Plus de dix jours après l’atroce assassinat de Samuel Paty, l’onde de choc continue de secouer une France assommée. Les débats sont vifs et la cohésion dont a globalement su se prévaloir la France face aux derniers attentats se fissure dangereusement.
Anciens,
actuels ministres et quelques intellectuels de média, s’évertuent à cibler les
organisations de gauche en rendant un bien mauvais service à l’unité nationale
qu’ils prétendent défendre. Il est insupportable que ce chœur de
« politiciens » veuille faire assimiler dans la plus grande confusion
les militants antiracistes avec l’islamisme politique en reprenant à leur
compte, pour les qualifier, le concept, inventé par l’extrême droite,
d’islamo-gauchisme. Faire des militants antiracistes les alliés du djihadisme
islamique est abject et ne sert que les intérêts d’un agenda obscurantiste
partagé par les extrêmes-droites islamistes et nationalistes.
La France
n’est pas plus prémunie d’un nationalisme et d’un racisme dispensés à haute
dose que du fondamentalisme islamique. Et il est fort probable que les premiers
servent les intérêts du second, et inversement. Les progressistes
héritiers des Lumières sont à la fois antiracistes et contre l’intégrisme
religieux quel qu’il soit.
Si le combat
antiraciste a pu prendre des chemins tortueux ou trouver parfois des alliés de circonstances,
c’est qu’il a été laissé en souffrance, et avec lui, surtout, le combat pour
une égalité véritable. La responsabilité première incombe, et de loin, à des
choix politiques qui ont vidé la République de sa substance sociale au profit
d’un ordre capitaliste inégalitaire et autoritaire.
La République
française proclame son ambition à former une communauté de citoyens libres,
égaux, et fraternels par-delà les origines, croyances et identités, et son
refus conséquent de reconnaître en son sein des « communautés
minoritaires » auxquelles l’Etat devrait reconnaitre des droits et des
devoirs spécifiques. Elle dit ainsi sa vocation politique universelle.
Mais il est
peu dire que cette promesse est laissée en jachère par des décennies de
politiques ultralibérales et différentialistes, par l’atrophie de la
souveraineté populaire et donc de la citoyenneté, par une prétendue politique
de la ville conçue pour parquer les populations d’origine immigrées, par la
destruction des institutions sociales égalitaires nées de la Libération, par la
montée instrumentalisée d’un racisme décomplexé et la vie impossible faite aux
immigrés. Comment, dans de telles conditions, mener à bien le projet
d’intégration, non pas à une identité française fantasmée et figée, mais à la
citoyenneté qui, seule, peut permettre de définir cette identité française de
demain ?
Cette
promesse ne peut s’accomplir que par la force d’une unité populaire. Celle qui
a toujours permit à la République de s’élever en dépassant le cadre étroit des
droits formels. Les capitalistes, eux, savent faire passer leurs intérêts,
avant toute autre considération, affichant l’unité nécessaire à leur
domination, par-delà les religions, pays et identités. Les classes populaires
et ouvrières, les salariés exploités sont, eux, en permanence travaillés par le
venin diviseur. Voilà le piège redoutable. Cette unité est rendue impossible
par la segmentation des classes populaires, attaquées par des assauts
différencialistes qui prospèrent sur les trahisons antirépublicaines de ceux
qui font tournoyer le mot République pour mieux le noyer.
Ajoutons que
la récupération/dénaturation du concept de laïcité par la droite et l’extrême
droite participe d’une incompréhension de ce qu’il est dans sa réalité. Et par
la même occasion tend à ranger la France dans le camp des pays ennemis d’une
religion, stigmate considérablement renforcé par une politique étrangère
alignée sur celle de l’OTAN et des Etats-Unis. La France doit exprimer à la
face du monde son refus net du racisme en même temps que sa vocation
universelle et républicaine. Elle doit offrir le titre de citoyen à quiconque
la rejoint pour bâtir sur des bases démocratiques un projet politique. Elle
doit tout autant sortir des logiques impérialistes dans lesquelles elle s’est placée
sous commandement du grand capital et de l’impérium Nord-Américain.
Car il faut
prendre la mesure des difficultés qui nous assaillent. Toutes les études
disponibles indiquent un décrochage générationnel d’une partie importante des
jeunes français de confession musulmane vis-à-vis de la République. Il faut
d’urgence cerner les ressorts du phénomène pour se tourner vers cette jeunesse
minée par le mépris, le chômage, la précarité, dont l’avenir n’est garanti que
par les solidarités intra-communautaires. Les conséquences de la crise
sanitaire risquent d’ajouter une couche de désarroi pour cette génération que
le gouvernement cherche à utiliser comme variable d’ajustement du
« marché » dit de l’emploi. Tous les efforts doivent être menés pour
leur proposer un travail ou une formation, « quoi qu’il en coûte »,
avec pour objectif que de cette classe d’âge ne sorte aucun chômeur. Ainsi ces
jeunes pourront-ils échapper à l’enfermement identitaire et religieux. Il
s’agirait de mettre en œuvre les préconisations du plan Borloo, qui fut déchiré
par M. Macron.
Il
conviendrait, de plus, de savoir comment et par qui, en quelques années, s’est
imposée auprès d’une jeunesse déboussolée une version archaïque et
d’importation de la religion musulmane. L’islam aussi rétrograde que violemment
capitaliste de quelques pays du Moyen-Orient fonctionne comme une franchise.
Ces pays dont l’influence repose sur la rente pétrolière, l’alignement
atlantiste et la violence théocratique, mènent une lutte d’influence à
l’échelle planétaire, gagnant des positions de pouvoir réels et symboliques
extrêmement solides, rachetant avec la bienveillante complicité de nos
dirigeants ici un club de foot, là un château, là encore des parts dans les
conseils d’administration de grands groupes dont ils arbitrent la destinée. Et
dans leurs bagages, leur conception de la religion, toujours.
Par la force
d’une propagande habile, leur conception de l’islam s’est peu à peu substituée
aux traditions musulmanes maghrébines, à un islam construit sur les bords méditerranéens,
sédimenté par les cultures locales, juives, berbères, chrétiennes, grecques et
arabes ; par les allées et venues de la science et du savoir sur les
différentes rives de notre mer commune. Si bien que les plus âgés parmi les
Français musulmans peinent à avoir prise sur une partie de la jeunesse
musulmane travaillée au corps par tout un arsenal idéologique nouveau. Sans
oublier les Etats-Unis dont l’ambassade en France cherche à séduire, à coups de
millions de dollars et sur des bases religieuses et éthiques, cette jeunesse
qui se sent légitimement trahie et laissée pour compte.
C’est un
nouveau contrat de citoyenneté que la République s’honorerait à proposer,
surtout à sa jeunesse, et qui viserait à faire entrer la France dans un nouvel
âge de son histoire. C’est en puisant dans les ressources de la République
sociale et démocratique, par l’unité populaire dont la laïcité est garante, par
la conscience des intérêts qui unissent la jeunesse et les travailleurs du
pays, que peut s’établir un nouveau projet collectif et émancipateur. Nous
souhaitons ce débat d’intérêt général.
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