mardi 30 novembre 2021

« Entre ici Joséphine Baker », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité



Ce matin, la petite fille pauvre de l’Amérique ségrégationniste, meneuse de revue des Années folles, résistante et militante antiraciste, devenue française, sera la première Noire à entrer au Panthéon. Avec celle qui fut la seule femme à prendre la parole aux côtés de Martin Luther King lors de la marche des droits civiques de Washington le 28 août 1963, ce sont les rêves d’émancipation de tous les peuples du monde qui s’invitent dans l’histoire de France.

Les grincheux convoqueront son soutien au général de Gaulle en 1968. On pourrait rappeler qu’elle fut aussi une amie de la révolution cubaine, proche de Fidel Castro. D’autres, derrière des lunettes anachroniques, expliqueront qu’elle a prêté son corps au pire de l’inconscient colonial. Joséphine Baker, irréductible, fut simplement une femme de son temps et, chose rare, aussi généreuse sur la scène publique que dans sa vie privée.

Alors ne boudons pas notre plaisir de voir ainsi honorée cette face lumineuse d’une France métisse, résistante, joyeuse et solidaire, à laquelle nous avions donné le nom d’une des avenues de la Fête de l’Humanité, comme le rappelle joliment son fils, Brian Bouillon-Baker, aujourd’hui dans nos colonnes. Mais la décision présidentielle de faire figurer au Panthéon celle qui apprit à danser « parce qu’elle avait froid », présentée par les macronistes comme plus « consensuelle » que Gisèle Halimi, détonne tellement avec le climat ambiant qu’elle pourrait laisser un goût amer. Comment pourraient résonner les mots d’hommage du président de la République à ce parcours militant exceptionnel, quand, en même temps, les tentes des réfugiés de Calais sont lacérées ? Quand la mer, pont entre les « deux amours » de la chanteuse, est devenue le cimetière de destins brisés par les guerres et la misère ? Aux antipodes des égoïsmes nationaux qui se déchaînent, la vie de Joséphine Baker est une allégorie de la solidarité universelle.

« Avec flamme », le billet de Maurice Ulrich.



C’est bien d’aller voir le pape. On se souvient que Nicolas Sarkozy en avait retenu que les prêtres étaient mieux placés que les instituteurs pour apprécier la différence entre le bien et le mal, ce qui était, comme on l’a su par la suite, un peu approximatif. Emmanuel Macron, qui s’est rendu au Vatican, l’a vu la semaine passée, pour un entretien que l’on dit chaleureux. On ne sait pas vraiment pourquoi, sauf à penser qu’il se servirait de François dans sa campagne électorale de non-candidat pour rassurer l’électorat catholique français, un peu secoué ces temps-ci. Il a tiré toutefois de cette rencontre une grande idée : « L’Europe est face à un défi civilisationnel, comparable à celui qu’elle a connu à la fin du Moyen Âge et auquel elle a répondu par la Renaissance. » On sait comment l’Église y a joué son rôle avec Galilée, ou encore avec Giordano Bruno et quelques autres, en y mettant toute sa flamme. Mais c’est passé, ne soufflons pas sur les braises. Dans l’Église d’aujourd’hui il n’y a « que » les femmes qui attendent la renaissance.

lundi 29 novembre 2021

« L’égoïsme des puissants », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



Un nouveau variant surgit… et le monde tremble. Rien d’étonnant. Depuis le début de la pandémie, qui a déjà tué entre 5 et 15 millions d’humains, les scientifiques n’ont cessé d’alerter sur cette caractéristique « ordinaire » des virus et leurs variations, plus ou moins dangereuses. D’inédits mutagènes, plus contagieux, semblent être la caractéristique d’Omicron, détecté en Afrique australe. Les mois passent, nous vivons des jours sans fin aux scénarios écrits à l’avance, et le Covid-19 n’en finit plus de nous narguer, tendant à nos sociétés un miroir cruel, révélant ce qu’il y a de pire au cœur du capitalisme globalisé. Chacun en convient, le coronavirus mute de façon massive dans des zones sans couverture vaccinale, sans doute chez les malades immunodéprimés, trouvant ainsi des moyens pour échapper au système immunitaire. Conclusion ? Tant que nous ne vaccinerons pas massivement toute la population mondiale, personne ne sera à l’abri. Nulle part.

L’égoïsme et l’aveuglement des puissants nous mènent à l’abîme. Bientôt deux ans se seront écoulés, et la non-levée des brevets sur les vaccins se révèle pour ce qu’elle est : une monstruosité criminelle ! Seule 7 % de l’Afrique est protégée. Et les populations pauvres de la planète, soumises aux rebonds épidémiques de l’Occident, attendent « l’aumône » des pays riches, sous forme de « redistribution de doses »…

La cupidité des financiers menace l’humanité. Mais que les maîtres du monde, à commencer par les principaux dirigeants politiques, prennent bien conscience que cette pandémie est, pour eux aussi, un test dramatique. Face à leur devoir moral et face à l’Histoire, pousseront-ils l’OMC à lever les brevets et à aider enfin massivement les pays en développement, au moins pour nous protéger en retour – à défaut de compassion envers les damnés de la Terre ?

Pendant ce temps-là, le monde riche se barricade, voulant interdire à Omicron d’entrer chez lui. Pourtant, le virus ne se noiera pas dans la Manche ou la Méditerranée dans l’indifférence. En vérité, nous sommes tous concernés par le nationalisme vaccinal et la soumission aux multinationales. Car l’humanité réclame tout le contraire. L’accès aux soins et aux médicaments, comme un droit universel… et non une source de profit pour les actionnaires.

 

« Que dit-elle » ? Le billet de Maurice Ulrich.



Mais où est passée Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, que l’on n’entend plus ? Comment oublier, pourtant, comment elle avait pris, au début de l’année, la tête du combat contre l’islamo-gauchisme qui se répandait à la vitesse d’un nouveau variant de l’intolérance et du totalitarisme, dans les universités françaises ? La droite et son extrême en étaient restées bouche bée, ne pouvant qu’approuver. Jean-Michel Blanquer, Marlène Schiappa et d’autres avaient suivi. Plus tard à Grenoble, un syndicat étudiant mettait en cause deux professeurs taxés d’islamophobie. La ministre avait donc raison ! Elle demandait des sanctions exemplaires. L’affaire faisait grand bruit. Un nouveau fascisme s’installait dans l’enseignement supérieur. La droite et l’extrême droite renchérissaient. Elles l’avaient toujours su. On soutenait les deux professeurs devenus des victimes. On parlait même de Samuel Paty. Les dix-sept étudiants incriminés ont été relaxés il y a déjà dix jours par la commission disciplinaire universitaire. Peut-être un nouveau complot islamo-gauchiste. Que dit madame Vidal ?

 

Covid. Omicron, le variant qui fait trembler la planète



Olivier Chartrain

Apparu en Afrique du Sud, le variant B.1.1.529 présente plus d’inconnues que de certitudes. Classé « préoccupant » par l’OMS, ce nouveau mutant à la contagiosité très élevée et moins vulnérable aux vaccins, inquiète au plus haut point.

