Thomas LEMAHIEU
Son vaccin bat des
records de vente et son chiffre d’affaires pourrait dépasser en 2022 les 100
milliards de dollars, soit deux fois plus qu’avant la pandémie. Mais, pour le géant
américain, hors de question de le rendre accessible aux plus démunis.
DOSSIER
Avant la pandémie, la marque phare du géant pharmaceutique Pfizer, c’était le Viagra. Aujourd’hui, c’est sans aucun doute Comirnaty, son vaccin à ARN messager contre le Covid-19 : jamais un produit pharmaceutique n’avait permis d’engranger autant de bénéfices en si peu de temps. Grâce à cette poule aux œufs d’or, développée en partenariat avec le laboratoire allemand BioNTech, son chiffre d’affaires pourrait dépasser l’année prochaine les 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros), alors qu’il culminait à 50 milliards juste avant l’apparition du nouveau coronavirus.
Albert Bourla, le PDG du
groupe américain, n’en revient pas, mais il veut, en plus, monter sur le piédestal
de bienfaiteur de l’humanité : « Bien
sûr, je suis satisfait que
l’entreprise performe très bien, s’auto6congratulait-il
en juillet. Mais je me réjouis encore plus de constater que, quand je
pénètre dans un restaurant, il y a une standing ovation parce que tout le monde
estime que nous avons sauvé le monde. »
Dans les pays du Sud,
beaucoup, pourtant, ne sont pas prêts, mais alors pas du tout, à ériger sa
statue. Depuis le début de la pandémie, non content de s’opposer radicalement à
toute levée des brevets, Pfizer a choisi de ne vendre qu’au prix fort ses
précieux vaccins, et s’est donc tourné vers les grandes puissances
occidentales. Au printemps 2020, le laboratoire avait même réussi à ulcérer les
États-Unis de Donald Trump en proposant de vendre la dose à 100 dollars,
avant de rétropédaler et de fixer son prix – toujours bien supérieur à tous les
autres, sauf Moderna – à 19,50 dollars. Signe toutefois que l’idée est
loin d’être écartée : au printemps, les
patrons du laboratoire promettaient aux marchés financiers d’augmenter à terme les tarifs jusqu’à 150 dollars la dose.
Pour l’Afrique, les dés
sont pipés
Dans ces conditions,
pour les plus pauvres, les dés sont pipés par Pfizer. À la fin de l’année
dernière, l’Union africaine cherche à acquérir auprès du groupe américain un
stock initial de 2 millions de doses, afin d’entamer la vaccination
prioritaire de 5 millions de travailleurs dans le secteur de la santé sur
tout le continent. « Pfizer
nous rétorque
qu’ils
répondront la semaine
suivante, et ainsi de suite jusqu’en avril », rapporte, dans le « Financial
Times »,
Strive Masiyiwa, un homme d’affaires zwimbabwéen chargé des commandes pour
l’institution. Puis, en mai, l’Union européenne conclut une nouvelle commande
pour 1,8 milliard de doses auprès de Pfizer. Les Africains attendent
encore la réponse.
Pour expliquer le retard
de vaccination sur le continent, Albert Bourla croit avoir trouvé la parade. Le
grand patron de la multinationale américaine plaide, contre les évidences, que
ce ne sont pas les doses qui manquent :
l’Afrique, avec son 1,4 milliard d’habitants, ne dispose
pourtant aujourd’hui
de stocks suffisants que pour la population du Ghana (31 millions de
personnes). Le problème, instille-t-il ces derniers jours, ce serait
l’hésitation vaccinale, « bien,
bien plus élevée qu’en Europe, aux États-Unis ou au Japon ». Une recherche publiée
dans « Nature » en
juillet démonte
cette grossière
diversion : en réalité, 78 % des citoyens des pays en voie de développement disent
vouloir être vaccinés, contre 65 % aux États-Unis et 30 % en Russie.
Ex-patron de l’agence
publique de contrôle et de prévention des maladies (CDC) au sein de
l’administration Obama, Tom Frieden vient d’expédier Albert Bourla et ses
acolytes de Pfizer dans les cordes. « Si
vous êtes
un producteur de vaccins et que vous ne vous concentrez que sur la maximisation
de vos profits, vous êtes un profiteur de guerre. » Clair, net… et
incontestable !
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