalité », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Face aux semeurs de haine, la ­réalité brute des chiffres vaut parfois mieux qu’un long discours. Ce jeudi, une série d’études publiées par l’OCDE vient tordre le cou aux élucubrations xénophobes de la droite et de son extrême sur l’immigration. Cette dernière est vue avec une obsession qui frôle la psychiatrie. Elle serait « massive », coûtant « des milliards aux comptes publics » et, peu ou prou, à l’origine de tous les maux de la France. Ces assertions instaurent un climat nauséabond de suspicion, sabordent le débat et sont, du reste, totalement fausses.

Non, il n’y a pas de déferlement tsunamique d’immigrés. Au contraire même. Selon les projections de l’OCDE, l’année 2020 – pandémie de Covid oblige – a connu un effondrement inédit d’au moins 30 % des « flux migratoires » vers les pays développés (– 21 % pour la France). Une tendance qui devrait se poursuivre en 2021. Résultat : les « 2 millions d’immigrés en plus » sur le quinquennat Macron, comme aime à le claironner ­Zemmour, seraient en réalité à peine 620 000…

Et non, l’immigration ne ruine pas non plus la France. L’OCDE réaffirme ici un constat déjà fait à maintes reprises : la contribution des immigrés, sous la forme d’impôts et de cotisations, apparaît supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. En France, cette contribution budgétaire nette serait de 1,02 % du PIB, donc excédentaire. Et encore, seuls 56 % des immigrés sont intégrés au marché du travail. Avec un taux d’emploi similaire au reste de la population, ils généreraient 0,2 % de PIB supplémentaire pour les comptes publics. Vous avez dit poids de l’immigration ?

Cette analyse de l’OCDE ne suffira pas, seule, à anesthésier la propagande des Le Pen, Zemmour et autres Ciotti. Ne rêvons pas. Mais elle doit aider à éclairer la manipulation intellectuelle aujourd’hui à l’œuvre. Et rappeler à la gauche que la rationalité peut être également une arme redoutable dans le combat politique à mener contre l’hystérie nationaliste.

« Bon retour au pays, « bochio » ! », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.

 



Ce sont des joyaux qui vont, enfin, retrouver leur écrin d’origine. Le 9 novembre, vingt-six œuvres, dont la magnifique statue « bochio » du roi Béhanzin, quitteront le musée du quai Branly pour s’en retourner au Bénin. On le sait, l’itinéraire de ces trésors est une affaire de spoliation. En 1892, en pleine guerre coloniale, le général français Dodds avait mis à feu et à sang l’ancien royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin, et pillé ces œuvres appartenant à Béhanzin, capturé et condamné à l’exil aux Antilles, puis en Algérie.

Comme toujours, l’histoire officielle s’est chargée de tordre les faits, de les réécrire, afin de repeindre le monarque africain en terrible sanguinaire. Quant à Dodds, il passait jusqu’alors pour un héros ; l’appartenance de ces artefacts au patrimoine national était présentée comme le fruit d’un généreux « don » du militaire.

Depuis la demande officielle de restitution formulée par les autorités béninoises il y a cinq ans, que de tergiversations sournoises sur de prétendues mauvaises conditions de conservation de ces objets dans leur pays d’origine ! En dérogeant à l’inviolabilité des collections des musées nationaux français, la loi d’exception de 2020 a permis de donner une réponse favorable à Porto-Novo. Mais l’absence de cadre juridique pérenne freine les procédures engagées par d’autres anciennes colonies.

Il n’y aura pas de relations apaisées, refondées avec l’Afrique tant que perdurera le séquestre de tout un patrimoine issu de la dépossession coloniale. Saluons à cet égard le travail remarquable de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy, auteurs en 2018 d’un important rapport sur la restitution de ces chefs-d’œuvre, et sans qui cet acte de réparation n’aurait pu voir le jour. Ils ont contribué à faire sauter les verrous politiques, idéologiques, mais aussi financiers, les collectionneurs privés voyant là une atteinte à leur butin. Le temps des razzias est fini : le retour de ces objets au pays natal s’inscrit dans le sens de l’histoire.

 

 

« Figaro-ci et là… »,le billet de Maurice Ulrich



L’alerte a été lancée la semaine passée par le Figaro Magazine à la une. « Enquête sur une mainmise culturelle, France Inter, France Télévisions, à gauche toute ». On ne l’avait pas vraiment remarqué en écoutant Léa Salamé, Nicolas Demorand ou Dominique Seux, de la direction des Échos… Peut-être faut-il chercher parmi les nouveaux chroniqueurs. Étienne Gernelle, directeur du Point ? Alexandre Devecchio, directeur adjoint de la rédaction du… Figaro ? C’est dans le même Figaro qu’on lisait jeudi à quel point la France se droitise, ce qu’illustrait un camembert. 34 % pour la gauche (Jadot, Hidalgo, Mélenchon). 56 % pour la droite (Bertrand, Dupont-Aignan, Le Pen et Zemmour). 56 + 34 = 90 %. Mais où est passé Macron ? Tout à sa démonstration, le quotidien l’a oublié, où qu’il le situe. Sinon, l’un de ses éditorialistes vedettes, Yves Thréard, sur LCI, il y a quelques jours, n’a pas hésité à pointer la responsabilité des politiques vis-à-vis d’Éric Zemmour : « Ils n’arrêtent pas d’en parler. » L’émission, par ailleurs, était pour l’essentiel consacrée à Éric Zemmour. Figaro-ci, Figaro-là… C’est parfois n’importe quoi.

