vendredi 27 novembre 2020

« Théisme(s) », le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin



Engels et la question religieuse... 

Communisme. Puisque nous croyons à l’habitation historique, le besoin impérieux de puiser à la source forme toujours le vestibule de la chambre aux espoirs politiques brûlants. Ainsi, au hasard des relectures sommaires de quelques textes de Friedrich Engels, revint à la mémoire du bloc-noteur un article de 1843 sur les «Progrès de la réforme sociale sur le continent», dans lequel le jeune homme – il a tout juste 20 ans – voyait déjà le communisme comme «une conclusion nécessaire que l’on est bien obligé de tirer à partir des conditions générales de la civilisation moderne». Une sorte de communisme «logique», en somme. Rappelons que pour le jeune Marx, en revanche, ce communisme n’était encore qu’«une abstraction dogmatique», «une manifestation originale du principe de l’humanisme». Avant 1848 et la publication du Manifeste, ce communisme que l’on pourrait qualifier de «spectral», sans programme précis, hantait donc l’air du temps «sous les formes “mal dégrossies” de sectes égalitaires ou de rêveries icariennes», comme l’écrivait le regretté Daniel Bensaïd. Déjà, le dépassement de l’athéisme abstrait impliquait pourtant un nouveau matérialisme social qui n’était autre que le communisme. Pour le dire autrement, ce communisme, qui fut d’abord un état d’esprit ou un «communisme philosophique», trouvait sa forme politique de l’émancipation. Vous connaissez la citation: «De même que l’athéisme, en tant que négation de Dieu, est le développement de l’humanisme théorique, de même le communisme, en tant que négation de la propriété privée, est la revendication de la vie humaine véritable.»

Opium. Nous y voilà. Loin de tout anticléricalisme vulgaire, ce communisme était «le développement d’un humanisme pratique», pour lequel il ne s’agissait plus seulement de combattre l’aliénation religieuse, mais l’aliénation et la misère sociales réelles d’où naît le «besoin» de religion. Tout le monde a déjà lu au moins une fois dans sa vie ces célèbres phrases de Marx: «La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.» Et si la postérité n’a retenu que la dernière formule, «la religion est l’opium du peuple» (des mots pourtant prononcés avant lui par Moses Hess), le raccourci fut aisé de transformer cette pensée en mot d’ordre faisant de l’athéisme une religion d’État, «le dernier degré du théisme». Tout en rejetant la religion, Marx ne prend pas moins en compte son double caractère: ne nourrit-elle pas la détresse qu’elle exprime, et ses contradictions, précisément par les illusions multiples qu’elle diffuse? La religion ne serait-elle que le produit et le reflet déformé des conditions sociales de la vie des hommes?

 

Illusion. Qu’en pense Engels? Tout en restant matérialiste, athée et adversaire irréconciliable de la religion, il comprend, comme Marx, la dualité de nature de ce phénomène religieux: son rôle dans la légitimation de l’ordre établi (aussi bien que les circonstances sociales s’y prêtant) et son rôle critique, contestataire et même révolutionnaire. C’est évidemment ce dernier aspect qui se trouve au centre de la plupart de ses études concrètes. Engels s’est en effet longuement penché sur le christianisme primitif, religion des pauvres, exclus, damnés, persécutés et opprimés. Esclaves, affranchis privés de leurs droits et petits paysans accablés de dettes : tels étaient les premiers chrétiens. Originaires des derniers rangs de la société. Engels va même jusqu’à établir un parallèle entre ce christianisme primitif et le communisme des premiers temps. Les chrétiens primitifs repoussaient la délivrance à l’au-delà ; le communisme, lui, la place dans ce monde. Le but de la méthode? Si la réalité de la religion réside en dehors de la religion, dans le monde social, alors c’est la critique de ce monde qui supprimera l’illusion religieuse…

 

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