mercredi 30 juin 2021

Inventer une démocratie nouvelle, l’éditorial de L’Humanité Dimanche du 01 au 04 juillet 2021 – par Patrick Le Hyaric.



Si nous nous contentions de constater la reconduction des présidents de région sortants, nous nous aveuglerions sur la profondeur des manifestations de défiance qui tourmentent le pays. Sans évidemment contester la légitimité de celles et ceux qui ont gagné les élections, force est de constater qu’ils ne le doivent qu’à une minorité d’inscrits sur les listes électorales.

Songeons que les candidats soutenus par le président de la République n’ont rassemblé sur leur nom que… 3% des inscrits lors du premier tour. Ajoutons qu’une démocratie qui laisse si massivement sa jeunesse se détourner de la vie de la cité se condamne à moyen terme.

Ce terrible désaveu n’est en aucun cas la manifestation d’un désintérêt pour la politique. L’abstention devient pour beaucoup un acte politique pour être écouté et entendu. C’est parce que les pouvoirs restent sourds à la multitude des mouvements syndicaux, sociaux, citoyens, aux luttes pour une réforme juste du système de retraite comme pour la défense de la sécurité sociale, aux mouvements des Gilets jaunes comme aux « nuits debout », aux combats unitaires pour empêcher la privatisation d’EDF ou de la SNCF, aux actions des jeunes pour le climat, des femmes pour l’égalité, ou encore à la diversité des actions des travailleurs pour défendre l’industrie, l’emploi et les services publics, qu’en conscience une majorité de nos concitoyens organisent le silence des urnes.

Toutes ces manifestations de la volonté populaire se heurtent aux pouvoirs successifs qui, refusant d’écouter ces exigences, accélèrent la mise aux normes du pays aux canons de la mondialisation capitaliste.  Le système représentatif est ainsi englué dans une « alternance » qui perpétue les mêmes politiques au service des puissances d’argent. Mais le fameux duo Macron-le Pen, qui ne sert qu’à verrouiller le paysage politique, est ébranlé. D’évidence, notre peuple cherche une autre voie.

Ce qui tend à devenir une farce démocratique trouve parmi ses causes premières le poids exorbitant des institutions européennes sur les politiques nationales et locales qui fixent le cadre d’un consensus libéral dévastateur pour le modèle républicain, notamment la conception républicaine des services publics, et empêchent son déploiement vers une République sociale démocratique et écologique, réellement protectrice.

Le système institutionnel agonise ainsi dangereusement. Le pouvoir, qui prend appui sur les classes supérieures bien plus mobilisées que la moyenne, subit une déroute d’ampleur qui laisse augurer un redoublement de la crise de légitimité des institutions. Mais si l’extrême droite ne sort pas renforcée du scrutin, gare à en tirer des conclusions trop hâtives car ses idées nauséabondes, derrière lesquelles court une bonne partie des droites et du pouvoir, sont toujours là : aux présidentielles qui concentrent toute l’attention pourrait s’exprimer tout autre chose… Au point de déliquescence où se trouve la démocratie, il faudra plus que des rustines pour la  faire revivre. Le présidentialisme grotesque et les politiques libérales menées sous les auspices de l’Union européenne produisent un cocktail amer qui mine l’ensemble de l’architecture démocratique.

L’enjeu réclame d’engager un processus de transformation radicale des institutions portant une souveraineté populaire sur les choix politiques et économiques. Une nouvelle République, la sixième, qui devrait devenir la première République sociale, démocratique et écologique. Partout, de l’usine à l’université jusqu’au Parlement et au plus haut niveau de l’Etat, l’urgence est d’inventer de nouvelles formes de démocratie et d’interventions conférant de réels pouvoirs aux citoyens. C’est ce que demandent celles et ceux qui souffrent de ne pouvoir correctement se nourrir, se loger, travailler avec des bons salaires ou des revenus corrects pour les paysans et les artisans. La 5ème République se meurt. Il faut, avec les citoyens, en inventer une nouvelle.

Patrick Le Hyaric

Directeur de l’Humanité

 

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