mardi 31 janvier 2023

Jusqu’où la guerre ? (Patrick Le Hyaric)



Avec la livraison de chars allemands de type Léopard, couverte par l’envoi de chars Abrams américains à l’armée ukrainienne, nous entrons dans une nouvelle phase de la guerre. Une nouvelle étape dangereuse. Une guerre que les protagonistes veulent durable au mépris des intérêts des peuples.

L’agresseur, la Russie de Poutine, en violation du droit international, n’a certes pas atteint ses objectifs d’occupation de la totalité de l’Ukraine et du remplacement du gouvernement de Kiev, mais elle sème depuis des mois un interminable cortège de morts et de blessés, d’atrocités, de privations et d’exodes, de destructions d’équipements et de services publics. Tout en bombardant régulièrement des villes et des villages, son armée semble se concentrer sur le flanc Est, théâtre d’immondes boucheries.

Des militaires ukrainiens témoignent que de jeunes Russes enrôlés dans l’armée d’occupation sont offerts comme chair à canon, quand ce ne sont pas les prisonniers intégrés – souvent de force – à la tristement célèbre milice privée Wagner.

L’Ukraine réarmée, par les États-Unis et les puissances de l’OTAN, résiste et la fourniture d’armes galvanise le président ukrainien qui désormais réclame des avions de combat et des missiles supersoniques.

S’il se le permet, c’est qu’il a l’autorisation de l’OTAN de parler ainsi, au risque de la confirmation d’un changement de la nature de la guerre. L’insistance de sa demande d’envois de chars sophistiqués occidentaux incite à réfléchir à au moins à une question. L’armada des chars ukrainiens est-elle détruite alors que les médias occidentaux ne cessent de vanter les déboires de l’armée russe ? Après être passés d’une guerre quasi interne entre le pouvoir de Kiev et les régions séparatistes de l’est à une guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, nous assistons à une guerre internationalisée entre la Russie et l’OTAN.

En tout état de cause, l’envoi de chars signe la certitude d’une guerre longue, souhaitée de part et d’autre, sur le dos du peuple ukrainien. Car ce sont les enfants, les femmes, les hommes, les travailleurs ukrainiens qui subissent le déluge de souffrances et de peines d’une guerre sanglante et destructrice, pour laquelle ils ne sont en rien responsables.

L’Ukraine est désormais la proie économique et géopolitique entre impérialismes antagoniques. Il faut faire cesser cela ! et vite ! Les enfants de la Russie et les familles populaires en paieront aussi le prix du sang et des larmes. Au-delà, l’internationalisation de la guerre a déjà des effets collatéraux en cascade contre les peuples du monde entier.

Pendant ce temps, les spéculateurs et quelques grandes firmes, souvent à base nord-américaine, de l’armement, de l’énergie, de l’agro-alimentaire, des transports engrangent des masses énormes de capitaux tout en reconfigurant le capitalisme mondialisé. Ainsi, leur domination, rendue encore plus agressive, s’accroît pour soumettre les travailleurs du monde entier et les peuples aux sacrifices et aux restrictions de libertés.

Les dirigeants américains ont donné le ton dès le début de l’année, puis les ministres européens de la défense réunis sur la base militaire américaine de Rammstein, le 26 janvier, ont exécuté. La secrétaire adjointe à la défense a été claire sur les intentions : donner à l’Ukraine tous les moyens dont elle aura besoin pour inverser la dynamique, percer les lignes de défense russe et reconquérir ces territoires.

C’est donc l’enterrement définitif des accords de Minsk. Il ne s’agit donc plus d’aider l’Ukraine à se défendre, mais de passer à l’offensive. On glisse peu à peu sur la dangereuse pente d’une co-belligérance et d’une confrontation, de plus en plus directe, entre les pays de l’OTAN et la Russie.

La voie serait ainsi ouverte à tous les risques, à tous les imprévus, à l’erreur fatale. Ce n’est donc pas de sommet de guerre dont a besoin l’humanité aux prises d’une multitude de crises, interagissant entre elles, au point d’en menacer l’existence.

Ce sont des sommets pour la paix, la sécurité humaine et environnementale globale qui devraient être convoquées en urgence. On ne peut accepter la reprise de cette folle course aux armements sur le continent européen, alors qu’il y a tant de besoins à satisfaire pour les services de santé, d’éducation, pour le droit à une alimentation de qualité, à l’énergie décartonnée, au travail émancipé.

