vendredi 30 décembre 2022

« Juste valeur », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



Thierry, pompier, Emma, infirmière, Mickaël, éboueur, Nadia, conductrice de bus, Christine, aide à domicile, Serge, aide-soignant en Ehpad. Autant de visages de ces travailleurs et travailleuses essentiels, qui ne connaissent ni les jours fériés, ni le télétravail, et poursuivent leurs activités «quoi quil en coûte», en assurant les fonctions vitales du pays. Applaudis pendant la pandémie, vite abandonnés quand il s’est agi de se mobiliser pour leurs salaires, pour qu’ils soient considérés à leur juste valeur.

Loin des grands discours du président de la République et des primes exceptionnelles saupoudrées ici et là, la réalité est toujours aussi révoltante: ces travailleurs dits «essentiels», clé de voûte invisible de notre société, sont aussi les plus maltraités. Selon la Dares, ils sont deux fois plus souvent en contrats courts que l’ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30 %. Ils sont également plus exposés aux risques professionnels, aux accidents du travail mais aussi au chômage. Le pouvoir macroniste les porte aux nues dans ses discours. Dans les actes, il les accule toujours plus.

Car ce sont bien les «premiers de corvée» qui seront les premières victimes tant du durcissement des règles de l’assurance-chômage que de l’imminente destruction des retraites. Les économies que compte réaliser le gouvernement se feront sur le dos de ceux qui ont commencé à travailler tôt, occupé les postes les moins bien payés et les plus pénibles. Quant aux femmes, infirmières, aides-soignantes, aides à domicile, caissières, pour elles, ce sera la triple peine: bas salaires, mauvaises conditions de travail, moindres pensions. Voilà comment le pouvoir traite les travailleurs qui sont restés fidèles au poste pendant la pandémie, exerçant leurs métiers au service du plus grand nombre. Cette absence de corrélation entre l’utilité sociale et la reconnaissance salariale n’est plus tenable.

Comment accepter que des actionnaires engrangent des millions sans bouger le petit doigt quand des salariés essentiels touchent à peine le Smic? «Je crois à la France du travail et du mérite», a pourtant osé dernièrement Emmanuel Macron. Chiche…

jeudi 29 décembre 2022

Pour le moment…, le billet e Maurice Ulrich.



Allen: «Jai pris des cours de lecture rapide. Jai lu Guerre et Paix . Ça parle de la Russie.» Pour le moment, ChatGPT, dont on parle depuis quelques jours, ne va guère plus loin. Accessible sur l’ordinateur de tout un chacun, c’est une intelligence artificielle capable de générer sur demande des textes en quelques secondes. Bluffant. Mais encore un peu juste, ce qui donne par exemple, si on lui commande un texte sur l’œuvre de Marcel Proust: «La Recherche du temps perdu est un roman épique publié entre 1913 et 1927. Il se compose de sept volumes et raconte l’histoire du narrateur, Marcel, qui tente de retrouver les souvenirs de sa jeunesse et de sa vie passée. Au cours de ses voyages intérieurs, il rencontre une variété de personnages hauts en couleur, dont sa grand-mère, sa tante Léonie, son ami Charles Swann et sa maîtresse Odette.» On ne fait pas une thèse avec ça, ni même un début de dissertation. ChatGPT, 2 sur 20 et c’est bien payé. Pour le moment.

 

« Condamnés à agir », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



Lorsqu’en octobre 2021, l’État s’est vu condamné pour inaction climatique à la suite de la plainte d’un collectif d’associations regroupées au sein de «lAffaire du siècle», nous pouvions espérer une certaine prise de conscience. L’État avait jusquau 31 décembre 2022 pour prendre «toute mesure utile» afin de compenser les excédents de GES émis sur la période 2015-2018 et changer la trajectoire. Nous voilà arrivés à l’échéance. Sans grand suspense, on est très loin du compte.

