Le documentaire comme la
fiction doivent beaucoup à ce réalisateur. Communiste de cœur, Marcel Bluwal a
voulu faire de la télévision un outil de réflexion sociale au service du
public. Il est mort samedi, à l’âge de 96 ans.
Il a été « un homme essentiel ». Hommage d’une grande actrice,
Ariane Ascaride, à un grand réalisateur, Marcel Bluwal, qui a été son
professeur au conservatoire supérieur d’art dramatique (et celui de Jean-Pierre
Darroussin, ou encore de Catherine Frot). Homme de théâtre, de cinéma et surtout
de télévision, il a marqué de son empreinte cette dernière, en réinventant, en
plus de soixante ans de carrière, le documentaire et la fiction. Il est
décédé « paisiblement » samedi matin à Paris, selon son
entourage, à l’âge de 96 ans.
Marcel est né à Paris en 1925, dans une famille de juifs d’origine
polonaise. À 11 ans, depuis le quartier populaire du
12e arrondissement, il ressent l’effervescence du Front populaire. À 15,
l’entrée des Allemands dans la capitale douche les espoirs de vivre mieux. À
17, Marcel échappe de peu à la rafle du Vél’d’Hiv, avec sa mère, grâce à son
professeur de piano qui les cache. Au sortir de la guerre, le jeune homme entre
à la télévision, après quatre ans au service cinématographique des armées « où
(il a) appris (son) métier de cameraman ». Cette formation et un amour pour
le cinéma cultivé depuis son enfance poussent le jeune homme vers un média en
plein essor.
Nous sommes en 1949. « C’était l’enfance de la télévision. Le
patron des programmes m’a confié un magazine pour les enfants tous les quinze
jours », confiait-il à l’Humanité en 2009. Il le
tiendra quatre années durant. « Il y avait là des gens qui ont fait la
télévision durant quarante ans : Desgraupes, Barma, de Caunes, Tchernia… » Des
légendes dont il fut, avec ses camarades Maurice Failevic, Raoul Sangla,
Stellio Lorenzi… Dès 1953, il met en scène des pièces dramatiques en direct,
bousculant l’interprétation figée des grands auteurs classiques. Son Dom
Juan, diffusé en novembre 1965 à une heure de grande écoute, sera
suivi sur plus de 7 millions de postes de télévision. Les critiques
parleront de « pièce rajeunie et dépoussiérée ».
À droite toute, une série multirécompensée
Marcel n’en était pas à son coup d’essai. En 1960, son film la
Surprise avait remporté la palme d’or du film de télévision au
Festival de Cannes. C’est le temps des grands bouleversements dans ce qu’on
appelle aujourd’hui la « consommation des médias », et Marcel Bluwal va mettre
la télé au service du public. Avec Marcel Moussy, il crée Si c’était
vous…, la première émission du fait social et sociétal, explorant le
malaise de la jeunesse, la précarité, le mal-logement. « L’un des trois
ou quatre événements de la télévision française, depuis ses origines », appuyait
alors André Bazin dans Radio-cinéma-télévision. Même le
Figaro littéraire, sous la plume de Claude Mauriac, en soulignait « la
vérité dans la simplicité ». On peut dire que Marcel Bluwal a inventé la
télévision sociale, préoccupation qui ne l’abandonnera jamais : « Je
traitais tous les conflits en espérant que, pour le public, il en sortirait une
exaltation révolutionnaire », confiera-t-il quelques années plus tard.
Sous son influence, la fiction a également été renouvelée. C’est lui qui a
lancé, en 1962, le concept de feuilleton, avec L’inspecteur Leclerc
enquête, tout d’abord, puis Vidocq en 1967. Jusqu’à
ses dernières réalisations, il a brillamment utilisé ce média dont on n’a pas
fini d’explorer les ressources. Lorsque, en 2009, après quatorze ans
d’absence, il écrit À droite toute, une série sur la montée en
puissance du fascisme dans la France des années 1930, il met tout le monde
d’accord : fipa d’argent de la meilleure série, fipa d’or pour son interprète
Bernard-Pierre Donnadieu, et pour le scénario coécrit avec Jean-Claude Grumberg.
Quatre ans plus tard, il tournera encore une fable sociale, les Vieux
Calibres, sur quatre retraités qui n’ont pas raccroché les banderoles.
Comme lui.
Son credo : informer, cultiver, distraire
Car ses succès ne lui feront jamais oublier où va son cœur. À chaque fois
qu’il tourne, il pense au « mineur d’Anzin » pour faire
vivre « cette télévision d’auteur que la télévision de formatage a
essayé de tuer ». Fidèle, toujours, au programme culturel du Conseil
national de la Résistance : « Informer, cultiver, distraire ». Il
n’a pas toujours porté la carte du PCF, mais en avait épousé les valeurs dès
son entrée à la télévision, où il a fortement contribué à créer le premier
syndicat CGT de la branche. Compagnon de route du Parti, il a intégré le comité
de soutien de Jacques Duclos pour l’élection de 1969. Il adhère en 1971,
reconnaissant aux communistes « une bonne part » de
responsabilité dans « la hausse des avantages sociaux ». Il sera
également, de 1976 à 1981, rédacteur à l’Humanité Dimanche.
Des divergences l’ont
amené à quitter le PCF en 1981, mais il est resté « à gauche, gauche », nous
confiait-il en 2009 à la sortie d’ À droite toute : « Je
suis resté en colère parce que l’état de la société ne s’est pas amélioré
depuis (les années 1930 – NDLR). Sauf pour une minorité. Pour le
reste, les gens sont pauvres avec un réfrigérateur, une voiture et la Sécurité
sociale qu’ils n’avaient pas avant. » Le secrétaire national du PCF,
Fabien Roussel, a salué dimanche la mémoire d’un « réalisateur
d’exception au tempérament mémorable », qui ne cédait « ni à
la facilité, ni à l’abaissement des débats ».
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