Le lien entre progrès social, écologique, humain va de pair avec les combats pour la paix et le désarmement. Il y a urgence à le faire entendre. La guerre ne sera gagnée par et pour aucun peuple. Par contre, l’union des peuples peut faire gagner la paix. Les conditions d’une négociation après un cessez-le-feu sont connues : repartir des frontières du 21 février 2022 ; respecter et garantir la souveraineté territoriale de l’Ukraine et de la Russie ; retourner aux accords de Minsk avec l’organisation d’élections sous le contrôle de l’ONU dans les quatre régions de l’Est de l’Ukraine ; statut de neutralité de ce pays en lien à la mise en place d’une architecture de sécurité commune aux deux pays et à l’Europe tout entière, comme alternative à l’OTAN – qui n’aurait plus lieu d’être.

Au lieu de s’asseoir docilement dans le fourgon américain, la France devrait porter une diplomatie de paix. Encore faudrait-il pour cela que le Parlement puisse en débattre régulièrement afin de décider d’initiatives, non pas de livraisons de chars Leclerc ou d’avions-Rafale, mais de discussions entre les dirigeants ukrainiens et russes, en lien avec l’Organisation des Nations unies.

La France pourrait produire des actes en direction de la Chine ou de l’Inde pour peser avec elles en faveur d’une sortie de la guerre.

Nous ne sous-estimons pas le niveau des efforts à produire, les contradictions à dépasser, les pressions à lever. Mais la voie de la paix est la seule pour la construction durable de notre humanité commune.

Patrick Le  Hyaric

Le 30 janvier 2023

 

« Cataplasme d’oseille », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Ils sont comme ces profiteurs de crise qui font de l’argent sur la détresse et le malheur des gens. Comme ces marchands de gloire de Marcel Pagnol, pour qui «le scrupule est une maladie pénible» mais pour laquelle, «par bonheur, il existe un très vieux remède, mais dont leffet est immédiat: cest le cataplasme doseille». Et grâce à la réforme des retraites, de l’oseille, il y en aura à ramasser. C’est la raison pour laquelle le pouvoir macroniste s’accroche mordicus, alors que son projet est rejeté massivement par les Français.

Banquiers, spéculateurs, fonds de pension… Pour ceux qui espèrent en profiter, le calcul est simple. En pratique, la réforme entraînerait une baisse des pensions. Le niveau de vie des retraités, qui est actuellement égal à celui de l’ensemble de la population, diminuerait à l’horizon 2070 de 13 à 15 % par rapport à celui des actifs, a calculé Attac. Les catégories les plus précaires et les plus fragiles seraient les plus lésées, au moment où elles subissent déjà de plein fouet une inflation historique. Mais pour ceux qui ont un peu plus? Pour eux, lenjeu sera de réussir à mettre durant leur vie active un petit peu d’argent de côté pour, le moment venu, partir un peu plus tôt ou compléter une pension ­rognée. C’est ce «petit peu» qui intéresse les vautours. Rapporté au nombre de futurs retraités, il représente un «gisement» de dizaines de milliards deuros que convoitent assurances privées, fonds de pension et start-up ­financières en tout genre.

La paupérisation programmée des futurs retraités est une façon ­cynique de pousser les citoyens à se tourner vers les placements par capitalisation… à condition d’en avoir les moyens. Pour cela, le gouvernement est prêt à tout, même à s’arranger avec les chiffres pour justifier sa réforme, quitte à être démenti par le Conseil d’orientation des retraites, dont le président expliquait la semaine dernière que «les dépenses de retraites ne ­dérapent pas, (qu)elles sont ­relativement maîtrisées». Le ­cataplasme d’oseille n’est pas qu’un remède contre les scrupules, il est également très efficace contre l’honnêteté.

 

« Ils osent tout », le billet de Maurice Ulrich.



Dimanche, dans le Parisien, c’est Gérald Darmanin qui, toute honte bue, nous faisait la leçon: «Le travail, cest pas une maladie.» Là, c’est l’Opinion qui monte au front, avec un titre: «Maintenant, il faut oser le dire.» Bien, mais dire quoi? Son éditorialiste répond en invitant à rompre, à propos des retraites,  «avec cette facilité consistant à crier justice, justice pour vider la réforme de son sens». Donc, il faut «oser dénoncer le Conseil dorientation des retraites, incapable de construire un consensus national et coupable de dissimuler la gravité des déficits». Il faut «oser attaquer lirresponsabilité des syndicats, car oui, il y a urgence, péril même»! Il faut «oser condamner laveuglement idéologique de la Nupes»… Il faut oser secouer la majorité, oser démontrer la tartufferie des «Républicains» et la lâcheté du RN, oser assurer quil nest pas possible de toujours produire moins et distribuer plus. Il faut tout oser, et l’éditorialiste de l’Opinion ose tout. Comment disait-on, déjà, dans un célèbre film? «Ils osent tout, cest même à ça quon les reconnaît.»

dimanche 29 janvier 2023

« Minable », le billet de Maurice Ulrich.