Que ce soit dans les transports, l’agriculture, la rénovation thermique ou le développement des énergies renouvelables, dans aucun des secteurs clés de la transition les efforts, quand il y en a eu, n’ont été suffisants. Pire, alors que la France est censée arriver en 2030 à une baisse de 55% des gaz à effet de serre par rapport à 1990, elle atteint un catastrophique 0,3% de baisse sur lannée en cours. Cest près de 5% par an quil faudrait pour atteindre lobjectif! Le Haut Conseil pour le climat a calculé un nécessaire doublement du volume des baisses constatées les années précédentes. Plus on attend, plus la marche est haute. Or, selon les associations, «si nous ne réduisons pas immédiatement nos émissions, nous allons atteindre des points de bascule qui vont provoquer une accélération hors de contrôle du changement climatique». Il n’est donc plus temps de miser sur un (déjà trop faible) saupoudrage.

«Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas», disait pourtant le président-candidat, lors dune des rares périodes où il faisait des œillades à gauche. Impossible promesse sans changer totalement de logiciel. Impossible pari sans pouvoir piloter la politique énergétique en revenant à un pôle public et en sortant des ubuesques règles du marché de l’énergie. Inatteignable gageure tant que la puissance publique servira le marché plutôt que de le mettre au pas. Après sa condamnation, l’État risque désormais de devoir payer une astreinte jusqu’à réalisation des objectifs climatiques. Que de temps et d’argent perdus pour ce qui devrait cesser d’être un perpétuel axe de communication pour devenir un motif d’action permanente.

« Prestige », le billet de Maurice Ulrich.



C’est la période des cadeaux et pourquoi se priver? Bernard Arnault, toujours au coude-à-coude avec Elon Musk et Jeff Bezos pour la place de première fortune du monde, vient de sen faire un en rachetant à Milan, au cœur même de la ville, une villa ayant appartenu à Léonard de Vinci assortie d’un vignoble d’un hectare pour un montant qui n’a pas été révélé.­ Quand on aime, d’ailleurs, on ne compte pas… La villa appelée la Casa degli Atellani (des habitants d’Atella) est connue pour sa galerie de portraits de personnages de l’époque. Le vignoble, certes de taille modeste mais dont on se doute qu’il va devenir prestigieux, va s’ajouter à tous ceux que possède déjà Bernard Arnault en France et devrait ainsi contribuer au rayonnement du groupe LVMH dans le monde avec Dior, Vuitton, Guerlain et les 70 marques de prestige qui en font le numéro un mondial du luxe. À ce train, on peut imaginer cette question devant la Joconde: Léonard de Vinci, c’est une nouvelle marque du groupe?

 

mercredi 28 décembre 2022

La biodiversité pour la survie de notre humanité commune (Patrick Le Hyaric)



Pendant que les écrans de télévision attiraient les yeux de milliards d’habitants de notre planète exclusivement vers la Coupe du monde de football, se déroulait dans l’indifférence, sans publicité, un événement d’une considérable importance  à Montréal : la 15e conférence de la convention sur la biodiversité biologique dite COP15. Cet enjeu, bien trop négligé, a pourtant à voir avec la qualité de l’oxygène que nous respirons grâce à la photosynthèse des plantes, avec l’eau que nous buvons, la production de notre nourriture, une partie grâce au minutieux travail de pollinisation des abeilles, l’autre grâce à l’activité incessante des vers de terre qui améliorent les sols, la séquestration du carbone dans le bois, les océans, les sols et sous-sol, la régulation du climat. Des enjeux essentiels pour la vie donc !

Le rapport préparatoire à cette conférence n’a pas caché les problématiques : 75 % des milieux terrestres et 66% des milieux marins sont, selon ce document très documenté, « sévèrement altérés » par les activités humaines.

Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies alors que durant les cinquante dernières années les effectifs de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont diminué d’un tiers. La vitesse actuelle de réduction des espèces est telle, que l’on parle d’une sixième extinction massive, comparable à celle qui avait entraîné la disparition des dinosaures, il y a… 66 millions d’années.

En cause ? L’artificialisation des sols, les pollutions et dégradation des milieux naturels ; la surexploitation des ressources naturelles renouvelables, la pêche industrielle, la chimisation et l’industrialisation de la production agricole, les dérèglements climatiques, la destruction d’animaux sauvages.

La trop grande indifférence humaine envers la biodiversité fait naître un double risque : l’extinction des espèces animales et végétales et la prolifération de nouveaux virus comme ceux responsables du Covid, d’Ebola ou de la grippe aviaire.

