jeudi 30 juin 2022

« Promotion », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



L’élection d’un député de la Nupes à la tête de la commission des Finances n’efface pas la tache sombre de l’élection du bureau de l’Assemblée nationale, la veille, qui a vu la promotion de deux représentants de l’extrême droite comme vice-présidents de la Chambre. Ce fait sans précédent et la responsabilité devant l’histoire de ceux qui l’ont permis par leur vote, ont été vite banalisés par les commentateurs et analystes de tous bords. Comme, du reste, est banalisée désormais chaque étape de la progression du RN vers les sommets du pouvoir. L’argument repris en boucle est que l’on ne peut pas priver des élus du peuple des charges qui leur reviennent, sauf à désavouer le choix des électeurs eux-mêmes. Mais si personne ne conteste le résultat des élections législatives, intégrer le bureau de l’Assemblée n’est pas un droit, encore moins le résultat de l’application de règles sur lesquelles les députés n’auraient aucune prise.

La réalité, la voici: après le discours du doyen de lAssemblée suintant la nostalgie de l’Algérie française et la négation des crimes commis en son nom, les plus hautes responsabilités ont été confiées à deux députés du même groupe que lui à la majorité absolue des suffrages – 290 voix pour l’un, 284 pour l’autre. Deux cents de leurs collègues d’autres groupes ont donc, dans le secret du vote, donné leurs voix à l’extrême droite alors que rien ne les y obligeait. C’est un choix politique. Et avec deux vice-présidences accordées au RN sur six, soit un tiers du total, le prétexte de la répartition proportionnelle des responsabilités ne tient pas.

Ce qui est valable entre forces républicaines ne peut l’être avec le RN, sauf à se dire que les frontières entre l’acceptable et l’inacceptable n’ont plus aucun sens. De quel danger pourra-t-on encore mettre en garde les électeurs, après cet épisode? Cette promotion sert en fait de marchepied pour passer de futurs compromis à lAssemblée nationale avec les élus dextrême droite. Sils sont intégrés aux institutions, pourquoi refuser leurs voix pour faire passer les réformes? Voilà ce qui se prépare dans les couloirs du Palais-Bourbon, et le respect des électeurs.

 

« Sommet », le billet de Maurice Ulrich.



Il faut sans doute avoir vaincu toutes les étapes d’un parcours tel que celui de l’ancien nouveau philosophe Pascal Bruckner, avec les multiples obstacles dressés sur le chemin allant de l’extrême gauche à la droite, pour atteindre sa hauteur de vue, telle qu’il l’exprime dans son dernier livre, Dans l’amitié d’une montagne (Grasset). Il y appelle, selon le Point qui lui consacre quatre de ses pages, «à regarder au-dessus de soi, vers le prochain sommet, la prochaine cime». Car, il le regrette, l’effort, et le mérite qui va avec, la réussite même, qui ne doit rien aux conditions sociales mais tout aux qualités particulières, «sont devenus suspects» et «à la moindre contrariété nous gémissons comme de vieux enfants ombrageux». Dur. «A contrario, dit-il, les choses obtenues sans effort qui nous tombent tout cru dans le bec n’ont aucune valeur. Même les cambrioleurs transpirent et cogitent pour commettre leur délit.» Peut-être, mais qu’il nous pardonne, pour en arriver à ce sommet de la pensée, Pascal Bruckner n’a pas dû transpirer beaucoup.

 

Pouvoir d’achat : la Macronie bricole encore



Précarité Le gouvernement Borne doit présenter son projet de loi censé regonfler les portefeuilles des Français la semaine prochaine. Des mesures loin de contrecarrer l’inflation et de remettre en question un logiciel libéral qui a montré ses limites.

Pas à la hauteur. Le gouvernement a-t-il au moins pris la mesure de l’inflation qui s’abat sur les Français et leurs budgets? Plein de gazole à plus de 100 euros, prix de lalimentation qui senvolent comme ceux de l’énergie… La hausse des prix à la consommation, qui se situe déjà à 5,2 % par rapport à juin 2021, pourrait atteindre 7 % en septembre 2022. Le fruit, principalement, de spéculations. Jeudi, même Michel-Édouard Leclerc, patron des supermarchés du même nom, a expliqué sur BFMTV que «la moitié des hausses de prix demandées sont suspectes», réclamant même l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire et une «obligation de transparence». «Chiche», ont réagi de suite les sénateurs communistes Fabien Gay et Éliane Assassi, qui ont saisi jeudi la commission des Affaires économiques.

De son côté, le gouvernement refuse de se pencher sur ces phénomènes spéculatifs. Alors qu’un changement de logiciel s’impose, la Macronie poursuit son atelier bricolage. Le 6 juillet, Élisabeth Borne doit enfin présenter son fameux «paquet pouvoir dachat», envisagé dès le lendemain de l’élection présidentielle. Sauf surprise, ses projets de lois ne devraient comporter ni augmentation des salaires ni blocage des prix, mais de petites aides insuffisantes, tardives et souvent temporaires.