À l’origine, quelques jours après son apparition en Afrique du Sud, d’une vague de peur et de fermetures de frontières, le variant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a baptisé « Omicron » reste à déchiffrer. Mais il met d’ores et déjà en question l’égoïsme des pays riches et leur refus de donner aux pays du Sud un accès suffisant aux vaccins.

1/ Les pays du sud, usines à variants

Prétendre que l’apparition de ce nouveau variant dans le paysage de la pandémie serait une surprise serait mentir. Comme tous les virus, le coronavirus Sars-CoV-2 se reproduit en recopiant son code génétique, et, comme tous les virus, des erreurs de copie – des mutations – se glissent parmi les quelque 30 000 « briques » (les nucléotides) qui composent son génome. Sars-CoV-2 est réputé produire moins de mutations que d’autres virus : deux fois moins que celui de la grippe, par exemple. Mais il en produit quand même. Et si, parmi celles-ci, certaines affaiblissent le virus ou sont inoffensives, d’autres peuvent le rendre plus contagieux, plus résistant aux anticorps – qu’ils proviennent d’une première contamination ou des vaccins – ou plus dangereux sur le plan de la maladie qu’il déclenche : ces mutations sont alors appelées variants.

Avant même de connaître leurs caractéristiques, un premier enjeu est de ne pas favoriser les mutations, de manière à limiter le risque d’apparition de variants agressifs. Le premier paramètre sur lequel jouer est d’une simplicité mathématique : plus est grand le nombre de personnes porteuses du virus, chacune d’entre elles devenant un mini-incubateur où le virus se reproduit, plus s’accroît le nombre de mutations et le risque d’apparition de variants. Pour réduire ce risque, il faut faire en sorte que le moins de personnes possible soient contaminées. L’histoire de la pandémie actuelle le démontre : le variant Alpha est apparu au Royaume-Uni, où, en faisant au départ le choix de l’immunité collective, le gouvernement avait laissé galoper l’épidémie au sein de la population. Même chose pour le variant Gamma, venu du Brésil, lui-même très vite supplanté par le variant Delta, cause de la cinquième vague de la pandémie et venu d’Inde où, aujourd’hui encore, moins d’un tiers de la population est vacciné.

Le nouveau variant Omicron est apparu en Afrique du Sud. Or, ce pays, comme la totalité de l’Afrique, présente toutes les caractéristiques d’une redoutable « usine à variants », où le virus galope sans entrave au sein d’une population très peu protégée (24 % de vaccinés). Non par choix politique, cette fois, mais en raison de l’égoïsme des pays riches, qui n’ont jamais pris les mesures nécessaires – envoi de vaccins en masse et levée des brevets permettant de les produire – pour que les pays du Sud puissent vacciner au plus vite leurs populations. Pire : selon certaines hypothèses, le fait que l’Afrique du Sud soit l’un des pays du monde où le taux d’infection par le VIH est le plus élevé, avec un mauvais accès aux traitements, pourrait avoir « appris » au Sars-CoV-2 à contourner les défenses immunitaires.

2/ Contagiosité, résistance, dangerosité : que sait-on ?

On a encore très peu de certitudes sur les caractéristiques d’Omicron. Toutefois, le peu que l’on sait a déjà suffi pour que l’OMS le classe comme « préoccupant » et pour que de nombreux pays, dont la France, décident de fermer leurs frontières aux voyageurs provenant ou revenant d’Afrique australe. Sur le plan génétique, Omicron présenterait une trentaine de mutations affectant principalement la protéine Spike, utilisée par le virus pour se fixer aux cellules de son hôte. La liste des effets potentiels de ces variations a de quoi inquiéter. Certaines pourraient améliorer la résistance du virus aux anticorps, qu’il s’agisse de ceux produits lors d’une infection précédente (par un autre variant) ou de ceux produits par les vaccins. D’autres seraient susceptibles d’aggraver sa virulence, donc la dangerosité de l’infection qu’il déclenche. Enfin, d’autres mutations pourraient accroître la transmissibilité du virus, donc sa contagiosité.

Dans tous les cas, il faut prendre ces hypothèses avec beaucoup de prudence et attendre que les premières études scientifiques les confirment – ou les infirment. La vitesse à laquelle le variant Omicron est devenu dominant dans certaines régions d’Afrique du Sud semble aller dans le sens d’une contagiosité encore plus grande que celle du variant Delta, dont c’est pourtant la principale caractéristique. Par ailleurs, certains témoignages de médecins, toujours en provenance d’Afrique du Sud, semblent indiquer que les malades affectés par Omicron ne souffrent pas de symptômes plus graves. Ainsi la présidente de l’Association médicale sud-africaine, Angelique Coetzee, citée par l’AFP, rapporte-t-elle que la trentaine de patients qu’elle a déjà pu examiner souffraient avant tout d’une « fatigue extrême », ajoutant que « même les patients que nous avons vus et qui n’étaient pas vaccinés (présentaient) des symptômes légers ». Un témoignage rassurant, mais évidemment trop partiel pour en tirer des conclusions hâtives.

3/ Quelles mesures doit-on prendre ?

Comme d’autres pays d’Europe, la France a décidé de fermer ses frontières à toutes les personnes arrivant (ou revenant) de sept pays d’Afrique australe : Afrique du Sud, Botswana, Eswatini (ex-Swaziland), Lesotho, Mozambique, Namibie et Zimbabwe. Un type de mesure déjà prise à l’encontre des pays où avaient été détectés les variants précédents, avec une efficacité toute relative, comme on a pu le constater depuis. D’ailleurs, dès dimanche 28 novembre, le ministre de la Santé n’a pas caché qu’il y avait sans doute « déjà des cas en circulation » sur le territoire national, leur détection étant « très probablement une question d’heures ». Toutefois, Olivier Véran a jugé que cette situation « n’impacte pas le profil de la vague épidémique que nous connaissons » et qu’il n’était donc pas nécessaire, pour le moment, de renforcer les mesures prises pour enrayer cette dernière. Une prudence que le trop grand nombre d’inconnues entourant ce nouveau variant pourrait justifier.

Reste que ce contexte souligne en particulier l’incohérence de l’allégement du protocole sanitaire dans les écoles primaires, qui ne prévoit plus la fermeture des classes au premier cas mais contraint les parents à retirer leurs enfants de l’école tant qu’ils ne peuvent présenter un test négatif. Autre élément clé de la stratégie française : le recours à la troisième dose de vaccin, justifié par la baisse constatée de la protection au bout de six mois. S’il s’avérait que le variant Omicron présente une résistance aux vaccins, ce pan de la stratégie se trouverait considérablement affaibli. Et pendant que le gouvernement affiche un objectif de 10 millions de troisièmes doses d’ici à la fin de cette semaine, les pays du Sud continuent, faute de vaccins, à se transformer en bouillons de culture viraux d’où surgiront, comme autant de boomerangs armés par l’égoïsme des pays riches, des variants à la dangerosité inconnue.