La conférence de Montréal se devait donc de prendre en urgence des dispositions de protection et d’amélioration de la biodiversité. Ella a émis avec insistance un certain nombre d’orientations indispensables, positives pour les États qui voudront bien les mettre en œuvre : la protection de 30% des aires marines, côtières, terrestres et d’eaux douces et la restauration « d’au moins 30% » des aires dégradées d’ici 2030 ; la réduction de l’utilisation de produits néfastes à l’environnement, la réorientation des aides à l’agriculture afin de favoriser la biodiversité, une aide bien modeste pour les pays du Sud afin de financer les projets dédiés au vivant.

Cet accord est donc bienvenu. Il convient une nouvelle fois de noter qu’il n’y a pas de solution à la protection et l’amélioration de la biodiversité sans discussion et décisions dans un cadre mondial, loin de toutes tentations souverainistes. En clair : l’oiseau migrateur sentinelle de la biodiversité ne connaît pas de frontières. Il ne servirait à rien de le protéger dans un pays, s’il ne l’était pas ailleurs, là où il migre et  se reproduit une partie de l’année. C’est donc un nouveau type de coopérations internationales, loin des principes de concurrence ou de l’esprit des traités de libre échange qui est à l’ordre du jour pour assurer la sécurité humaine et celle de l’environnement.

Le raisonnement est le même à propos de  l’eau, de l’air ou des insectes.

La protection, l’amélioration, la restauration de la nature nous obligent à considérer d’abord sa haute « valeur d’usage », son statut de bien commun nécessitant de lui laisser ses capacités de reproduction à l’opposé de son exploitation renforcée ou une utilisation conduisant à l’affaiblir ou à la détruire.

On ne peut donc apporter de solutions convenables à ces défis en continuant de considérer la nature comme une variable d’ajustement de l’économie marchande capitaliste. Or, tel est le point faible de la conférence de Montréal. Il n’est encadré d’aucun calendrier précis, ni d’aucune contrainte à la demande des États et des grandes sociétés transnationales.

Ainsi des objectifs généraux, positifs, peuvent n’être que des mots dès lors qu’ils n’ont pas ou peu d’implications concrètes. Il en est d’ailleurs de même de notre charte nationale pour l’environnement qui prescrit de « concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement avec le développement économique et le progrès social».

En réalité, c’est toujours le primat des impératifs économiques de rentabilité capitaliste sur les enjeux écologiques. L’intérêt des grandes multinationales de la chimie est de vendre des pesticides et des insecticides, celui des chaînes de supermarché est de développer la pêche industrielle. La pression sur les prix agricoles à la production a éliminé les petits paysans et favorisé une agriculture industrielle. La destruction de la forêt amazonienne est pour une large part le résultat des traités de libre échange et de la mise en concurrence des paysanneries du monde entier.

Tous les États et l’Union européenne devraient à la suite de cette conférence délibérer et inscrire dans tous leurs textes un principe de non-régression écologique et social. À défaut, le texte de la conférence sera interprété pour obtenir le statut quo, alors qu’il y a urgence. Ainsi, si dans son esprit le texte demande en apparence la réduction des pesticides, les mots qui l’accompagnent sont plus vagues : « réduire le risque des pesticides et des produits hautement dangereux de 50% » ne veut pas dire réduire de moitié l’utilisation de ces produits chimiques destructeurs des insectes, des sols tout en étant néfaste pour la santé.

De même l’avancée que constitue la protection d’un tiers des aires terrestres, marines, côtières ne comporte aucune déclinaison pour aucun pays. Enfin il convient de lier plus et mieux, bouleversements climatiques, menaces sur la biodiversité, progrès social et appropriations sociales et citoyennes de grandes entreprises afin de pouvoir piloter la transformation écologique et sociale des modes de production et de distribution..

Elle ne sera possible que par une maîtrise citoyenne de la production par les travailleurs eux-mêmes. De même une nouvelle politique agricole et alimentaire ne se fera que si les paysans-travailleurs en lien avec les consommateurs en sont les maîtres. Autant de conditions pour « démarchandiser » la nature et de réussir l’indispensable bifurcation écologique et sociale. Les modifications climatiques sont facteurs de perte de biodiversité. En retour, protéger et restaurer la biodiversité est une solution pour contrer le réchauffement, car elle est un atout pour réduire l’émission de gaz à effet de serre.

