mardi 30 novembre 2021

« Entre ici Joséphine Baker », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité



Ce matin, la petite fille pauvre de l’Amérique ségrégationniste, meneuse de revue des Années folles, résistante et militante antiraciste, devenue française, sera la première Noire à entrer au Panthéon. Avec celle qui fut la seule femme à prendre la parole aux côtés de Martin Luther King lors de la marche des droits civiques de Washington le 28 août 1963, ce sont les rêves d’émancipation de tous les peuples du monde qui s’invitent dans l’histoire de France.

Les grincheux convoqueront son soutien au général de Gaulle en 1968. On pourrait rappeler qu’elle fut aussi une amie de la révolution cubaine, proche de Fidel Castro. D’autres, derrière des lunettes anachroniques, expliqueront qu’elle a prêté son corps au pire de l’inconscient colonial. Joséphine Baker, irréductible, fut simplement une femme de son temps et, chose rare, aussi généreuse sur la scène publique que dans sa vie privée.

Alors ne boudons pas notre plaisir de voir ainsi honorée cette face lumineuse d’une France métisse, résistante, joyeuse et solidaire, à laquelle nous avions donné le nom d’une des avenues de la Fête de l’Humanité, comme le rappelle joliment son fils, Brian Bouillon-Baker, aujourd’hui dans nos colonnes. Mais la décision présidentielle de faire figurer au Panthéon celle qui apprit à danser « parce qu’elle avait froid », présentée par les macronistes comme plus « consensuelle » que Gisèle Halimi, détonne tellement avec le climat ambiant qu’elle pourrait laisser un goût amer. Comment pourraient résonner les mots d’hommage du président de la République à ce parcours militant exceptionnel, quand, en même temps, les tentes des réfugiés de Calais sont lacérées ? Quand la mer, pont entre les « deux amours » de la chanteuse, est devenue le cimetière de destins brisés par les guerres et la misère ? Aux antipodes des égoïsmes nationaux qui se déchaînent, la vie de Joséphine Baker est une allégorie de la solidarité universelle.

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