Engels et la question religieuse...
Communisme. Puisque nous
croyons à l’habitation historique, le besoin impérieux de puiser à la source
forme toujours le vestibule de la chambre aux espoirs politiques brûlants.
Ainsi, au hasard des relectures sommaires de quelques textes de Friedrich
Engels, revint à la mémoire du bloc-noteur un article de 1843 sur les «Progrès
de la réforme sociale sur le continent», dans lequel le jeune homme –
il a tout juste 20 ans – voyait déjà le communisme comme «une
conclusion nécessaire que l’on est bien obligé de tirer à partir des conditions
générales de la civilisation moderne». Une sorte de communisme
«logique», en somme. Rappelons que pour le jeune Marx, en revanche,
ce communisme n’était encore qu’«une abstraction dogmatique», «une
manifestation originale du principe de l’humanisme». Avant 1848 et la
publication du Manifeste, ce communisme que l’on pourrait qualifier
de «spectral», sans programme précis, hantait donc l’air du temps «sous
les formes “mal dégrossies” de sectes égalitaires ou de rêveries
icariennes», comme l’écrivait le regretté Daniel Bensaïd. Déjà, le
dépassement de l’athéisme abstrait impliquait pourtant un nouveau matérialisme
social qui n’était autre que le communisme. Pour le dire autrement, ce
communisme, qui fut d’abord un état d’esprit ou un «communisme philosophique»,
trouvait sa forme politique de l’émancipation. Vous connaissez la
citation: «De même que l’athéisme, en tant que négation de Dieu, est le
développement de l’humanisme théorique, de même le communisme, en tant que
négation de la propriété privée, est la revendication de la vie humaine
véritable.»
Opium. Nous y voilà. Loin
de tout anticléricalisme vulgaire, ce communisme était «le
développement d’un humanisme pratique», pour lequel il ne s’agissait
plus seulement de combattre l’aliénation religieuse, mais l’aliénation et la
misère sociales réelles d’où naît le «besoin» de religion.
Tout le monde a déjà lu au moins une fois dans sa vie ces célèbres phrases de
Marx: «La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la
misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le
soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état
de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple.» Et
si la postérité n’a retenu que la dernière formule, «la religion est
l’opium du peuple» (des mots pourtant prononcés avant lui par Moses
Hess), le raccourci fut aisé de transformer cette pensée en mot d’ordre faisant
de l’athéisme une religion d’État, «le dernier degré du théisme». Tout
en rejetant la religion, Marx ne prend pas moins en compte son double
caractère: ne nourrit-elle pas la détresse qu’elle exprime, et ses
contradictions, précisément par les illusions multiples qu’elle diffuse? La
religion ne serait-elle que le produit et le reflet déformé des conditions
sociales de la vie des hommes?
Illusion. Qu’en pense
Engels? Tout en restant matérialiste, athée et adversaire irréconciliable de la
religion, il comprend, comme Marx, la dualité de nature de ce phénomène
religieux: son rôle dans la légitimation de l’ordre établi (aussi bien que les
circonstances sociales s’y prêtant) et son rôle critique, contestataire et même
révolutionnaire. C’est évidemment ce dernier aspect qui se trouve au centre de
la plupart de ses études concrètes. Engels s’est en effet longuement penché sur
le christianisme primitif, religion des pauvres, exclus, damnés, persécutés et
opprimés. Esclaves, affranchis privés de leurs droits et petits paysans
accablés de dettes : tels étaient les premiers chrétiens. Originaires des
derniers rangs de la société. Engels va même jusqu’à établir un parallèle entre
ce christianisme primitif et le communisme des premiers temps. Les chrétiens
primitifs repoussaient la délivrance à l’au-delà ; le communisme, lui, la place
dans ce monde. Le but de la méthode? Si la réalité de la religion réside en
dehors de la religion, dans le monde social, alors c’est la critique de ce
monde qui supprimera l’illusion religieuse…
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