Énergie: des coups de pouce, rien de durable

Parmi la kyrielle de mesures qui doivent être présentées mercredi, deux symbolisent la philosophie macronienne en matière de lutte contre l’inflation: la prolongation de la remise carburant et celle du bouclier tarifaire. Côté pompe, lexécutif veut prolonger jusqu’à fin août la remise de 18 centimes par litre instaurée le 1er avril, en demandant « un effort aux pétroliers pour faire baisser les prix», a indiqué Clément Beaune, ministre délégué chargé de l’Europe. «On a eu Bernadette Chirac avec lopération pièces jaunes, maintenant on a Patrick Pouyanné et Macron avec leurs 18 centimes», a réagi François Ruffin. Le député FI fait ainsi référence au PDG de TotalÉnergies, qui a vu son salaire augmenter de 52 % en 2021. Dans le même sens, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a annoncé mercredi avoir déposé «un texte de loi visant à baisser immédiatement de 35 centimes les taxes sur l’essence», financé par son corollaire: «Taxer de manière exceptionnelle sur 2021-2022 les bénéfices des compagnies pétrolières, dont Total.» «Il nest pas question dinstaurer une taxe», a déjà balayé Clément Beaune.

Par ailleurs, le gouvernement veut prolonger jusqu’à la fin de l’année son «bouclier tarifaire», soit le plafonnement des prix de l’électricité et du gaz. «Des primes et des chéquounets! S’emporte François Ruffin. Ce ne sont pas des mesures qui améliorent durablement le pouvoir d’achat.» Car cette fausse solution ne ferait que repousser la note. Contrairement au gouvernement, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), autorité administrative indépendante, estime qu’en 2023 un rattrapage tarifaire aura lieu. Les prix du gaz et de l’électricité pourraient alors exploser, d’au moins 8 % d’un coup, une fois le bouclier baissé.

Des hausses nécessaires mais insuffisantes

Attendues et indispensables, plusieurs hausses seront proposées dans le projet de loi du gouvernement. 4 % de plus pour le RSA, l’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation aux adultes handicapés. 4 %, c’est aussi la revalorisation des pensions de retraite de base, à partir de ce vendredi 1er juillet. Un chiffre clé, donc, qui reste inférieur à celui de l’inflation. «Nous ne voterons pas contre ces mesures, mais cest évidemment insuffisant, juge Sophie Taillé-Polian, députée du groupe écologiste. Pourquoi sont-elles aussi tardives et pas à la hauteur de l’inflation? Il y a un manque de volonté politique et une incapacité à remettre en cause leur logiciel.»

À partir de ce vendredi 1er juillet, le point d’indice des fonctionnaires augmente aussi, de 3,5 %. Un léger rattrapage pour un lourd retard pris depuis 2000, dont se félicite ouvertement l’exécutif: «Cette augmentation est la plus importante depuis 1985», s’est réjoui Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique, qui se targue de «dégager 7,5 milliards deuros pour cette mesure». «Face aux 180 milliards donnés aux entreprises pendant la crise, ça montre bien que les fonctionnaires valent peu à leurs yeux», s’agace Céline Verzeletti, de l’UFSE-CGT, qui demandait, comme les députés de la Nupes, une augmentation de 10 % pour pallier un gel qui durait depuis 2010.

Parmi les autres «coups de pouce» prévus par le gouvernement, la fin de la redevance, qui promet de fragiliser laudiovisuel public, ou encore un chèque alimentaire de 100 euros par foyer et 50 euros par enfant, distribués à environ 9 millions de familles. «Un chèque, une fois, alors que le surcoût de linflation est de 220 euros par famille et par mois», calcule Boris Vallaud, président du groupe PS.

Logement: un bouclier percé

Premier poste de dépense des Français, à hauteur de 30 à 40 % de leur budget, les loyers continuent d’augmenter. Le gouvernement a prévu de se pencher dessus, tout en prenant soin de ne pas froisser les propriétaires… La ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, a annoncé un «bouclier loyer» qui prévoit d’empêcher leur augmentation… mais seulement après une hausse de 3,5 % de l’indice de référence. «Cest en fait une manière dannoncer une hausse inacceptable des loyers de 3,5 % parce que le gouvernement a refusé de geler lindice de référence», s’indigne l’insoumis Adrien Quatennens. Amélie de Montchalin a répondu, mardi, à ces attaques: « Un gel des loyers indifférencié aurait pénalisé un propriétaire modeste, ce ne serait pas juste.» L’argument ne passe pas: «Cest une fable ridicule et un outil politique pour masquer la réalité: 3,5 % des propriétaires détiennent plus de la moitié du parc locatif, s’agace Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. Quant aux “petits” propriétaires bailleurs, leur charge est essentiellement un remboursement d’emprunt, ils ne sont donc pas touchés par l’inflation.»