 

mercredi 27 octobre 2021

« Les mots », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.

 


J’avais suffisamment fréquenté les gens du monde « pour savoir que ce sont eux les véritables illettrés et non les ouvriers électriciens », écrivait Marcel Proust, dans le Temps retrouvé. Il évoquait aussi ce qu’on appellerait aujourd’hui le populisme en littérature, qui s’adresserait davantage, disait-il, « aux membres du Jockey Club qu’à ceux de la CGT ». Qu’en est-il quand un démagogue fascisant se met en devoir de complaire aux milieux populaires en prônant la suppression du permis à points, etc. Boire, fumer, conduire vite… Que demande le peuple ? Sous le couvert de défendre les plus modestes, c’est le même mépris que celui de cet ancien porte-parole du gouvernement pour qui les manifestants des ronds-points étaient ces Français « qui fumaient des clopes et roulaient au diesel ». Les mêmes devant qui on agite les chiffons frelatés de l’immigration avec toutes ses déclinaisons. Et quelle est cet autre mépris qui amène le premier ministre et le président de la République à répondre aux attentes du pays en termes de pouvoir d’achat en signant un chèque de 100 euros. Circulez, votez…

Il était question de bien autre chose, hier, avec notre invitée, la réalisatrice Catherine Corsini, parlant des réponses d’autres pays comme l’Espagne sur cette question avec une baisse des taxes, avec des prélèvements sur les bénéfices des entreprises quand, en France, « c’est la carotte et le bâton ». Quand elle parlait aussi de l’une des actrices de son film, aide-soignante dans le réel. Calme, attention, générosité, intelligence, comme autant de manières, disait-elle, « d’amener une vérité », au regard de tant de discours tissés de mensonges… Cette vérité, c’est aussi celle de notre reportage, près de Dieppe, sur un rond-point : « Si on ne se bat pas maintenant, nos enfants vont manger quoi ? »

Soyons lucides. On sait bien que la pollution des esprits peut s’étendre dans toute la société, comme une nappe toxique. Les mots de Catherine Corsini à propos de son film et les combats politiques à venir nous invitent à redonner sens à ceux du partage, de l’humanisme vrai, en rejetant les mensonges et la haine.

 

La rédactrice en chef d’un jour. « La politique de la carotte et du bâton ! »



Le gouvernement français agit au coup par coup avec des mesures conjoncturelles. Ce chèque de 100 euros, c’est un peu une aumône qui infantilise les Français. On a l’impression qu’Emmanuel Macron utilise la politique de la carotte et du bâton ! En matière de pouvoir d’achat, d’autres pays européens ont agi différemment. Face à l’augmentation du coût de l’énergie qui ampute gravement le budget des foyers les plus pauvres, la gauche espagnole a fait un autre choix, structurel. Le gouvernement de Pedro Sanchez a décidé tout d’abord de baisser les taxes sur l’énergie. Ensuite, les bénéfices de certains fournisseurs d’électricité ont été plafonnés, avec une redistribution des excédents vers les ménages. Un exemple qui va vers une réduction des inégalités ! La question du pouvoir d’achat n’est pas uniquement comptable. Derrière les chiffres de ceux qui basculent dans la pauvreté, se dessine une fracture sociale. Un cercle de plus en plus restreint de privilégiés peuvent consommer sans limites, tandis que le reste de la population doit se concentrer uniquement sur sa survie, exclu de tout pouvoir de décision. Au risque que la violence de cette injustice débouche sur une explosion de la société.

catherine corsini

Cinéma. « La Fracture », de Catherine Corsini : une nuit au bord de la rupture.



Sophie Joubert

Un couple de femmes aisées se retrouve aux urgences avec un gilet jaune blessé. Entre drame et comédie, la réalisatrice signe un film sous tension, traversé par les violences policières et la lutte des classes. Catherine Corsini est la rédactrice en chef d'un jour de l'édition du mercredi 27 octobre 2021 de l'Humanité, à retrouver en kiosques.

La Fracture, Catherine Corsini, France, 1 h 38

Un pied, dont les orteils s’agitent nerveusement, dépasse d’une couette. Pianotant sur son smartphone, Raf (Valeria Bruni-Tedeschi) agonit d’injures par SMS sa compagne, Julie (Marina Foïs), qui dort profondément à côté d’elle. Respectivement dessinatrice et éditrice de bande dessinée, les deux femmes, en couple depuis vingt ans, ont parlé de se séparer. Une décision que n’accepte pas Raf, au bord de l’implosion. Au même moment, Yann (Pio Marmaï), un chauffeur de poids lourd nîmois, prend la route avec un copain pour se rendre à la manifestation des gilets jaunes, sur les Champs-Élysées.

Une crise de couple sur une crise sociale et politique

Difficile de faire plus différentes que ces deux vies que tout sépare : la classe sociale, la géographie, l’âge, la sexualité. D’abord filmées en parallèle comme deux couloirs étanches, elles vont se percuter et cohabiter le temps d’une nuit aux urgences. Dans la salle d’attente surchargée d’un hôpital de l’Est parisien, Raf, qui s’est cassé le coude en tombant dans la rue, est allongée sur un brancard. Assis sur un fauteuil roulant, Yann, qui s’est fait charger par les CRS sur les Champs-Élysées, est gravement blessé à la jambe. Tandis que les soignants tentent de faire face à l’afflux de patients de toute sorte, la bourgeoise de gauche et le trentenaire précaire, qui risque de perdre son emploi s’il ne rend pas son camion à temps, vont s’agacer, s’injurier puis dialoguer au milieu du chaos.