En europe, les citoyens se mobilisent pour la levée des brevets

Dans plusieurs villes européennes – Bruxelles, Genève et Paris –, des mobilisations sont prévues mardi pour réclamer la levée des brevets sur les vaccins et l’accès aux traitements contre le Covid. Elles s’inscrivaient dans le cadre de la conférence ministérielle de l’OMC, qui devait s’ouvrir en Suisse le 30 novembre. Malgré son report, les manifestations sont maintenues, alors que 10 000 personnes meurent tous les jours du Covid. À l’appel de plusieurs organisations syndicales, partis, associations, au nom de « la vie plutôt que les profits », le rassemblement aura lieu place de la Bourse à Paris vers 18 heures.

 

vendredi 26 novembre 2021

« Quinze minutes », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.

 


Leur agonie a peut-être duré quinze minutes. C’est le temps que le corps peut tenir, paraît-il, dans les eaux glaciales de la Manche en cette saison. Imagine-t-on ce qu’ont enduré pour leurs derniers instants les 27 que la mer a engloutis ? Se figure-t-on l’épouvante dans leurs yeux sachant leur mort certaine et la voyant venir, perdus au milieu des flots ? C’est cette réalité indicible que raconte cette information brute : 27 personnes qui tentaient de gagner la Grande-Bretagne depuis la France ont péri noyées dans le naufrage de leur bateau, mercredi.

Exceptionnel par le nombre de victimes, ce drame ne l’est pas par ses circonstances tant elles se répètent à l’identique, de noyés en noyés. Bien sûr, la précarité des embarcations, leur surcharge sont les causes directes de la mort de ces malheureux. Mais la cause réelle, celle qui pousse à prendre des risques insensés avec sa propre vie, est bien l’inhumanité des politiques migratoires.

Que chaque responsable public ou candidat à une telle charge, à la lumière de ces drames récurrents, mesure la responsabilité de ses propos d’estrade en matière d’immigration et de droit d’asile. Car c’est de la vie et de la mort d’êtres humains qu’il est question au bout du compte. « La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière », a déclaré Emmanuel Macron, saisi d’effroi lui aussi. Mais ces eaux sont déjà la nécropole de tous ces damnés, morts d’avoir voulu une vie meilleure.

Les réponses esquissées ne s’attaquent pas à ce qui provoque ces tragédies : plus de Frontex, c’est-à-dire toujours plus de gardes, de contrôle, d’interception et d’expulsion d’immigrants. Il faut craindre que cela se traduise par encore plus de prise de risques des candidats à la traversée, plus de trafic de passeurs sans scrupules. Et plus d’agonie en mer, tant que ne seront pas dénoncés les insoutenables accords du Touquet et de Dublin, qui transforment notre pays en garde-frontière inflexible de l’Europe et de l’Angleterre.

 

« Pour les pauvres », le billet de Maurice Ulrich.



Emmanuel Macron président des riches ? Mais qui a vraiment profité du quinquennat ?, interroge le magazine Challenges. Ses mesures fiscales auraient été plutôt favorables à tout le monde… Enfin, sauf les plus pauvres, les retraités et quelques autres qui ont vu leurs revenus baisser, c’est pas de chance. Eh bon, c’est vrai, les plus aisés, un pour cent de la population, en ont le plus profité, et même davantage pour le 0,1 %. En pourcentage et surtout en montant brut, soit dix à vingt fois plus que les bas revenus. Challenges nous le dit simplement. C’est « un enrichissement lié à la suppression de l’impôt sur la fortune et à la baisse de la taxation des dividendes ». De là à parler de président des riches ! D’ailleurs, le magazine lève une idée reçue. Ce ne sont pas les hyperriches qui ont le plus bénéficié de la suppression de l’ISF. En jouant sur plusieurs mécanismes, ils ne le payaient presque pas. « Les impôts, disait une milliardaire américaine dont on a oublié le nom, c’est pour les pauvres. » 

 

Santé. « La situation des hôpitaux doit être au cœur de la présidentielle »



Florent LE DU

L’état de notre système de santé publique continue de se détériorer. La sénatrice Laurence Cohen l’a constaté récemment en Mayenne, où elle a également avancé les solutions portées par les communistes pour sortir de cette crise durable. Entretien.

LAURENCE COHEN, Sénatrice PCF

Le projet de loi de finances de la Sécurité sociale 2022 (PLFSS 2022), qui doit être tout prochainement adopté, est loin de répondre aux besoins de l’hôpital public, dont la crise ne fait que s’aggraver. C’est ce qu’a dénoncé au Sénat Laurence Cohen (PCF), qui s’est ensuite rendue auprès des personnels hospitaliers mobilisés. Pourtant, des solutions à court et long terme existent.

En début de semaine, vous vous êtes rendue en Mayenne, rencontrer les soignants. Qu’avez-vous pu constater sur l’état de l’hôpital public ?

Laurence Cohen : Ce territoire, le troisième désert médical de France, illustre ce qui se passe pour l’ensemble du système de santé français. Les deux hôpitaux publics de ce département sont en grande difficulté. Dans celui de la ville de Mayenne, l’agence régionale de santé (ARS) veut supprimer l’activité de chirurgie conventionnelle et continue à supprimer des lits de surveillance, ce qui par ricochet met en danger le service de cardiologie et la maternité. L’ARS souhaite transférer la chirurgie conventionnelle vers l’hôpital de Laval, sans savoir s’il peut absorber ce surplus d’activité. De toute évidence non, puisque, depuis le début du mois de novembre, les urgences ont dû fermer leurs portes plusieurs nuits. Et lorsqu’elles sont ouvertes, les conditions d’accueil et de soins sont terribles. Ces deux derniers week-ends, les personnels ont dû tenir les urgences alors qu’ils n’avaient aucun lit disponible… Caroline Brémaud, la cheffe des urgences, m’a dit que « le premier médicament indispensable, c’est l’humain », mais ce contact n’existe plus. C’est dû au manque de personnel mais aussi à une gestion extrêmement administrative de l’hôpital. Ils sont en train de dégoûter les professionnels.

Olivier Véran assure que le PLFSS 2022 sera « celui de la sortie de crise ». Le texte du gouvernement peut-il permettre d’améliorer la situation ?

Laurence Cohen : Non seulement il ne l’améliorera pas, mais il la détériore encore. À aucun moment dans le PLFSS on ne prévoit une réouverture de lits, un changement du mode de gouvernance, une tentative d’améliorer les conditions de travail… La boussole reste la même : faire des économies au niveau de la santé et de l’hôpital. C’est extrêmement important de rendre compte de la situation des hôpitaux et de la mobilisation des personnels parce que ce débat doit être au cœur de l’élection présidentielle. Les gens que j’ai rencontrés ne me parlent pas de sécurité, ils me parlent de pouvoir d’achat et de santé. Il y a notamment besoin de nouveaux financements pour la Sécurité sociale, ce qu’ont refusé à la fois Olivier Véran et la droite sénatoriale. Il faut mettre fin aux nombreuses exonérations de cotisations patronales qui existent et mettre à contribution les revenus financiers. Faire appliquer la loi de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes ferait de plus augmenter les cotisations, ce qui permettrait donc de faire entrer plusieurs milliards d’euros de recettes pour la Sécurité sociale.

