jeudi 30 décembre 2021

Disparition de Sabine Weiss, photographe humaniste



MAGALI JAUFFRET 

La photographe s’est éteinte mercredi. Figure majeure de cet art, elle était l’ultime représentante de ce courant d’après-guerre qui privilégiait l’humain. Elle avait été fêtée, cet été, aux dernières Rencontres d’Arles.

Elle avait 97 ans et avait très envie d’arriver à ses 100 ans. Elle était devenue très fragile. Ces derniers temps, elle ne reprenait souvent son souffle que grâce à l’oxygène. Sabine Weiss, qui incarnait avec verve et esprit, le fameux mouvement photographique humaniste qui enchanta Paris après-guerre, est décédée mercredi à Paris. Elle avait survécu à ses collègues Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat, Izis…

Les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, qui lui avaient organisé une belle rétrospective, l’avaient fêtée sur la scène du théâtre antique, en juillet. La semaine passée, elle était encore à Deauville pour découvrir les expositions du festival Planches Contact. Elle aura goûté jusqu’à son dernier souffle succès et reconnaissance du public.

 

Née à Saint-Gingolph, en Suisse, le 23 juillet 1924, (elle sera naturalisée française en 1995), la petite Sabine Weber, dont le père, chimiste, fabrique des perles artificielles, n’aime pas trop les études, ne finit pas le lycée, s’achète un premier petit appareil photo avec son argent de poche, à une époque où cela ne se faisait guère, et décide, dès 17 ans, de devenir photographe. Une vocation, donc !

Trois ans durant, elle apprend la chimie au sein du studio de la famille Boissonnas, à Genève. Lavages, glaçages, tirages, retouches n’ont bientôt plus de secret pour elle. Encore lui faut-il acquérir un œil, une vision, un point de vue, ce à quoi sa famille, qui aime l’art, l’a formée en lui montrant des livres, en l’emmenant dans des expositions.

Quand Paris s’offrait à elle

En 1945, sans se douter de tout ce qui couve artistiquement dans la photographie, elle se sent d’ouvrir son propre studio et, un an plus tard, s’installe à Paris où elle devient l’assistante de Willy Maywald, photographe de mode et de portrait. Excellente formation ! D’autant que le reste du temps, le Paris des surréalistes, « sans télévision et sans droit à l’image » qui a une grande soif de vivre après la guerre, s’offre à elle comme un spectacle. Tout fait image à son regard : les marchés aux puces, les faubourgs, les bars et même les terrains vagues. Déjà, elle montre une grande attirance pour la nuit, les contrastes de lumière.

La voilà bientôt qui reçoit des commandes des grands magasins. Ainsi, photographie-t-elle les changements de décor des vitrines du grand magasin le Printemps pendant des années. C’est l’époque où cette profession est très sollicitée par la publicité et gagne correctement sa vie grâce, aussi, à l’essor de la presse illustrée. Elle apprend également beaucoup de la mode, s’essaie à la couleur. Et lorsqu’elle rentre chez elle le soir, du côté de la porte de Saint-Cloud, elle fait le grand écart (« je passais de la mode à la morgue », disait-elle), en cadrant des enfants infortunés, gitans et autres poulbots qui peuplent les terrains vagues et bidonvilles d’alors. Photographier les enfants, leurs jeux, leurs rites ou leur gravité, restera l’une de ses passions. Elle y reviendra avec talent toute sa vie. Et le grand public la connaît pour ses instantanés d’enfants jouant, par exemple, au cheval…

 

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