Dans un huis clos fiévreux, Catherine Corsini greffe une crise de couple sur une crise sociale et politique. L’hôpital, inspiré de celui de Lariboisière, est un microcosme où apparaissent les lignes de fracture et les dysfonctionnements de la société française : des inégalités criantes, la fermeture des lits en psychiatrie, les carences dans la prise en charge des personnes âgées et des SDF, les sous-effectifs et l’épuisement des soignants. Dans ce lieu au bord de la rupture, s’engouffre la violence politique et policière avec l’arrivée des gilets jaunes tabassés dans les manifestations et dont les blessures spécifiques nécessitent de pratiquer une médecine de guerre. Caméra à l’épaule, Catherine Corsini et la cheffe opératrice Jeanne Lapoirie plongent en apnée dans ce cauchemar nocturne où la tension ne retombe jamais, où se télescopent la lenteur de l’attente et l’urgence des gestes à effectuer dans la seconde.

Les contradictions d’une génération qui a renoncé à faire la révolution

Toujours sur le fil,  noue le rire et les larmes, les chamailleries de couple, la lutte des classes et le drame qui sourd à chaque instant. Dans le rôle de l’artiste capricieuse et agaçante qui hurle son besoin d’amour, Valeria Bruni-Tedeschi est en constant déséquilibre, laissant deviner les failles de son personnage. En contrepoint, Marina Foïs joue une femme raisonnable jusqu’à la dureté, inquiète pour son fils parti manifester et enserré dans une nasse policière.

Face à ce couple emblématique des contradictions d’une génération qui a renoncé à faire la révolution, Pio Marmaï incarne un homme sanguin et chancelant qui avance comme un équilibriste sans filet. D’abord centré sur les trois personnages principaux, le film devient plus choral et empathique à mesure que les deux femmes prennent conscience de la réalité qui les entoure.

Une multitude de visages et de récits émergent : Laurent, un gilet jaune ami de lycée de Julie, lui rappelle les origines du Nord qu’elle a voulu oublier ; Élodie, sa compagne de manifestation, manque de perdre la vie parce qu’elle a minimisé ses blessures ; un médecin étranger fait acte de désobéissance civile en laissant entrer des manifestants dans l’hôpital encerclé par la police. Et surtout, Kim, l’infirmière, jouée par l’incroyable Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante dans la vie, est la révélation du film. Prise en étau entre son travail et son mari qui panique à cause de la fièvre de leur bébé, elle fait face avec douceur et sang-froid, refusant de porter plainte quand un patient psychiatrique la prend en otage.

C’est toute cette humanité, cette solidarité, que filme Catherine Corsini, dessinant une fragile utopie qui s’évapore au petit matin pour laisser place, au dehors, à la violence la plus nue, la plus crue.

 

mardi 26 octobre 2021

« Les leçons de la « grande démission », l’éditorial de Christophe Deroubaix dans l’Humanité.



Aux États-Unis, c’est le phénomène social du moment : le « big quit ». Traduisez : la « grande démission. » Ces six derniers mois, près de 20 millions de départs volontaires ont été enregistrés par le Bureau des statistiques du travail. Un pic historique a même été atteint en août : 4,3 millions. Sans surprise, avec un taux de démission jamais vu de 6,8 %, les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du commerce sont les plus touchés. Mais pas que… Les cols blancs s’y mettent également, avec un record de 700 000 démissions en mai dernier. Et ils ne partent pas en silence : les démissions se font souvent en direct sur TikTok. Pour l’économiste Robert Reich, ancien ministre du Travail sous Bill Clinton et désormais très proche de Bernie Sanders, l’explication est aussi simple que limpide : « Les États-Unis sont frappés par une grève générale officieuse, jusqu’à ce qu’ils obtiennent une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail. »

Éclatante outre-Atlantique, cette nouvelle forme de révolte sociale (« Vous ne nous ferez pas travailler à n’importe quel prix, ni à n’importe quelles conditions ») trouve également son chemin en Europe. Selon l’OCDE, le nombre d’habitants de ses pays membres ne travaillant pas et ne cherchant pas de travail a bondi lui aussi de 14 millions depuis le début de la pandémie. L’Allemagne (6 %) et le Royaume-Uni (4,6 %) mènent la danse. La France apparaît légèrement moins impactée (2,3 %), mais la récente et fort médiatisée « pénurie » de main-d’œuvre dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration souligne le même malaise. Avec sa réforme de l’assurance-chômage, le gouvernement français veut y répondre par la contrainte, comme si le rabougrissement des droits pouvait conduire des salariés – considérés, donc, comme des fainéants – à accepter l’inacceptable. Si tel était le cas, le « big quit » n’aurait jamais eu lieu dans le système social le moins protecteur de tous les grands pays industrialisés. CQFD

 

« Justice », le billet de Maurice Ulrich.