Ces moyens suffiraient-ils pour ouvrir rapidement des lits ? L’exécutif rétorque que pour cela il faut davantage de personnels et donc du temps pour les former…

Laurence Cohen : D’une part, quand on est au gouvernement, il faut avoir une vue à long terme. C’est donc dès maintenant qu’il faut mettre des moyens pour ces formations, ce qu’il ne prévoit pas. Des moyens pour que le numerus clausus en faculté de médecine soit réellement supprimé, mais aussi pour que des formations internes puissent se faire sans attendre. Une aide-soignante de Laval m’expliquait que le centre hospitalier, faute de budget, lui a refusé une formation d’infirmière pourtant prévue par son contrat… Pour le court terme également, il faut revoir totalement l’organisation de l’hôpital, améliorer les conditions de travail et rendre celui-ci plus attractif. Avant la pandémie et encore plus depuis, énormément de personnels ont quitté les hôpitaux. Mais beaucoup reviendraient rapidement si on changeait de logique, en arrêtant les économies et la tarification à l’acte, en changeant le mode de gouvernance, en retrouvant de l’humanité dans ces métiers. Mais le gouvernement ne le veut pas et continue de considérer que notre système de santé est un coût qu’il faut réduire. 

 

jeudi 25 novembre 2021

« Retour à Florange », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



Voilà un sujet qui nous parle de la réalité du pays. Après des mois de lutte acharnée pour sauver leur usine, les SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) de Decazeville étaient suspendus aux intentions de Renault. Le verdict est tombé, et la marque au losange ne respectera pas ses engagements, ni ne suivra le repreneur en lui assurant le plan de charge indispensable au maintien des emplois et au développement de l’activité. Un nouvel épisode de désindustrialisation aussi absurde que révoltant.

La SAM fabrique des pièces détachées pour l’industrie automobile. Y a-t-il besoin de pièces automobiles en France ? La réponse est oui. Renault a-t-il besoin de ces pièces pour construire ses véhicules ? La réponse est oui. La firme a-t-elle les moyens de les payer ? La réponse est oui. Va-t-elle le faire ? La réponse est non. Absurde. Et nous n’avons pas affaire, comme c’est désormais souvent le cas, à un lointain décideur sur lequel le gouvernement n’aurait aucune prise. Renault est détenue à 15 % par l’État et est gorgée d’aides publiques par temps de pandémie. Eh bien, même dans ce cas, au détriment de la raison sociale et climatique, ce sont les profits futurs de Renault, en délocalisant l’activité, qui guident la décision finale. Révoltant.

Après les mines, hier, puis la casse sidérurgique, puis les menaces sur l’hôpital public, l’Aveyron en général et Decazeville en particulier sont des martyrs de la désindustrialisation. Et le gouvernement ne peut pas plaider la surprise. La situation dure depuis des années. En mars dernier, déjà, Fabien Roussel, député PCF du Nord, interpellait le gouvernement en pointant la contradiction qu’il y a à tenir un discours sur la défense de l’emploi en France, tout en laissant mourir la SAM. Force des paroles et faiblesse des actes, un cocktail qui n’est pas sans rappeler le quinquennat Hollande. Si rien ne bouge, la SAM sera le Florange de Macron.

 

« Lourd, lourd », le billet de Maurice Ulrich.



Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Le seul que l’Église s’autorise, c’est celui de la Vierge, en peinture. En vrai, c’est scandaleux. Une députée britannique de la Chambre des communes se l’est vu rappeler, qui était venue en session avec son enfant de 3 mois. Les protestants aussi… L’archevêque de Paris, monseigneur Aupetit, est « dans la tempête », a-t-on appris dans le Parisien. Il aurait eu une relation intime avec une femme. C’était quand même moins grave que de laisser venir à lui les petits enfants. L’obligation de célibat, imposée au XIe siècle, conduit nombre de prêtres, dit Philippe Portier, un politologue spécialiste du catholicisme dans le quotidien, à avoir des doubles vies, « des vies parallèles, cela peut être une liaison, une famille cachée ». L’Église nie la sexualité. N’en parler jamais, y penser tout le temps. L’homme n’est ni ange ni bête, mais qui veut faire l’ange fait la bête. « Rome, dit encore Philippe Portier, n’aime pas qu’on prenne à la légère le vœu de célibat. » C’est lourd.

 

La femme du jour. Madeleine Riffaud Prix René-Goscinny 2022



Coscénariste, avec Jean-David Morvan, de Madeleine résistante (Dupuis/Aire Libre), inspiré de sa vie, celle qui fut reporter de guerre à l’Humanité est récompensée par le prestigieux prix René-Goscinny, récompensant un scénario de bande dessinée. Témoignage exceptionnel sur la Seconde Guerre mondiale, l’album la Rose dégoupillée, le premier tome d’une trilogie, est dessiné par ­Dominique Bertail. Il est consacré à l’enfance et à l’adolescence de ­Madeleine Riffaud, née en 1924 dans la Somme de parents instituteurs. Fille d’un poilu mutilé pendant la guerre de 14-18, elle s’engage dans la Résistance à 18 ans, sous le pseudonyme de Rainer, en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke. « On fabrique beaucoup plus de résistants, de maquisards (…) par un simple coup de pied au cul que par d’autres choses », avance l’héroïne pour éclairer son engagement. Entrée dans les FTP en 1944, elle est arrêtée après avoir abattu un officier de l’armée d’occupation. Torturée, elle échappe à la déportation et reprend son action dans la Résistance jusqu’à la libération de Paris. Poète et journaliste, Madeleine Riffaud a passé sa vie à raconter l’engagement des autres, mais a longtemps gardé le silence sur son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est finalement laissé convaincre de travailler avec Jean-David Morvan, pour le plus grand bonheur des lecteurs. Une exposition sera consacrée aux lauréats lors de l’édition 2023 du ­Festival ­d’Angoulême.

 

mercredi 24 novembre 2021

« Trusts 2.0 », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



Six des douze plus grandes fortunes de France ont investi dans la presse. Est-ce que cela signifie que la presse rapporte gros ? Même pas ! Mais elle reste un formidable outil d’influence. Que la presse soit entre les mains d’industriels, ce n’est pas une nouveauté. Déjà, en 1936, Paul ­Vaillant- Couturier, rédacteur en chef de notre journal, dénonçait les « trusts de journaux, journaux des trusts ». Ce qui est nouveau, c’est la brutalité et l’ampleur de ce phénomène qui touche l’ensemble des médias dans un monde ultra-informé.

