lundi 30 novembre 2020

« Sécurité globale ». La Macronie manœuvre en recul mais ne retire pas sa loi.


Aurélien Soucheyre

Julia Hamlaoui

Convoqués à l’Élysée, les présidents de groupes parlementaires de la majorité ont annoncé lundi à la presse une « réécriture » de l’article 24. Mais aucune garantie de retrait des pires dispositions n’a été apportée.

Branle-bas de combat en Macronie ce lundi. Après les mobilisations qui ont réuni samedi près de 500 000 personnes pour la liberté d’expression et contre les violences policières à l’initiative de la coordination contre la loi de « sécurité globale », la majorité, acculée, a tenté le coup de communication pour calmer la contestation. « Ni un retrait, ni une suspension », selon la majorité, le très décrié article 24 fera l’objet d’une simple « réécriture » . Le président du groupe LaREM, Christophe Castaner, a annoncé que seule la disposition sur la diffusion de vidéos de policiers sera modifiée, au sein de la proposition de loi adoptée la semaine dernière par l’Assemblée nationale. L’ancien ministre de l’Intérieur n’a d’ailleurs prononcé aucun mea culpa sur le fond, se contentant de regretter une « incompréhension ». Les journalistes, leurs syndicats, les associations de défense des droits de l’homme comme tous les citoyens qui sont descendus dans la rue ce week-end malgré le contexte sanitaire auraient, tout simplement, mal interprété les intentions des promoteurs du texte. « En aucun cas nous ne voulons interdire à qui que ce soit de filmer des forces de l’ordre en intervention », « interdire la diffusion de ces images sur les réseaux sociaux », « contraindre les journalistes et citoyens à flouter les visages », ou « demander aux journalistes de s’accréditer dans une manifestation », a ainsi plaidé le député LaREM, prenant à revers de nombreuses déclarations de son successeur place Beauvau, Gérald Darmanin.

Dès la matinée, Emmanuel Macron avait fait savoir qu’il prenait la main pour revoir la copie, en réunissant à l’Élysée son premier ministre, Jean Castex, les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de la Justice, Éric Dupond-Moretti, ainsi que les chefs de file des députés de la majorité. « En tant que président de la République, je suis garant de cet alliage entre liberté et ordre, et je ne veux pas passer d’un côté ou de l’autre », aurait-il déclaré, selon le Figaro. Une fuite sur le contenu de la rencontre visant à faire connaître la réplique du chef de l’État aux critiques sur l’autoritarisme du pouvoir… « L’illibéralisme, ce n’est pas notre identité », aurait-il encore lancé, reprochant aux participants de l’avoir mis dans une situation qui « aurait pu être évitée ».

Sur le fond comme sur la forme, rien n’est clair

C’est dans la foulée de ce rendez-vous que les trois présidents de groupes parlementaires macronistes ont annoncé une conférence de presse de dernière minute en compagnie des rapporteurs du texte mis en cause, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. La première tentative pour trouver une issue de secours, imaginée jeudi dernier à Matignon, n’a pas eu, il est vrai, le succès escompté avec une levée de boucliers contre le principe d’une « commission indépendante » passant par-dessus le Parlement pour réécrire l’article 24 sur la diffusion de vidéos de policiers.

« Dès cet après-midi, nous nous mettrons au travail pour proposer une nouvelle écriture complète » de celui-ci, a annoncé devant la presse Christophe Castaner. Mais, sur le fond comme sur la forme, rien n’est clair. « Il appartiendra au gouvernement de savoir quel est le meilleur véhicule législatif », ajoute le député, qui n’a détaillé ni le « calendrier » ni le « cheminement parlementaire » qui sera choisi. Mais Alice Thourot a précisé que la « réécriture » allait se faire conjointement entre les trois groupes de la majorité et Matignon, preuve que le gouvernement n’entend lâcher aucune bride. Les violons sont pourtant loin d’être accordés : la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, a estimé que l’heure était à « l’examen et au vote du texte au Sénat », en janvier, après quoi se posera la question d’une commission mixte paritaire, moment où la majorité « pourra présenter » sa version réécrite. Mais Olivier Becht, président du groupe Agir, a de suite ajouté que « rien n’interdit d’insérer une nouvelle rédaction dans un nouveau véhicule législatif ». À n’y plus rien comprendre, en somme, rien n’étant encore décidé. D’autant que l’on se demande bien ce que la Macronie veut changer dans le texte, puisqu’elle n’a toujours pas compris ce qui n’allait pas dedans.

