jeudi 26 novembre 2020

Une nouvelle vidéo insoutenable de violences policières souligne le rôle décisif des images



Alexandre Fache

Trois agents ont été suspendus, jeudi, et plusieurs enquêtes ouvertes après la révélation par le site Loopsider du « tabassage » en règle de Michel, un producteur de musique, samedi, à Paris.

« Les violences policières, c’est un mensonge, ça n’existe pas », assurait, en juin, le patron des députés LR, Christian Jacob. « Quand j’entends le mot “violence policière”, moi, personnellement, je m’étouffe », avait osé, en juillet, Gérald Darmanin, alors fraîchement nommé place Beauvau. Le ministre de l’Intérieur s’est-il « étouffé » en regardant les images accablantes, presque insoutenables, de l’interpellation violente qu’a subie un producteur de musique, samedi, à Paris, et qui viennent d’être révélées par le site Loopsider ? Gageons qu’il aura au moins toussé… avant de réclamer jeudi, au préfet de police, « la suspension, à titre conservatoire, des policiers concernés » par cette affaire. Quelques heures à peine après le vote de la loi de sécurité globale et de son fameux article 24, ce scandale vient, une nouvelle fois, souligner l’importance capitale des images dans la dénonciation de certains comportements de la police, par ailleurs souvent accompagnés de mensonges éhontés.

Que montrent ces images ? Nous sommes samedi, un peu après 19 h 30, dans le très chic 17e arrondissement de la capitale. Trois policiers en patrouille repèrent un homme sans masque qui rentre dans un local situé au rez-de-chaussée de la rue des Renaudes, non loin de la place des Ternes. Cet homme, c’est « Michel », producteur de musique chez Black Gold Studios. Il va payer cher son oubli de masque… Car les fonctionnaires s’engouffrent avec lui dans l’entrée de son local, sans remarquer qu’une caméra de vidéosurveillance immortalise tous leurs faits et gestes, et lui infligent un déferlement de coups presque ininterrompu pendant de longues minutes. « Vingt minutes d’un tabassage en règle, d’une violence inouïe », précise le journaliste David Perrotin, qui a réalisé le sujet pour Loopsider.

La version policière vite contredite

Selon le procès-verbal rédigé par les policiers et consulté par l’AFP, ceux-ci confirment qu’ils ont tenté d’interpeller un homme pour défaut de port du masque. Jusqu’ici, tout va bien. « Alors que nous tentons de l’intercepter, il nous entraîne de force dans le bâtiment », écrivent-ils ensuite, avant d’assurer avoir été frappés à plusieurs reprises. Dans une première version, ils auraient même aussi accusé Michel d’avoir voulu prendre leur arme. Problème : les images dévoilent une tout autre réalité. Les fonctionnaires ne sont pas du tout « entraînés » dans le local, ils y pénètrent eux-mêmes de force ; et, par la suite, Michel ne fait que tenter de parer la rafale de coups de poing, de pied ou de matraque qui s’abat sur lui, sans même tenter de répliquer – un véritable exploit en termes de self-control. « Je ne voulais pas avoir des gestes virulents qui auraient pu jouer contre moi par la suite, j’étais conscient de ça, a témoigné Michel après ses 48 heures de garde à vue. Je me suis dit aussi : “Si je tombe par terre, je vais rester par terre et ne pas me relever.” » Les policiers ne sont pas contentés de porter des coups, ils ont aussi agoni d’injures leur victime du jour : « Sale nègre », « Ta gueule », « On va te défoncer »

« Sans ces images, mon client serait en prison »

Un déchaînement qui ne s’est pas interrompu quand, appelés à l’aide par leur producteur, plusieurs jeunes artistes qui se trouvaient dans le studio en sous-sol, ont rejoint le rez-de-chaussée. Les policiers manœuvrent alors en repli, mais pas vraiment pour calmer le jeu. Au contraire, ils ont appelé du renfort, comme en témoignent d’autres vidéos prises depuis un balcon voisin. Après avoir tenté d’enfoncer la porte d’entrée, les fonctionnaires brisent la vitrine du local à coups de matraque, pour y projeter à l’intérieur une grenade lacrymogène, qui enfume en quelques instants ce lieu exigu. Les images montrent aussi au moins un policier braquant son pistolet vers les jeunes et leur producteur. Tous seront finalement extraits des lieux et Michel placé en garde à vue, sous le coup d’une enquête ouverte pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ». Enquête qui sera, chose rare, classée sans suite par le parquet de Paris, après le visionnage des vidéos. Au contraire, celui-ci a ouvert une nouvelle procédure pour « violences par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « faux en écriture publique » contre les trois policiers.

Depuis, ces derniers ont bien été suspendus de leurs fonctions et une enquête a été ouverte par l’IGPN, la police des polices. « Des gens qui doivent me protéger m’agressent (…) je n’ai rien fait pour mériter ça », a insisté Michel devant la presse, jeudi, au siège parisien de l’IGPN, où il était auditionné. « Je veux juste que ces trois personnes soient punies par la loi », a-t-il expliqué, après avoir fait constater à l’hôpital ses blessures et une incapacité totale de travail (ITT) de six jours. « Si nous n’avions pas les vidéos, mon client serait peut-être actuellement en prison », a souligné son avocate, Me Hafida El Ali. Dans une déclaration inhabituelle, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a réclamé que l’IGPN enquête « le plus rapidement possible »« C’est une affaire extrêmement importante à mes yeux et que je suis personnellement depuis samedi », a-t-il assuré à l’AFP. La Défenseure des droits a indiqué avoir elle aussi ouvert une enquête sur les violences subies par Michel.

Un tollé (presque) général

Les images publiées par Loopsider ont suscité des réactions cinglantes à gauche. « Ce n’est pas une police républicaine (qu’on voit) mais une milice barbare hors de contrôle », a dénoncé sur Twitter Jean-Luc Mélenchon (FI). « Les violences policières racistes sont des réalités. Ces scènes, choquantes, scandaleuses, ne peuvent pas avoir lieu dans une société démocratique »,

a aussi regretté Fabien Roussel (PCF), en appelant à manifester samedi pour le retrait de l’article 24. « L’État de droit n’est pas négociable », s’est émue la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, « profondément choquée par cet acte intolérable ». Le patron d’Europe-Ecologie-les Verts, Julien Bayou, a lui rappelé que « sans les vidéos, rien ne serait sorti ». Côté majorité, le chef de file des députés LaREM, Christophe Castaner, a demandé une « tolérance zéro contre le racisme et contre cette violence ».

 

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