Convoqués à l’Élysée, les présidents de groupes
parlementaires de la majorité ont annoncé lundi à la presse une « réécriture »
de l’article 24. Mais aucune garantie de retrait des pires dispositions
n’a été apportée.
Branle-bas de combat en Macronie ce lundi.
Après les mobilisations qui ont réuni samedi près de 500 000 personnes
pour la liberté d’expression et contre les violences policières à l’initiative
de la coordination contre la loi de « sécurité globale », la majorité, acculée,
a tenté le coup de communication pour calmer la contestation. « Ni un retrait,
ni une suspension », selon la majorité, le très décrié article 24 fera
l’objet d’une simple « réécriture » . Le président du groupe LaREM, Christophe
Castaner, a annoncé que seule la disposition sur la diffusion de vidéos de
policiers sera modifiée, au sein de la proposition de loi adoptée la semaine
dernière par l’Assemblée nationale. L’ancien ministre de l’Intérieur n’a
d’ailleurs prononcé aucun mea culpa sur le fond, se contentant de regretter une « incompréhension ».
Les journalistes, leurs syndicats, les associations de défense des droits de
l’homme comme tous les citoyens qui sont descendus dans la rue ce week-end
malgré le contexte sanitaire auraient, tout simplement, mal interprété les
intentions des promoteurs du texte. « En aucun cas nous ne voulons
interdire à qui que ce soit de filmer des forces de l’ordre en intervention »,
« interdire la diffusion de ces images sur les réseaux sociaux », « contraindre
les journalistes et citoyens à flouter les visages », ou « demander
aux journalistes de s’accréditer dans une manifestation », a ainsi
plaidé le député LaREM, prenant à revers de nombreuses déclarations de son
successeur place Beauvau, Gérald Darmanin.
Dès la matinée, Emmanuel Macron avait fait
savoir qu’il prenait la main pour revoir la copie, en réunissant à l’Élysée son
premier ministre, Jean Castex, les ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin,
et de la Justice, Éric Dupond-Moretti, ainsi que les chefs de file des députés
de la majorité. « En tant que président de la République, je suis
garant de cet alliage entre liberté et ordre, et je ne veux pas passer d’un
côté ou de l’autre », aurait-il déclaré, selon le Figaro.
Une fuite sur le contenu de la rencontre visant à faire connaître la réplique
du chef de l’État aux critiques sur l’autoritarisme du pouvoir… « L’illibéralisme,
ce n’est pas notre identité », aurait-il encore lancé, reprochant aux
participants de l’avoir mis dans une situation qui « aurait pu être
évitée ».
Sur le fond comme sur la forme, rien n’est clair
C’est dans la foulée de ce rendez-vous que
les trois présidents de groupes parlementaires macronistes ont annoncé une
conférence de presse de dernière minute en compagnie des rapporteurs du texte
mis en cause, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. La première tentative
pour trouver une issue de secours, imaginée jeudi dernier à Matignon, n’a pas
eu, il est vrai, le succès escompté avec une levée de boucliers contre le
principe d’une « commission indépendante » passant par-dessus le Parlement pour
réécrire l’article 24 sur la diffusion de vidéos de policiers.
« Dès cet après-midi, nous nous mettrons
au travail pour proposer une nouvelle écriture complète » de celui-ci, a annoncé devant la presse
Christophe Castaner. Mais, sur le fond comme sur la forme, rien n’est
clair. « Il appartiendra au gouvernement de savoir quel est le meilleur
véhicule législatif », ajoute le député, qui n’a détaillé ni le
« calendrier » ni le « cheminement parlementaire » qui sera choisi. Mais Alice
Thourot a précisé que la « réécriture » allait se faire conjointement entre les
trois groupes de la majorité et Matignon, preuve que le gouvernement n’entend
lâcher aucune bride. Les violons sont pourtant loin d’être accordés : la
présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, a estimé que l’heure
était à « l’examen et au vote du texte au Sénat », en janvier,
après quoi se posera la question d’une commission mixte paritaire, moment où la
majorité « pourra présenter » sa version réécrite. Mais
Olivier Becht, président du groupe Agir, a de suite ajouté que « rien
n’interdit d’insérer une nouvelle rédaction dans un nouveau véhicule
législatif ». À n’y plus rien comprendre, en somme, rien n’étant encore
décidé. D’autant que l’on se demande bien ce que la Macronie veut changer dans
le texte, puisqu’elle n’a toujours pas compris ce qui n’allait pas dedans.
