mercredi 31 mars 2021

Covid-19. Emmanuel Macron ce mercredi à 20 heures : un nouveau pari ?



Florent LE DU

Le président de la République, qui s’exprimera ce mercredi, à 20 heures, martèle qu’il assume « totalement » de ne pas avoir reconfiné l’Hexagone. Mais, alors que la situation sanitaire est désormais critique, que professionnels de santé et responsables politiques appellent à des mesures sanitaires plus strictes, peut-il s’obstiner dans ce pari ?

S’entêter ou se déjuger. Ainsi peut se résumer le dilemme auquel doit faire face Emmanuel Macron. Sommé par de nombreux responsables hospitaliers de durcir les mesures pour combattre la flambée de l’épidémie de Covid-19, le président de la République a répété ces derniers jours qu’il assumait « totalement » son choix de maintenir les écoles et de ne pas reconfiner.

Mais peut-il maintenir cette stratégie, quitte à saturer encore davantage des hôpitaux en forte tension ? Doit-il au contraire avouer que celle-ci n’est plus la bonne, qu’il s’est trompé et qu’un nouveau reconfinement est nécessaire ? Le chef de l’État devrait y répondre ce mercredi soir, à l’issue du conseil de défense sanitaire qu’il préside.

Injonctions du conseil scientifique

Cette allocution, les Français, qui ont bien compris que ces décisions viennent d’en haut, l’attendent depuis longtemps. Toutes les semaines ou presque, la rumeur d’une intervention présidentielle s’est propagée en janvier et février. Le déferlement des variants sur l’Hexagone et les injonctions du conseil scientifique à durcir les mesures – réitérées dans son avis du 11 mars – auraient dû pousser Emmanuel Macron à prendre la parole, au moins dans un souci de clarté. Il n’en a rien été.

Icon QuoteJe peux vous affirmer que je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec.EMMANUEL MACRON, le 25 mars

Le chef de l’État a bien fini par passer une tête devant les caméras de télévision, jeudi soir, lors d’une conférence de presse improvisée. Mais on n’en retiendra qu’une déclaration pleine d’autosatisfaction : « Je peux vous affirmer que je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec. »

Si on peut l’interpréter comme une autoévaluation globale de la part d’Emmanuel Macron, cette phrase se rapporte en réalité à son choix de ne pas avoir reconfiné l’Hexagone fin janvier, malgré les préconisations du conseil scientifique. « Certains nous disaient : “En février vous allez prendre le mur.” On ne s’est pas pris le mur », a-t-il ajouté dans le Journal du dimanche le 28 mars.

Une « flambée » à venir

Pourtant, les modèles épidémiologiques qui lui ont été rendus fin janvier évoquent bien une « flambée » à venir, mais en précisant que son échéance était « incertaine », pouvant intervenir « durant les mois de février ou de mars ». «  Nous y sommes, et cela aurait pu être évité avec des mesures strictes prises dès janvier », affirme Jean-François Timsit, chef du service réanimation de l’hôpital Bichat, à Paris.

Qu’importe la vérité, pourvu qu’il ne perde pas la face. Et c’est précisément cela qui inquiète. Le président de la République martèle ses certitudes, quand bien même l’épidémie de Covid-19, pas avare en surprises et rebondissements, devrait inspirer l’humilité.

Enjeux électoralistes ?

À moins d’un an de la présidentielle, Emmanuel Macron soigne sa communication et semble peu enclin à se dédire publiquement, qui plus est en prenant des mesures impopulaires comme un reconfinement. Mais ses choix ne doivent pas être guidés par des enjeux électoralistes. La Macronie s’en défend : « Le choix de ne pas reconfiner a été gagnant en termes de conséquences sociales, de santé mentale et pour l’économie du pays », assure Stanislas Guerini, délégué général de LaREM.

Ces arguments sont à prendre en compte et un retour au confinement strict comme au printemps 2020 serait à nouveau source d’inégalités. La lassitude des Français face aux restrictions de liberté semble également échauder l’exécutif, alors que 71 % d’entre eux seraient contre un reconfinement, selon une enquête Odoxa parue mardi.

Logique économique

Mais « l’opinion » n’est pas la seule source de pression. La logique économique dicte en grande partie les choix du gouvernement. Et le Medef ne manque pas de distiller ses conseils en la matière : son président, Geoffroy Roux de Bézieux, a ainsi tenu à évoquer « les conséquences économiques d’une fermeture des écoles » et sa volonté de restreindre le télétravail, mardi sur LCI.

Reste que l’urgence est là. Lundi, 4 974 malades du Covid-19 se trouvaient en réanimation, soit plus que lors du pic de la deuxième vague d’octobre. L’Île-de-France connaît des taux d’incidence jamais observés depuis le début de l’épidémie et ses hôpitaux sont déjà saturés.

Sonnette d'alarme

Dans une tribune publiée dimanche, dans le Journal du dimanche, 41 chefs de service de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) tirent la sonnette d’alarme, évoquant un tri des patients inéluctable. « Macron a fait un pari mais il doit y renoncer, on ne joue pas avec des vies humaines », déplore Fabien Roussel. Le secrétaire national du PCF appelle à prendre des mesures sanitaires fortes, comme une grande partie de l’opposition, ce qui n’était pas le cas en janvier 

Alors, Emmanuel Macron s’obstinera-t-il dans sa stratégie de « freiner sa ns enfermer » ? Il est en tout cas attendu au tournant : qu’il maintienne ses lignes rouges ou qu’il y renonce, son choix pourra être perçu comme un échec politique. Le chef de l’État ne le doit qu’à lui-même. Voulant décider tout seul de tout, muselant le Parlement, voire son gouvernement, le président de la République devient quasiment le seul comptable de cette crise sanitaire. Maître des horloges, il prévoyait il y a un mois un assouplissement des mesures « d’ici quatre à six semaines », misant sur une vaccination des plus vulnérables qui peine à atteindre ses objectifs. Il doit désormais assumer ces promesses irréalisables. La tâche est difficile, surtout sans humilité.

 

Combien de temps attendrons-nous encore le plan d’urgence dont l’école a besoin ?



