jeudi 29 juillet 2021

Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 : défendre la sentinelle de la démocratie



Monument législatif de la République naissante, la loi sur la liberté de la presse a 140 ans aujourd’hui même. Alors que nous observons, au XXIe siècle, des reculs majeurs, ce texte demeure fondamental.

PAR PATRICK LE HYARIC, Directeur de l’Humanité

Nous soufflons aujourd’hui les 140 bougies de la loi sur la liberté de la presse promulguée le 29 juillet 1881. Monument législatif de la République renaissante, ce texte demeure au fondement de notre démocratie. Dans les pas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de sa promesse d’assurer « la libre communication des pensées et opinions », cette loi garantit la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Loin d’être un dispositif corporatiste au seul avantage des journalistes, elle protège l’ensemble des citoyens autant qu’elle concourt à l’exercice de la citoyenneté. Alors que, sournoisement ou ouvertement, cette conquête est menacée, au même titre que d’autres piliers de la démocratie républicaine, cet anniversaire doit être l’occasion d’en défendre les principes.

La précédente garde des Sceaux n’a pas fait mystère de sa volonté d’extraire de la loi de 1881 les dispositions de lutte contre « l’injure et la diffamation » pour les transférer vers le Code pénal, ce qui revient à faire sauter le garde-fou permettant aux journalistes de préserver leurs sources, tout en ouvrant le chemin à des procédures de comparution immédiate qui limitent la possibilité de se défendre. Les récentes lois dites de « sécurité globale » ou « confortant le respect des principes de la République », décidées après l’assassinat terroriste du professeur Samuel Paty, ajoutées à l’arsenal « antiterroriste » de 2014, ont chacune contribué à affaiblir les principes de la loi. Dans le même mouvement, des entraves sont appliquées au travail des journalistes, au nom de la protection des policiers. D’autres tentatives ont été mises en échec, comme cette loi retoquée par le Conseil constitutionnel visant à donner aux géants du numérique un pouvoir de censure en dehors de toute intervention d’un juge.

Les citoyens empêchés de savoir

Des reculs majeurs sur la liberté de la presse, nous retiendrons celui institué par la loi de juillet 2018 sur le « secret des affaires ». Il s’agit d’un basculement juridique d’importance qui troque les règles de la transparence contre le règne de l’opacité, dans le but de protéger les milieux d’affaires et les entreprises qui contreviennent aux nécessités de protéger l’environnement, qui pratiquent les ventes d’armes, l’évasion fiscale ou la corruption. En plus de fragiliser les lanceurs d’alerte, ce texte s’oppose à l’esprit de la loi de 1881 en ce qu’il réduit la possibilité, pour chaque citoyen, de prendre connaissance des événements jusqu’au plus dissimulé, de décrypter l’actualité et de participer ainsi à la vie de la cité dans le sens de l’intérêt général.

C’est une part de sa souveraineté qui est ôtée au peuple. La multiplication des chaînes privées d’information fait planer l’illusion d’un épanouissement de la liberté d’informer. En réalité, un système clos se met en place, avec les mêmes intervenants s’échinant à formuler des réponses de droite à des questions de droite, tout en faisant la part belle à l’extrême droite. La vie réelle des travailleurs, leurs aspirations, leurs luttes n’y pénètrent guère, sauf pour allumer la mèche de l’injure contre tout mouvement social, comme on l’a constaté lors des mouvements des cheminots, des gilets jaunes ou contre le déchiquetage de notre système de retraite.

La réduction continue du nombre de journalistes et leur précarisation réduisent le pouvoir d’enquêter, de rendre compte des événements jusqu’aux plus reculés et moins médiatisés. Le nombre de journaux nationaux et régionaux diminue sous la pression de coûts de production en continuelle augmentation, tandis que les recettes de vente et de publicité, accaparées par les géants du numérique, diminuent drastiquement. Ces derniers pillent précisément le travail des créateurs et des journalistes pour le revendre contre de la communication publicitaire. Des mobilisations populaires seront nécessaires pour que soient respectées les lois sur les droits d’auteur (ou « droits voisins ») et, au-delà, pour légiférer afin de refonder le droit de savoir des citoyens et revivifier un pluralisme de la presse indispensable à la vitalité démocratique, dans le cadre de la révolution numérique en cours.

Contrairement à l’esprit des ordonnances de la presse du Conseil national de la Résistance, la majeure partie de cette presse est aujourd’hui accaparée par une poignée de groupes industriels et financiers qui, évidemment, assurent la promotion du capitalisme. C’est, du reste, face à semblable situation qu’en 1904 Jean Jaurès s’est décidé à fonder l’Humanité, contre « la puissance de l’argent qui avait réussi à s’emparer des organes de l’opinion et à fausser à sa source, c’est-à-dire dans l’information publique, la conscience nationale ».

La défense et l’appel à la lecture de l’Humanité vont donc de pair avec la nécessité d’animer un débat public pour légiférer contre les concentrations capitalistes. L’État doit jouer son rôle constitutionnel visant à assurer un pluralisme plus grand de la presse au lieu de détricoter les ordonnances sur la presse issues du CNR. Préserver l’existence d’une presse libre, c’est toujours, selon les mots de Camille Desmoulins, garantir son rôle de « sentinelle de la démocratie ».

 

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