mercredi 26 août 2020

UNE ANNÉE DE SOUFFRANCE POUR NOS FORÊTS




Les forêts font face à une sécheresse exceptionnelle. L’enjeu est écologique et économique. Comment assurer leur résilience ? Entretien avec Sylvain Telzon, biologiste écologue à l’Inrae de Bordeaux, spécialiste de l’adaptation des forêts au changement climatique

Vous estimez que nos forêts sont « en mode survie » ? Pouvez-vous expliquer ?
Sylvain Telzon : La France connaît cette année une sécheresse exceptionnelle, avec en juillet la pluviométrie la plus basse depuis 1959. La sécheresse a plus d’impact sur les forêts que les canicules. Cette année, il n’y a pas de commune mesure, on observe de la mortalité d’arbres.
En réaction, les arbres ferment complètement leurs stomates, les pores qui se trouvent sur les feuilles, pour limiter les pertes d’eau. Ils ne fonctionnent plus. Il n’y a plus de CO2 qui entre pour faire la photosynthèse, plus de croissance, plus de formation de bois. C’est le mode survie. La plante arrête de transpirer.

C’est une façon, pour elle, de se défendre ?
Sylvain Telzon : Oui, c’est la réponse de la plante. Cela marche bien quand la sécheresse dure une à trois semaines. Mais pas quand elle dure un mois et demi comme cette année. Dans ce cas, il y a d’autres phénomènes qui ont des impacts sur la survie de la plante. Les feuilles se mettent à griller, les branches se dessèchent, puis les couronnes d’arbres, voire l’arbre entier. On se trouve à ce moment-là dans la seconde étape du processus. La 3e étape est ce qu’on appelle l’embolie gazeuse, un effet de la cavitation, c’est-à-dire une entrée d’air dans le circuit de circulation d’eau des arbres qui entraîne la rupture de ce circuit. Il s’ensuit un dessèchement entier des organes, voire de la plante. Cette année, nous avons clairement atteint les trois étapes. Nous n’avions rien connu de tel depuis 1976. Dans un contexte de réchauffement climatique, cela devient un sujet de préoccupation majeur.

Où a-t-on constaté des cas de mortalité d’arbres ?
Sylvain Telzon : L’ONF a signalé une mortalité de chênes et de hêtres dans le sud-ouest, dans le centre de la France, notamment dans la forêt de Tronçais (Allier). Mais nous n’avons pas encore assez de recul pour un bilan.
L’impact le plus important, mais invisible du dépérissement est l’émission de carbone. Un arbre qui meurt, c’est 50 % du carbone qui se dégradera dans l’atmosphère. En l’absence de photosynthèse, l’arbre stockera moins de carbone ou plus du tout. La forêt, puits de carbone, peut devenir source de carbone.

Que faut-il faire – et ne pas faire – pour des forêts plus résilientes au changement climatique ?
Sylvain Telzon : Dans le cas des forêts, pour celles, de plantation, comme les pins maritimes, il faut planter des individus, ou génotypes dans notre jargon, qui seront plus résistants. Pour la forêt naturelle, on préconise aux gestionnaires d’augmenter la diversité génétique. Par exemple, apporter des graines du sud de la France, mieux adaptées au stress hydrique, les mélanger et les replanter dans la forêt de Tronçais, ou ramener des populations qui viennent d’un peu partout en Europe. Plus il y a de diversité génétique et plus il y a de résistance.

La forêt française présente-t-elle suffisamment de diversité ?
Sylvain Telzon : Nous avons une forte diversité en France dans les forêts naturelles. C’est le cas des chênaies, notamment. Nous sommes plutôt bien adaptés à condition, comme nous le recommandons, de faire primer la résistance au réchauffement climatique sur des critères de production. Adapter la forêt au changement climatique est un travail de longue haleine. C’est un enjeu économique et écologique.

Y-a-t-il d’autres raisons d’être inquiet pour nos forêts ?
Sylvain Telzon : Pour le moment, il y a lieu de s’inquiéter pour ceux qui vivent de la forêt et de la production de bois. Il y a aura un impact certain sur la filière bois. Elle emploie 225 000 personnes en Nouvelle-Aquitaine. Or, l’arbre, c’est du long terme, car ceux que l’on plante aujourd’hui, ce seront des forêts dans 150 ou 250 ans. Mais on investit peu dans la recherche sur l’arbre, la sylviculture ne rapporte pas beaucoup. Et pourtant, l’arbre est sans aucun doute notre meilleur ami pour le futur, en particulier dans les villes.

Entretien réalisé par Latifa Madani


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