Luc Rouban, directeur de recherche au Cevipof, voit dans ces records d’abstention la suite du mouvement des gilets jaunes, qui réclamait aux élus plus d’efficacité.
Contrairement aux régionales de 2015, la participation n’a pas connu un
rebond significatif entre les deux tours. Comment l’expliquez-vous ?
Luc Rouban : Dès le premier tour, le RN a marqué le pas. En 2015, il y
avait eu une mobilisation pour éviter qu’une grande région ne tombe dans les
mains de l’extrême droite. Là, il n’y avait de risque qu’en Paca. Pour les
électeurs de gauche, l’enjeu n’était plus aussi important. D’autant plus qu’un
certain nombre de sortants, comme Laurent Wauquiez ou Xavier Bertrand, étaient
déjà quasiment assurés d’être réélus. Mais, derrière, il y a une lame de fond
plus inquiétante avec une abstention record. La loi NOTRe a permis de créer
d’immenses régions où le conseil régional peut être à plusieurs centaines de kilomètres.
Elles sont perçues comme des instances de gestion, avec des compétences
réduites et techniques. Ces élections mettent aussi en scène des professionnels
de la politique. Avec les fusions de listes, tout cela peut donner l’impression
d’une démocratie de l’entre-soi.
Dans quel contexte plus large s’inscrit cette abstention ?
Luc Rouban : Il ne faut pas oublier que, entre 2015 et 2021, il y a eu
la crise des gilets jaunes et le grand débat national. C’était aussi des
contestations de la démocratie représentative : il y avait une demande
d’efficacité, parfois autoritaire, à l’égard des élus. Cette idée est
maintenant très ancrée : 42 % des interrogés disent qu’en démocratie rien
n’avance et qu’il vaudrait mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. Il y
a l’idée que la démocratie, c’est bien, mais qu’elle ne résout pas les
problèmes de fond (égalité, justice sociale…). La demande d’équité est très
présente en France et détermine la confiance dans les institutions et la
démocratie représentative. Selon moi, c’est le principal moteur de
l’abstention.
Pourquoi, cette fois, l’électorat du RN s’est-il plus abstenu que
d’habitude ?
Luc Rouban : L’abstention touche essentiellement des jeunes non
diplômés. Or, c’est le cœur de l’électorat du RN. C’est aussi le résultat d’un
populisme de droite qui a consisté à dire, pendant des années, que le système
est corrompu avec des gens qui ne méritent pas qu’on les soutienne. Marine Le
Pen a été entendue, mais ça se retourne contre elle. S’ajoute à cela que
l’éventail de compétences de ces collectivités ne permet pas de traiter les
sujets au cœur de l’électorat du RN comme l’immigration ou les frontières. Il
ne faut donc pas projeter ces résultats sur la présidentielle.
La majorité présidentielle propose des ajustements techniques sur les modes
de scrutin pour répondre à l’abstention. Est-ce vraiment le cœur du problème ?
Luc Rouban : Pas du tout. Il ne faut pas se tromper : les trois quarts
des Français s’intéressent à la politique. Mais, pour eux, l’organisation de
cette politique ne fonctionne plus : ils ne voient pas l’impact au quotidien.
À quoi doit-on s’attendre pour 2022 ?
Luc Rouban : Tout
va dépendre de la campagne. Les Français ne veulent pas d’un nouveau duel entre
Macron et Le Pen. On peut penser qu’il y a un renouvellement de l’offre de la
droite parlementaire, notamment autour de Xavier Bertrand, et de la gauche,
avec peut-être une alliance socialo-écologiste. Le potentiel électoral à
gauche, aujourd’hui, est plus important qu’en avril 2017 : l’électorat qui
avait suivi Macron en est revenu. Sans oublier que le clivage droite-gauche n’a
jamais disparu, mais il faut qu’il soit incarné. À ce moment-là, l’abstention
ne sera pas la même, puisque ce ne seront pas des candidats par défaut.
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