dimanche 29 novembre 2020

Loi « sécurité globale ». Le gouvernement s’embourbe en pleine crise politique



Aurélien Soucheyre

Le mauvais film de l’exécutif tourne au fiasco. Plus de 500 000 personnes ont défilé en France samedi, deux jours après la vidéo d’un passage à tabac de Michel Zecler par des policiers. L’heure est à l’abandon pur et simple de la loi interdisant de filmer la police.

En niant beaucoup trop longtemps les violences policières, et en voulant empêcher citoyens et journalistes de filmer la police, le gouvernement a provoqué une grave crise politique dans laquelle il ne cesse de s’enfoncer. Samedi, plus de 500 000 personnes ont défilé partout en France, dont 200 000 à Paris, pour dénoncer le nouveau projet liberticide de la Macronie. Une mobilisation spectaculaire, en pleine épidémie de Covid-19, qui montre que la prise de conscience contre la loi de « sécurité globale » ne cesse de s’élargir. Elle touche désormais des pans entiers de la société. Même les footballeurs de l’équipe de France, pourtant habitués à tourner sept fois leur langue dans leur bouche, interpellent désormais le gouvernement, à l’image d’Antoine Griezmann et de Kylian Mbappé. De très nombreuses personnalités montent au créneau, tout comme les directeurs et rédacteurs en chef de France Télévisions, TF1, M6 et BFMTV. « En exigeant une validation de nos reportages, les pouvoirs publics veulent s’octroyer un droit à la censure », s’alarment-ils dans une tribune collective (voir ci-contre).

Darmanin refuse de démettre Didier Lallement de ses fonctions

La vague d’indignation suscitée par le passage à tabac de Michel Zecler par des policiers est venue percuter de plein fouet l’argumentaire de l’exécutif. La vidéo dévoilée jeudi montre qu’il est plus que jamais nécessaire de pouvoir filmer la police, non pas pour lui nuire, mais pour lutter contre ses pires dérives et la remettre sur le droit chemin. Les images, insoutenables, mettent Emmanuel Macron et Gérald Darmanin face à leurs responsabilités, quelques jours à peine après le vote en première lecture de la loi « sécurité globale » à l’Assemblée nationale. Le président de la République a été obligé de réagir, vendredi, à l’occasion d’un message publié sur Facebook. Il y dénonce des images « inacceptables » qui « nous font honte ». La France « ne doit jamais se résoudre à la violence ou la brutalité », écrit celui qui maintient pourtant coûte que coûte Didier Lallement en poste. Le préfet de police de Paris, spécialiste de la répression des gilets jaunes, mais aussi de la moindre manifestation, qu’il s’agisse de réfugiés sans abri, de militants écologistes ou de soignants pacifistes, a même tenté de faire interdire le défilé de samedi, avant d’être contredit par le tribunal administratif de Paris.

Gérald Darmanin a également été contraint de s’expliquer. Qu’il semble loin le temps où le ministre de l’Intérieur plastronnait : « Quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe. » C’était en juillet dernier. Jeudi soir, sur le plateau de France 2, il a affirmé avoir demandé la suspension des agents qui ont frappé Michel Zecler. « Dès que les faits seront établis par la justice, je demanderai la révocation de ces policiers », a-t-il annoncé, avant d’ajouter : « Lorsqu’il y a des gens qui déconnent, ils doivent quitter l’uniforme. » Mais il a répondu par la négative, quand la présentatrice Anne-Sophie Lapix lui a demandé s’il avait lui-même « pensé à démissionner » et à démettre Didier Lallement de ses fonctions. Une question formulée en direct, qui montre bien à quel point le maintien du ministre interroge désormais l’opinion publique.

Le premier ministre Jean Castex a bien essayé de déminer cette situation politique de plus en plus compromettante pour l’exécutif. Il a directement mis l’article 24 dans la balance, celui-là même, voulu par Gérald Darmanin, qui prévoit de dissuader citoyens et journalistes de filmer la police, s’attaquant ainsi à la liberté d’expression et à celle d’informer. Sauf que l’hôte de Matignon l’a fait en demandant la création d’une « commission indépendante » chargée de « réécrire » cet article.

« La commission des Lois du Sénat va clarifier le texte »

Cette annonce a provoqué une secousse institutionnelle, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat fustigeant la méthode. « Confier à un organe extérieur une telle mission constituerait une atteinte aux missions du Parlement, qui seul écrit et vote la loi », a réagi Richard Ferrand. « La commission des Lois du Sénat va clarifier le texte. C’est à elle d’y travailler désormais », a fait valoir Gérard Larcher.

Jean Castex a immédiatement rétropédalé. La commission « pourra formuler des propositions », a-t-il rectifié. Le premier ministre cherchait ici une porte de sortie. C’est d’ailleurs le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Jean-Marie Burguburu, hostile à l’article 24 et à l’ensemble du projet de loi, qui devrait prendre la tête de cette commission indépendante. Mais, plutôt que d’attendre ses conclusions, ou une réécriture au Sénat attendue en janvier, il existe d’ores et déjà une solution, la meilleure d’entre toutes : abandonner dès à présent l’intégralité du projet de loi, en le jetant aux oubliettes. « Il y a plus d’honneur à retirer un texte quand il heurte les consciences et divise la société qu’à le maintenir, pour un gouvernement ou un président de la République, quand le risque est de créer de l’incompréhension et des violences », a ainsi appelé l’ancien président de la République, qui en sait quelque chose, lui qui s’est tant abîmé dans l’irrationnel et dangereux projet de loi sur la déchéance de nationalité.

L’Élysée a demandé des « propositions » au gouvernement

Des ténors de la majorité ne disent pas autre chose, preuve que le front contre la loi est désormais, grand ouvert. « Quand une mesure suscite autant de résistance, il est parfois préférable d’y renoncer plutôt que de s’obstiner. L’article 24 ne doit pas devenir notre CPE ou notre déchéance de nationalité ! », Insiste le député LaREM et vice-président de l’Assemblée Hugues Renson. Reste à savoir si Emmanuel Macron empruntera ce chemin ou s’il se montrera intransigeant, au risque de voir monter la contestation et d’abîmer toujours plus la République, la démocratie et l’État de droit, comme il s’y attelle depuis son élection malgré de fortes résistances : lors du mouvement des gilets jaunes, celui contre la réforme des retraites et aujourd’hui face à la loi « sécurité globale ».

Devant l’ampleur du problème et l’émotion nationale, l’Élysée a certes demandé des « propositions » au gouvernement. Selon le JDD, Matignon songerait à une réforme de l’IGPN, la police des polices. Un premier pas intéressant, s’il se concrétisait, à ajouter à l’abandon de ce projet de loi qui inquiète tant le pays.

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