Fidèles. La sacro-sainte
«liberté d’expression» justifie-t-elle tout et n’importe quoi, que ce soit par
la parole, l’écrit ou le dessin ? Abrupte et moins conjoncturelle que
philosophique, revoilà donc dans le débat public la fameuse question casse-tête
qui hante toutes les têtes de ceux que nous appelons les « émetteurs »
d’information, et qui devraient penser avant tout aux récepteurs
– autrement dit les citoyens, que nous ne saurions balayer d’un revers de
main au prétexte que nous détenons, nous autres, la vérité supposée sur ce qui
est admissible ou non. Albert Camus écrivait : «Un journal libre se
mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.» Dans un autre
genre, l’ami François Morel convoque «l’humour et la nuance», ce
qui n’exclut en rien la liberté. Une nouvelle « affaire » vient en effet
d’éclabousser le paysage médiatique. En annonçant son départ du journal le
Monde, après avoir provoqué une vaste polémique en publiant un dessin
inexplicable sinon inqualifiable sur l’inceste et les transsexuels, le
dessinateur Xavier Gorce a réveillé les réactions d’indignation sur le
thème : «censure idéologique», «régression démocratique», «liberté
chérie assassinée», etc. Logique, ce débat récurrent mérite sa place
et prend de l’épaisseur à chaque évocation. D’autant que la direction du
journal le Monde n’a pas tardé à s’excuser, sans pour
autant supprimer ledit dessin. Son directeur, Jérôme Fenoglio, expliquait dans
une mise au point : «Nous persisterons à défendre ce genre particulier
de liberté d’expression, y compris quand il nous dérange et nous bouscule, tout
en restant vigilants sur notre liberté de publier en demeurant fidèles à nos
valeurs.» En toute responsabilité, comment le dire mieux ?
Prudence. Ne tournons pas
autour du pot. Un journal diffuse un dessin qui choque. Et quelles que soient
les explications, ce dessin offusque pour de bonnes raisons ! Est-ce « drôle »
ou « comique » de définir l’inceste dans les familles recomposées par une
évocation gratuite et scandaleuse de l’homoparentalité et des transgenres ?
D’ailleurs, nous, à l’Humanité, aurions-nous publié ce dessin ?
Certainement pas, bien que la tâche soit difficile, pour la direction d’une
rédaction, d’admettre qu’un dessin puisse révulser et qu’une forme de
« prudence » s’impose dès lors. D’où une autre question compliquée : qui est la
«victime», dans cette histoire, puisque le dessinateur incriminé, et on le
comprend, s’est immédiatement paré d’une posture victimaire ? Lui ? Ou ceux qui
osent prétendre polémiquer contre les polémistes, partant du principe assez
élémentaire que ces derniers n’ont pas le monopole de la liberté d’expression ?
Vaste controverse…
Boussole. «Le courage,
c’est de chercher la vérité et de la dire», nous assignait Jean
Jaurès. Le bloc-noteur, qui n’en est pas moins chronicœur sur les routes du
Tour de France, sait de quoi il parle. En septembre 2020, lors de
l’épreuve, nous avions été contraints de cesser notre collaboration avec Espé,
après la publication par erreur, sur notre site, d’un dessin dégradant et sexiste
de l’auteur, à l’opposé de l’orientation éditoriale et des combats qui sont
nôtres. Répétons-le tranquillement : ce dessin, incompatible avec nos valeurs,
notre éthique et nos principes fondamentaux, ne pouvait avoir sa place
dans l’Humanité. Devrions-nous accepter pour autant la place peu
envieuse de «censeurs», nous qui comptions parmi nos
collaborateurs la plupart des martyrs de Charlie Hebdo ? Absurde
référence, admettons-le, sauf à verser dans la culture de l’irresponsabilité
qu’aucun journal, oui, aucun journal, n’est tenu d’embrasser. Encore une fois,
la bonne boussole reste très proche de celle de Camus : «Un journal
libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.»
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