Trois agents ont été suspendus, jeudi, et plusieurs
enquêtes ouvertes après la révélation par le site Loopsider du « tabassage » en
règle de Michel, un producteur de musique, samedi, à Paris.
« Les
violences policières, c’est un mensonge, ça n’existe pas », assurait,
en juin, le patron des députés LR, Christian Jacob. « Quand j’entends
le mot “violence policière”, moi, personnellement, je m’étouffe », avait
osé, en juillet, Gérald Darmanin, alors fraîchement nommé place Beauvau. Le
ministre de l’Intérieur s’est-il « étouffé » en regardant les images
accablantes, presque insoutenables, de l’interpellation violente qu’a subie un
producteur de musique, samedi, à Paris, et qui viennent d’être révélées par le
site Loopsider ? Gageons qu’il aura au moins toussé… avant de réclamer jeudi,
au préfet de police, « la suspension, à titre conservatoire, des
policiers concernés » par cette affaire. Quelques heures à peine après
le vote de la loi de sécurité globale et de son fameux article 24, ce
scandale vient, une nouvelle fois, souligner l’importance capitale des images
dans la dénonciation de certains comportements de la police, par ailleurs
souvent accompagnés de mensonges éhontés.
Que montrent ces images ? Nous sommes
samedi, un peu après 19 h 30, dans le très chic 17e arrondissement de la
capitale. Trois policiers en patrouille repèrent un homme sans masque qui
rentre dans un local situé au rez-de-chaussée de la rue des Renaudes, non loin
de la place des Ternes. Cet homme, c’est « Michel », producteur de musique chez
Black Gold Studios. Il va payer cher son oubli de masque… Car les
fonctionnaires s’engouffrent avec lui dans l’entrée de son local, sans
remarquer qu’une caméra de vidéosurveillance immortalise tous leurs faits et
gestes, et lui infligent un déferlement de coups presque ininterrompu pendant
de longues minutes. « Vingt minutes d’un tabassage en règle, d’une
violence inouïe », précise le journaliste David Perrotin, qui a
réalisé le sujet pour Loopsider.
La version policière vite contredite
Selon le procès-verbal rédigé par les
policiers et consulté par l’AFP, ceux-ci confirment qu’ils ont tenté
d’interpeller un homme pour défaut de port du masque. Jusqu’ici, tout va
bien. « Alors que nous tentons de l’intercepter, il nous entraîne de
force dans le bâtiment », écrivent-ils ensuite, avant d’assurer avoir
été frappés à plusieurs reprises. Dans une première version, ils auraient même
aussi accusé Michel d’avoir voulu prendre leur arme. Problème : les images
dévoilent une tout autre réalité. Les fonctionnaires ne sont pas du tout
« entraînés » dans le local, ils y pénètrent eux-mêmes de force ; et, par la
suite, Michel ne fait que tenter de parer la rafale de coups de poing, de pied
ou de matraque qui s’abat sur lui, sans même tenter de répliquer – un véritable
exploit en termes de self-control. « Je ne voulais pas avoir des gestes
virulents qui auraient pu jouer contre moi par la suite, j’étais conscient de
ça, a témoigné Michel après ses 48 heures de garde à vue. Je
me suis dit aussi : “Si je tombe par terre, je vais rester par terre et ne pas
me relever.” » Les policiers ne sont pas contentés de porter des
coups, ils ont aussi agoni d’injures leur victime du jour : « Sale
nègre », « Ta gueule », « On va te défoncer »…
« Sans ces images, mon client serait en prison »
Un déchaînement qui ne s’est pas
interrompu quand, appelés à l’aide par leur producteur, plusieurs jeunes
artistes qui se trouvaient dans le studio en sous-sol, ont rejoint le
rez-de-chaussée. Les policiers manœuvrent alors en repli, mais pas vraiment
pour calmer le jeu. Au contraire, ils ont appelé du renfort, comme en
témoignent d’autres vidéos prises depuis un balcon voisin. Après avoir tenté
d’enfoncer la porte d’entrée, les fonctionnaires brisent la vitrine du local à
coups de matraque, pour y projeter à l’intérieur une grenade lacrymogène, qui
enfume en quelques instants ce lieu exigu. Les images montrent aussi au moins
un policier braquant son pistolet vers les jeunes et leur producteur. Tous
seront finalement extraits des lieux et Michel placé en garde à vue, sous le
coup d’une enquête ouverte pour « violences sur personne dépositaire de
l’autorité publique » et « rébellion ». Enquête qui sera, chose rare, classée
sans suite par le parquet de Paris, après le visionnage des vidéos. Au
contraire, celui-ci a ouvert une nouvelle procédure pour « violences par
personnes dépositaires de l’autorité publique » et « faux en écriture
publique » contre les trois policiers.
Depuis, ces derniers ont bien été suspendus de leurs
fonctions et une enquête a été ouverte par l’IGPN, la police des polices. « Des
gens qui doivent me protéger m’agressent (…) je n’ai rien fait pour mériter
ça », a insisté Michel devant la presse, jeudi, au siège parisien de
l’IGPN, où il était auditionné. « Je veux juste que ces trois personnes
soient punies par la loi », a-t-il expliqué, après avoir fait
constater à l’hôpital ses blessures et une incapacité totale de travail (ITT)
de six jours. « Si nous n’avions pas les vidéos, mon client serait
peut-être actuellement en prison », a souligné son avocate,
Me Hafida El Ali. Dans une déclaration inhabituelle, le procureur de
Paris, Rémy Heitz, a réclamé que l’IGPN enquête « le plus rapidement
possible ». « C’est une affaire extrêmement importante à mes yeux
et que je suis personnellement depuis samedi », a-t-il assuré à l’AFP.
La Défenseure des droits a indiqué avoir elle aussi ouvert une enquête sur les
violences subies par Michel.
Un tollé (presque) général
Les images publiées par Loopsider ont
suscité des réactions cinglantes à gauche. « Ce n’est pas une police
républicaine (qu’on voit) mais une milice barbare hors de contrôle », a dénoncé
sur Twitter Jean-Luc Mélenchon (FI). « Les violences policières racistes sont
des réalités. Ces scènes, choquantes, scandaleuses, ne peuvent pas avoir lieu
dans une société démocratique »,
a
aussi regretté Fabien Roussel (PCF), en appelant à manifester samedi pour le
retrait de l’article 24. « L’État de droit n’est pas négociable », s’est
émue la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, « profondément choquée par cet acte
intolérable ». Le patron d’Europe-Ecologie-les Verts, Julien Bayou, a lui
rappelé que « sans les vidéos, rien ne serait sorti ». Côté majorité, le
chef de file des députés LaREM, Christophe Castaner, a demandé une « tolérance
zéro contre le racisme et contre cette violence ».
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