Ouvertes lundi, les
assises de la santé mentale étaient censées remettre à plat un secteur
sinistré. Il n’en sera rien, assurent les membres du Printemps de la
psychiatrie.
Promises en janvier par Emmanuel Macron pour une tenue « avant
l’été », les assises de la santé mentale et de la psychiatrie auront
donc attendu le début de l’automne pour se tenir. Mais, plus que ce retard à
l’allumage, c’est le contenu de ce rendez-vous présenté comme « historique » par
l’exécutif qui déçoit et inquiète nombre de professionnels du secteur, réunis
au sein du Printemps de la psychiatrie, un collectif fondé en 2018. « Ces
assises sont à l’image de la psychiatrie qui nous attend, virtuelle et
verticale », et mettent délibérément de côté de « nombre de
problématiques » comme la réforme de son financement, bientôt calqué
sur la tarification à l’activité (T2A) qui a déjà fait tant de mal à
l’hôpital public, ou « le débat sur les pratiques de contention et
d’isolement », écrivent ces acteurs (1) qui, en réponse, organisent ce
mardi, à 14 heures, un « rassemblement-tintamarre » devant
le ministère de la Santé.
Disparition du mot « soin »
Pourtant, reconnaît le collectif, ce « parent pauvre de la santé » qu’est
la psychiatrie avait bien besoin qu’on débatte de son organisation et qu’on lui
donne enfin les moyens de faire face à des besoins croissants –
12 millions de Français souffrent de troubles psychiques (+ 40 %
en dix ans), un phénomène accentué par les confinements liés au Covid. « Mais
la confrontation au réel n’aura pas lieu lors de ces assises. On n’y parlera
pas du nombre ridicule de pédopsys, des listes d’attente qui s’allongent, ni de
ces paroles de terrain qui sont régulièrement bâillonnées », alerte
Sandrine Deloche, pédopsychiatre, membre du Collectif des 39 et du Printemps de
la psychiatrie. « Petit à petit, le mot “soin” a disparu du discours, témoigne
aussi Marie Bakchine, psychologue et membre du Collectif Grand-Est pour la
défense du secteur médico-social. O n parle au mieux
d’“accompagnement”, voire d’“intervention”. La priorité, c’est la gestion des
flux de patients et, au fond, de traiter les pathologies à moindre coût. Quitte
à utiliser des postulats scientistes qui résument l’être humain à son seul
fonctionnement neuronal. »
Même la perspective, qui pourrait être annoncée par Emmanuel Macron ce
mardi, d’un remboursement par la Sécuristé sociale des consultations de psychologues
ne convainc guère tant elle est soupçonnée de vouloir détourner une partie du
flux des patients du secteur sinistré de la psychiatrie vers les psychologues
libéraux. Lesquels craignent un montant de remboursement « indécent », autour
de 30 euros, remboursement qui serait soumis « à prescription et
contrôle médicaux », ce qui serait « catastrophique pour la
profession », a estimé Patrick-Ange Raoult, le secrétaire général du
Syndicat national des psychologues, qui appelle, lui aussi, avec la CGT ou SUD,
à un rassemblement ce mardi après-midi devant le ministère.
On le voit, les colères sont multiples dans un secteur en proie à une
véritable « catastrophe gestionnaire », qui a déjà conduit à
la fermeture de dizaines de milliers de lits et de nombreux établissements.
Dans ce contexte, la mise en place, le 1er janvier, de la tarification à
l’activité (rebaptisée ici « par compartiment », sans doute pour mieux faire
rentrer les malades dans des cases…) fait craindre le pire aux
professionnels. « On a vu les effets délétères que cela a eu sur le
reste de la médecine depuis 2003. Les actes de soin ont été découpés en
tranches, à qui on a attribué des tarifs. Les plus rentables ont été
privilégiés au détriment des autres. Jusqu’ici, la psychiatrie était préservée
de cela. C’est bientôt fini », regrette Loriane Bellahsen, psychiatre
dans un hôpital de jour accueillant des autistes, à Paris.
« Attacher et isoler »
Autre préoccupation majeure, « l’inflation des contentions
physiques et des isolements psychiatriques », devenus pratiques
courantes, voire « systématiques », selon Catherine
Skiredj-Hahn, présidente de l’association Le Fil conducteur-Psy. « Attacher
et isoler redoublent et aggravent les isolements (…) des personnes déjà
fragilisées par leurs troubles psychiques », rappelle une tribune
de 200 professionnels publiée dimanche sur Leparisien.fr. Des pratiques
qu’il ne fait pas bon dénoncer trop ouvertement. Pour avoir saisi le contrôleur
général des lieux de privation de liberté, en mai 2020, sur une « confusion
entre confinement sanitaire et isolement psychiatrique » dans son
établissement d’Asnières-sur-Seine, le psychiatre Mathieu Bellahsen y a été
démis de ses fonctions de chef de pôle, en juillet. Un exemple parmi d’autres
de la « répression » qui s’abat sur ceux qui entendent résister à la « culture
de l’enfermement ».
(1) Lire la tribune « Le silence des assises de la santé mentale et de la
psychiatrie » sur l’Humanité.fr.
Suicide : un numéro vert
Avant la clôture des assises par le chef de l’État, ce mardi, le ministre
de la Santé a fait une première annonce. Le nouveau numéro national de
prévention du suicide, promis lors du Ségur de la santé, entrera « en
fonctionnement » vendredi, a indiqué Olivier Véran. « Gratuit,
accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 depuis tout le territoire
national, ce numéro permettra d’apporter une réponse immédiate aux personnes en
détresse psychique et à risque suicidaire », a-t-il assuré. Il
complète le système « de rappel et de suivi des personnes ayant fait
une tentative de suicide », VigilanS, créé en 2015 dans les
Hauts-de-France.
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