Depuis quelques jours, les fermetures de classes se multiplient partout en France. Le ministre Blanquer, nous a conduit dans le mur. Il a voulu garder les établissements scolaires ouverts pour permettre aux parents de travailler, mais il a systématiquement refusé de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des élèves et des personnels. Il y a un an, le PCF proposait un plan d’urgence pour faire face à la pandémie sans sacrifier l’éducation. Depuis, rien n’a été fait ! Ce gouvernement est dangereux et irresponsable.

Aujourd’hui, Blanquer doit partir et une autre politique doit être mise en œuvre en urgence.

Les classes ferment les unes après les autres, au coup par coup, dans la désorganisation la plus totale. Nous avons besoin d’une politique nationale qui permette à chacun de s’organiser : le gouvernement doit décider de la fermeture des établissements scolaires sur l’ensemble du territoire, pendant les quatre semaines des vacances d’avril. Ces quatre semaines doivent être mises à profit pour vacciner tous les personnels qui le souhaitent, et mettre en œuvre un plan d’équipement des établissements en masques, gel et aérateurs.

Dès maintenant, un plan de recrutement exceptionnel doit être engagé pour permettre une réduction durable des effectifs et le remplacement des absences : recrutement immédiat de tous les admissibles aux concours de l'enseignement de l'an dernier et de cette année ; recrutement d'étudiants sous statut de MISE pour soulager les enseignants (aide aux devoirs, tâches administratives...) ; création de postes de personnels administratif et technique.

Les épreuves du baccalauréat et les programmes doivent être aménagés pour tenir compte de la pandémie. On ne peut pas pénaliser les élèves parce que leur établissement a dû fermer, ou réduire leurs heures d’enseignement ! Nous demandons donc le lissage des programmes sur deux ou trois ans, l’allègement du baccalauréat 2021 et la mise en place de moyens supplémentaires à l’université pour accueillir correctement les bacheliers de 2021 (effectifs réduits, créations de postes de MCF et d’ATER).

Les bacheliers 2021 doivent se voir garantir une place à l’université dans la formation de leur choix. La procédure Parcoursup doit être suspendue : on ne peut pas mettre les bacheliers en concurrence les uns avec les autres et faire payer ceux qui auront eu des cours interrompus ou des demi-groupes !

La rentrée de septembre doit être préparée dès aujourd’hui.

En septembre, le virus circulera toujours. Il faut en finir avec l’improvisation permanente et permettre aux familles et aux personnels d’envisager la rentrée avec sérénité.

Une réduction durable des effectifs est nécessaire pour limiter la transmission du virus et pour remédier aux difficultés engendrées par les interruptions scolaires. Nous exigeons donc un moratoire immédiat sur les fermetures de classes : aucun moyen en moins, nulle part, pour la rentrée 2021 ; et un plan de recrutement pluri-annuel, d’enseignants et de personnels, de la maternelle à l’université. Pour reconstituer un vivier de candidats, un pré-recrutement sous statut de la fonction publique sera mis en place en priorité dans les disciplines et les académies déficitaires.

Un plan national de rénovation et d'équipement des locaux scolaires est nécessaire pour permettre une réduction durable des effectifs, de bonnes conditions d'aération et d'hygiène, sans que cela repose sur les collectivités locales.

L’État doit cesser de se défausser et prendre ses responsabilités.

On ne peut pas demander aux familles de choisir entre la santé et la réussite scolaire, aux personnels de se mettre en danger ou de sacrifier leurs élèves ; aux collectivités locales de choisir entre fournir des masques ou équiper les établissements en aérateurs en fonction du budget disponible.

Le PCF demande que la crise scolaire fasse l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale au plus vite, et que ce débat débouche sur des mesures nationales, garantissant l’égalité des élèves face à l’éducation sur tout le territoire.

Le nécessaire changement de politique doit être élaboré dans un grand débat national. C'est pourquoi nous soutenons la démarche des États généraux de l'éducation. Partout, dans nos quartiers, dans nos villages, reconstruisons l’école dont nous avons besoin, pour nos enfants et pour l’avenir.

 

« De l’État », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité

 


La politique n’est pas un jeu ni un pari, encore moins un exercice solitaire. Rattrapé par ce que nous nommons désormais la « troisième vague » due au Covid-19, Emmanuel Macron se retrouve au pied d’un mur qui menace de s’écrouler, emportant avec lui toute sa stratégie. Alors que, depuis un an, la gestion de la crise a révélé de si lourdes failles et faiblesses que la nation a donné l’impression de tomber de son piédestal, le prince-président s’entête à prouver la légitimité de ses choix et affirme même qu’il n’a « aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec », ajoutant : « Nous avons eu raison de ne pas reconfiner la France à la fin du mois de janvier parce qu’il n’y a pas eu l’explosion qui était prévue par tous les modèles. »

Personne n’oubliera ces mots. Car les « modèles » dont il parle avaient précisément prévu ce qui se passe en ce moment. Ne pas reconnaître ses erreurs est un problème ; ne rien apprendre de ses erreurs est une faute grave. À la vérité, puisque les décisions de Macron paraissent échapper à la rationalité scientifique, comment s’étonner que les citoyens ne comprennent rien aux tergiversations et doutent même de l’efficacité des mesures actuelles ?

Notre ici-et-maintenant en dit long sur notre pays, gangrené par des institutions d’un autre âge. Un homme concentre à lui tout seul l’exercice de l’État à son degré le plus essentiel. Regardez à quel point chacun s’impatiente de savoir s’il parlera ou non, et quand ! L’épidémie semble hors de contrôle, les hôpitaux sont submergés, les classes ferment, la vaccination reste apathique et… nous attendons la bonne parole venue d’en haut. Une folie si peu démocratique qu’elle cadre mal avec notre idée de la République. Imaginez d’ailleurs l’éventuelle séquence politique si d’aventure le prince-président, dépassé, annonçait un nouveau confinement obligeant les Français à rester chez eux, après avoir assuré que le virus ne devait pas nous empêcher de « prendre l’air ». Comment qualifierions-nous, dès lors, sa gestion d’hier et d’aujourd’hui ? D’un exercice – défaillant – de l’État. Tout simplement.

 

« Dynastie », le billet de Maurice Ulrich.