Mais comment Gérald Darmanin ose-t-il? À la une du Parisien ­dimanche sa phrase est une insulte. «Le travail, cest pas une maladie.» Il ­voudrait nous la jouer à l’envers. Il se prétend du côté de ceux qui défendent «les intérêts de la classe ouvrière», contre le gauchisme «des bobos et de la paresse», mais c’est pour le marteler: «Oui, il faut travailler plus, oui il faut se lever tôt pour aller travailler, oui il faut bosser à l’école. Comme on dit chez moi, on na rien sans rien et le travail, cest une belle valeur.» Merci de la leçon, monsieur le ministre de l’Intérieur. Et il a l’impudence d’évoquer sa propre mère, femme de ménage. «Elle part en retraite en juillet prochain à plus de 67 ans. Pourquoi si tard? Parce quelle est comme ces nombreuses femmes qui ont eu un métier difficile et une vie professionnelle hachée.» Ça, pour nous faire avaler une réforme qui, comme l’a reconnu le ministre Franck Riester, va pénaliser les femmes les plus fragiles… C’est cynique ou c’est simplement minable?

 

« La bataille », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.

 


DEPUIS QUINZE JOURS, LE «SERVICE APRÈS-VENTE» DE TOUTE LA MACRONIE NE PASSE PAS.

Élisabeth Borne ne manque décidément pas de toupet. À la veille du début de l’examen du projet en commission à l’Assemblée, alors que la France s’attend à vivre l’acte 2 de la mobilisation contre la réforme des retraites, ce mardi 31 janvier, la première ministre s’est donc exprimée sur France Info. Ses mots en disent long sur la méthode et confirment que la tentation du passage en force au Parlement est non seulement actée, mais théorisée. «Ça nest plus négociable, la retraite à 64 ans et laccélération de la réforme Touraine», a déclaré la cheffe du gouvernement, ajoutant: «Cest le compromis que nous avons proposé.» La bataille dans l’Hémicycle n’a même pas débuté, mais l’exécutif montre déjà les dents. La brutalité comme vraie nature politique.

Et ce n’est pas tout! Dans une séquence de communication pour le moins téléguidée, il fallait également lire le Parisien et l’entretien surréaliste du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a accusé la Nupes de vouloir «bordéliser le pays», fustigeant au passage ce qu’il appelle le «gauchisme paresse et bobo». Selon lui, «ceux-là» auraient «un profond mépris de la valeur travail». Avant de préciser: «Le travail nest pas une maladie.» Les Français apprécieront, surtout les 74 % d’entre eux qui estiment que la réforme est «injuste», «inefficace» et «pas nécessaire».

Opinion, Parlement, majorité instable et coincée entre son aile gauche et la nécessité de trouver des alliés du côté de la droite LR: les pontes du gouvernement paniquent. Et pour cause. Depuis quinze jours, le «service après-vente» de toute la Macronie ne passe pas. Au contraire, 57 % de nos concitoyens «comprendraient que les grévistes bloquent le pays», «seul moyen» à leurs yeux de faire capoter le projet de loiLa base sociale est perdue, d’où la volonté de tordre un peu plus la démocratie parlementaire, jusqu’à en bafouer les usages. Une chose est certaine: mardi, une grande partie de la réponse sera dans la rue. Laurent Berger lui-même met en garde lexécutif. Pour le leader de la CFDT, ne pas tenir compte des mobilisations «serait une faute». Macron et Borne sont prévenus…

 

« Les paris stupides », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité magazine.



La réponse des citoyens au projet du gouvernement de reculer l’âge légal de la retraite à 64 ans a été franche et massive. Deux millions de personnes à travers le pays ont choisi de descendre dans la rue pour protester contre cette réforme injuste. Jamais une première journée de mobilisation contre une réforme des retraites n’avait réuni autant de monde. Dans certaines petites villes de France, c’est un nombre inédit de manifestants qui se sont retrouvés.

Aucun des arguments du gouvernement ne parvient à convaincre, et pour cause: ils sont soit trompeurs, soit carrément mensongers. «Il n’y a pas de perdants» avec cette réforme, a même osé le ministre Olivier Dussopt, en charge du dossier, alors que tout le monde a compris qu’il n’y aurait, au contraire, aucun gagnant: travail allongé pour tous et décote plus forte, surcote moindre ou pension plus faible, selon les cas.

