vendredi 24 décembre 2021

« Nobel de la guerre », l’éditorial de Lina Sankari.



Le « négus du changement » n’aura pas tardé à tomber le masque. Deux ans après son entrée en fonction, déjà auréolé d’un Nobel de la paix pour la réconciliation avec l’Érythrée, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, présenté dans toutes les chancelleries comme un jeune réformateur libéral porteur d’avenir, voit l’horizon s’assombrir. La guerre civile déclenchée par la rébellion tigréenne ne tombe pas du ciel. La prise de pouvoir d’Abiy Ahmed s’est accompagnée d’une purge visant à mettre un terme à la mainmise des élites tigréennes sur le pays depuis la chute du colonel Mengistu Hailé Mariam, en 1991. L’héritage légué par le Front de libération du peuple du Tigré est pesant : jusqu’en 2018, la minorité contrôlait 90 % des postes de l’armée, les renseignements, tous les échelons de l’administration et la majeure partie de l’économie. L’accaparement des terres, la corruption et la surveillance de masse ont achevé de faire monter la colère.

Comme en témoigne le reportage que nous publions aujourd’hui, l’Éthiopie n’en finit plus de s’enfoncer dans la division, le nationalisme. On mesure le danger dans un pays où cohabite une mosaïque de 80 ethnies. C’est tout le système ethno-fédéraliste qui semble s’effondrer à la faveur des exactions commises depuis deux ans par les deux parties. Massacres, viols collectifs, torture, enfants abattus à bout portant…

Loin d’être circonscrits au nord, des feux s’allument peu à peu aux frontières avec le Soudan et le Kenya. Et l’engagement de troupes érythréennes aux côtés de l’armée éthiopienne n’est plus à démontrer. La guerre civile s’étend, le séparatisme aussi. Malgré leur implication passée ou présente, les puissances extérieures – États-Unis, Arabie saoudite et Émirats arabes unis en tête – observent un silence complice. Si, comme le prédisent les cassandres, la nation éthiopienne venait à éclater, il serait trop tard pour engager un dialogue entre les parties, voire une refonte de la Constitution. La stabilité de la Corne de l’Afrique en dépend pourtant.

 

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