À tel point que le Sénat a créé une commission d’enquête sur la « concentration dans les médias en France » afin « d’en évaluer l’impact dans une démocratie ». Les sénateurs pointent, notamment, le cas Bolloré, dont « les nombreuses prises de contrôle (…) interrogent sur les méthodes mêmes d’acquisition, de gestion des personnels et de liberté de pensée des journalistes ». Le milliardaire a constitué un groupe de presse pour tenter de faire une OPA sur l’élection présidentielle. Non sans succès. Nombre d’autres médias s’alignent et font comme si la politique se réduisait à une surenchère entre extrême droite, droite extrême et droite décomplexée.

Face à cette déferlante financée à coups de dizaines de millions d’euros, garantir le pluralisme devrait être l’une des priorités du gouvernement. En renforçant l’audiovisuel public, bien sûr, mais également en permettant l’existence de médias qui portent un discours en opposition à cette vulgate haineuse mâtinée d’ultralibéralisme. L’Humanité est de ces autres voix. Dans une période d’extrême droitisation des médias, le développement de notre journal est une protection et une garantie démocratique pour l’ensemble de la population. Et pour cela nous avons besoin de votre engagement afin de réussir la souscription qui vise un développement indispensable au rayonnement de l’Humanité. « Il faut aller battre la presse bourgeoise sur son propre terrain et, pour cela, c’est l’information qui prime », disait Paul Vaillant-­Couturier. C’est toujours vrai.

 

« Trop », le billet de Maurice Ulrich.



« Malheureusement, la bonne volonté ne suffit pas. On s’est parfois fait prendre pour des imbéciles. » Comme il était humble, simple et humain, Emmanuel Macron, lundi, à Amiens, en rencontrant neuf salariées et salariés de l’ancienne usine Whirlpool, aujourd’hui au chômage, dans un café du centre-ville. Comme un Amiénois parmi d’autres dans sa ville natale. Et, oui, il l’a reconnu, le premier repreneur de l’entreprise, qu’il était venu accueillir lui-même en sauveur en 2017, s’est comporté comme « un chasseur de primes ». Comment l’aurait-il su ? On se le demande. Mais c’est la vie économique et industrielle, a-t-il expliqué aux très nombreux journalistes qui suivaient cette rencontre si intime, « on a eu des aventures qui ont déçu tout le monde. Dans les reprises, il y a des échecs ». Oh, certainement, et il l’a confessé. « Je me suis fait avoir avec vous. » Tellement humain. Trop, peut-être. Tout juste s’il ne leur a pas dit qu’il était comme eux et qu’il nous prenait un peu, lui aussi, pour des imbéciles.

 

mardi 23 novembre 2021

« Cataclysme », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.



Alors qu’une cinquième vague de Covid se profile déjà de manière « fulgurante », si l’on en croit le porte-parole du gouvernement, comment, et dans quel état, la France sortira-t-elle de cette éventuelle nouvelle épreuve sanitaire ? Ou plus exactement, notre système de soins est-il prêt à affronter une nouvelle alerte d’ampleur, quand nous remontent, de partout, les inquiétudes des professionnels qui devraient alerter la nation tout entière ? Même la Direction générale de la santé (DGS) s’en est émue dans une note assez surréaliste. Selon l’organisme, les hôpitaux seront probablement dans l’impossibilité de gérer un afflux de patients d’ici Noël. La DGS a donc émis l’idée de réquisitionner des soignants. Une décision qui irrite et/ou scandalise les professions de santé, déjà essorées par presque deux années de pandémie. Nous parlons de la France, en 2021…

Depuis mars 2020, date du premier confinement, non seulement rien n’a changé, mais tout paraît encore plus sombre et en voie de démembrement accéléré. Affligeante constatation : pour les soignants, le « nouveau monde » ressemble furieusement à celui d’avant, en pire ! Les projets de restructuration, de fusion et, avec eux, de suppression de lits se poursuivent contre toute logique, tandis que le manque de personnel se traduit désormais par la fermeture de services. Si la situation de l’AP-HP est souvent mise en lumière, en réalité, bien peu d’établissements publics échappent dorénavant à un mouvement de « désertion sanitaire » d’une ampleur inédite.

Les personnels voulaient réinventer la pyramide des soins, de l’hôpital aux Ehpad, retrouver la dignité d’une fonction essentielle à la vie des citoyens, avec des moyens en personnels réévalués, de vraies politiques salariales, bref, de quoi entrer enfin dans le XXIe siècle en tenant compte du cataclysme révélé par le coronavirus. Le gouvernement, malgré le « Ségur », n’a usé que de cosmétiques alors qu’il manque environ 100 000 professionnels dans le service public hospitalier. La République de l’égalité réclame une rupture totale avec la soumission aux logiques libérales qui ont trop longtemps présidé aux affaires. L’idée de déclassement du pays ne vient pas de nulle part. Doit-on rappeler la valeur constitutionnelle de la protection de la santé en France ? En sommes-nous encore dignes ? 

 

« Pour rire » ? Le billet de Maurice Ulrich.



Enfin ! Dieu, la science, les preuves. Un livre les apporte, ces preuves tant espérées, après Descartes, Thomas d’Aquin et tant d’autres qui s’y sont essayés avec des fortunes diverses. Des affiches l’annoncent partout dans le métro, et c’est le livre le plus vendu sur Amazon depuis trois mois, avec le dernier opus d’Éric Zemmour. Bon, mais faut-il y croire ? Paris Match, dans son dernier numéro, a confié sa critique à deux personnalités de renom, dont les recherches en matière de Dieu, d’extraterrestres, d’araignées dans le plafond et autres énigmes existentielles font autorité chez ceux qui y croient, les frères Bogdanoff. Ils confirment. Oui, le livre prouve l’existence de Dieu parce qu’il fallait bien que quelqu’un appuie sur le bouton pour que l’Univers existe. Élémentaire, Igor. J’allais le dire, Grichka. Sinon, l’un des deux auteurs du livre s’appelle Michel-Yves Bolloré, catholique traditionaliste, frère de Vincent Bolloré, catholique tout aussi traditionaliste et milliardaire dont la chaîne CNews a participé au lancement d’Éric Zemmour, propriétaire également de Paris Match… On rit ?

 

lundi 22 novembre 2021

« Changer la donne, l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



Quand il est à Tourcoing, dit-il dans un entretien au Parisien, Gérald Darmanin constate que la demande première des Français est « une demande économique et sociale de travail et de pouvoir d’achat ». Au nom de quoi il consacre la quasi-totalité de son propos aux questions sécuritaires et, quand il est à Paris, il n’entend de la Guadeloupe que des bruits d’émeutes pour y répondre par la force : Raid, GIGN, gendarmes. On entend des accents d’un autre âge. Les Guadeloupéennes et Guadeloupéens ne sont pas des émeutiers voués aux gaz lacrymogènes. La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber leur conscience de cumuler les inégalités sociales, en termes d’éducation, d’hôpitaux, de salaires, d’emploi. À cela s’ajoutent les questions de l’eau potable et du chlordécone, cet insecticide toxique autorisé jusqu’en 1983 et dont les conséquences se font toujours sentir.

