mardi 27 juillet 2021

« Césarisme », l’éditorial de Rosa Moussaoui dans l’Humanité.



La jeune et fragile démocratie tunisienne a connu depuis 2011 bien des soubresauts. Les convulsions présentes comptent sans nul doute parmi les plus sérieuses. Dimanche, au terme d’une journée de manifestations au cours de laquelle des protestataires ont mis le feu à des locaux du parti islamiste Ennahdha, clé de voûte de la coalition gouvernementale, le président Kaïs Saïed annonçait, en invoquant la Constitution, sa décision de s’arroger tous les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. L’hôte du palais de Carthage entend, par ce coup de force, « sauver la Tunisie ». Au milieu de l’hécatombe provoquée par la pandémie de Covid-19, dans un pays asphyxié, cette décision a été accueillie par des scènes de liesse.

Elles n’ont rien de surprenant. Depuis la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, un spectre hante la Tunisie : celui de l’homme providentiel. Il faut dire que depuis dix ans la promesse démocratique de la révolution tunisienne n’en finit plus de sombrer dans les marécages de la corruption, des intrigues politiques et de la crise économique. Venue, en 2011, des tréfonds du peuple, la demande d’égalité et de justice sociale n’a jamais été entendue par des élites arrogantes, sûres de leurs privilèges. Les institutions se trouvent dans un état de délitement avancé, les caisses sont vides, les services publics, à terre. Devant ce désastre, Kaïs Saïed prétend restaurer l’autorité de l’État en incarnant l’ultime recours. Ses adversaires d’aujourd’hui étaient ses alliés d’hier : les islamistes ont beau jeu de dénoncer un « coup d’État », eux qui ont contribué de façon décisive à porter ce rigide conservateur au pouvoir. « La magie se retourne contre le magicien », dit un proverbe arabe…

Les « amis » de la Tunisie portent, dans cette crise sans fin, une lourde responsabilité. Jamais on n’aura vu la couleur du « plan Marshall » promis la main sur le cœur, en 2011, au G8 de Deauville, pour appuyer la transition démocratique. Au contraire, le fardeau de la dette extérieure, qui atteint 100 % du PIB, accable le pays, le mettant à la merci du FMI et des bailleurs de fonds étrangers. Les tensions et les lignes de faille qui traversent aujourd’hui l’Afrique du Nord sont lourdes de menaces. Personne, dans ce contexte, n’aurait intérêt à voir enterrée la précieuse tentative démocratique du peuple tunisien. 

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