En s’appropriant les
obsessions de l’extrême droite, le ministre de l’Intérieur joue avec le feu. À gauche,
nombreux sont ceux qui dénoncent un climat nauséabond, entretenu depuis des
mois par le gouvernement.
Pas une minute de répit pour Gérald Darmanin. Entre l’examen au Sénat du
projet de loi sur les « sépa- ratismes » et le duel savamment mis en scène la
semaine dernière face à la municipalité EELV de Strasbourg, qu’il accuse de
flirter avec « l’islam radical », le ministre de l’Intérieur
est sur tous les fronts.
Cette méthode bien rodée de l’ancien sarkozyste, qui permet au passage
d’occulter la crise sociale, n’est pas nouvelle. Depuis son entrée à Beauvau,
Gérald Darmanin – toujours sous le coup d’une enquête pour viol – sature
l’espace médiatique de sujets dits régaliens et beaucoup d’islam, qu’il lie
volontiers à la lutte contre l’obscurantisme. Avec la nuance qui le
caractérise, le ministre s’était dit, en octobre 2020, « toujours
choqué d’entrer dans un hypermarché, de voir qu’il y avait en arrivant un rayon
de telles cuisines communautaires ». « C’est comme ça que ça commence, le
communautarisme (sic) », avait-il jugé, après avoir
revendiqué l’usage du terme « ensauvagement », jusqu’ici utilisé
par le parti frontiste.
Le gouvernement veut fracturer la gauche
Puis il est venu donner du crédit aux thèses les plus fantasques de
l’extrême droite, en débattant pêle-mêle immigration et islam avec Marine Le
Pen sur le plateau de France 2, le 11 février. « Je
vous trouve dans la mollesse. Je trouve que vous êtes plus molle que nous
pouvons l’être », a-t-il lancé à la cheffe du RN, lui
déroulant le tapis rouge pour la présidentielle. « Il faut travailler
pour le prochain débat présidentiel », a-t-il dit
tranquillement à l’héritière de Montretout, qui se frotte déjà les mains à
l’idée d’être la principale adversaire de Macron en 2022. à l’approche de la
présidentielle, les provocations de Gérald Darmanin servent surtout de
diversion.
Aux oubliettes, les débats sur le « monde d’après » que la gauche appelait
de ses vœux pour porter une alternative sociale et écologiste au modèle
d’Emmanuel Macron. Alors que la pandémie pousse dans la pauvreté des millions
de personnes, la priorité du gouvernement est donnée à la loi sur les
« séparatismes » qui détricote nos libertés fondamentales (voir encadré).
L’objectif est simple : consolider son électorat droitier, sarkozyste, tout en
faisant monter le RN, quitte à calquer son discours sur celui de Marine Le
Pen. « Le pays est malade de son communautarisme et
désormais d’un islam politique qui veut renverser les valeurs de la
République », avait-il ainsi déclaré, le 28 juillet 2020,
dans la Voix du Nord. Surtout, le gouvernement veut fracturer
la gauche, en plus de diaboliser une partie de ses opposants politiques.
« EELV est complaisant avec l’islamisme radical », a
martelé, lundi, sur RTL, Marlène Schiappa. La ministre déléguée à la
Citoyenneté déambule de plateau en plateau depuis la semaine dernière pour
attaquer la municipalité écologiste de Strasbourg sur le projet de financement
d’une mosquée. « Manifestement, les Verts ont un problème avec les
principes de la République », a-t-elle aussi affirmé sur BFMTV . EELV
a déjà été la cible, début mars, des locataires de la Place Beauvau à propos
des repas sans viande dans les cantines lyonnaises. À l’époque, Gérald Darmanin
avait dénoncé sur Twitter une « idéologie scandaleuse ».
L’addition de ces polémiques, relayées largement par les chaînes
d’information en continu, donne des ailes à l’extrême droite. Des militants de
l’Action française ont ainsi revendiqué, le 25 mars, l’intrusion violente
au conseil régional d’Occitanie, où ils ont pu hurler « mort aux
islamo-gauchistes ! », avant d’y laisser une banderole sur laquelle on
peut lire : « Islamo-gauchistes traîtres à la France ! » Cerise sur le gâteau,
ils ont cité dans leur communiqué la ministre de l’Enseignement supérieur,
Frédérique Vidal, renvoyant à la tête de la Macronie ses emprunts à l’extrême
droite : « Les universités ne sont pas les seules à être le cheval de
Troie de l’islamisme et de l’immigration, pour paraphraser les propos de M me Vidal. » Si
Marlène Schiappa a fini par condamner cette « tentative d’intrusion
violente », la ministre a aussi relativisé la responsabilité de l’extrême
droite en disant que l’attaque émane « vraisemblablement » de
ce côté de l’échiquier politique. Les macronistes se montrent nettement moins
précautionneux quand ils fulminent contre les « islamo-gauchistes » que
seraient EELV et la France insoumise.
« Notre époque est plus que dangereuse »
À gauche, beaucoup
dénoncent un climat haineux, alimenté par le gouvernement. « Merci à
Macron, Darmanin et consorts d’avoir mis une cible sur nos poitrines », a
vivement dénoncé l’insoumise Myriam Martin, après la tentative d’intrusion de
l’organisation royaliste. Pour Vincent Bouget, secrétaire
départemental PCF du Gard, la responsabilité du gouvernement est
immense : « Voilà où nous mène le débat actuel, orchestré par la droite
et des membres du gouvernement… Peut-être que cela pourra en faire réfléchir
certains… Notre époque est plus que dangereuse. » Lors de sa campagne
présidentielle, le candidat Macron se posait pourtant en rempart face à « la
haine, l’exclusion et le repli ». Une promesse à laquelle le président a,
semble-t-il, définitivement tourné le dos.
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