Qu’on ne se fie pas aux réactions de tel ou telle à droite ou à l’extrême droite. La réponse sécuritaire ne peut que les conforter et favoriser la mainmise de leurs thématiques sur le débat public. On peut voir maintenant, sur nos chaînes d’info, des échanges pendant des minutes entre soutiens d’Éric Zemmour et proches de Marine Le Pen. Extrême droite versus droite extrême ou l’inverse. Les candidats dits républicains leur emboîtent le pas, tentant de garder leur électorat comme Harpagon sa cassette et on entend toujours aussi mal sur les questions sociales la gauche et les écologistes. Disons-le tout net. On se fiche de savoir si Jean-Luc Mélenchon pourrait être le premier ministre de Yannick Jadot ou le contraire, de tel appel du pied à Anne Hidalgo…

Avec son premier vrai meeting de campagne dimanche à Paris, le candidat communiste Fabien Roussel, qui a évoqué en termes forts la situation en Guadeloupe, a voulu, selon ses propres mots, « briser l’omerta sur les salaires », plus largement sur les questions du pouvoir d’achat et de l’emploi. Il ne prétend pas sur cette question à la singularité ou à quelque monopole que ce soit. Bien au contraire, il s’agit de faire tout ce qui est possible avec toutes les forces disponibles, syndicales, associatives ou politiques, les forces populaires, pour recentrer le débat des mois à venir sur les attentes sociales du pays et changer la donne. Les vents contraires ne peuvent en dispenser.

 

Présidentielle. Avec Fabien Roussel, pleins feux sur l’emploi et les salaires.



Julia Hamlaoui

Le candidat communiste à la présidentielle a tenu son premier grand meeting dimanche, place Stalingrad, à Paris. En écho aux préoccupations des 3 000 participants, il a multiplié les propositions pour le pouvoir d’achat et une juste répartition des richesses, à commencer par une augmentation du Smic de 20 % et le triplement de l’ISF.

Disparus de nombreux radars médiatiques à cinq mois de l’élection présidentielle, les salaires, les conditions de travail ou encore l’emploi ont été à l’honneur dimanche sur la place Stalingrad, à Paris, où le candidat communiste à l’Élysée, Fabien Roussel, a tenu son premier grand meeting devant 3 000 personnes. Un rendez-vous démarré littéralement en fanfare avec une troupe de batucada. Dès 11 h 30, alors que la musique bat son plein, Jean-Philippe Juin, chasuble CGT sur le dos, est là avec quelques-uns de ses collègues de la Fonderie du Poitou. « On veut liquider nos emplois, nous, on se bat pour les préserver, on est en dedans », explique le délégué syndical dont le combat porte aussi sur les salaires. « On est payés 1 800 euros net, à la fin du mois c’est de plus en plus difficile. On a demandé une augmentation de 150 euros qu’on n’a pas obtenue mais on estime qu’il faudrait au moins 300 euros par mois supplémentaires pour vivre décemment », poursuit-il.

 Les motifs de colère sont nombreux, pointe en écho Fabien Roussel à son arrivée sur la scène du meeting. Alors oui, nous, nous voulons que ça change, maintenant. » Le député du Nord embraye sur sa « première mesure » : « augmenter le Smic de 20 %, pour le porter à 1 500 euros net, 1 800 euros brut, dès le printemps 2022 ».

Les factures qui augmentent

Mais face à la vie chère qui gagne du terrain, il insiste aussi sur l’inscription « dans la loi de l’augmentation de tous les salaires en fonction de l’inflation ». Tandis que la droite et l’extrême droite veulent imposer du matin au soir les thèmes de l’immigration ou de la sécurité, Onur, microentrepreneur dans le Val-de-Marne qui paie cher les conséquences de la crise, s’offusque : « Les gens n’en ont rien à foutre de la couleur, d’où on vient, ils veulent juste pas avoir à se demander à la fin du mois comment ils vont pouvoir manger. La campagne doit porter là-dessus. » « D’ailleurs, s’il y avait une meilleure répartition des richesses, ces questions se poseraient beaucoup moins », lâche l’une de ses camarades.

Cette urgence, Corinne, qui a fait le déplacement depuis Roubaix, dans le Nord, la connaît bien. « On fait attention à tout, la moindre dépense, on doit tout calculer, j’ai même une application dans mon téléphone pour vérifier mon budget », raconte-t-elle. Au chômage, elle s’est engagée avec la CGT pour aider les privés d’emploi à faire valoir leurs droits. Elle redoute pour eux les conséquences de la réforme de l’assurance-chômage, surtout avec les factures qui augmentent. « Moi, je suis mensualisée chez EDF mais j’ai reçu un rappel de 400 euros. Comment je peux faire ? Je suis obligée de négocier un échéancier qui s’ajoutera aux autres », pointe-t-elle, jugeant indispensable de faire baisser la note en jouant sur les taxes, comme son candidat le propose. « À côté, on voit les actionnaires se remplir les poches… Le fossé se creuse. C’est un discours qui peut paraître classique mais c’est la réalité », martèle Corinne.

« Relancer l’espoir de la belle vie »

Un message que Fabien Roussel est lui aussi déterminé à faire passer. « Macron a été le serviteur le plus zélé de la finance. Le président des riches, nous n’en voulons plus », tacle le candidat. « Nous voulons l’abolition de ces privilèges, l’abolition du régime spécial du capital », scande le député du Nord, qui dessine « un objectif simple : éradiquer le chômage » (lire ci contre). En matière de financements, il ne manque pas de ressources et entend non seulement récupérer les « 123 milliards d’euros par an de cadeaux aux entreprises, aux plus riches », mais aussi tripler l’ISF ou encore mettre en place un « impôt Covid exceptionnel » sur « les bénéfices au-delà de 500 000 euros » des multinationales. Nationalisations d’Axa, de la BNP ou de la Société générale sont aussi au programme pour « maîtriser le nerf de la guerre, l’argent », tout comme un nouveau pacte européen qui rompt avec l’austérité et mobilise 6 % du PIB européen par an, soit 900 milliards d’euros. « Rendez l’argent ! », résume-t-il, pointant les nombreux besoins dans les services publics.

D’ailleurs, bas salaire et fin de mois difficile, Arbia ne sait que trop bien de quoi on parle. Venue depuis l’Essonne, cette accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) brave la pluie glacée sur la place Stalingrad. Chaque mois, sa fiche de paie n’aligne que 800 euros. « Ils détruisent tout ce qui nous permet de vivre ensemble, tout ce qui nous rassemble, comme l’éducation. Il y a trop de pression, chacun gère ses problèmes tout seul », déplore-t-elle, tout en souhaitant pour 2022 voir « relancer l’espoir de la belle vie ». C’est pour ça qu’elle est là comme Marcelle, salariée de Carrefour, qui témoigne sur scène et veut qu’on prenne « conscience que les bas salaires ne doivent plus exister dans notre pays ». Ou encore Camille, aide-soignante, qui estime qu’on « doit pouvoir finir les fins de mois » mais aussi travailler dans des conditions décentes. Pour les rémunérations, « l’État donnera l’exemple », s’engage Fabien Roussel, promettant à « celles et ceux qui font vivre nos services publics, qui sont en première ligne, que nous avons applaudis pendant les confinements une augmentation d’au moins 30 % ».