Christophe Castaner l’a d’ailleurs défendu d’emblée dans son ensemble, vantant un nouveau « continuum de sécurité », qui s’avère pourtant très dangereux en transférant des missions de police au privé et en généralisant l’usage des drones de surveillance. Quant à l’article 24, il a estimé qu’il n’avait pas été « unanimement compris ». Face à ce manque de discernement des citoyens, il propose donc une réécriture. « Il faut savoir reconnaître ses torts », fait mine d’abonder Patrick Mignola, pour qui « cette loi est bonne » et doit être « votée dans une version qui ne puisse souffrir la moindre contestation ». Il s’agirait à les entendre de « lever les doutes ». Mais comment y croire, dès lors que Christophe Castaner affirme que « l’article 24 n’aurait nullement impacté la diffusion des images montrant Michel Zecler » en train de se faire agresser par des policiers ?

Les opposants au texte n’entendent pas en rester là

Certes, Gérald Darmanin, qui a défendu le « statu quo » devant le président de la République, n’a pas obtenu gain de cause face aux députés de la majorité. Mais ceux qui parmi eux plaidaient pour le retrait de l’article non plus. En revanche, quelques heures plus tôt, le ministre chargé des relations avec le Parlement préparait déjà le terrain pour une ultime solution de repli. Interrogé par France Inter sur l’article 25 de la loi « confortant les principes républicains » (anciennement de « lutte contre les séparatismes »), qui reprend quasiment dans les mêmes termes l’article 24 de la loi de « sécurité globale », Marc Fesneau a admis que «  c’est peut-être une des voies », car « au fond c’est le même but à atteindre »« L’article 24 touche à la loi de 1881 et l’article 25 au Code pénal », a-t-il précisé, omettant de mentionner que son collègue Éric Dupond-Moretti avait d’abord pensé modifier la loi sur la liberté de la presse, avant de rétropédaler.

Les opposants au texte n’ont pas tardé à réagir. « C’est un premier recul », a apprécié le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, avant d’exiger « le retrait de cet article et de toute la loi de sécurité globale pour pouvoir restaurer une police publique, nationale et démocratique aux services des citoyen·nes ». Le chef de file des députés FI, Jean-Luc Mélenchon, a aussitôt proposé une « réécriture efficace de l’article 24 : “la loi sécurité globale est abrogée” », estimant qu’il « faut stopper la dérive autoritaire dans tous ses aspects » et mettre fin aux « atermoiements »« La séquence d’aujourd’hui démontre que notre combat est le bon, et qu’il faut poursuivre sur cette voie », mesure également Emmanuel Vire, membre de la coordination contre la loi. Mais le secrétaire général du SNJ-CGT affirme que « nous ne pouvons pas nous arrêter là. Car le mandat de la coordination est clair : c’est le retrait des articles 21, 22 et 24 », en plus de « la réécriture du schéma national du maintien de l’ordre ». Le coup de bluff de la Macronie est donc loin d’avoir pris.

La commission de la carte des journalistes dénonce les violences et les lois « votées ou en préparation »

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a dénoncé lundi les « atteintes au droit à l’information, inacceptables dans notre démocratie ». Elle a tenu « à exprimer son indignation » face à des cas de journalistes « pris à partie ou agressés par des agents des forces de l’ordre », citant ceux de « Brut et de France 3 à Paris, de Médiabask à Bayonne » ou encore le « dernier fait en date, un photojournaliste collaborateur de l’AFP et Polka Magazine ». La Commission s’émeut également « des textes de loi votés ou en préparation et du risque qu’ils font peser sur la liberté de la presse ».

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire