Si nous nous
contentions de constater la reconduction des présidents de région sortants,
nous nous aveuglerions sur la profondeur des manifestations de défiance qui
tourmentent le pays. Sans évidemment contester la légitimité de celles et ceux
qui ont gagné les élections, force est de constater qu’ils ne le doivent qu’à une
minorité d’inscrits sur les listes électorales.
Songeons que
les candidats soutenus par le président de la République n’ont rassemblé sur
leur nom que… 3% des inscrits lors du premier tour. Ajoutons qu’une démocratie
qui laisse si massivement sa jeunesse se détourner de la vie de la cité se
condamne à moyen terme.
Ce terrible
désaveu n’est en aucun cas la manifestation d’un désintérêt pour la politique.
L’abstention devient pour beaucoup un acte politique pour être écouté et
entendu. C’est parce que les pouvoirs restent sourds à la multitude des
mouvements syndicaux, sociaux, citoyens, aux luttes pour une réforme juste du
système de retraite comme pour la défense de la sécurité sociale, aux
mouvements des Gilets jaunes comme aux « nuits debout », aux combats
unitaires pour empêcher la privatisation d’EDF ou de la SNCF, aux actions des
jeunes pour le climat, des femmes pour l’égalité, ou encore à la diversité des
actions des travailleurs pour défendre l’industrie, l’emploi et les services
publics, qu’en conscience une majorité de nos concitoyens organisent le silence
des urnes.
Toutes ces
manifestations de la volonté populaire se heurtent aux pouvoirs successifs qui,
refusant d’écouter ces exigences, accélèrent la mise aux normes du pays aux
canons de la mondialisation capitaliste. Le système représentatif est
ainsi englué dans une « alternance » qui perpétue les mêmes
politiques au service des puissances d’argent. Mais le fameux duo Macron-le
Pen, qui ne sert qu’à verrouiller le paysage politique, est ébranlé.
D’évidence, notre peuple cherche une autre voie.
Ce qui tend à
devenir une farce démocratique trouve parmi ses causes premières le poids
exorbitant des institutions européennes sur les politiques nationales et
locales qui fixent le cadre d’un consensus libéral dévastateur pour le modèle
républicain, notamment la conception républicaine des services publics, et
empêchent son déploiement vers une République sociale démocratique et
écologique, réellement protectrice.
Le système
institutionnel agonise ainsi dangereusement. Le pouvoir, qui prend appui sur
les classes supérieures bien plus mobilisées que la moyenne, subit une déroute
d’ampleur qui laisse augurer un redoublement de la crise de légitimité des
institutions. Mais si l’extrême droite ne sort pas renforcée du scrutin, gare à
en tirer des conclusions trop hâtives car ses idées nauséabondes, derrière
lesquelles court une bonne partie des droites et du pouvoir, sont toujours là :
aux présidentielles qui concentrent toute l’attention pourrait s’exprimer tout
autre chose… Au point de déliquescence où se trouve la démocratie, il faudra
plus que des rustines pour la faire revivre. Le présidentialisme
grotesque et les politiques libérales menées sous les auspices de l’Union
européenne produisent un cocktail amer qui mine l’ensemble de l’architecture
démocratique.
L’enjeu
réclame d’engager un processus de transformation radicale des institutions
portant une souveraineté populaire sur les choix politiques et économiques. Une
nouvelle République, la sixième, qui devrait devenir la première République
sociale, démocratique et écologique. Partout, de l’usine à l’université
jusqu’au Parlement et au plus haut niveau de l’Etat, l’urgence est d’inventer
de nouvelles formes de démocratie et d’interventions conférant de réels
pouvoirs aux citoyens. C’est ce que demandent celles et ceux qui souffrent de
ne pouvoir correctement se nourrir, se loger, travailler avec des bons salaires
ou des revenus corrects pour les paysans et les artisans. La 5ème République se
meurt. Il faut, avec les citoyens, en inventer une nouvelle.
Patrick Le
Hyaric
Directeur de
l’Humanité
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