lundi 20 décembre 2021

Covid-19. Pfizer : sauveur du monde ou profiteur de guerre ?

 



Thomas LEMAHIEU

Son vaccin bat des records de vente et son chiffre d’affaires pourrait dépasser en 2022 les 100 milliards de dollars, soit deux fois plus qu’avant la pandémie. Mais, pour le géant américain, hors de question de le rendre accessible aux plus démunis.

DOSSIER

Avant la pandémie, la marque phare du géant pharmaceutique Pfizer, c’était le Viagra. Aujourd’hui, c’est sans aucun doute Comirnaty, son vaccin à ARN messager contre le Covid-19: jamais un produit pharmaceutique navait permis dengranger autant de bénéfices en si peu de temps. Grâce à cette poule aux œufs d’or, développée en partenariat avec le laboratoire allemand BioNTech, son chiffre d’affaires pourrait dépasser l’année prochaine les 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros), alors qu’il culminait à 50 milliards juste avant l’apparition du nouveau coronavirus.

Albert Bourla, le PDG du groupe américain, n’en revient pas, mais il veut, en plus, monter sur le piédestal de bienfaiteur de l’humanité: «Bien sûr, je suis satisfait que lentreprise performe très bien, s’auto6congratulait-il en juillet. Mais je me réjouis encore plus de constater que, quand je pénètre dans un restaurant, il y a une standing ovation parce que tout le monde estime que nous avons sauvé le monde.»

 

Dans les pays du Sud, beaucoup, pourtant, ne sont pas prêts, mais alors pas du tout, à ériger sa statue. Depuis le début de la pandémie, non content de s’opposer radicalement à toute levée des brevets, Pfizer a choisi de ne vendre qu’au prix fort ses précieux vaccins, et s’est donc tourné vers les grandes puissances occidentales. Au printemps 2020, le laboratoire avait même réussi à ulcérer les États-Unis de Donald Trump en proposant de vendre la dose à 100 dollars, avant de rétropédaler et de fixer son prix – toujours bien supérieur à tous les autres, sauf Moderna – à 19,50 dollars. Signe toutefois que l’idée est loin d’être écartée: au printemps, les patrons du laboratoire promettaient aux marchés financiers daugmenter à terme les tarifs jusqu’à 150 dollars la dose.

Pour l’Afrique, les dés sont pipés

Dans ces conditions, pour les plus pauvres, les dés sont pipés par Pfizer. À la fin de l’année dernière, l’Union africaine cherche à acquérir auprès du groupe américain un stock initial de 2 millions de doses, afin d’entamer la vaccination prioritaire de 5 millions de travailleurs dans le secteur de la santé sur tout le continent. «Pfizer nous rétorque quils répondront la semaine suivante, et ainsi de suite jusquen avril», rapporte, dans le«Financial Times», Strive Masiyiwa, un homme d’affaires zwimbabwéen chargé des commandes pour l’institution. Puis, en mai, l’Union européenne conclut une nouvelle commande pour 1,8 milliard de doses auprès de Pfizer. Les Africains attendent encore la réponse.

Pour expliquer le retard de vaccination sur le continent, Albert Bourla croit avoir trouvé la parade. Le grand patron de la multinationale américaine plaide, contre les évidences, que ce ne sont pas les doses qui manquent: lAfrique, avec son 1,4 milliard dhabitants, ne dispose pourtant aujourdhui de stocks suffisants que pour la population du Ghana (31 millions de personnes). Le problème, instille-t-il ces derniers jours, ce serait l’hésitation vaccinale, «bien, bien plus élevée quen Europe, aux États-Unis ou au Japon». Une recherche publiée dans« Nature »en juillet démonte cette grossière diversion: en réalité, 78 % des citoyens des pays en voie de développement disent vouloir être vaccinés, contre 65 % aux États-Unis et 30 % en Russie.

Ex-patron de l’agence publique de contrôle et de prévention des maladies (CDC) au sein de l’administration Obama, Tom Frieden vient d’expédier Albert Bourla et ses acolytes de Pfizer dans les cordes. «Si vous êtes un producteur de vaccins et que vous ne vous concentrez que sur la maximisation de vos profits, vous êtes un profiteur de guerre.» Clair, net… et incontestable! 

 

 

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