Le « négus du changement » n’aura pas tardé à tomber le masque. Deux ans
après son entrée en fonction, déjà auréolé d’un Nobel de la paix pour la
réconciliation avec l’Érythrée, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed,
présenté dans toutes les chancelleries comme un jeune réformateur libéral
porteur d’avenir, voit l’horizon s’assombrir. La guerre civile déclenchée par
la rébellion tigréenne ne tombe pas du ciel. La prise de pouvoir d’Abiy Ahmed
s’est accompagnée d’une purge visant à mettre un terme à la mainmise des élites
tigréennes sur le pays depuis la chute du colonel Mengistu Hailé Mariam, en
1991. L’héritage légué par le Front de libération du peuple du Tigré est
pesant : jusqu’en 2018, la minorité contrôlait 90 % des postes de l’armée,
les renseignements, tous les échelons de l’administration et la majeure partie
de l’économie. L’accaparement des terres, la corruption et la surveillance de
masse ont achevé de faire monter la colère.
Comme en témoigne le reportage que nous publions aujourd’hui, l’Éthiopie
n’en finit plus de s’enfoncer dans la division, le nationalisme. On mesure le
danger dans un pays où cohabite une mosaïque de 80 ethnies. C’est tout le
système ethno-fédéraliste qui semble s’effondrer à la faveur des exactions
commises depuis deux ans par les deux parties. Massacres, viols collectifs,
torture, enfants abattus à bout portant…
Loin d’être circonscrits
au nord, des feux s’allument peu à peu aux frontières avec le Soudan et le
Kenya. Et l’engagement de troupes érythréennes aux côtés de l’armée éthiopienne
n’est plus à démontrer. La guerre civile s’étend, le séparatisme aussi. Malgré
leur implication passée ou présente, les puissances extérieures
– États-Unis, Arabie saoudite et Émirats arabes unis en tête –
observent un silence complice. Si, comme le prédisent les cassandres, la nation
éthiopienne venait à éclater, il serait trop tard pour engager un dialogue
entre les parties, voire une refonte de la Constitution. La stabilité de la
Corne de l’Afrique en dépend pourtant.
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