Il faut l’avouer, nous avons raté un événement éditorial qui n’a pas échappé à nos confrères du Figaro et de Libération. Le même jour, mardi, ils ont publié en dernière page un portrait d’un même homme, Charles Bonaparte, lequel vient de signer un livre intitulé précisément la Liberté Bonaparte (éditions Grasset). Comme on l’a sans doute compris, l’auteur est donc de la famille de l’empereur, soit le descendant de son frère cadet Jérôme, bref, le représentant actuel de la lignée, comme nous le racontent les reporters des deux journaux qui sont allés le rencontrer à son domicile parisien, non sans faire preuve d’un sens aigu de l’observation. Charles, dit le Figaro, fait une tête de plus que son illustre grand-oncle tandis que Libération le précise. Alors que Napoléon Ier mesurait 1,68 m, Charles mesure 1,95 m. C’est différent, en effet. Sinon, on apprend que l’héritier a mené une vie sociale et politique normale et que, oui, le Figaro le souligne en sous-titre, il « a renoncé à toute prétention dynastique ». Heureux de le savoir.

 

Cinéma. Pleins feux sur Nicole Stéphane.

 


Michèle Levieux

Du 2 au 11 avril, le 43e Festival international de films de femmes de Créteil se souvient de cette actrice qui débuta avec Melville.

Cette année, le public pourra redécouvrir, à travers une rétrospective en ligne, la personnalité de Nicole Stéphane, disparue en 2007. Elle a marqué l’univers cinématographique de l’immédiat après-guerre avec sa frimousse mutine et néanmoins grave de jeune fille de bonne famille : son père est le baron James-Henri de Rothschild, banquier, conseiller général de l’Oise et maire de Compiègne. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans les Forces aériennes françaises libres, sa femme dans le Corps des volontaires françaises. Quant à leurs filles, Nicole et Monique, elles sont rentrées à l’école des cadets de la France libre en Angleterre. Après un passage en 1942 par la case prison en Espagne, Nicole devient sous-lieutenant, agent de liaison, engagée dans la Résistance à Londres.

Elle a permis à Marguerite Duras « de devenir cinéaste »

À la fin de la guerre, elle a 22 ans. Et une terrible envie de dévorer le monde. En 1946, Jean-Pierre Grumbach, dit Melville, un nom de Résistance, l’engage pour un rôle principal où elle n’a qu’un seul mot à dire, mais quel mot, dans le Silence de la mer, d’après la nouvelle de Vercors, face à Howard Vernon en officier allemand (1). À la vue de ce film subtil, Jean Cocteau propose à Melville de réaliser les Enfants terribles (1950), dans lequel Nicole Stéphane a de nouveau un rôle conséquent : celui, vénéneux, de la sœur incestueuse d’Édouard Dermit, le fils adoptif du maître.

Nicole tourne encore dans quelques films puis continue son chemin, une rose à la main, revisitant les tragédies du siècle. En tant que productrice, elle soutient Frédéric Rossif pour Mourir à Madrid (1962, prix Jean-Vigo), Jean-Paul Rappeneau pour son premier long métrage, la Vie de château (1965) et Marguerite Duras, qui dit d’elle qu’elle lui a permis « de devenir cinéaste », en produisant Détruire, dit-elle (1969), les vrais débuts de l’écrivaine derrière la caméra. Mais l’aventure la plus tragique de sa vie reste la grande catastrophe vécue avec Luchino Visconti. Ces deux aristocrates semblaient faits pour se rencontrer autour de Proust et d’une vision cinématographique d’À la recherche du temps perdu, pour lequel ils avaient une passion commune et « une proximité d’univers » (2). Elle a les droits du livre, il en a fait écrire l’adaptation et fait les repérages, choisi les acteurs les plus prestigieux, les décors, les costumes mais… le film ne se fera jamais.

Autre hommage à une figure du cinéma du siècle dernier : Cecilia Mangini, qui vient de disparaître. Cette édition propose une projection de sa dernière intervention cinématographique, Due scatole dimenticate. Un viaggio in Vietnam (Deux boîtes oubliées. Un voyage au Vietnam, 2020), ou comment le contenu de deux boîtes à chaussures retrouvées pleines de négatifs photo 6x6 d’un Vietnam en guerre pris en 1964-1965 avec son mari, le cinéaste Lino Del Fra, pour un projet qui n’a jamais abouti peut réveiller une mémoire.

à suivre jusqu’au 11 avril sur www.filmsdefemmes.com (1) À mi-voix mais de manière assurée, elle dit à l’officier allemand : « Adieu ! » (2) Proust-Visconti. Histoire d’une affinité élective, de Florence Colombani. éditions Philippe Rey, 2006

 

Mali. Une enquête de l'ONU place la France dans la tourmente.



Marc de Miramon

(Mise à jour le 30 mars 2021).  Une enquête des Nations unies conclut qu'une frappe aérienne conduite par l'armée française au Mali en janvier a tué 19 civils réunis pour un mariage, et non pas seulement des jihadistes, comme l'a soutenu Paris jusqu'alors, selon un rapport de la Division des droits de l'Homme de la Mission de l'ONU au Mali. Dès février, des sources locales pointaient une bavure  de l’armée française sur un mariage civil. Paris réfute toute bavure et émet des "réserves" sur le rapport de l'ONU.

(Mise à jour du 30 mars 2021) La  Minusma, appuyée par la police scientifique des Nations unies, sur les évènements survenus le 3 janvier près de Bounti (centre) affirme "être en mesure de confirmer la tenue d'une célébration de mariage qui a rassemblé sur le lieu de la frappe une centaine de civils parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma", assure le résumé du rapport, consulté par l'AFP.  Le groupe touché "était très majoritairement composé de civils qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire", dit la Minusma. La Minusma "recommande" aux autorités maliennes et françaises de diligenter "une enquête indépendante, crédible et transparente". Elle préconise d'examiner les processus préalables aux frappes, voire de les modifier. Elle recommande aussi aux Français et aux Maliens de chercher à établir les responsabilités et d'octroyer le cas échéant une réparation aux victimes et à leurs proches.

