Sous réserve d’une
validation du Conseil constitutionnel, les salariés des établissements recevant
du public devront présenter un passe sanitaire à partir du 30 août.
Pourtant, de nombreux flous juridiques persistent.
« Il ne faut pas laisser croire aux salariés qu’il ne
peut pas y avoir de licenciement », a prévenu Élisabeth Borne,
ministre du Travail. Alors que l’extension du passe sanitaire et l’obligation
vaccinale pour certaines professions ont été adoptées à l’Assemblée dans la
nuit du 25 au 26 juillet, des interrogations demeurent sur les conditions
de travail des salariés employés dans des établissements accueillant du public.
Ces derniers seront soumis à l’obligation du passe sanitaire à partir du
30 août. Dans le cadre d’un accord entre députés et sénateurs, le motif de
licenciement prévu dans le texte initial a été supprimé, remplacé par la
suspension. Dans le cadre d’un CDI, un employé sans passe aura la possibilité,
en accord avec son employeur, de prendre des congés ou RTT, ou de changer de
poste de travail, le temps d’en produire un. Sinon, son contrat de travail et
sa rémunération seront suspendus – seuls les CDD pourront être rompus.
« Plus d’incertitude et de précarité »
« Comment un salarié pourrait vivre sans salaire ? » s’interroge Céline
Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Aucune limitation à la suspension
de la rémunération n’est fixée par la loi. « C’est le vide juridique,
un no man’s land sans protection économique pour le salarié et sans protection
juridique pour les entreprises », dénonce François Asselin, président
de la Confédération des petites et moyennes entreprises.
« La suspension entraîne de graves conséquences tout de suite
puisque le salarié n’aura pas de revenus, n’aura aucun droit au chômage… Est-ce
que ça peut être une longue période de suspension ? Quelles en seront les
conséquences ? » se demande Judith Krivine, avocate spécialiste en droit du
travail.
Quant à la possibilité d’un simple changement de poste, qui est prévue par
le texte, elle ne convainc pas davantage. « On peut essayer de lui
trouver un poste administratif, mais si l’employeur a plusieurs salariés dans
ce cas, comment il choisit ? » s’interroge Céline Verzeletti. De plus,
aucun cadre juridique n’est prévu par la loi pour le remplacement du
suspendu : « Si c’est un CDI, il me semble impossible de le remplacer
par un autre. L’employeur va-t-il conditionner l’embauche à la production du
passe sanitaire ? » ajoute Judith Krivine.
La ministre du Travail a indiqué être prête à compléter cette loi imprécise
devant les deux Chambres parlementaires, notamment si le passe sanitaire devait
perdurer au-delà du 15 novembre. Se voulant rassurante, elle a également
ajouté que, en cas d’abus, « (ils encadreraient) les choses » –
a posteriori, donc, et sans plus de précision.
Ce que craignent les opposants à cette mesure, c’est le risque que les
employeurs « convoquent le licenciement sur la base d’autres critères
liés à l’absence du salarié suspendu », s’alarme le député Pierre
Dharréville (GRD). « Cela va créer une zone d’incertitude et de
précarité supplémentaire pour un certain nombre de salariés. Ils utilisent la
méthode du chantage, de la pression et de la stigmatisation. Le gouvernement
renonce à ses propres responsabilités pour les transférer sur les individus,
avec des mesures de contrôle permanent des uns par les autres », complète-t-il.
Un secret médical plus vraiment secret
Le passe sanitaire au travail soulève aussi la question du secret médical.
Alors que seule la médecine du travail est habilitée à déclarer l’aptitude d’un
salarié, les employeurs auront à présent ce pouvoir. « C’est du
jamais-vu, il y a une absence de préservation, s’inquiète Céline
Verzeletti. On met les questions de santé dans le contrat et
l’employeur peut agir dessus. » Éric Coquerel, député FI, partage son
avis : « C’est une entorse. Le salarié pourrait être licencié pour
suspicion de maladie, c’est un recul terrible. »
À présent, le texte doit
passer le cap du Conseil constitutionnel. Les dispositions qu’il porte à
l’encontre des salariés pourraient bien être considérées comme discriminatoires.
En effet, elles sont liées à l’état de santé du salarié et donc contraires au
principe d’égalité de la Constitution, du fait de la « différenciation
de traitement injustifiée en fonction des entreprises. Il y a donc des
arguments qui permettraient au Conseil constitutionnel de juger la loi non conforme », achève
Judith Krivine. Verdict le 5 août.