Grande perte pour le
monde de la musique et pour le dialogue entre les cultures. Le guitariste et
chanteur guadeloupéen, Jacob Desvarieux, a été emporté par le Covid à
l’âge de 65 ans.
« Le zouk est la musique du futur » disait Miles Davis en 1989. Il ne
s’était pas trompé. Cela faisait déjà dix ans que ce phénomène musical
enflammait scènes et discothèques. Jacob Desvarieux en était
l’un des fondateurs et l’ambassadeur emblématique. En 1979, dès sa
création, le groupe Kassav cartonne avec son premier album Love and ka dance, un
classique du genre, premier d’une série de disques en or et platine, avant
d’être couronné par une victoire de la musique en 1988.
Kassav est tiré du nom de kassave, une galette de manioc mélangée à de la
noix de coco mais aussi du ka, « le tambour qui porte les esprits frondeurs… »,
expliquait l’artiste disparu, dans une de ces interviews à l’Humanité. « Le
zouk n’est pas que festif, il est aussi l’expression de mouvements
revendicatifs aux Antilles. À travers notre musique, nous interrogions nos
origines. Nous cherchions des réponses pour reprendre le fil d’une histoire qui
nous avait été confisquée (...) nous avons toujours chanté en créole, malgré
les demandes incessantes des multinationales du disque».
Le zouk n’est pas que
festif, il est aussi l’expression de mouvements revendicatifs aux
Antilles. JACOB DESVARIEUX
Le zouk, mélange magique de sonorités
Un style musical à part entière était né. Le Zouk de Kassav a
fait suer les pistes et rythmé les fêtes de générations entières, depuis quatre
décennies. Un mélange magique de sonorités de Guadeloupe et des Caraïbes, avec
des ingrédients de rock et de jazz, une « synthèse des musiques noires » disait
Jacob Desvarieux.
L’impact a été fort en Afrique depuis leur premier concert à Abidjan en
1985. Le genre devenait incontournable sur le continent aux côtés des musiques
de Toure Kunda, de Mory Kanté et de l’afro beat
de Fela. L’afro-zouk a agi à la façon d’une passerelle entre
plusieurs rives. Il a aussi influencé des airs d’Amérique du Sud, devenus des
tubes irrésistiblement dansants, comme la lambada ou la soca.
Kassav a rempli dix Zéniths, deux Bercy, le Stade de France, La Défense
Arena et la Fête de l’Humanité dont celle de 2019. Jacob Desvarieux
était enthousiaste : « Le public de la Fête est formidable » lançait-il dans
une interview au journal.
Kassav a conquis le monde entier, devenant l’un des groupes français les
plus célèbres. Il s’est même produit en Union Soviétique, en juillet
1989, pour trois concerts au Palais des Sports de Leningrad, alors que,
comme le rapportait notre journal, ses disques n’y étaient pas distribués.
Jacob Desvarieux, éveilleur des consciences
Jacob Desvarieux auteur de tubes Oh Madiana ou Sye Bwa ,
s’est également produit en solo avec son album Euphrasine’s Blues,
en 2000, où il invitait le clarinettiste cubain Paquito de Riveira. Il a
participé à des albums d’Alpha Blondy, de Manu Dibango, de Khaled, d’Angélique
Kidjo. La chanteuse béninoise, a salué, sur l’antenne de RFI, celui qui avait
« créé des ponts entre les rives et entre les musiques de partout ».
Il ne sera plus parmi
nous pour participer à une autre manière de penser le monde et sa diversité. PASCAL BLANCHARD, HISTORIEN
Tout récemment encore,
en 2018, il parrainait la première édition de « L’Outre-mer fait son
Olympia ». « Il ne sera plus parmi nous pour participer à une autre manière
de penser le monde et sa diversité » regrette l’historien Pascal Blanchard dans
son hommage à l’artiste. Car le leader de Kassav était aussi un éveilleur des
consciences. En témoignent ses chansons pour Mandela, Cheikh
Anta Diop, et son clip sur Missak Manouchian. On se souvient de
son coup de gueule, en 2020, lorsque les Victoires de la musique avaient
supprimé les catégories « musiques du monde » et « musiques urbaines ». Ils
dénonçaient une énième fois la faible représentativité des ultramarins et
africains dans les médias et au cinéma. De santé fragile depuis une greffe
rénale en 2013, Jacob Desvarieux est décédé le 31 juillet de la Covid après 15
jours en réanimation au CHU de Guadeloupe. Il avait 65 ans.
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