Christophe Castaner l’a d’ailleurs défendu
d’emblée dans son ensemble, vantant un nouveau « continuum de
sécurité », qui s’avère pourtant très dangereux en transférant des
missions de police au privé et en généralisant l’usage des drones de
surveillance. Quant à l’article 24, il a estimé qu’il n’avait pas
été « unanimement compris ». Face à ce manque de discernement des
citoyens, il propose donc une réécriture. « Il faut savoir reconnaître
ses torts », fait mine d’abonder Patrick Mignola, pour qui « cette
loi est bonne » et doit être « votée dans une version qui ne
puisse souffrir la moindre contestation ». Il s’agirait à les entendre
de « lever les doutes ». Mais comment y croire, dès lors que
Christophe Castaner affirme que « l’article 24 n’aurait nullement
impacté la diffusion des images montrant Michel Zecler » en train de
se faire agresser par des policiers ?
Les opposants au texte n’entendent pas en rester là
Certes, Gérald Darmanin, qui a défendu le
« statu quo » devant le président de la République, n’a pas obtenu gain de
cause face aux députés de la majorité. Mais ceux qui parmi eux plaidaient pour
le retrait de l’article non plus. En revanche, quelques heures plus tôt, le
ministre chargé des relations avec le Parlement préparait déjà le terrain pour
une ultime solution de repli. Interrogé par France Inter sur l’article 25
de la loi « confortant les principes républicains » (anciennement de « lutte
contre les séparatismes »), qui reprend quasiment dans les mêmes termes
l’article 24 de la loi de « sécurité globale », Marc Fesneau a admis
que « c’est peut-être une des voies », car « au
fond c’est le même but à atteindre ». « L’article 24 touche à
la loi de 1881 et l’article 25 au Code pénal », a-t-il précisé,
omettant de mentionner que son collègue Éric Dupond-Moretti avait d’abord pensé
modifier la loi sur la liberté de la presse, avant de rétropédaler.
Les opposants au texte n’ont pas tardé à réagir. « C’est
un premier recul », a apprécié le secrétaire national du PCF, Fabien
Roussel, avant d’exiger « le retrait de cet article et de toute la loi
de sécurité globale pour pouvoir restaurer une police publique, nationale et
démocratique aux services des citoyen·nes ». Le chef de file des
députés FI, Jean-Luc Mélenchon, a aussitôt proposé une « réécriture
efficace de l’article 24 : “la loi sécurité globale est abrogée” », estimant
qu’il « faut stopper la dérive autoritaire dans tous ses aspects » et
mettre fin aux « atermoiements ». « La séquence
d’aujourd’hui démontre que notre combat est le bon, et qu’il faut poursuivre
sur cette voie », mesure également Emmanuel Vire, membre de la
coordination contre la loi. Mais le secrétaire général du SNJ-CGT affirme que « nous
ne pouvons pas nous arrêter là. Car le mandat de la coordination est clair :
c’est le retrait des articles 21, 22 et 24 », en plus
de « la réécriture du schéma national du maintien de l’ordre ». Le
coup de bluff de la Macronie est donc loin d’avoir pris.
La commission de la carte des journalistes dénonce les violences et les
lois « votées ou en préparation »
La
Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a dénoncé
lundi les « atteintes au droit à l’information, inacceptables dans notre
démocratie ». Elle a tenu « à exprimer son indignation » face à des cas de
journalistes « pris à partie ou agressés par des agents des forces de
l’ordre », citant ceux de « Brut et de France 3 à Paris, de Médiabask
à Bayonne » ou encore le « dernier fait en date, un photojournaliste
collaborateur de l’AFP et Polka Magazine ». La Commission s’émeut également
« des textes de loi votés ou en préparation et du risque qu’ils font peser sur
la liberté de la presse ».
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