Notre article du 7 janvier 2021

Que s’est-il passé, dimanche 3 janvier, dans le village peul de Bounti, situé dans le centre du Mali ? Plus de vingt personnes, dont des enfants, auraient été tuées dans cette zone désertique, selon plusieurs sources locales. Un membre du personnel médical cité par l’agence Reuters évoque des raids aériens visant des motocyclistes soupçonnés d’être des combattants djihadistes, mais qui auraient également tué des civils rassemblés pour un mariage. Face à la recrudescence de témoignages évoquant une « bavure » sur les réseaux sociaux, l’état-major de l’armée française est sorti de son silence pour reconnaître une opération militaire dans la région de Douentza, proche du village de Bounti, et des bombes larguées par une patrouille de Mirage 2000 guidés par des soldats au sol. Les « frappes » auraient permis de « neutraliser » des dizaines de combattants djihadistes, au moment où l’armée française est mise sous pression par le gouvernement au sortir d’une séquence éprouvante : cinq soldats de la force « Barkhane » ont été tués la semaine dernière, et une centaine de civils ont été massacrés ce week-end au Niger, dans la zone dite des « trois frontières » (Mali, Niger, Burkina Faso), là où l’état-major concentre l’essentiel de ses forces face aux différents groupes armés se revendiquant du djihad, des émules d’al-Qaida à ceux de l’« État islamique ».

Des corps « qui ne sont pas identifiables »

D’autres sources locales font état de la présence d’hélicoptères d’attaque et d’une possible intervention de l’armée malienne en même temps que celle de l’aviation française. Hamdoun Baouro Sy, un villageois cité par l’Agence France Presse (AFP), maintient la version d’un mariage peul pris pour cible, évoque des corps éparpillés « qui ne sont pas identifiables ». « Nous aimerions que les autorités viennent au moins nous dire à qui appartient l’hélicoptère qui a tué nos parents », ajoute-t-il.

Un désengagement tricolore progressif

En réalité, l’affaire s’avère au moins aussi embarrassante pour l’armée française que pour le gouvernement malien, tant ce dernier se voit régulièrement accusé de fermer les yeux sur des opérations de représailles visant des civils soupçonnés d’apporter une aide aux groupes armés. Et c’est bien dans le centre du Mali, là où l’armée française reconnaît avoir mené le bombardement de dimanche, que se concentrent aujourd’hui les affrontements communautaires les plus graves entre populations nomades et sédentaires, des conflits sur lesquels viennent se greffer les groupes « djihadistes ».

Loi de « sécurité globale ». La droite et la Macronie s’entendent pour le pire.

 


Aurélien Soucheyre

Sénateurs LR et députés LaREM ont trouvé un accord pour adopter le projet voulu par Gérald Darmanin, sans passer par une seconde lecture au Parlement.

La proposition de loi de « sécurité globale » est quasi adoptée. Son parcours législatif a connu un énorme coup d’accélérateur avec l’accord trouvé lundi soir entre les sénateurs LR et les députés LaREM. L’adoption finale de ce texte – qui vise à empêcher citoyens et journalistes de filmer la police, en plus de privatiser des missions de sécurité et de développer le recours aux drones de surveillance – est désormais une formalité. « Ce n’est pas une surprise. On sentait bien depuis la semaine dernière que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin faisait tout pour obtenir une commission mixte paritaire conclusive entre le Sénat et l’Assemblée, afin de s’éviter une deuxième lecture à l’Assemblée et une semaine de débats supplémentaires », dénonce Emmanuel Vire. Le secrétaire général du SNJ-CGT voit dans cette entente entre parlementaires LR et LaREM « une alliance insupportable contre les libertés fondamentales ». « Ils savent très bien que des centaines de milliers de citoyens se sont élevés contre cette loi, notamment après les violences policières contre Michel Zecler en fin d’année 2020. Ils savent très bien qu’un appel signé par des intellectuels du monde entier vient d’être envoyé à ­Emmanuel Macron pour qu’il renonce à ce texte, mais ils accélèrent quand même son processus d’adoption », s’indigne le syndicaliste.

« Un recul global des droits humains et de la démocratie »

La coordination StopLoiSecuritéGlobale, qui regroupe de très nombreuses organisations, ne prévoit pas pour autant d’abandonner le combat. « Nous allons nous mobiliser et nous attendons de pied ferme la date du vote final. Et nous entendons bien sûr saisir le Conseil constitutionnel », indique Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat des journalistes. D’autant plus que le texte validé entre sénateurs et députés ne « modifie rien » aux dangers du projet de loi. « Ils avaient promis une nouvelle rédaction de l’article 24. C’est fait. Mais, en l’état, il sera toujours utilisé pour empêcher de filmer la police. La nouvelle formulation parle de “provocation à l’identification”. Mais, sur le terrain, l’ensemble des forces de police seront toujours juge et partie et pourront interdire de filmer », prévient Emmanuel Vire.

« Le texte est toujours aussi liberticide. Il a même été durci dans sa globalité lors de son passage au Sénat et sera aggravé par l’article 18 du projet de loi s ur les “séparatismes”. Force est de constater que l’opération de lobbying menée par les syndicats de police et Gérald Darmanin a réussi, au détriment de tous. C’est une très grave dérive. Si cela passe, nous savons très bien que des journalistes e t des citoyens seront empêchés de filmer, interpellés et mis en garde à vue de façon arbitraire », s’alarme encore Emmanuel Poupard. Pour la coordination, l’heure est donc, plus que jamais, au retrait de la loi.

Cet accord entre députés et sénateurs intervient au lendemain d’une tribune signée par des intellectuels du monde entier, exhortant le président de la ­République à abandonner les projets de loi de « sécurité globale » et des « séparatismes ». Des personnalités Angela Davis, Noam Chomsky, Jean ­Ziegler et trois prix Nobel de la paix (Tawakkol Karman, Jody ­Williams et Alfonso Perez Esquivel), entre autres, s’y inquiètent du « recul » de la ­démocratie dans le monde et en France. « La France – berceau des droits humains tels que promulgués en 1789 – serait-elle en train de rejoindre le camp des pays où la démocratie est fragilisée par le pouvoir lui-même ? » interrogent-ils.

Ils affirment également que les deux textes en cause « constituent des atteintes sans précédent aux piliers de la République française, menaçant plusieurs droits fondamentaux »« Quel message d’exemplarité Emmanuel Macron veut-il envoyer au moment où les popul ations souffrent d’un recul global des droits humains, des libertés et de la démocratie dans des dizaines de pays ? » demandent-ils enfin, alertant sur une accumulation de lois ayant des « effets pervers sur l’État de droit » à l’œuvre depuis 2015.

Lors des débats au Sénat, la communiste Éliane Assassi avait prévenu qu’ « une société sans remise en cause de l’autorité étatique n’est pas acceptable. Votre projet de société est néfaste, nuisible. Il évoque les pires prédictions, jusque-là restées au rang de fictions »! Mais la droite classique et la Macronie s’entendent pour avancer main dans la main.

Vers une privatisation de la sécurité

La loi de « sécurité globale », au lieu de protéger policiers et citoyens, protège les premiers au détriment des seconds. Elle impose aussi la création d’une police municipale à Paris et prévoit le transfert de nouveaux pouvoirs aux polices locales, lesquelles se substituent de plus en plus à la police nationale sans avoir ni les moyens, ni les formations requises. De fait, les missions de service public de sécurité ne seront plus assurées de la même manière partout sur le territoire. Une pente très dangereuse, aggravée par d’autres articles de la loi qui prévoient le recours grandissant au privé pour les missions de maintien de l’ordre…

 


mardi 30 mars 2021

« Le summum de l’irresponsabilité », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité



Le nombre des contaminations flambe, mais le président de la République « assume » sa stratégie face au Covid. Les décisions qu’il a prises, et celles qu’il n’a pas prises. Les retards d’approvisionnement en vaccins, faute d’offensive sur les brevets, les hôpitaux saturés dont les capacités n’ont pas été renforcées de façon pérenne ? Il faut croire qu’il assume aussi. C’est étrange, cette manie des gouvernants à « assumer » surtout les choix qui engagent l’avenir des autres plus que le leur. Elle est, en tout cas, la dernière ressource qui reste au roi quand rien ne peut plus déguiser son bilan : « J’assume. » L’acte d’autoritarisme suprême censé mettre fin à la discussion. Vous n’êtes pas d’accord ? J’assume. Fermez le ban. La négation de la démocratie.

Le débat sur le confinement se poursuit ainsi, comme il a commencé. On peut trouver un tantinet ridicule le mea culpa, de l’autre côté du Rhin, de la chancelière Angela Merkel. Il n’empêche que, quand l’une s’en remet, certes symboliquement et non par les urnes, à la sévérité du jugement de ses compatriotes sur ses « erreurs » prétendues, le président français dit qu’il endosse tout et ne regrette rien.

Il serait pourtant excessif de faire porter la responsabilité exclusive de la dégradation de la situation sanitaire sur Emmanuel Macron. L’inconnu que constituait et constitue toujours le Covid-19 rend les effets des décisions pour une part imprévisibles. Fallait-il reconfiner plus tôt ou plus strictement ? Il n’existe pas de réponse univoque à cette question, à la différence du choix simple et raisonnable qu’il eût fallu faire d’ouvrir plus de lits d’hôpital. Mais le propre du monarque est de traiter des affaires de la nation comme s’il s’agissait d’une responsabilité personnelle. Depuis le début, Emmanuel Macron gère l’état de crise en monarque. Son « j’assume » en est la marque ultime. Il en est aussi la limite : en réalité, il n’assume rien, puisque personne ne peut lui demander de comptes. Les institutions de la Ve République le protègent. Le summum de l’irresponsabilité.

 

Scélérat », le billet de Maurice Ulrich.



On s’étonnait de ne pas avoir lu Pascal Bruckner dans les dernières vingt-quatre heures, alors même qu’il vient de publier Un coupable presque parfait, la construction du bouc émissaire blanc (éd. Grasset). C’est fait. Le Figaro de lundi devait bien se faire l’écho d’une pensée vertigineuse. Donc, pour le philosophe et sophiste, l’homme blanc, dont il est lui-même le paradigme, est devenu la victime expiatoire de toutes celles et ceux qui se réclament d’une quelconque oppression raciste. Au point que « nous avons affaire à un antiracisme scélérat qui reproduit ce qu’il est censé combattre ». Donc, lutter contre le racisme, dénoncer le concept de race qui a justifié au long de l’histoire la colonisation comme la surexploitation des peuples dits inférieurs, ce serait le nouveau racisme d’une gauche « qui a basculé sans le savoir dans les thèses de l’extrême droite » et veut « mettre l’homme blanc au rang des damnés de la Terre ». Sinon, quand il a pris ses cachets, Pascal Bruckner va bien.

 

 

Vaccination. « Notre département est l’un des plus touchés mais aussi l’un des moins vaccinés. C'est insupportable » : le coup de colère de Stéphane Peu


Naïm Sakhi

Stéphane Peu, député PCF de Seine-Saint-Denis, alerte sur la situation sanitaire dégradée dans son territoire. Il en appelle à un changement dans la stratégie vaccinale. Il posera mardi 30 mars une question au gouvernement à ce sujet. Entretien.

Votre département , le plus jeune de France, affiche un taux de vaccination d’à peine 8 %, contre 11,5 % en moyenne nationalement. Alors que vous avez alerté la semaine dernière sur le manque de transparence de ces chiffres, quel regard portez-vous sur cette situation ? Faut-il changer de doctrine et prioriser les territoires les plus touchés ?

 

STÉPHANE PEU: D’une manière générale, la Seine-Saint-Denis est depuis le début de la crise en haut de la courbe épidémique. Si le Covid est mondial et touche les personnes d’un certain âge, elle est aussi une épidémie qui creuse les inégalités. Notre département fait face à une forte densité urbaine et à une grande précarité dans l’habitat. Très peu d’habitants peuvent télé-travailler, exerçant un métier de la première ou deuxième ligne. Il faut adapter les mesures aux territoires et aux personnes. Notre département est l’un des plus touchés mais aussi l’un des moins vaccinés. Ce paradoxe est insupportable. La vaccination doit s’adresser massivement à tous les habitants. Ce n’est pas le cas avec Doctolib, qui a conduit à ce que 35 % des vaccinés en Seine-Saint-Denis n’habitent pas le département. Il faut s’appuyer sur le service public et notamment la CPAM et les services sociaux des municipalités, les seuls à pouvoir avoir une démarche de vaccination auprès des publics concernés. Nous devons élargir les tranches d’âge en direction de tous les salariés les plus exposés, n’ayant pas le choix d’aller travailler et de prendre les transports. On ne peut avoir un vaccinodrome au Stade de France et ne pas développer les centres de vaccination au plus près de la population. Des villes qui en demandent comme Stains ou Épinay n’en ont toujours pas. L’épidémie en Seine-Saint-Denis nous oblige à faire feu de tout bois et ne pas opposer les solutions les unes aux autres.