Selon le Monde, les 2 000 participants à l’université d’été du Medef à la fin août avaient été « médusés » lorsque le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, leur avait lancé : « Je suis venu draguer les patrons ! » Au-delà de la formule cavalière, il s’agissait de les inciter à se tourner davantage vers le travail des détenus, donc, en milieu pénitentiaire. Le journal y revenait dimanche, car, malgré quelques avancées, « il y a du boulot ». Mais, dans un sens, pas tant que ça. Moins de 30 % des détenus travaillent pour environ 350 entreprises qui ont passé des marchés. Nombre d’entre eux pourtant le souhaiteraient. Travailler en prison, c’est pouvoir améliorer le quotidien, cantiner comme on dit, et ce n’est pas donné à tous alors que la pauvreté y est endémique. Travailler, donc, mais encore ? Le droit social ne s’y applique pas, avec un salaire horaire largement inférieur au Smic. Draguer les patrons, peut-être, encore faudrait-il s’entendre sur les tarifs. La justice sociale pourrait être une ambition pour le ministre de la Justice.

 

Rapport. RTE électrise le mix énergétique du futur.



Marie-Noëlle Bertrand

Le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE) a remis son scénario « Futurs énergétiques 2050  ». S’il ne tranche pas entre nucléaire et énergies renouvelables, il mise sur une forte augmentation de la production électrique.

En préparation depuis deux ans, attendu de pied ferme alors que le gouvernement envisage une relance du nucléaire, le scénario « Futurs énergétiques 2050  » de RTE a été rendu public ce lundi 25 octobre. À quelques jours de la COP26, le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité développe plusieurs scénarios de mix énergétique. S’appuyant sur une part variable de nucléaire et d’énergies renouvelables, tous misent sur l’essor de l’électricité. Tous permettent aussi d’atteindre la neutralité carbone en 2050, condition sine qua non pour limiter le réchauffement climatique. La sobriété énergétique reste la grande absente des perspectives exposées. Explications.

1/ Consommation énergétique : on augmente ou on diminue ?

Aujourd’hui, pétrole, gaz et charbon, très émetteurs de CO2, comptent pour environ 60 % de notre consommation énergétique. Atteindre la neutralité carbone en 2050 implique de ne plus en utiliser du tout. Il faut donc trouver moyen de les remplacer, et/ou de réduire notre consommation globale d’énergie.

Pour établir ses prospectives, RTE reprend l’objectif défini dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) : réduire la consommation d’énergie finale de 40 % d’ici trente ans. Celle-ci passerait de 1 600 térawattheures (TWh) actuellement à 930 TWh en 2050. Cette baisse ne compense pas totalement la disparition des fossiles. La SNBC pose donc l’hypothèse d’augmenter la production de gaz décarboné (grâce à des systèmes de capture et de stockage du carbone, entre autres) et de production de chaleur renouvelable (brûlage de déchets ou chaleur solaire, par exemple). Elle envisage, surtout, de revoir à la hausse la part d’électricité dans le mix énergétique. Celle-ci passerait de 25 % actuellement à 55 % en 2050, soit de 430 TWh à 645 TWh dans trente ans. Dite de référence, cette hypothèse prend pour acquis la continuité de la croissance économique et suppose un bon niveau d’efficacité énergétique (le fait de consommer moins, à usage équivalent). Elle n’implique aucun changement dans nos modes de vie.

Deux autres hypothèses existent dans le rapport exhaustif de RTE. Long de plus de 600 pages, celui-ci n’était pas encore rendu public lundi après-midi. L’une, dite de réindustrialisation, prévoit de relocaliser les productions manufacturières fortement émettrices de CO2 à l’étranger : cela bénéficierait à l’empreinte carbone globale de la France, mais aurait pour impact d’augmenter la consommation d’électricité (+ 107 TWh par rapport au scénario de référence). Une autre hypothèse, dite de sobriété, suppose à l’inverse une baisse de la consommation électrique (– 90 TWH par rapport au scénario de référence) rendue possible par une évolution des modes de vie (déplacement, consommation, partage des ressources, télétravail…). Le hic, c’est que RTE ne décortique aucun de ces deux scénarios dans la synthèse présentée ce lundi. Il faudra, pour cela, attendre 2022 et une prochaine analyse. Or, de ces équilibres dépend le mix électrique du futur. Le calendrier tombe d’autant plus mal qu’Emmanuel Macron prévoit d’intervenir sur la relance du nucléaire avant Noël.

2/ De l’électricité avec ou sans le nucléaire ?

Partant de cette hypothèse de référence, RTE développe six scénarios possibles de mix. Trois excluent la construction de nouveaux réacteurs nucléaires (les scénarios nommés M0, M1 et M23), dont un, le M0, vise le 100 % énergies renouvelables dès 2050. Trois autres scénarios (N1, N2 et N03) envisagent la construction de nouveaux EPR. Le N03 prévoit que la part de l’atome composera 50 % du mix électrique au milieu du siècle. Tous impliquent une augmentation de la production d’électricité solaire et éolienne, prévient RTE. Et tous se confrontent à de fortes incertitudes technologiques et industrielles.

Les « scénarios M » impliquent de pouvoir développer un important parc d’usines thermiques décarbonées, de batteries ou d’hydrogène vert, afin de suppléer à la variabilité de leur production, dépendante du vent et du soleil, et de stocker l’énergie.

Les « scénarios N » sont, eux, associés à des incertitudes quant à la capacité de prolonger certains réacteurs jusqu’en 2060 (un impératif dans le scénario M03). Idem concernant la mise en service d’un grand nombre de nouveaux réacteurs entre 2035 et 2050. Or, le scénario N1 (26 % de nucléaire, 74 % d’EnR en 2050) prévoit le développement de 6 nouveaux EPR entre 2035 et 2045. Le scénario N2 (36 % de nucléaire, 63 % d’EnR en 2050), prévoit d’en développer 14, essentiellement entre 2040 et 2050.