Déjà une multitude d’associations, d’organisations d’intérêt public – dont il conviendrait de se rapprocher – militent en ce sens quand ils agissent pour les circuits courts, la défense de la pêche raisonnée et durable, la protection des zones humides essentielles à la préservation de la biodiversité, une gestion collective des forêts comme puit de carbone, contre l’artificialisation des sols, pour augmenter les moyens affectés à la recherche, pour la réorientation des aides publiques à l’agriculture vers des pratiques agro-écologiques.

Des modifications législatives et constitutionnelles vont aussi être indispensables pour faire valoir un principe de non-régression écologique et pour un contrôle des impacts sur la biodiversité de tout acte gouvernemental ou législatif. La survie de l’humanité est liée à celle des espèces végétales et animales trop négligées. Puissent les conclusions de cette conférence mondiale sur la biodiversité faire prendre conscience de la situation de notre commun monde et de ses biens communs dont la préservation est antinomique avec la loi de l’argent et appelle à s’engager sur les voies du post-capitalisme.

Patrick Le Hyaric

27 décembre 2022

 

FEMME DU JOUR : Marie Lajus



L’ancienne préfète d’Indre-et-Loire, relevée de ses fonctions sans ménagement le 7 décembre, a reçu lundi le soutien d’une cinquantaine d’élus, fonctionnaires et acteurs locaux à l’occasion d’une tribune parue dans le Monde. Mi-décembre, un article du Canard enchaîné avait révélé les dessous de ce limogeage par le ministère de l’Intérieur: la haute fonctionnaire s’était en effet attiré les foudres de plusieurs élus locaux en s’opposant à la construction d’un incubateur de start-up dans une zone boisée jouxtant un château du XVIe siècle, par conséquent non constructible. Furieux face à la rigueur de la préfète à faire respecter la loi climat et résilience de 2021, les élus auraient alors sollicité le ministre Gérald Darmanin pour obtenir la mutation de Marie Lajus, accusée par ailleurs de faire preuve de laxisme par rapport aux gens du voyage et de pousser trop fortement des projets d’implantation d’éoliennes sur le territoire. «Le mécontentement d’élus prêts à passer outre le respect de la loi aurait donc conduit, par des voies qui nous échappent, au débarquement sans préavis ni nouvelle affectation de la préfète Marie Lajus», s’indignent les signataires de la tribune publiée dans le Monde.

La sénatrice socialiste de Charente Nicole Bonnefoy avait déjà interpellé Gérald Darmanin par courrier mi-décembre pour «désavouer ce choix»«Par cette décision, vous démontrez la faiblesse de l’État quant à la protection de l’environnement. Vous démontrez que l’ardeur d’élus en faveur d’un projet de territoire, pourtant contraire à nos normes environnementales, peut faire vaciller la carrière d’un préfet de département intègre», s’offusquait la parlementaire. Une pétition de soutien a été lancée sur petitionenligne.fr

 

« Fourberies et bulldozer », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



«Les fourberies de Macron.» Ce pourrait être le résumé des huit premiers mois du second mandat du président de la République. Dautres, quitte à parodier Molière, préféreraient «Macron le Tartuffe» tant il a déjà passé par-dessus bord la plupart de ses engagements, y compris et surtout les plus solennels. Il y avait cette promesse de «nouvelle méthode». Compromis, négociation, respect des avis des oppositions, écoute des «partenaires sociaux», revalorisation du rôle des corps intermédiaires À larrivée, c’est le 49.3 qui tient lieu de débat politique.

Plus grave encore, ne devant son élection qu’au barrage anti-Le Pen, il l’a lui-même fait voler en éclats aux législatives en refusant de choisir entre les candidats estampillés Nupes et ceux du RN. Et en votant pour des candidats RN à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Une respectabilisation inédite de l’extrême droite. Cela afin de trouver les alliés dont il a besoin pour transformer le pays en paradis pour les grands patrons, les riches et les actionnaires. Travailler plus et plus longtemps, baisser les impôts des plus riches, affaiblir les systèmes de protection sociale, fragiliser un peu plus les plus faibles: voilà le projet. Cette France que tente de construire le pouvoir en place se heurtera-t-elle à l’obstacle des mobilisations sociales? La stratégie du bulldozer a permis à Macron de traverser les mobilisations de lautomne.

