Les forêts font face à une sécheresse
exceptionnelle. L’enjeu est écologique et économique. Comment assurer leur
résilience ? Entretien avec Sylvain Telzon, biologiste écologue à l’Inrae de
Bordeaux, spécialiste de l’adaptation des forêts au changement climatique
Vous estimez que nos forêts sont « en mode survie » ? Pouvez-vous
expliquer ?
Sylvain Telzon : La France connaît cette année une sécheresse exceptionnelle, avec en
juillet la pluviométrie la plus basse depuis 1959. La sécheresse a plus
d’impact sur les forêts que les canicules. Cette année, il n’y a pas de commune
mesure, on observe de la mortalité d’arbres.
En réaction, les arbres ferment complètement leurs stomates, les pores qui
se trouvent sur les feuilles, pour limiter les pertes d’eau. Ils ne
fonctionnent plus. Il n’y a plus de CO2 qui entre pour faire la photosynthèse,
plus de croissance, plus de formation de bois. C’est le mode survie. La plante
arrête de transpirer.
C’est une façon, pour elle, de se défendre ?
Sylvain Telzon : Oui, c’est la réponse de la plante. Cela marche bien quand la
sécheresse dure une à trois semaines. Mais pas quand elle dure un mois et demi
comme cette année. Dans ce cas, il y a d’autres phénomènes qui ont des impacts
sur la survie de la plante. Les feuilles se mettent à griller, les branches se
dessèchent, puis les couronnes d’arbres, voire l’arbre entier. On se trouve à
ce moment-là dans la seconde étape du processus. La 3e étape est ce qu’on appelle
l’embolie gazeuse, un effet de la cavitation, c’est-à-dire une entrée d’air
dans le circuit de circulation d’eau des arbres qui entraîne la rupture de ce
circuit. Il s’ensuit un dessèchement entier des organes, voire de la plante.
Cette année, nous avons clairement atteint les trois étapes. Nous n’avions rien
connu de tel depuis 1976. Dans un contexte de réchauffement climatique, cela
devient un sujet de préoccupation majeur.
Où a-t-on constaté des cas de mortalité d’arbres ?
Sylvain Telzon : L’ONF a signalé une mortalité de chênes et de hêtres dans le sud-ouest,
dans le centre de la France, notamment dans la forêt de Tronçais (Allier). Mais
nous n’avons pas encore assez de recul pour un bilan.
L’impact le plus important, mais invisible du dépérissement est l’émission
de carbone. Un arbre qui meurt, c’est 50 % du carbone qui se dégradera
dans l’atmosphère. En l’absence de photosynthèse, l’arbre stockera moins de
carbone ou plus du tout. La forêt, puits de carbone, peut devenir source de
carbone.
Que faut-il faire – et ne pas faire – pour des forêts plus résilientes au
changement climatique ?
Sylvain Telzon : Dans le cas des forêts, pour celles, de plantation, comme les pins
maritimes, il faut planter des individus, ou génotypes dans notre jargon, qui seront
plus résistants. Pour la forêt naturelle, on préconise aux gestionnaires
d’augmenter la diversité génétique. Par exemple, apporter des graines du sud de
la France, mieux adaptées au stress hydrique, les mélanger et les replanter
dans la forêt de Tronçais, ou ramener des populations qui viennent d’un peu
partout en Europe. Plus il y a de diversité génétique et plus il y a de
résistance.
La forêt française présente-t-elle suffisamment de diversité ?
Sylvain Telzon : Nous avons une forte diversité en France dans les forêts naturelles.
C’est le cas des chênaies, notamment. Nous sommes plutôt bien adaptés à
condition, comme nous le recommandons, de faire primer la résistance au
réchauffement climatique sur des critères de production. Adapter la forêt au changement
climatique est un travail de longue haleine. C’est un enjeu économique et
écologique.
Y-a-t-il d’autres raisons d’être inquiet pour nos forêts ?
Sylvain Telzon : Pour le moment, il
y a lieu de s’inquiéter pour ceux qui vivent de la forêt et de la production de
bois. Il y a aura un impact certain sur la filière bois. Elle emploie 225 000
personnes en Nouvelle-Aquitaine. Or, l’arbre, c’est du long terme, car ceux que
l’on plante aujourd’hui, ce seront des forêts dans 150 ou 250 ans. Mais on
investit peu dans la recherche sur l’arbre, la sylviculture ne rapporte pas
beaucoup. Et pourtant, l’arbre est sans aucun doute notre meilleur ami pour le
futur, en particulier dans les villes.
Entretien réalisé par Latifa Madani
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