La situation sanitaire en Seine-Saint-Denis est très préoccupante, notamment au regard du taux d’incidence dans les écoles. Dans ce territoire populaire, est-il possible de répondre à l’impératif sanitaire tout en limitant le risque d’amplification des inégalités scolaires ?

 

STÉPHANE PEU : Il y a beaucoup d’inquiétude. Dans de nombreuses écoles, le taux d’incidence est supérieur à la moyenne du département, alors même que ce dernier est le plus élevé de France. Une école fermée, c’est plus de fracture sociale et de décrochage scolaire dans des familles n’ayant pas toujours les moyens numériques et culturels pour faire face. Il faut donc tout faire pour maintenir les écoles ouvertes. C’est un choix juste et partagé par l’ensemble de la communauté éducative du département. Dans ma ville, j’ai une école où il y a un enseignant remplaçant pour cinq classes. Ce n’est plus l’école mais la garderie. Je vois trois priorités nécessaires pour maintenir les écoles ouvertes avec une certaine continuité pédagogique. Tout d’abord, un recours massif aux remplacements, surtout après que Jean-Michel Blanquer s’est enorgueilli d’avoir réalisé 400 millions d’économies dans ce domaine. Ensuite, vacciner en urgence les enseignants volontaires. Puis nous devons multiplier les tests salivaires à l’école pour isoler au mieux les cas positifs.

Emmanuel Macron et le gouvernement envisagent de nouvelles mesures de restriction. Vous paraissent-elles indispensables et quelles devraient être les priorités face à cette troisième vague ?

STÉPHANE PEU : Notre salut viendra du vaccin et donc du développement des campagnes de vaccination. Sur ce sujet nous sommes tributaires du bon vouloir de l’industrie pharmaceutique. C’est anormal. Nous devons reprendre la main sur la production des vaccins avec une gestion publique. Si pour atteindre le seuil de vaccination nécessaire nous devons prendre des mesures restrictives pour freiner l’épidémie, il faut les mettre en place. Les Français attendent des perspectives positives. Le port du masque et les gestes barrières sont très respectés, preuve de leur discipline.

 

lundi 29 mars 2021

« Séparatisme ». Gérald Darmanin, premier pyromane au service de l’Élysée



Lola Ruscio

En s’appropriant les obsessions de l’extrême droite, le ministre de l’Intérieur joue avec le feu. À gauche, nombreux sont ceux qui dénoncent un climat nauséabond, entretenu depuis des mois par le gouvernement.

Pas une minute de répit pour Gérald Darmanin. Entre l’examen au Sénat du projet de loi sur les « sépa- ratismes » et le duel savamment mis en scène la semaine dernière face à la municipalité EELV de Strasbourg, qu’il accuse de flirter avec « l’islam radical », le ministre de l’Intérieur est sur tous les fronts.

Cette méthode bien rodée de l’ancien sarkozyste, qui permet au passage d’occulter la crise sociale, n’est pas nouvelle. Depuis son entrée à Beauvau, Gérald Darmanin – toujours sous le coup d’une enquête pour viol – sature l’espace médiatique de sujets dits régaliens et beaucoup d’islam, qu’il lie volontiers à la lutte contre l’obscurantisme. Avec la nuance qui le caractérise, le ministre s’était dit, en octobre 2020, «  toujours choqué d’entrer dans un hypermarché, de voir qu’il y avait en arrivant un rayon de telles cuisines communautaires ». « C’est comme ça que ça commence, le communautarisme (sic) », avait-il jugé, après avoir revendiqué l’usage du terme « ensauvagement », jusqu’ici utilisé par le parti frontiste.

Le gouvernement veut fracturer la gauche

Puis il est venu donner du crédit aux thèses les plus fantasques de l’extrême droite, en débattant pêle-mêle immigration et islam avec Marine Le Pen sur le plateau de France 2, le 11 février. «  Je vous trouve dans la mollesse. Je trouve que vous êtes plus molle que nous pouvons l’être  », a-t-il lancé à la cheffe du RN, lui déroulant le tapis rouge pour la présidentielle. « Il faut travailler pour le prochain débat présidentiel  », a-t-il dit tranquillement à l’héritière de Montretout, qui se frotte déjà les mains à l’idée d’être la principale adversaire de Macron en 2022. à l’approche de la présidentielle, les provocations de Gérald Darmanin servent surtout de diversion.

Aux oubliettes, les débats sur le « monde d’après » que la gauche appelait de ses vœux pour porter une alternative sociale et écologiste au modèle d’Emmanuel Macron. Alors que la pandémie pousse dans la pauvreté des millions de personnes, la priorité du gouvernement est donnée à la loi sur les « séparatismes » qui détricote nos libertés fondamentales (voir encadré). L’objectif est simple : consolider son électorat droitier, sarkozyste, tout en faisant monter le RN, quitte à calquer son discours sur celui de Marine Le Pen. «  Le pays est malade de son communautarisme et désormais d’un islam politique qui veut renverser les valeurs de la République », avait-il ainsi déclaré, le 28 juillet 2020, dans la Voix du Nord. Surtout, le gouvernement veut fracturer la gauche, en plus de diaboliser une partie de ses opposants politiques.

« EELV est complaisant avec l’islamisme radical  », a martelé, lundi, sur RTL, Marlène Schiappa. La ministre déléguée à la Citoyenneté déambule de plateau en plateau depuis la semaine dernière pour attaquer la municipalité écologiste de Strasbourg sur le projet de financement d’une mosquée. « Manifestement, les Verts ont un problème avec les principes de la République », a-t-elle aussi affirmé sur BFMTV EELV a déjà été la cible, début mars, des locataires de la Place Beauvau à propos des repas sans viande dans les cantines lyonnaises. À l’époque, Gérald Darmanin avait dénoncé sur Twitter une «  idéologie scandaleuse ».

L’addition de ces polémiques, relayées largement par les chaînes d’information en continu, donne des ailes à l’extrême droite. Des militants de l’Action française ont ainsi revendiqué, le 25 mars, l’intrusion violente au conseil régional d’Occitanie, où ils ont pu hurler « mort aux islamo-gauchistes ! », avant d’y laisser une banderole sur laquelle on peut lire : « Islamo-gauchistes traîtres à la France ! » Cerise sur le gâteau, ils ont cité dans leur communiqué la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, renvoyant à la tête de la Macronie ses emprunts à l’extrême droite : « Les universités ne sont pas les seules à être le cheval de Troie de l’islamisme et de l’immigration, pour paraphraser les propos de M me Vidal. » Si Marlène Schiappa a fini par condamner cette « tentative d’intrusion violente », la ministre a aussi relativisé la responsabilité de l’extrême droite en disant que l’attaque émane « vraisemblablement  » de ce côté de l’échiquier politique. Les macronistes se montrent nettement moins précautionneux quand ils fulminent contre les « islamo-gauchistes » que seraient EELV et la France insoumise.