Au rayon logement, le gouvernement Borne promet aussi une hausse des aides personnalisées au logement (APL) de 3,5 %, trois ans après les avoir baissées. Le communiste Ian Brossat ironise: « Dans sa grande générosité, le gouvernement envisage de revaloriser les APL de 168 millions d’euros. Après les avoir réduites de 15 milliards d’euros dans les cinq dernières années. Je te prends 100, je te rends 1.»

Des propositions alternatives balayées?

Ces mesures pour le pouvoir d’achat feront figure de premier test pour la Macronie. Avec deux questions: saura-t-elle trouver une majorité absolue et écoutera-t-elle les alternatives des oppositions? Celles de la Nupes notamment, qui posera sur la table une dizaine de propositions, dont le blocage des prix, le Smic à 1500 euros net ou la mise en place dune «garantie dignité pour quaucun Français ne vive sous le seuil de pauvreté»… Des mesures financées notamment par des cotisations en hausse grâce à celle des salaires, le rétablissement de l’ISF et l’instauration d’un impôt universel pour les entreprises. Sans surprise, la Macronie s’y oppose avec force: «On est prêt à regarder toutes les mesures si elles namènent pas de hausse des impôts ou de la dette», a répondu le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal.

Pourtant, alors que le gouvernement prévoit une enveloppe totale de 9 milliards d’euros, une cagnotte fiscale inattendue de plus de 50 milliards d’euros est apparue ces derniers jours, due à des recettes supérieures aux prévisions sur les impôts sur les sociétés. «Cest le véritable sujet, ces 50 à 55 milliards deuros n’étaient pas prévus au budget, insiste la députée Sophie Taillé-Polian. Ils doivent être redistribués aux ménages qui souffrent de l’inflation et des salaires trop bas.» Un vœu pieux? Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déjà pris les devants, en insistant sur «limpératif de réduire lendettement public». Tandis que les députés LR ont insisté ces derniers jours sur «la fin nécessaire du quoi quil en coûte», selon leur chef de file, Olivier Marleix, la Macronie devrait aller dans leur sens pour s’assurer leurs voix. Spécialiste de la mauvaise foi, le ministre des Relations avec le Parlement, Olivier Véran, a déjà pris les devants: «Qui pourrait voter contre nos propositions qui renforceront le pouvoir dachat des Français?»

 

« Exemplaire », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



La réussite d’un procès ne se mesure pas qu’à la justesse du jugement. À l’heure où nous mettons sous presse, l’ensemble du verdict de la cour d’assises spéciale nous est d’ailleurs encore inconnu. Mais, quel qu’il soit, nous ne pouvons que saluer ces neuf mois d’audience consacrés aux attentats du 13-Novembre. Rien n’était garanti. Le gigantisme du dossier d’instruction, les centaines d’avocats, le mutisme des accusés, les milliers de parties civiles endeuillées, la charge émotionnelle d’une tuerie qui a bouleversé plus qu’un pays… Dérapages et frustrations auraient pu tout dominer. Il n’en fut rien. Ce procès trouva et prouva chaque jour son utilité, rappelant les vertus d’une justice qui, face à la barbarie et à la haine, replace au centre l’écoute, le respect, l’humanité.

Dehors grondaient la guerre en Ukraine, les campagnes électorales, les alertes au Covid. Dedans, au cœur de l’île de la Cité, la justice prenait ce temps, si rare et pourtant indispensable. Celui, d’abord, de l’écoute des parties civiles venues à la barre. Des récits glaçants sur les attaques, mais toujours d’une dignité remarquable, où chacun put saisir, sans doute plus qu’il ne l’imaginait, l’étendue des douleurs intimes. Le temps également d’explorer les faits, minute par minute, mètre par mètre, dans l’horreur de la salle du Bataclan et des terrasses parisiennes. Mais aussi d’entendre la version des accusés, dont le silence enfin brisé de Salah Abdeslam, et les brillantes plaidoiries de la défense, rappelant le sens de la peine et l’exigence d’une justice réparatrice.

Ce procès ne débouche pas sur de grandes révélations. Mais l’essentiel n’est pas là. La dignité des victimes, leur confiance dans la décision de la cour et l’absence de propos vengeurs sont une leçon à méditer pour la droite et l’extrême droite, promptes à surfer sur l’émotion des drames et à brandir la loi du talion. Ce procès conforte également une institution judiciaire si souvent mise à mal par le manque de moyens. À tous points de vue, l’exemplarité de ces neuf mois d’audience reste une victoire pour la démocratie.

LA DIGNITÉ DES VICTIMES ET L’ABSENCE DE PROPOS VENGEURS SONT UNE LEÇON À MÉDITER POUR LA DROITE ET L’EXTRÊME DROITE.