Le gestionnaire du
Réseau de transport d’électricité (RTE) a remis son scénario « Futurs
énergétiques 2050 ». S’il ne tranche pas entre nucléaire et énergies
renouvelables, il mise sur une forte augmentation de la production électrique.
En préparation depuis deux ans, attendu de pied ferme alors que le
gouvernement envisage une relance du nucléaire, le scénario « Futurs
énergétiques 2050 » de RTE a été rendu public ce lundi 25 octobre. À
quelques jours de la COP26, le gestionnaire du Réseau de transport
d’électricité développe plusieurs scénarios de mix énergétique. S’appuyant sur
une part variable de nucléaire et d’énergies renouvelables, tous misent sur
l’essor de l’électricité. Tous permettent aussi d’atteindre la neutralité
carbone en 2050, condition sine qua non pour limiter le réchauffement
climatique. La sobriété énergétique reste la grande absente des perspectives
exposées. Explications.
1/ Consommation énergétique : on augmente ou on diminue ?
Aujourd’hui, pétrole, gaz et charbon, très émetteurs de CO2, comptent pour
environ 60 % de notre consommation énergétique. Atteindre la neutralité
carbone en 2050 implique de ne plus en utiliser du tout. Il faut donc trouver
moyen de les remplacer, et/ou de réduire notre consommation globale d’énergie.
Pour établir ses prospectives, RTE reprend l’objectif défini dans la
stratégie nationale bas carbone (SNBC) : réduire la consommation d’énergie
finale de 40 % d’ici trente ans. Celle-ci passerait de
1 600 térawattheures (TWh) actuellement à 930 TWh en 2050. Cette
baisse ne compense pas totalement la disparition des fossiles. La SNBC pose
donc l’hypothèse d’augmenter la production de gaz décarboné (grâce à des
systèmes de capture et de stockage du carbone, entre autres) et de production
de chaleur renouvelable (brûlage de déchets ou chaleur solaire, par exemple).
Elle envisage, surtout, de revoir à la hausse la part d’électricité dans le mix
énergétique. Celle-ci passerait de 25 % actuellement à 55 % en 2050,
soit de 430 TWh à 645 TWh dans trente ans. Dite de référence, cette
hypothèse prend pour acquis la continuité de la croissance économique et suppose
un bon niveau d’efficacité énergétique (le fait de consommer moins, à usage
équivalent). Elle n’implique aucun changement dans nos modes de vie.
Deux autres hypothèses existent dans le rapport exhaustif de RTE. Long de
plus de 600 pages, celui-ci n’était pas encore rendu public lundi après-midi.
L’une, dite de réindustrialisation, prévoit de relocaliser les productions
manufacturières fortement émettrices de CO2 à l’étranger : cela bénéficierait à
l’empreinte carbone globale de la France, mais aurait pour impact d’augmenter
la consommation d’électricité (+ 107 TWh par rapport au scénario de
référence). Une autre hypothèse, dite de sobriété, suppose à l’inverse une
baisse de la consommation électrique (– 90 TWH par rapport au scénario de
référence) rendue possible par une évolution des modes de vie (déplacement,
consommation, partage des ressources, télétravail…). Le hic, c’est que RTE ne
décortique aucun de ces deux scénarios dans la synthèse présentée ce lundi. Il
faudra, pour cela, attendre 2022 et une prochaine analyse. Or, de ces
équilibres dépend le mix électrique du futur. Le calendrier tombe d’autant plus
mal qu’Emmanuel Macron prévoit d’intervenir sur la relance du nucléaire avant
Noël.
2/ De l’électricité avec ou sans le nucléaire ?
Partant de cette hypothèse de référence, RTE développe six scénarios
possibles de mix. Trois excluent la construction de nouveaux réacteurs
nucléaires (les scénarios nommés M0, M1 et M23), dont un, le M0, vise le
100 % énergies renouvelables dès 2050. Trois autres scénarios (N1, N2 et
N03) envisagent la construction de nouveaux EPR. Le N03 prévoit que la part de
l’atome composera 50 % du mix électrique au milieu du siècle. Tous
impliquent une augmentation de la production d’électricité solaire et éolienne,
prévient RTE. Et tous se confrontent à de fortes incertitudes technologiques et
industrielles.