La baisse continue du pouvoir d’achat, qui conduit de plus en plus de personnes à arbitrer entre se chauffer ou manger, pourrait déboucher sur quelque chose d’inédit, de bouillonnant et d’imprévisible. L’année 2023 approche, et avec elle le 230eanniversaire de 1793. Alors, remettons à lordre du jour ces mots de Robespierre: «Législateurs, souvenez-vous que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français; noubliez pas que la source de lordre, cest la justice () et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat de l’égoïsme contre lintérêt général, de l’orgueil des puissants contre les droits et contre les besoins des faibles.»

 

« Soupe à la tomate », le billet de Maurice Ulrich.



Ils n’ont pas de pain… Qu’ils achètent des chevaux de course. Justement ils se vendent comme des petits pains. Le marché, nous dit la presse économique, a bondi en 2022 avec une progression de 24% à 3,5 milliards deuros. Et il y en a des chevaux. Lun des principaux acteurs du secteur en a vendu à lui seul plus de 4000, pour 225 millions deuros. Ça met en moyenne l’équidé à 50000 euros, mais à Deauville cet été le prix moyen était au-dessus de 200000 euros. On nous annonce aussi, dans la même veine, un millésime historique pour les ventes d’art aux enchères sur la place de Paris, avec une bonne nouvelle: 75% des collectionneurs milliardaires souhaitent continuer à acheter dans les mois à venir. À souligner chez Sothebys, du groupe de Patrick Drahi, un beau résultat pour une toile d’Andy Warhol, White Disaster, représentant dix-neuf fois la même image d’un accident de voiture. 85 millions de dollars. On finit par se demander si ça ne vaut pas une boîte de soupe Campbell à la tomate.

mardi 27 décembre 2022

« SOS Médecine ! », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



Les années passent et notre système de santé continue de s’effondrer. Alors que nous traversons une triple menace, celles d’une diffusion à haut niveau du coro­navirus, d’une épidémie de bronchiolite aiguë et de grippe, plusieurs collectifs appellent donc à la grève les médecins libéraux jusqu’au 2 janvier, dans le but, notamment, d’obtenir une revalorisation des tarifs de leurs consultations de 25 à 50 euros. On pensera ce qu’on voudra de ces motivations, mais ces fermetures de cabinets, en pleines fêtes, augmentent évidemment la pression sur les centres hospitaliers, déjà exsangues, et aggravent une situation proche de l’apoplexie. D’ores et déjà, les passages aux urgences sont en forte hausse, de 20 à 30% par rapport à la normale.

Tel un cruel révélateur, l’inquiétude des autorités face à cette nouvelle épreuve sanitaire en dit long sur l’ampleur du moment. Tandis que le ministre de la Santé, François Braun, parle d’ «un cap difficile à passer», l’urgentiste Patrick Pelloux évoque pour sa part une situation «jamais vue», même au plus fort de la crise du Covid. Et il avertit: «Nous ne sommes pas au bord de la saturation, nous sommes totalement saturés.» En vérité, partout sur le territoire, les conditions d’accès aux soins ne sont plus tenables et deviennent dangereuses pour les patients, plus ou moins mis en danger selon les circonstances.

On ne dira jamais assez la respon­sabilité des gouvernements successifs et le manque d’anticipation de l’actuel exécutif. Depuis mars 2020, date du premier confinement, non seulement rien n’a changé, mais tout paraît plus encore sombre et en voie de démembrement accéléré. Une affligeante constatation s’impose: pour les soignants, le «nouveau monde» ressemble furieusement à celui davant en pire! Soyons sérieux. Le problème vient-il de l’afflux de patients dans les services, ou du manque de places dans les hôpitaux? Noublions pas que 100000 lits ont été supprimés en vingt-cinq ans et que, aujourdhui en Île-de-France, environ 30% des lits restent désespérément fermés par manque de personnel. L’idée d’un pays «déclassé» ne vient pas de nulle part, quand bien même la protection de la santé figure dans notre Constitution. En sommes-nous toujours dignes?