« Notre époque est plus que dangereuse »

À gauche, beaucoup dénoncent un climat haineux, alimenté par le gouvernement. « Merci à Macron, Darmanin et consorts d’avoir mis une cible sur nos poitrines », a vivement dénoncé l’insoumise Myriam Martin, après la tentative d’intrusion de l’organisation royaliste. Pour Vincent Bouget, secrétaire départemental PCF du Gard, la responsabilité du gouvernement est immense : « Voilà où nous mène le débat actuel, orchestré par la droite et des membres du gouvernement… Peut-être que cela pourra en faire réfléchir certains… Notre époque est plus que dangereuse. » Lors de sa campagne présidentielle, le candidat Macron se posait pourtant en rempart face à « la haine, l’exclusion et le repli ». Une promesse à laquelle le président a, semble-t-il, définitivement tourné le dos.

 

Scandale du Mediator. Les 10 moments-clés d’un procès exemplaire



Alexandre Fache.

Les laboratoires Servier ont été condamnés ce lundi 29 mars pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires ». Le groupe pharmaceutique a été également condamné lundi à 2,7 millions d’euros d’amende au terme de ce procès hors norme, qui aura duré plus de 517 heures. Attendu pendant dix ans, l’audience fleuve, édifiante, avait jeté une lumière crue sur l’origine de ce scandale sanitaire. Retour sur ses temps forts.

Dans le tout nouveau palais de justice de Paris, c’est l’effervescence. Ce lundi 23 septembre 2019 s’ouvre le procès Mediator. Dix ans après le retrait de ce médicament toxique des laboratoires Servier, l’heure a (enfin) sonné de rendre justice. Les avocats de plusieurs milliers de victimes de cet antidiabétique, détourné comme coupe-faim, se pressent dans la salle Victor-Hugo.

Non loin, vêtue d’un gilet gris, la pneumologue Irène Frachon enchaîne les apartés et les regards complices avec les victimes et leurs proches. Sans elle, sans son courage, son acharnement à obtenir des explications sur ces curieuses pathologies cardiaques mises au jour chez ses patients, le scandale n’aurait sans doute jamais éclaté. « L’affaire du Mediator, c’est un crime industriel ! Pas une petite erreur ou un accident, nous confiait alors, ce même 23 septembre, le médecin de Brest. J’espère que le procès, par son ampleur, remettra les pendules à l’heure en rappelant la gravité des faits reprochés à Servier. » Retour sur les moments forts d’une audience fleuve, interrompue pendant deux mois et demi par la crise du Covid-19, et qui vient de se terminer, le 6 juillet.

Acte 1. Le verbe cinglant de « Prescrire » (9 octobre 2919)

Dès 1976, ils avaient dit tout le mal qu’ils pensaient du Mediator, mais personne ne les avait entendus. Lui, médecin généraliste, elle, pharmacienne, Gilles et Danielle Bardelay ont fondé « Prescrire » en 1981. Objectif de cette revue médicale indépendante ? Faire le tri entre les molécules vraiment utiles à la santé publique et celles qui servent seulement à engraisser les labos. Ce 9 octobre 2019, le couple de septuagénaires est venu, main dans la main, jusqu’au palais de justice. À la barre, Gilles Bardelay a la parole libre et le verbe cinglant. Il dénonce l’« enfumage » systématique du groupe Servier, ce « grand illusionniste », en particulier auprès des prescripteurs. Et assène : « La médecine n’a pas besoin que les industriels lui développent un imaginaire. Elle a besoin de preuves (d’efficacité). Avec Mediator, il n’y en a jamais eu. »

Acte 2. Irène Frachon à la barre (16 octobre 2019)

Ce jour-là, il n’y a plus une place de libre sur les bancs de la salle Victor-Hugo. Et pour cause, l’âme de ce procès, la lanceuse d’alerte Irène Frachon, est appelée à témoigner. « Je vais vous raconter comment je me suis inquiétée de la toxicité du Mediator et comment j’ai eu la confirmation de cette toxicité », conte la pneumologue, projection de schémas compliqués et autres photos de valves cardiaques abîmées à l’appui. Tantôt pédagogue, tantôt plus technique, le médecin résume en quelques heures les douze ans de son combat contre un laboratoire prêt à tout et une Agence du médicament très affairée à ne rien voir. « J’ai échappé de très peu à la tromperie de Servier. Ça me fait froid dans le dos de voir à quoi cela a tenu. Aujourd’hui, je suis comme les victimes : inconsolable », lâche ce jour-là Irène Frachon.

Acte 3. Les failles de l’Agence du médicament (14 et 20 novembre 2019)

S’il y a un scandale Médiator, c’est aussi parce que les autorités sanitaires ont failli. Et en particulier l’Agence du médicament, censée être le gendarme du secteur. Un gendarme à la vue basse. Il avait pourtant en son sein, jusqu’en 2001, le « pape » de la pharmacologie, Jean-Michel Alexandre. Âgé de 83 ans, ce « puits de science » est poursuivi dans ce dossier pour « pantouflage » : il a touché, après son départ en 2001, et jusqu’en 2009, pas moins de 1,2 million d’euros des laboratoires Servier… Pour services rendus ? « Quand j’étais à l’Agence, il n’y avait pas d’alerte (sur le Mediator) », s’est défendu l’octogénaire, malade mais droit dans ses bottes. Quelques jours plus tard, l’un des anciens directeurs de l’instance n’affiche pas le même déni. « Le drame du Mediator a eu lieu. Or, l’objectif de l’Agence était d’éviter de tels drames. Je suis à titre personnel accablé et désolé de ce qui s’est passé », concède Didier Tabuteau.

