Quelles
leçons tirer d’une double élection régionale et départementale où les deux
tiers des citoyens refusent de se rendre aux urnes ? Nous vivons un
naufrage démocratique, une crise sans précédent de la représentation politique.
Les classes populaires continuent de manifester leur défiance et leur
contestation d’un système dans lequel elles ne se reconnaissent plus.
Le chef de
l’Etat avait beau claironner qu’il allait « réduire la fracture
démocratique », c’est exactement l’inverse qui est « en
marche ». Sans citoyens-électeurs notre pays ne pourra conserver longtemps
le statut de démocratie. Cela déplait-il aux classes dominantes ? Pas du
tout ! Elles ont ainsi les mains libres pour mettre en œuvre leurs choix
antipopulaires et antinationaux. L’organisation de la vie démocratique du pays
est frontalement mise en cause et appelle à construire une nouvelle république
sociale et démocratique.
L’indifférenciation
croissante du paysage politique sous les auspices du marché tout puissant,
l’écrasement de la souveraineté populaire par les forces du consensus libéral
et la morgue de celles-ci figurent parmi les causes premières du désastre. Le
schisme entre la population et la représentation politique s’est
considérablement amplifié depuis le piétinement du vote majoritaire des
français contre le projet de traité constitutionnel européen en 2005. Cette
forfaiture aura été la suprême manifestation de l’arrimage des classes
possédantes à l’Union européenne et à ses traités libéraux, qui se traduisent
concrètement pour le peuple travailleur par la démolition de la République
sociale héritée de la grande Révolution et du mouvement ouvrier.
Depuis lors,
la participation électorale s’effondre de scrutins en scrutins, laissant
présager une « gouvernance » sans onction populaire dont rêve le
capital, sa technocratie d’Etat et ses mandataires ; une sorte de suffrage
censitaire insidieusement institué par la condamnation préalable de toute forme
d’alternative sociale et politique. Le suffrage est ainsi surdéterminé par le
comportement électoral des classes supérieures qui, soit par habitude, soit par
intérêt, se mobilisent. Une telle configuration a cependant toutes les chances
de se fracasser sur le mur des réalités noires que l’époque nous réserve. En
Italie, le processus d’indifférenciation est arrivé à maturation avec un
gouvernement d’union nationale, englobant libéraux, sociaux-démocrates,
nationalistes et populistes dits de gauche. Les néofascistes incarnent
aujourd’hui seuls l’opposition et sont devenus la seconde force du pays,
culminant à 20% dans les sondages les plus récents. De tels développements
pourraient se produire en France si la situation venait à perdurer. Pourtant,
la stratégie présidentielle consistant à créer un duo avec la cheffe de
l’extrême droite subit un terrible désaveu. Le parti présidentiel est dans une
situation d’extrême faiblesse et souvent disqualifié. C’est le parti de
droite, empruntant honteusement les thèmes de son extrême qui en profite.
Le fait que
les élections départementales et régionales soient les plus touchées par ce
désaveu démocratique ne doit rien au hasard : les régions comme les
départements – survivances d’une démocratie vivante et de proximité – ont été
les galops d’essai de la libéralisation des institutions : les deux
échelons ont été dévitalisés, et au fur et à mesure privés de leur autonomie
d’action. Sous couvert de décentralisation, avec la loi de 2004 et, après elle,
la loi NOTRE votée sous le quinquennat Hollande, et bientôt la loi dite 4D, ces
assemblées sont tendanciellement devenues des auxiliaires du pouvoir national,
lui-même arrimé à l’Union européenne et aux exigences du capital. Ainsi,
personne ne relève que les transports ferroviaires devenus responsabilités des
régions sont placés sous la tutelle de la directive européenne votée par les
droites et ouvrant le secteur à la concurrence. Leurs budgets, désormais, sont
essentiellement consacrés à leurs compétences obligatoires, avec le garrot des
dotations continuellement resserré autour du cou. Ces phénomènes majeurs qui
touchent à l’organisation démocratique du pays et la libre administration des
collectivités, à leurs capacités d’action pour le logement, la culture,
l’éducation, les transports, l’emploi, n’auront fait l’objet d’aucun débat
télévisé, d’aucune analyse par les grands médias tout occupés à scénariser les
desseins du pouvoir. La mobilisation à gauche des travailleurs et des citoyens
dimanche doit au contraire exprimer l’exigence d’une amélioration de la vie
quotidienne par des choix politiques radicalement opposées à cette gestion
libérale.
Les trémolos
dans la voix et des larmes feintes face à l’abstention de la part de ceux qui
portent une responsabilité majeure dans la faillite démocratique sont d’autant
plus obscènes. Le pouvoir et les médias qui lui sont affiliés n’auront cessé de
maquiller les enjeux des scrutins en cherchant à organiser un simulacre de
confrontation avec l’extrême droite par la mise en scène des thèmes qui lui
sont chers. Ils portent une responsabilité écrasante dans la situation. La
sécurité aura ainsi été au cœur des débats alors qu’elle n’est une compétence
ni des régions, ni des départements… Responsabilité majeure, ensuite, par
l’impéritie du gouvernement qui s’est rendu incapable de faire parvenir dans de
nombreuses boîtes aux lettres les programmes et professions de foi. Aussi
faut-il rappeler que la distribution de la propagande électorale – c’est-à-dire
des conditions d’une information pleine et entière des citoyens sur les choix
démocratiques – a été privatisée dans 51 départements… Au chapitre des
responsabilités, ajoutons celles du pouvoir précédent qui aura concocté un mode
de scrutin des élections départementales particulièrement illisible pour les
citoyens, avec quatre candidats pour chaque canton dont on peine à saisir le
rôle.
Bref, tout a
été méticuleusement entrepris pour pousser les citoyens à rester chez eux. Le
pouvoir pourra ainsi tenter de relativiser sa phénoménale déroute qu’aucun
autre parti majoritaire au Parlement n’a jusqu’ici subi. Et passer au plus vite
à la seule élection qu’il daigne considérer, celle du César omnipotent qui
siège pendant cinq ans à l’Elysée.
La
mobilisation pour le second tour n’en est que plus importante. Partout, il
convient d’empêcher droite et extrême-droite de se saisir d’exécutifs
départementaux et régionaux. Des listes de gauche et des candidatures
communistes ont fait preuve d’une belle résistance. Elles sont les seules à
proposer l’alternative que le système tente par tous les moyens de condamner.
Leur donner de la force dimanche, c’est refuser l’abandon démocratique qui
chemine à l’ombre de l’emprise capitaliste globale.
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