Ce matin, la petite fille pauvre de l’Amérique ségrégationniste, meneuse de
revue des Années folles, résistante et militante antiraciste, devenue
française, sera la première Noire à entrer au Panthéon. Avec celle qui fut la
seule femme à prendre la parole aux côtés de Martin Luther King lors de la
marche des droits civiques de Washington le 28 août 1963, ce sont les
rêves d’émancipation de tous les peuples du monde qui s’invitent dans
l’histoire de France.
Les grincheux convoqueront son soutien au général de Gaulle en 1968. On
pourrait rappeler qu’elle fut aussi une amie de la révolution cubaine, proche
de Fidel Castro. D’autres, derrière des lunettes anachroniques, expliqueront
qu’elle a prêté son corps au pire de l’inconscient colonial. Joséphine Baker,
irréductible, fut simplement une femme de son temps et, chose rare, aussi
généreuse sur la scène publique que dans sa vie privée.
Alors ne boudons pas
notre plaisir de voir ainsi honorée cette face lumineuse d’une France métisse,
résistante, joyeuse et solidaire, à laquelle nous avions donné le nom d’une des
avenues de la Fête de l’Humanité, comme le rappelle joliment son fils, Brian
Bouillon-Baker, aujourd’hui dans nos colonnes. Mais la décision présidentielle
de faire figurer au Panthéon celle qui apprit à danser « parce qu’elle
avait froid », présentée par les macronistes comme plus « consensuelle » que
Gisèle Halimi, détonne tellement avec le climat ambiant qu’elle pourrait
laisser un goût amer. Comment pourraient résonner les mots d’hommage du
président de la République à ce parcours militant exceptionnel, quand, en même
temps, les tentes des réfugiés de Calais sont lacérées ? Quand la mer, pont
entre les « deux amours » de la chanteuse, est devenue le cimetière de destins
brisés par les guerres et la misère ? Aux antipodes des égoïsmes nationaux qui
se déchaînent, la vie de Joséphine Baker est une allégorie de la solidarité
universelle.
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