3/ Quels impacts sur l’environnement ?

La bonne nouvelle, c’est que tous les scénarios retenus par RTE débouchent sur une réduction des émissions de CO2, permettant d’envisager d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela vaut pour les scénarios qui misent sur le nucléaire autant que pour ceux qui envisagent d’en sortir. Et cela prend en compte l’intégralité des cycles de production, assure le gestionnaire du réseau. Le coût carbone induit par l’extraction de l’uranium au Kazakhstan est intégré dans ce calcul tout autant que celui de la pale d’éolienne fabriquée en Chine. Même dans un système décarboné comme l’est aujourd’hui le système électrique français, insiste RTE, « il est intéressant de développer fortement les énergies renouvelables ».

D’autres facteurs environnementaux sont pris en compte dans le rapport, entre autres l’emprise au sol des systèmes d’énergies renouvelables. Un scénario 100 % d’EnR en 2050 nécessiterait l’édification de 25 000 à 35 000 mâts d’éoliennes. C’est beaucoup plus que ce qui est envisagé par l’association négaWatt (lire ci-contre). Cet écart peut s’expliquer par le fait que celle-ci s’appuie sur une perspective de sobriété énergétique marquée.

RTE estime par ailleurs que les panneaux solaires couvriront entre 155 000 et 250 000 hectares, sans pour autant être synonyme d’artificialisation des sols, puisque posés sur des toits ou des châssis. Le nucléaire, quoi qu’il en soit, permet une moindre occupation spatiale. Il pose en revanche des questions au regard des bouleversements climatiques à venir. Un monde plus chaud de 1,5 °C (cela devrait se produire aux alentours de 2030, indique le dernier rapport du Giec) promet une multiplication des sécheresses et des vagues de chaleur. L’eau vive servant à leurs systèmes de refroidissement, « les centrales situées en bord de fleuve seront régulièrement affectées », prévient RTE, qui invite à « gérer autrement le stock hydraulique », voire à envisager de construire de potentiels nouveaux réacteurs en bord de mer.

4/ Et tout cela à quel coût ?

Là encore, RTE prévient : quel que soit le scénario envisagé, les investissements devront être massifs. De tous les scénarios, le moins coûteux reste celui du moitié EnR, moitié nucléaire (N03), dont le coût est estimé à 59 milliards d’euros par an. Le plus cher est le scénario M1 (13 % de nucléaire, 87 % d’EnR), estimé à 80 milliards d’euros par an. Tout cela ne dit rien du prix qui sera payé par les usagers en 2050, prévient le gestionnaire. Les factures dépendent certes du coût de production, mais tout autant des fluctuations de marché et des politiques publiques. Impossible de les prévoir trente ans à l’avance.

 

Présidentielle. Ivresse des sondages, gueule de bois démocratique.



Cyprien Caddeo

Dans un contexte politique instable, les enquêtes d’opinion, de plus en plus nombreuses, n’ont jamais eu autant de poids. Elles sont les témoins, le symptôme, mais aussi parfois la cause, d’une crise profonde de la démocratie représentative.

C’est une décision éditoriale forte. Ouest-France, journal le plus vendu en France, a fait savoir, le 24 octobre, qu’il ne publierait ni ne commenterait plus aucun sondage d’intentions de vote jusqu’à la fin de la présidentielle de 2022. «  Le temps passé à les commenter détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées », justifie le rédacteur en chef du quotidien régional, François-Xavier Lefranc.

Cette annonce intervient dans un contexte général d’inflation sondagière. La campagne de 2002 avait fait l’objet de 193 sondages. Il y en a eu 409 en 2012, 563 en 2017. Dans l’optique de l’élection de 2022, la Commission des sondages en dénombre déjà 44 depuis le 1er janvier 2021. Qui les commande ? Des médias ou des formations politiques. Qui les réalise ? Des noms désormais familiers du débat public : Ifop, Ipsos, Elabe, BVA, Harris Interactive… Ces entreprises – bien qu’on les qualifie d’« instituts » de sondage – sont en concurrence sur le marché de l’opinion, même si les sondages politiques ne représentent qu’une part substantielle de leur chiffre d’affaires (c’est moins de 1 % de l’activité d’Harris Interactive, par exemple). L’essentiel de leurs recettes provenant d’enquêtes de lancement de produits ou de satisfaction à destination d’entreprises commerciales.

Toujours est-il qu’on n’a jamais autant sondé les Français sur leurs intentions de vote que maintenant. Or, la période se caractérise par une forte instabilité et fracturation du paysage politique. Le traditionnel clivage gauche de gouvernement/droite de gouvernement s’est effrité, et avec lui une grande partie du vote partisan. L’électorat est plus volatil et indécis qu’il ne l’a jamais été. Un paradoxe qui a fait dire au sondeur et politologue Jérôme Sainte-Marie ­(PollingVox) : « Jamais les sondages n’ont autant d’influence politique qu’au moment où ils ont le moins de réalité. »

« Une certaine défiance »

Car, s’il y a overdose de sondages, il y a surtout indigestion de commentaires sur les plateaux de télévision. « C’est une sorte de Bourse, un appareil permanent de cotation des titres politiques », brocarde le politologue Daniel Gaxie. Un exemple entre tous : le traitement médiatique de la percée d’Éric Zemmour. Le premier sondage à donner le polémiste xénophobe à 10 %, le 14 septembre, a été vendu, en boucle, comme le fait politique du jour sur BFM, CNews et consorts. Puis rebelote le 6 octobre, avec la première enquête à l’annoncer au second tour. Puis le 22 octobre, on pouvait lire ce titre sur BFM : « Un deuxième sondage donne Zemmour au second tour ». Y aura-t-il une édition spéciale pour le troisième ? Ce faisant, les sondages structurent un récit médiatique : Emmanuel Macron dans le rôle du maillot jaune que personne ne parvient à rattraper, Jean-Luc Mélenchon en tête du gruppetto de gauche, et Éric Zemmour qui aspire à être meilleur grimpeur.