Reste que Corinne est « sidérée que les gens ne se bougent pas plus ». Et que si Hugo, un étudiant qui se dit communiste mais affilié à aucun parti, juge nécessaire « même à 2 % de faire entendre ces questions-là », il se dit « électoralement pessimiste ». C’est aussi ce que Fabien Roussel a tenté de battre en brèche dimanche, pointant « cinq mois imprévisibles, ouverts »« Rien n’est écrit parce que nos concitoyens se placent encore à distance de ce rendez-vous », a-t-il estimé, appelant à la mobilisation et comptant sur cette « démonstration de force » parisienne pour lui donner de l’élan et percer le mur du silence autour des préoccupations populaires.

Un an pour établir l’égalité salariale

Qualifiant de « honte » les écarts de salaires entre les femmes et les hommes dans de nombreuses filières, Fabien Roussel entend « mettre un terme définitif à cette injure faite à la moitié de l’humanité ». Et ce au plus vite : « Il ne faudra pas cinq ans pour obtenir l’égalité salariale », promet-il, en rappelant que « depuis le 3 novembre dernier, les femmes de France travaillent gratuitement ». Le candidat à la présidentielle prévoit de rendre cette égalité salariale effective en six mois dans la fonction publique. Concernant le privé, il veut « donner un an aux entreprises pour la mettre en œuvre ». Si tel n’est pas le cas, « l’État nommera un administrateur judiciaire qui aura la charge de le faire, à la place de l’employeur », prévoit le secrétaire national du PCF.

 

samedi 20 novembre 2021

Les paliers de l’escalade de l’abject (Patrick Le Hyaric)



En danger de mort dans leur pays, victimes de violences, de traques, sous la menace des mafias de passeurs, objets du cynisme géopolitique et d’une certaine indifférence internationale, des enfants, des femmes et des hommes affamés, tremblent dans la froidure sévère de l’Europe orientale, enserrés tels des otages, entre les rangées de fil de fer barbelé de la frontière polonaise et les fusils des soldats du dictateur biélorusse Loukachenko. Et les blindés  sont aussi gris de part et d’autre.

Ces familles, ces jeunes, ces enfants ont dû quitter leur maison, leur famille en Irak, en Afghanistan ou en Syrie pour fuir l’insupportable. Voir ces réfugiés devenir les fantassins d’abominables responsables d’État sans cœur, soulève l’indignation.

Ce sont leurs sœurs et leurs frères que l’on retrouve en grande souffrance sur les rives de la Méditerranée et de la Manche cherchant le moyen de rejoindre un hypothétique eldorado.

Le cynisme des responsables politiques français qui utilisent le sort de ces malheureux dans leur quête, sans foi ni loi, d’électrices et d’électeurs, est tout autant insupportable. Cette démagogie nauséabonde est lourde de dangers. Face à cette course aveugle au rejet de celles et ceux qui n’ont d’autre issue que de fuir, on doit se souvenir, de nos parents et grands- parents, des familles juives, communistes,des tziganes, des républicains espagnols, acculés par le nazisme et le franquisme, qui ont dû s’enfuir sur les chemins d’Europe pour échapper au pire.

C’est le malheur d’êtres humains qui est utilisé ici pour propager une propagande illicite, assimilant réfugiés et insécurité, voire au terrorisme. À ce niveau d’ignominie c’est l’humanité qui s’éteint.

C’est la division des êtres humains entre eux qui est promise quand il n’y a jamais eu autant d’intérêts communs aux combats pour la justice, la démocratie, l’environnement et le climat. Jamais, toutes les citoyennes, tous les citoyens du monde n’ont autant eu d’intérêt à s’entraider et à bâtir ensemble un avenir commun.

La nouvelle route migratoire vers la Biélorussie a bien été délibérément ouverte par les dirigeants de ce pays dans le cadre d’une abominable stratégie de revanche face aux sanctions décrétées par les dirigeants européens.

Pour le coup, ces derniers défendent la Pologne, membre de l’Union, avec laquelle pourtant un conflit sévère les opposent sur le respect de l’État de droit. Mais ladite Pologne se passe des dispositifs européens et ajoute à ses gardes-frontières des dizaines de milliers de militaires. Et voilà qu’elle envisage désormais de construire un mur quelque quarante années après la destruction de celui qui divisait à Berlin et l’Europe en deux. Un  « mur de Varsovie » serait-il plus acceptable que le mur de Berlin ?

Et, le pouvoir polonais profite de l’occasion pour décréter contre sa population un état d’urgence permanent de sinistre mémoire. Les autorités européennes, tout occupées par leur escalade avec la Russie, n’y trouvent rien à redire alors qu’il s’agit d’abord de sauver des vies humaines.

Elles bafouent ainsi les traités internationaux, notamment la convention de Genève de 1951, relative aux droits des réfugiés. Celle qui garantit le droit d’asile et le principe de non-refoulement que la Pologne a aussi signée le 27 septembre 1991. Si l’humanité était au premier rang des préoccupations européennes, la Pologne aurait été au moins sévèrement critiquée pour violation de ses engagements. Il n’en est rien !

Et, dans l’actuel parlement européen, une majorité de députés place au second plan la protection, l’accueil, l’hospitalité aux réfugiés au nom de considérations géopolitiques et sous la pression d’une extrême droite qui partout a fait de l’exclusion des immigrés un de ses principaux fonds de commerce.

N’est-ce pas cette même pression mortifère qui conduit l’Union européenne, volontiers donneuse de leçons, à sous-traiter, contre rétribution, la gestion des flux migratoires par cet autre maître-chanteur, le président turc Mr Erdogan, notre allié dans l’OTAN ?

Le sort de ces êtres humains en danger de mort, tenaillés par le froid et la faim, laissent insensible cette machine d’abord soucieuse de la santé des marchés financiers et des banques, tout en protégeant de leur douce chaleur les évadés fiscaux.

Il y a pourtant besoin, de toute urgence, d’un débat serein sur les défis des migrations alors que la pauvreté et la misère augmentent encore et que l’augmentation du nombre des « réfugiés climatiques » va s’accroître.

Dans l’immédiat, Il est urgent d’engager le processus diplomatique capable d’ouvrir un couloir humanitaire d’accueil et de répartir les réfugiés dans les pays européens qui devront les accepter au nom des principes qui les ont fait rejoindre l’Union. Cinq mille réfugiés, à accueillir et répartir, ne déstabiliseraient aucun pays Européen. Cela les grandirait tous.

