MAGALI JAUFFRET
La photographe s’est éteinte
mercredi. Figure majeure de cet art, elle était l’ultime représentante de ce
courant d’après-guerre qui privilégiait l’humain. Elle avait été fêtée, cet
été, aux dernières Rencontres d’Arles.
Elle avait 97 ans et avait très envie d’arriver à ses 100 ans.
Elle était devenue très fragile. Ces derniers temps, elle ne reprenait souvent
son souffle que grâce à l’oxygène. Sabine Weiss, qui incarnait avec verve et
esprit, le fameux mouvement photographique humaniste qui enchanta Paris
après-guerre, est décédée mercredi à Paris. Elle avait survécu à ses collègues
Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat, Izis…
Les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, qui lui avaient
organisé une belle rétrospective, l’avaient fêtée sur la scène du théâtre
antique, en juillet. La semaine passée, elle était encore à Deauville pour
découvrir les expositions du festival Planches Contact. Elle aura goûté jusqu’à
son dernier souffle succès et reconnaissance du public.
Née à Saint-Gingolph, en Suisse, le 23 juillet 1924, (elle sera
naturalisée française en 1995), la petite Sabine Weber, dont le père, chimiste,
fabrique des perles artificielles, n’aime pas trop les études, ne finit pas le
lycée, s’achète un premier petit appareil photo avec son argent de poche, à une
époque où cela ne se faisait guère, et décide, dès 17 ans, de devenir
photographe. Une vocation, donc !
Trois ans durant, elle apprend la chimie au sein du studio de la famille
Boissonnas, à Genève. Lavages, glaçages, tirages, retouches n’ont bientôt plus
de secret pour elle. Encore lui faut-il acquérir un œil, une vision, un point
de vue, ce à quoi sa famille, qui aime l’art, l’a formée en lui montrant des
livres, en l’emmenant dans des expositions.
Quand Paris s’offrait à elle
En 1945, sans se douter de tout ce qui couve artistiquement dans la
photographie, elle se sent d’ouvrir son propre studio et, un an plus tard,
s’installe à Paris où elle devient l’assistante de Willy Maywald, photographe
de mode et de portrait. Excellente formation ! D’autant que le reste du temps,
le Paris des surréalistes, « sans télévision et sans droit à
l’image » qui a une grande soif de vivre après la guerre, s’offre à
elle comme un spectacle. Tout fait image à son regard : les marchés aux puces,
les faubourgs, les bars et même les terrains vagues. Déjà, elle montre une
grande attirance pour la nuit, les contrastes de lumière.
La voilà bientôt qui reçoit des commandes des grands magasins. Ainsi,
photographie-t-elle les changements de décor des vitrines du grand magasin le
Printemps pendant des années. C’est l’époque où cette profession est très
sollicitée par la publicité et gagne correctement sa vie grâce, aussi, à
l’essor de la presse illustrée. Elle apprend également beaucoup de la mode,
s’essaie à la couleur. Et lorsqu’elle rentre chez elle le soir, du côté de la
porte de Saint-Cloud, elle fait le grand écart (« je passais de
la mode à la morgue », disait-elle), en cadrant des enfants
infortunés, gitans et autres poulbots qui peuplent les terrains vagues et
bidonvilles d’alors. Photographier les enfants, leurs jeux, leurs rites ou leur
gravité, restera l’une de ses passions. Elle y reviendra avec talent toute sa
vie. Et le grand public la connaît pour ses instantanés d’enfants jouant, par
exemple, au cheval…
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