Et le fait politique majeur de passer sous les radars. Quelle est la part de l’électorat à être encore très indécise sur son vote ? Combien se désintéressent complètement de cette précampagne présidentielle ? Une donnée qui implique une autre inconnue : le taux d’abstention. « C’est un défi pour nous, admet Paul Cébille, chargé d’études à l’Ifop. Les gens sont moins attachés aux partis, donc peuvent changer d’avis très vite. Une certaine apathie, une défiance, s’est aussi installée. » Échaudés par leur échec collectif lors des régionales de 2021, les sondeurs cherchent donc à mesurer, sur une échelle de 1 à 10, le degré de certitude de vote de chaque sondé. Ils éliminent ensuite les moins certains (ceux qui ont répondu 7 ou moins, en général). Mais cette méthode, en plus d’anticiper parfois une abstention de 50 %, recèle certains biais (voir page 6).

La plupart des sondages tels qu’ils nous sont actuellement présentés éliminent donc d’office les indécis, dont on estime l’intention de vote peu fiable. Ce qui a le don d’agacer Alain Garrigou, président de l’Observatoire des sondages : « Vous trouvez ça sain, que l’analyse politique se fonde sur des échantillons de 350 personnes qui sont certaines de leur vote ? » Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos, n’y voit pas de problème : « C’est une photographie de l’opinion à cet instant, pas une prédiction. Les scores se préciseront à mesure que les électeurs se décideront dans la campagne. » Paul Cébille nuance : « En réalité une intention de vote ne dit rien en soi. Ce qu’il faut regarder c’est le détail, la structure sociologique – tranche d’âge, statut social, vote antérieur… Là on peut en tirer des enseignements. »

Une dynamique de campagne

Photographie de l’opinion, prédiction ou prophétie autoréalisatrice ? Voilà qui renvoie à un débat vieux comme les sondages eux-mêmes. Ont-ils un rôle performatif ? Poussent-ils les électeurs à « voir le vote comme un jeu, avec des calculs d’opportunités, des équations de vote utile », comme les accuse Alain Garrigou ? Est-ce à force de marteler que tel candidat a une dynamique électorale qu’il finit par en avoir une ? Tout en nuançant leur poids, Mathieu Gallard considère qu’ « il n’y a rien d’illégitime à ce qu’une partie des électeurs se décident en fonction des sondages, puisque nous sommes dans un système à deux tours où l’enjeu est de se qualifier pour le second »« À partir du moment où les gens croient que les sondages mesurent l’opinion publique, l’opinion publique existe telle qu’elle est mesurée par les sondages », répond le politologue Daniel Gaxie. Mathieu Gallard  : « C’est exagéré de penser que la dynamique Zemmour, par exemple, n’est qu’une création des sondages qui ne reposerait que sur du vent. Si l’élection avait lieu ce dimanche, il ferait un bon score, aucun doute. » « Si vous voulez, c’est le pire instrument de mesure de l’opinion à l’exception de tous les autres, lâche Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de Harris Interactive. Mais c’est vrai que les sondages prennent plus d’importance quand le poids politique des acteurs est de moins en moins fort. »

Ils ont de toute façon un poids très concret dans la campagne. Tout d’abord, en matière de financement. Pour obtenir un prêt d’une banque, les candidats doivent rassurer sur leur capacité à faire au moins 5 %, seuil au-delà duquel les frais de campagne sont remboursés à hauteur de 8 millions d’euros (en dessous, c’est dix fois moins : 800 000 euros). Pour cela, il faut justifier de sondages favorables devant son créditeur. Aux européennes de 2019, la liste Génération·s s’était vu demander trois sondages à 7 % au moins, en échange d’un prêt. Et puis il y a la question du temps de parole fixé par le CSA. Du 1er janvier au 28 mars 2022, chaque candidat aura un temps d’antenne supposé représenter son poids politique. Or, celui-ci est estimé selon plusieurs critères par le gendarme de l’audiovisuel : les scores aux élections des cinq dernières années, le nombre d’élus locaux, la taille des groupes parlementaires, mais aussi les résultats des sondages. Donc, qui dit sondage favorable dit temps de parole accru, avec un potentiel effet boule de neige.

Dans un contexte de décomposition politique, où les partis politiques se multiplient et constituent de moins en moins des repères, où le confusionnisme règne et le clivage gauche/droite est brouillé, les sondages tendent donc à devenir une des dernières boussoles. Y compris au sein des partis politiques eux-mêmes. Ainsi « Les Républicains » ont-ils commandé début septembre, à l’Ifop, un sondage pour savoir quelle méthode les sympathisants de droite plébiscitaient pour sélectionner leur candidat. Au second tour de la primaire écologiste, certains partisans de Yannick Jadot n’ont pas hésité à brandir ses « bons » sondages présidentiels (autour de 7 %), contre 2 % pour Sandrine Rousseau.