Acte 4. Les vœux d’outre-tombe de Jacques Servier (27 novembre 2019)

Des excuses, Jacques Servier, l’omnipotent fondateur des laboratoires éponymes, n’en a jamais formulé à l’attention des victimes. Décédé en 2014, il n’aura pas eu, non plus, à répondre d’un scandale dont il porte pourtant une grande part de responsabilité. La diffusion à l’audience d’une vidéo de ses vœux aux personnels du laboratoire, en janvier 2011, aura tout de même permis de saisir la psychologie du personnage. Le patron y parle de ce qui est « le plus important : l’évolution des ventes », avant d’aborder le scandale Mediator, qualifié d’« incident », voire de « complot » orchestré par une « mafia d’extrémistes politisés ». « Le diabétique est un malade sympathique », explique-t-il aussi pour justifier son attachement à la molécule, pourtant accusée d’avoir fait au moins 500 morts. « Un chiffre marketing », selon Jacques Servier, qui en compte, lui, « peut-être trois », et encore… Morgue, déni, paternalisme, tout y est.

Acte 5. L’ancien bras droit tente de sauver sa peau (28 novembre 2019)

Le lendemain de cette diffusion, le tribunal est encore sous le choc des mots de Jacques Servier. Pour son ancien bras droit, Jean-Philippe Seta, seule personne physique à répondre des principaux chefs d’accusation dans ce dossier, l’enjeu va être de prendre toute la distance possible avec son ex-patron. « Ce labo était plus une autocratie qu’une démocratie participative », plaide le haut cadre, qui avoue avoir « cédé aux sirènes de Servier », en 1984, une fois ses études achevées. Comprendre des sirènes sonnantes et trébuchantes. Fils et petit-fils de médecin, l’homme avait tout de même versé quelques larmes, au début du procès. « Mais alors, pourquoi n’avoir rien fait pendant toutes ces années, pendant que les alertes s’accumulaient sur Mediator ? » lui demande la présidente Sylvie Daunis. « On aurait dû être un peu anarchistes », répond Jean-Philippe Seta.

Acte 6. La souffrance des victimes force la défense à « s’excuser » (5 et 11 décembre 2019)

« Nous entendrons toutes les victimes qui le souhaitent », prévient, ce 5 décembre, la présidente du tribunal. Pendant près de deux mois, leurs témoignages vont donner chair aux souffrances endurées à cause du Mediator. Ainsi, la famille de Pascale Saroléa vient ce jour-là raconter comment cette femme de 51 ans est morte en quinze minutes, chez elle, d’un « œdème pulmonaire aigu ». Sa fille, Lisa, avocate, a démissionné de son poste pour suivre les sept mois d’audience. À la barre, elle dit sa colère contre le « système Servier » et la « débauche de moyens » de la défense. Quelques jours plus tard, c’est Catherine Kolozsvari, 70 ans, empoisonnée par deux produits de Servier (l’Isoméride et le Mediator), qui racontera, en visioconférence, la « violence procédurière » du labo pour contrer ses demandes d’indemnisation. Acculée, la défense, par la voix de Me Hervé Temime, formulera alors des « excuses tardives ».

Acte 7. Celle qui a « compté les morts » (23 janvier 2020)

Elle a été l’épaule sur laquelle a pu s’appuyer Irène Frachon. Et celle qui l’a finalement aidée à comptabiliser les morts imputables au Mediator. L’épidémiologiste Catherine Hill débarque par hasard dans ce dossier, début juin 2009. Elle participe pour la première fois à une réunion à l’Agence du médicament, pendant laquelle le cas Mediator est soulevé. « J’ai eu l’impression que l’Agence avait plus peur des juristes de Servier que de tuer des gens », se souvient-elle. Souriante et moqueuse, l’experte taille un costard au soi-disant « gendarme du médicament ». « L’Agence invoque sans cesse le rapport bénéfices-risques des molécules. Sauf qu’elle n’évalue jamais ni les bénéfices ni les risques. »

Acte 8. La parenthèse coronavirus (16 mars 2020-2 juin 2020)

C’est l’événement le plus inattendu de ce procès : le 16 mars, à cause de la crise du coronavirus, la ministre de la Justice annonce la fermeture de tous les tribunaux. La France entre dans la longue et douloureuse parenthèse du Covid-19. Les audiences seront interrompues pendant deux mois et demi. Une « décision sage », pour l’avocate Martine Verdier. Le procès reprend le 2 juin. Port du masque et distanciation physique de rigueur. Un des prévenus, confiné, au Maroc, assure alors ne pas pouvoir revenir en France… Qu’à cela ne tienne : son affaire sera disjointe et fera l’objet d’un nouveau procès en septembre.

Acte 9. « Il faut que ça cogne », réclament les parties civiles (9-22 juin 2020)

Voilà sept mois qu’ils écoutent, analysent, interrogent, comparent, contestent, rongent leur frein. Mais à partir de ce 9 juin, c’est leur tour. Les avocats des parties civiles, victimes physiques du Mediator, ou caisses d’assurance-maladie spoliées par trente-trois ans de remboursements indus, peuvent enfin exposer leurs arguments. « Les patients ont couru les risques, pendant que Servier empochait les bénéfices », résume Me Catherine Szwarc. Le Mediator, mis sur le marché grâce à un « tour de passe-passe », a toujours été « une machine à produire de la trésorerie » pour le labo, insiste Me Georges Holleaux. Pour « réparer » cette faute mais aussi « dissuader » toute récidive, son jeune confrère Charles Joseph-Oudin réclame au tribunal des sanctions financières lourdes : « Il faut que ça cogne ! » presse-t-il. Suggérant même au tribunal d’envisager, pour le labo, l’interdiction d’exercer en France. « Servier n’y réalise que 5 % de son chiffre d’affaires. Ça ne serait pas si violent que ça… »

Acte 10. Victimes et prévenus les yeux dans les yeux (23-24 juin 2020)

Interdire Servier ? L’option n’est pas retenue par la procureure Aude Le Guilcher, qui présente son réquisitoire le 23 juin. Pour ce moment si particulier, trois victimes décident de se placer juste en face des prévenus et des avocats de la défense. Les yeux dans les yeux. « On voulait leur montrer qu’on n’était pas des numéros, mais des êtres humains », nous explique l’une d’elles, Lydie Le Moaligou, 62 ans, dont 11 sous Mediator et une double valvulopathie à la clé. Au final ? De modestes amendes sont requises contre le labo, mais 5 ans de prison, dont 3 fermes, pour Jean-Philippe Seta, l’ex-bras droit de Servier. Le délibéré n’est pas attendu avant « début 2021 ».