Les « scénarios M » impliquent de pouvoir développer un important parc
d’usines thermiques décarbonées, de batteries ou d’hydrogène vert, afin de
suppléer à la variabilité de leur production, dépendante du vent et du soleil,
et de stocker l’énergie.
Les « scénarios N » sont, eux, associés à des incertitudes quant à la
capacité de prolonger certains réacteurs jusqu’en 2060 (un impératif dans le
scénario M03). Idem concernant la mise en service d’un grand nombre de nouveaux
réacteurs entre 2035 et 2050. Or, le scénario N1 (26 % de nucléaire,
74 % d’EnR en 2050) prévoit le développement de 6 nouveaux EPR entre
2035 et 2045. Le scénario N2 (36 % de nucléaire, 63 % d’EnR en 2050),
prévoit d’en développer 14, essentiellement entre 2040 et 2050.
3/ Quels impacts sur l’environnement ?
La bonne nouvelle, c’est que tous les scénarios retenus par RTE débouchent
sur une réduction des émissions de CO2, permettant d’envisager d’atteindre la
neutralité carbone en 2050. Cela vaut pour les scénarios qui misent sur le
nucléaire autant que pour ceux qui envisagent d’en sortir. Et cela prend en
compte l’intégralité des cycles de production, assure le gestionnaire du
réseau. Le coût carbone induit par l’extraction de l’uranium au Kazakhstan est
intégré dans ce calcul tout autant que celui de la pale d’éolienne fabriquée en
Chine. Même dans un système décarboné comme l’est aujourd’hui le système
électrique français, insiste RTE, « il est intéressant de développer
fortement les énergies renouvelables ».
D’autres facteurs environnementaux sont pris en compte dans le rapport,
entre autres l’emprise au sol des systèmes d’énergies renouvelables. Un
scénario 100 % d’EnR en 2050 nécessiterait l’édification de 25 000 à
35 000 mâts d’éoliennes. C’est beaucoup plus que ce qui est envisagé par
l’association négaWatt (lire ci-contre). Cet écart peut s’expliquer par le fait
que celle-ci s’appuie sur une perspective de sobriété énergétique marquée.
RTE estime par ailleurs que les panneaux solaires couvriront entre
155 000 et 250 000 hectares, sans pour autant être synonyme
d’artificialisation des sols, puisque posés sur des toits ou des châssis. Le
nucléaire, quoi qu’il en soit, permet une moindre occupation spatiale. Il pose
en revanche des questions au regard des bouleversements climatiques à venir. Un
monde plus chaud de 1,5 °C (cela devrait se produire aux alentours de 2030,
indique le dernier rapport du Giec) promet une multiplication des sécheresses
et des vagues de chaleur. L’eau vive servant à leurs systèmes de
refroidissement, « les centrales situées en bord de fleuve seront
régulièrement affectées », prévient RTE, qui invite à « gérer
autrement le stock hydraulique », voire à envisager de construire de
potentiels nouveaux réacteurs en bord de mer.
4/ Et tout cela à quel coût ?
Là encore, RTE
prévient : quel que soit le scénario envisagé, les investissements devront être
massifs. De tous les scénarios, le moins coûteux reste celui du moitié EnR,
moitié nucléaire (N03), dont le coût est estimé à 59 milliards d’euros par
an. Le plus cher est le scénario M1 (13 % de nucléaire, 87 % d’EnR),
estimé à 80 milliards d’euros par an. Tout cela ne dit rien du prix qui
sera payé par les usagers en 2050, prévient le gestionnaire. Les factures
dépendent certes du coût de production, mais tout autant des fluctuations de
marché et des politiques publiques. Impossible de les prévoir trente ans à
l’avance.
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