« On ignore les mauvais... »

La mauvaise foi est de toute façon un grand classique de l’usage des sondages par les partis. Ils sont les premiers à en commander, les premiers à les fustiger quand ils sont négatifs et les premiers à les médiatiser quand ils sont positifs. « Bien sûr qu’il y a de la mauvaise foi, avoue Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV. On sait que ce sont des petits échantillons pas représentatifs, notamment les rollings (sondages quotidiens – NDLR) en fin de campagne, mais on ne peut pas s’empêcher de les regarder. On ignore les mauvais et quand il y a un qui est positif, on dit : “Ah non, celui-là, il est bon !” Reste qu’en dehors des urnes c’est le seul moyen qu’on a de mesurer un peu les dynamiques politiques en cours. » La France insoumise n’est pas en reste pour, d’un côté, critiquer les enquêtes d’opinion, et, de l’autre, rappeler que, selon les sondages, Jean-Luc Mélenchon est le « mieux placé pour gagner » à gauche. « On considère que le sondage est un instrument de communication et d’influence, se défend Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Donc, puisque c’est un outil de com, je ne peux pas en vouloir à nos militants quand ils mettent en avant un sondage positif ! » Faut-il alors sonner politiquement la charge contre les sondages ? Au PS, qui en achète bien moins que par le passé, pour des raisons budgétaires, on tempère. « Ça risque de donner un débat sans fin où on commente les commentaires des commentaires… », estime la numéro deux du parti, Corinne Narassiguin. Parce que ce n’est pas déjà le cas ?

 

lundi 25 octobre 2021

« Reniement » ? Le billet de Maurice Ulrich.


 


Elle ne fait pas dans la dentelle, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, qui, dans un entretien du Parisien de dimanche, taille un short à la droite qui n’a « rien appris de ses recettes éculées », alors que ses candidats potentiels, déboussolés, en sont à courir après « les propositions de Le Pen et Zemmour ». Pas faux. La preuve, il y a même ceux qui, « comme monsieur Ciotti ou madame Pécresse, renchérissent sur le nombre de fonctionnaires à supprimer ». Mais oui, et c’est juste. Mais, lui objecte-t-on timidement, « en 2017, le candidat Macron lui-même proposait d’en supprimer 120 000 ». Alors là madame de Montchalin est ferme : « Il ne s’est pas renié. Depuis 2017 il a dit une chose simple : nous devons supprimer des postes dans les ministères pour les remettre sur le terrain. » Et, donc, « il y aura 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2022, sans augmenter les effectifs ». Euh… Bien. Que celles ou ceux qui comprennent nous adressent une petite note.

 

« Notre ami le roi », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



C’est un fait inédit dans l’histoire de votre journal, qui a pourtant tout vécu des intimidations, censures et pressions de toute sorte. Pour la première fois, un pouvoir étranger met en branle sa puissance d’État dans une procédure judiciaire contre l’Humanité et l’une de ses journalistes, Rosa Moussaoui. Notre crime : avoir mis en lumière les agissements de la monarchie marocaine dans l’affaire dite « Pegasus », du nom du logiciel d’espionnage israélien auquel plusieurs pays sont suspectés d’avoir eu recours, parmi lesquels le Maroc, en violation des libertés des journalistes et des opposants à sa politique.

Pour le royaume, raconter, enquête à l’appui, les soupçons de cyberespionnage qui pèsent sur lui – et dont Rosa Moussaoui a pu être une des cibles personnelles –, mais aussi les machinations ourdies contre des journalistes pour les faire tomber, ou encore les persécutions infligées au peuple colonisé du Sahara occidental, ne relève pas du journalisme mais de la « diffamation ». Quand ce ne sont pas ses avocats qui le disent, ce sont ses organes de « presse » non officiels mais clairement liés au régime, lesquels n’hésitent pas de leur côté à noyer l’information qui dérange sous un flot d’injures et de diffamations authentiques. Faut-il que ce que met à nu la plume de Rosa fasse trembler le Maroc pour que notre courageuse reporter en fasse aujourd’hui les frais, sa photo jetée en pâture aux réseaux pro-Mohammed VI accompagnée de commentaires infamants.

Avec le procès qui démarre mardi, les moyens changent, mais l’objectif au fond est le même. L’État du Maroc, qui se présente comiquement comme un « particulier » injustement sali, sait bien que ses chances de berner les juges sont réduites. L’essentiel est ailleurs : faire peur et, surtout, faire taire, pour que notre ami le roi n’ait jamais à s’expliquer sur l’affaire Pegasus et toutes les autres. Il est mal tombé. Ce lundi soir, à la veille du procès intenté par le Maroc, la bourse du travail de Paris va résonner de toutes les voix de la solidarité avec l’Humanité et pour une presse libre, et elles sont nombreuses : amis, lecteurs, confrères, élus, syndicalistes. Pour continuer de chercher la vérité. Et de la dire !

 

Disparition. Avec Marcel Bluwal s’éteint l’âge d’or de la télévision française



Grégory Marin

Le documentaire comme la fiction doivent beaucoup à ce réalisateur. Communiste de cœur, Marcel Bluwal a voulu faire de la télévision un outil de réflexion sociale au service du public. Il est mort samedi, à l’âge de 96 ans.

