Alors que dômes de
chaleur, pluies diluviennes et incendies dévastent la planète, depuis le
26 juillet, les représentants des 195 États et des scientifiques
travaillent sur le 6 e rapport du Giec, rendu public le 9 août.
Entretien.
CHRISTOPHE CASSOU, Directeur
de recherche au CNRS
Entre deux sessions d’approbation du 6 e rapport du Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le climatologue
Christophe Cassou a pris le temps de nous répondre. Depuis lundi
26 juillet et pour deux semaines, les délégations de 195 États et des
scientifiques sont réunis pour approuver ligne par ligne le « résumé pour les
décideurs ». La première partie du rapport, consacrée aux sciences du climat,
sera rendue public le 9 août
En quoi les événements climatiques auxquels nous assistons sont-ils liés au
réchauffement climatique. Y-a-t-il une accélération ?
Christophe Cassou : Depuis trente ans, les climatologues expliquent que, sous l’effet
du réchauffement, la plupart des événements extrêmes allaient devenir plus
fréquents, plus intenses et plus longs. Ça y est, nous y sommes. Et leur
évolution suit très bien les trajectoires évaluées par le Giec. En ce sens, il
n’y a pas d’accélération, et le rythme des changements ne va pas plus vite que
prévu. Dans notre jargon, nous parlons d’« émergence » : ce que nous observons
émerge des fluctuations naturelles du climat ou, dit autrement, ne peut pas
s’expliquer sans facteur extérieur.
Il y a toujours eu des événements extrêmes, des canicules et des pluies
diluviennes : nos parents, grands et arrière-grands-parents en ont connu. Mais
l’intensité de ceux que nous vivons maintenant et leur récurrence ne
correspondent plus à la mémoire générationnelle des événements extrêmes qui
permet de s’adapter et d’anticiper. Car ce que nous vivons est inédit. Nous
sommes désormais entrés en territoire inconnu, et nous entamons un voyage sans
retour. Il faut comprendre qu’on ne reviendra pas, à l’échelle de plusieurs générations,
au climat de nos parents ou de nos grands-parents.
Nous ne sommes pas surpris en tant que scientifiques. Les changements dans
les événements extrêmes s’expliquent par des processus physiques bien connus du
système climatique. Et on ne négocie pas avec les lois de la physique : la
relation de Clausius-Clapeyron établit que, pour 1 degré de réchauffement,
il a 7 % d’augmentation de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Or, cette
dernière s’est réchauffée de + 1,1 °C depuis le début de l’ère
préindustrielle à la fin du XIX e siècle, il y a donc plus de vapeur
d’eau, et potentiellement plus de précipitations.
Est-ce qu’il est encore possible de limiter le réchauffement global à
+ 1,5 °C d’ici à la fin du siècle, comme le prévoit l’accord de
Paris ?
Christophe Cassou : Selon la littérature scientifique, ce seuil de 1,5 °C sera
très probablement franchi dans la prochaine décennie. Une fois ce seuil
dépassé, tout l’enjeu est de limiter le réchauffement au plus bas. Cela ne
signifie pas que tout est perdu. Mais pour limiter le réchauffement il n’y a
qu’une seule solution : la neutralité carbone. Il ne faut pas émettre plus de
CO 2 que ce qui peut être absorbé. Toute molécule additionnelle de CO 2 dans
l’atmosphère conduit à un réchauffement. De nouveau, c’est la physique qui
parle.
Nous avons besoin de transformations radicales à la fois dans leur durée et
dans leur ampleur, en agissant sur tous les secteurs. Les leviers d’action sont
différents selon les pays. Une réflexion générale sur nos modes de vie et de
production s’impose.
L’autre question qui se pose, c’est la manière dont nos sociétés peuvent et
doivent s’adapter à ces événements extrêmes. Aujourd’hui, nous ne sommes
clairement pas préparés, les impacts sont très forts car nous les anticipons
très mal au regard des changements en cours et à venir.
Vous êtes en plein processus d’approbation du 6 e rapport du Giec,
quel est l’enjeu ?
Christophe Cassou : Les 195 États membres de l’ONU sont en train d’approuver ligne par
ligne ce que l’on appelle le résumé aux décideurs, soit une quinzaine de pages
qui synthétisent plus de 1 000 du rapport. Le résumé, qui est d’abord écrit par
les scientifiques, est au final co-construit entre États et scientifiques. Il
ne sera dévoilé que le 9 août. À partir de là, le rapport du Giec ne sera
plus un rapport uniquement scientifique, mais un rapport commun
science-société, approuvé par les États au nom des citoyens. Il constituera le
principal apport scientifique aux négociations internationales sur le climat,
qui vont se dérouler à la COP26, en novembre. C’est le premier rapport général
du Giec depuis l’accord de Paris, en 2015
Cela fait trente ans que les scientifiques alertent, n’y a-t-il pas une
forme de lassitude ?
Christophe Cassou : Le Giec a commencé par alerter, puis il a souligné et martelé
l’urgence sur la base d’éléments scientifiques très solides. Chaque
scientifique vit ce moment différemment. Pour ma part, je ressens du désarroi
mais pas de désespoir. Car, depuis cinq ans, on voit une vraie prise de
conscience. La société civile s’est approprié les rapports du Giec. Des
batailles juridiques s’ouvrent : des procès climatiques se tiennent. Ils
nourrissent l’action des militants du climat, mais aussi de toute la société
civile. La combinaison de tout cela va dans le bon sens. Les rapports du Giec
sont absolument nécessaires mais pas suffisants. Ils nourrissent l’action des
militants du climat, mais aussi de toute la société civile, incluant tous les
acteurs. Comme la société civile s’empare de ces rapports, elle peut dès lors
mettre la pression sur les gouvernants. En approuvant les rapports du Giec, les
États ont un devoir moral d’engager des politiques qui vont dans le sens de ses
conclusions.
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