Si la réforme venait à être appliquée, ce serait au sens propre un passage en force puisqu’elle ne s’appuie sur rien de solide. Le gouvernement n’a pas de légitimité politique, puisque la grande majorité des Français y sont opposés et qu’Emmanuel Macron a été élu essentiellement pour faire barrage à l’extrême droite. Aucune légitimité sociale, puisque le président du Conseil d’orientation des retraites, Pierre-Louis Bras, explique lui-même que «les dépenses de retraite sont globalement stabilisées et, même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre». Aucune légitimité économique enfin, puisque le gouvernement explique que cette réforme servirait à financer d’autres besoins en termes d’éducation ou de santé. Argument presque lunaire au moment où l’on apprend le montant des profits record du CAC 40 (172 milliards d’euros), celui du versement des dividendes (80 milliards), et pour couronner le tout l’augmentation sans précédent de la fortune des milliardaires français depuis le Covid (+ 173 milliards rien que pour les cinq plus riches d’entre eux). De l’argent, il y en a donc (beaucoup), et ailleurs que dans les poches des futurs retraités.

La ficelle est grosse et c’est une des raisons du succès du 19 janvier: le gouvernement se fout du monde et ça se voit. Car, au-delà de lappréhension de la nocivité du projet gouvernemental, la mobilisation et son soutien par lopinion disent également le ras-le-bol qui sourd depuis des mois dans les tréfonds du pays. Comment subir la hausse de l’énergie due au bradage du service public, la hausse des prix des produits de première nécessité sans aides significatives du gouvernement et les affres quotidiennes dans les transports ou la santé sans réagir? Le mouvement des retraites peut être le catalyseur des colères et de la volonté de changement contre un système qui craque.

Mais, non content de vouloir aller au bout d’une réforme massivement rejetée, l’exécutif envisage l’utilisation de l’article 47-1, artifice constitutionnel pour faire passer un texte et l’appliquer par décret sans motion de censure possible. Il ferait pourtant bien de se souvenir que bafouer les institutions républicaines dans un contexte de crise sociale peut mener au pire. Le président a semble-t-il oublié qu’il a été élu face à l’extrême droite et qu’elle est aujourd’hui plus menaçante que jamais.

À trop vouloir imposer un projet illégitime en pariant sur le pourrissement, c’est la République qu’il met en danger. S’il faut trouver des acteurs publics responsables, c’est bien du côté des syndicats et de l’opposition de gauche qu’il faut chercher. Le succès du 19 janvier appelle à construire une mobilisation dans la durée, forte avec la justice sociale et la taxation du capital comme alternative. Un pas vers la République sociale, en somme. Dans la rue, il faudra encore de nombreux pas pour y arriver. Des millions de Français y sont prêts.

 

vendredi 27 janvier 2023

« Personne ne veut mourir à la tâche », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité



Le triptyque «justice, équilibre et progrès» d’Élisabeth Borne est mort-né. Tous les arguments du gouvernement pour justifier sa réforme des retraites sont contredits par la réalité. Les Français devraient travailler plus longtemps au prétexte sournois de devoir s’aligner sur les voisins européens. Cette injonction relève d’une adhésion aveugle à la doxa libérale. Et si demain Berlin ou Madrid imposaient à leurs concitoyens de s’échiner jusqu’à 80 ans, Paris devrait-il en faire de même, au nom d’une cohésion mortifère? Soyons sérieux. La retraite est une compétence des États et non de la Commission européenne. Afin de respecter le totem des 3% des dépenses publiques, lexécutif pourrait parfaitement imposer une autre politique fiscale sur les dividendes astronomiques des entreprises du CAC 40, plutôt que de dépecer un conquis social et civilisationnel.

Nombre de Suédois et de Danois applaudissent des deux mains l’extraordinaire mouvement social français. Ils regrettent de ne pas en avoir fait de même lorsque leur régime des retraites a été broyé. Même l’ancien ministre suédois Karl Gustaf-Scherman, initiateur de la réforme repoussant l’âge pivot à 65 ans, a imploré Emmanuel Macron de «ne pas recopier le modèle suédois». Dans ce pays, les travailleurs ne parviennent plus à bénéficier d’une retraite à taux plein. Résultat: lindice des retraités pauvres est désormais de 13%, soit 3 points de plus qu’en France. D’autres se voient contraints de reprendre le chemin du travail, le corps usé, brisé.

C’est ce modèle de paupérisation que veut imposer la Macronie et elle s’étonne encore du rejet qu’il provoque. Personne ne veut et ne doit mourir à la tâche. C’est la clameur qui s’est exprimée le 19 janvier et que l’on entendra de nouveau dans les rues le 31 janvier. Mauvaise nouvelle pour le président qui s’est claquemuré dans un mutisme irresponsable: le soutien au mouvement contre la réforme s’est encore renforcé ces derniers jours. Le désaveu est cinglant.