Il a été « un homme essentiel ». Hommage d’une grande actrice, Ariane Ascaride, à un grand réalisateur, Marcel Bluwal, qui a été son professeur au conservatoire supérieur d’art dramatique (et celui de Jean-Pierre Darroussin, ou encore de Catherine Frot). Homme de théâtre, de cinéma et surtout de télévision, il a marqué de son empreinte cette dernière, en réinventant, en plus de soixante ans de carrière, le documentaire et la fiction. Il est décédé « paisiblement » samedi matin à Paris, selon son entourage, à l’âge de 96 ans.

Marcel est né à Paris en 1925, dans une famille de juifs d’origine polonaise. À 11 ans, depuis le quartier populaire du 12e arrondissement, il ressent l’effervescence du Front populaire. À 15, l’entrée des Allemands dans la capitale douche les espoirs de vivre mieux. À 17, Marcel échappe de peu à la rafle du Vél’d’Hiv, avec sa mère, grâce à son professeur de piano qui les cache. Au sortir de la guerre, le jeune homme entre à la télévision, après quatre ans au service cinématographique des armées « où (il a) appris (son) métier de cameraman ». Cette formation et un amour pour le cinéma cultivé depuis son enfance poussent le jeune homme vers un média en plein essor.

Nous sommes en 1949. « C’était l’enfance de la télévision. Le patron des programmes m’a confié un magazine pour les enfants tous les quinze jours », confiait-il à l’Humanité en 2009. Il le tiendra quatre années durant. « Il y avait là des gens qui ont fait la télévision durant quarante ans : Desgraupes, Barma, de Caunes, Tchernia… » Des légendes dont il fut, avec ses camarades Maurice Failevic, Raoul Sangla, Stellio Lorenzi… Dès 1953, il met en scène des pièces dramatiques en direct, bousculant l’interprétation figée des grands auteurs classiques. Son Dom Juan, diffusé en novembre 1965 à une heure de grande écoute, sera suivi sur plus de 7 millions de postes de télévision. Les critiques parleront de « pièce rajeunie et dépoussiérée ».

À droite toute, une série multirécompensée

Marcel n’en était pas à son coup d’essai. En 1960, son film la Surprise avait remporté la palme d’or du film de télévision au Festival de Cannes. C’est le temps des grands bouleversements dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « consommation des médias », et Marcel Bluwal va mettre la télé au service du public. Avec Marcel Moussy, il crée Si c’était vous…, la première émission du fait social et sociétal, explorant le malaise de la jeunesse, la précarité, le mal-logement. « L’un des trois ou quatre événements de la télévision française, depuis ses origines », appuyait alors André Bazin dans Radio-cinéma-télévision. Même le Figaro littéraire, sous la plume de Claude Mauriac, en soulignait « la vérité dans la simplicité ». On peut dire que Marcel Bluwal a inventé la télévision sociale, préoccupation qui ne l’abandonnera jamais : « Je traitais tous les conflits en espérant que, pour le public, il en sortirait une exaltation révolutionnaire », confiera-t-il quelques années plus tard.

Sous son influence, la fiction a également été renouvelée. C’est lui qui a lancé, en 1962, le concept de feuilleton, avec L’inspecteur Leclerc enquête, tout d’abord, puis Vidocq en 1967. Jusqu’à ses dernières réalisations, il a brillamment utilisé ce média dont on n’a pas fini d’explorer les ressources. Lorsque, en 2009, après quatorze ans d’absence, il écrit À droite toute, une série sur la montée en puissance du fascisme dans la France des années 1930, il met tout le monde d’accord : fipa d’argent de la meilleure série, fipa d’or pour son interprète Bernard-Pierre Donnadieu, et pour le scénario coécrit avec Jean-Claude Grumberg. Quatre ans plus tard, il tournera encore une fable sociale, les Vieux Calibres, sur quatre retraités qui n’ont pas raccroché les banderoles. Comme lui.

Son credo : informer, cultiver, distraire

Car ses succès ne lui feront jamais oublier où va son cœur. À chaque fois qu’il tourne, il pense au « mineur d’Anzin » pour faire vivre « cette télévision d’auteur que la télévision de formatage a essayé de tuer ». Fidèle, toujours, au programme culturel du Conseil national de la Résistance : « Informer, cultiver, distraire ». Il n’a pas toujours porté la carte du PCF, mais en avait épousé les valeurs dès son entrée à la télévision, où il a fortement contribué à créer le premier syndicat CGT de la branche. Compagnon de route du Parti, il a intégré le comité de soutien de Jacques Duclos pour l’élection de 1969. Il adhère en 1971, reconnaissant aux communistes « une bonne part » de responsabilité dans « la hausse des avantages sociaux ». Il sera également, de 1976 à 1981, rédacteur à l’Humanité Dimanche.

Des divergences l’ont amené à quitter le PCF en 1981, mais il est resté « à gauche, gauche », nous confiait-il en 2009 à la sortie d’ À droite toute : « Je suis resté en colère parce que l’état de la société ne s’est pas amélioré depuis (les années 1930 – NDLR). Sauf pour une minorité. Pour le reste, les gens sont pauvres avec un réfrigérateur, une voiture et la Sécurité sociale qu’ils n’avaient pas avant. » Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a salué dimanche la mémoire d’un « réalisateur d’exception au tempérament mémorable », qui ne cédait « ni à la facilité, ni à l’abaissement des débats ».