Le développement de cette crise est lourd de dangers. Deux pays autoritaires s’y font face. Aucun effort ne devrait être négligé pour rechercher le concours de la Russie qui peut beaucoup contribuer à la réussite d’une telle initiative et bien au-delà. L’Union européenne aussi ! Le droit d’asile doit être respecté tandis qu’il convient de progresser dans la réforme des accords dit de Dublin de telle sorte que les pays de « premier accueil » ne supportent pas seuls la charge de la nécessaire hospitalité.

Il est temps de cesser de l’escalade de l’abject !

 

vendredi 19 novembre 2021

" République(s) ", Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin



Se déclarer «républicain» n’est pas un blanc-seing.

Symboles. «République! République! République!», entend-on du matin au soir, et même les nuits d’insomnie. Curieux, n’est-ce pas, ce sentiment plus ou moins douloureux de ne plus savoir à quelle République se vouer, selon qui prononce son nom même, ce qu’on y accole en tant que définition d’un tertre trop souvent piétiné? Qui parle, en vérité, et qui ose en convoquer le sens exact, lorsque le langage échappe à toute mesure et cache mal les réelles intentions? «Le mot République a-t-il d’ailleurs un sens en français», demandait l’historien Claude Nicolet en ouverture de l’Idée républicaine en France (Gallimard, 1982), livre qui perturbe encore la mémoire du bloc-noteur. «La République est multiple et avance masquée», expliquait alors le spécialiste de la Rome antique, arguant du fait qu’elle n’est pas seulement un système institutionnel et une succession de régimes très divers, mais aussi «un ensemble de références et de pratiques culturelles d’une richesse telle qu’un dictionnaire ne puisse en épuiser le sens». Le sens, toujours le sens. Car, oui, l’usage veut que le mot République ne se limite pas à son acception juridique et politique, mais qu’il recouvre un ensemble complexe de valeurs et de symboles. Chacun les siens, pourrait-on dire. Mais existe-t-il de puissants dénominateurs communs, au moins capables de rassembler ce qui est épars dans un «tout» conforme à tous? Ou fut-ce, depuis la Révolution et tant et tant de régimes successifs, une tâche quasiment impossible qui laisse une trace ici-et-maintenant?

Source. Poser la question est déjà y répondre. D’autant que l’histoire en question ne saurait être le seul exercice d’une science du passé, mais bien un examen consciencieux du présent avec l’épaisseur du temps. République ne se décline pas avec force épithètes et attributs par hasard. De la «République opportuniste» à la «République radicale et anticléricale», de la «République monarchique» à la «République impériale», de la République des camarades, de Robert de Jouvenel (1914), à la République des professeurs, d’Albert Thibaudet (1927), de la République des comités (1934) à la République des ducs (1937), de Daniel Halévy, de la République des instituteurs, de Jacques et Mona Ozouf (1992), à la République des hommes d’affaires, de Jean Garrigues (1997), sans oublier notre chère Révolution et République, de ­Michel Vovelle (1987), qu’est-ce que la République et quelle est donc l’idée républicaine en France, puisque tout le monde s’y réfère et la récupère allègrement sans puiser à la même source et sans forcément la conduire au même fleuve?

Spectres. Nous le savons cruellement. Il y a un monde entre une «vision» conservatrice de la République (monarchie républicaine ou monarchie impériale) et une «vision» postrévolutionnaire (République laïque et sociale). Se déclarer «républicain» n’est pas un blanc-seing. Quand un Zemmour-le-voilà affirme la main sur le cœur «je suis un vrai républicain», mais qu’il évoque de façon obsessionnelle Vichy et l’histoire de l’Occupation, il envoie un autre message à toute la France rance et revancharde: l’État français et l’effondrement de la République (justement) en 1940-1944 ne sont pas une période honteuse de notre histoire. À quoi procède-t-il? À une tentative de normaliser le pétainisme pour masquer et banaliser son véritable projet, qu’il n’est évidemment pas le seul à porter: mettre à bas non seulement la Ve République (malgré ses références permanentes à de Gaulle), mais la République tout court! L’histoire nous renseigne: ainsi le vote du Parlement qui, le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80, confiait à Pétain le pouvoir de donner au pays une nouvelle loi fondamentale, des «actes constitutionnels» abolissant la République et ouvrant la voie au pire. Quatre-vingts ans plus tard, les spectres rôdent. Au moins Jaurès nous mettra d’accord: «La République doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale.» Le vieux rêve du grand homme reste à réaliser pleinement…

 

Un rendez-vous à ne pas manquer : Le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon « l’Odyssée antarctique ». Une magnifique réalisation et un hommage à Maurice SEBBAH (Robert Clément)



L’histoire portée à l’écran dans ce film documentaire, réalisé par Djamel TAHI appartient au patrimoine de l’exploration polaire française. Cette odyssée polaire témoigne d’une des plus grandes aventures scientifiques et humaines sur le continent antarctique. En 1956, le monde scientifique décide d’explorer l’Antarctique. Douze pays, dont la France, entreprennent un vaste programme de recherche destiné à percer les mystères du Continent blanc. L’Année Géophysique Internationale (AGI) est née. En décembre 1956, après 77 jours de mer pour rallier la France à l’Antarctique, une poignée d’hommes accompagnés par Paul Émile Victor débarque en Terre Adélie pour implanter deux bases. La base principale, baptisée Dumont d’Urville, prévue pour accueillir une vingtaine d’hommes est installée à la côte. La seconde, une petite maison baptisée du nom de Charcot est implantée à 320 kms à l’intérieur du continent. Dans cet éblouissant documentaire, nous retrouvons les témoignages des derniers témoins des missions de l’AGI. Parmi eux Maurice SEBBAH, membre de la première expédition emmenée par Robert GUILLARD, qui a eu en charge la construction et l’implantation des deux bases françaises en Terre Adélie. Maurice SEBBAH, radio de cette expédition, nous apporte son précieux témoignage ainsi que des documents inédits. Maurice nous a quittés le 15 févier dernier. Il ne verra pas « sa belle aventure polaire ». Je me souviens, c’était à la fin de l’année 2019, à Romainville. Maurice, m’avait dédicacé  un magnifique ouvrage « La grande Odyssée » Ce soir-là, son ami, Djamel TAHI nous avait confié qu’il envisageait la projection de « l’Odyssée Antarctique », dans notre Trianon. Maurice s’en faisait une joie immense. Malheureusement, la crise sanitaire en décidera autrement. Alors, ce 7 décembre, nos pensées iront vers lui. Maurice SEBBAH était pour moi, un ami, un camarade très cher. Les plus anciens d’entre nous se rappellent l’élu, le militant, tracts à la main et musette de l’Humanité sur le dos, dans son quartier Jaurès. C’était la partie connue de la vie de Maurice SEBBAH. L’autre moins connue aura été son aventure en Terre Adélie. C’est pour vivre cette aventure polaire, et en hommage au « Grand Monsieur » qu’a été Maurice SEBBAH, que je vous invite, mes très cher.e.s ami.e.s,  à nous retrouver le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon.

« L’Odyssée Antarctique », racontée par Antoine De Caunes

Film documentaire long métrage

Réalisateur : Djamel TAHI

Productrice : Nathalie DEFOSSEZ