Ministres, chroniqueurs ont entonné ces derniers jours le même refrain : « Tout va pour le mieux au chapitre de l’emploi ». Sauf que ces commentateurs avertis, et toujours prompts à assurer le service après-vente pour le pouvoir macronien, omettent volontairement d’évoquer deux sujets, pourtant ô combien important. D’abord l’immense majorité des contrats d’embauche sont des CDD, et souvent pour une durée de un ou deux mois. Second sujet : 40% des personnes partant à la retraite ne sont déjà plus en activité. Pourtant, Macron, Castex, Philippe, Le Maire, Bertrand, Barnier, Pécresse, Zemmour et compagnie entonnent le même refrain : « Les français ne travaillent pas assez », il est urgent de repousser l’âge légal de départ à la retraite, à 65, voire 67 ans » S’empressant d’ajouter qu’il faudrait au préalable augmenter le taux d’emploi des plus de 60 ans. Enfumage ! La démonstration est faite que la seule proposition fiable reste bien de fixer à 60 ans l’âge de départ à la retraite
samedi 30 octobre 2021
vendredi 29 octobre 2021
Retenez cette date : Le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon « l’Odyssée antarctique ». Une magnifique réalisation et un hommage à Maurice SEBBAH (Robert Clément)
L’histoire portée à l’écran dans ce film documentaire, réalisé par Djamel TAHI appartient au patrimoine de l’exploration polaire française. Cette odyssée polaire témoigne d’une des plus grandes aventures scientifiques et humaines sur le continent antarctique. En 1956, le monde scientifique décide d’explorer l’Antarctique. Douze pays, dont la France, entreprennent un vaste programme de recherche destiné à percer les mystères du Continent blanc. L’Année Géophysique Internationale (AGI) est née. En décembre 1956, après 77 jours de mer pour rallier la France à l’Antarctique, une poignée d’hommes accompagnés par Paul Émile Victor débarque en Terre Adélie pour implanter deux bases. La base principale, baptisée Dumont d’Urville, prévue pour accueillir une vingtaine d’hommes est installée à la côte. La seconde, une petite maison baptisée du nom de Charcot est implantée à 320 kms à l’intérieur du continent. Dans cet éblouissant documentaire, nous retrouvons les témoignages des derniers témoins des missions de l’AGI. Parmi eux Maurice SEBBAH, membre de la première expédition emmenée par Robert GUILLARD, qui a eu en charge la construction et l’implantation des deux bases françaises en Terre Adélie. Maurice SEBBAH, radio de cette expédition, nous apporte son précieux témoignage ainsi que des documents inédits. Maurice nous a quittés le 15 févier dernier. Il ne verra pas « sa belle aventure polaire ». Je me souviens, c’était à la fin de l’année 2019, à Romainville. Maurice, m’avait dédicacé un magnifique ouvrage « La grande Odyssée » Ce soir-là, son ami, Djamel TAHI nous avait confié qu’il envisageait la projection de « l’Odyssée Antarctique », dans notre Trianon. Maurice s’en faisait une joie immense. Malheureusement, la crise sanitaire en décidera autrement. Alors, ce 7 décembre, nos pensées iront vers lui. Maurice SEBBAH était pour moi, un ami, un camarade très cher. Les plus anciens d’entre nous se rappellent l’élu, le militant, tracts à la main et musette de l’Humanité sur le dos, dans son quartier Jaurès. C’était la partie connue de la vie de Maurice SEBBAH. L’autre moins connue aura été son aventure en Terre Adélie. C’est pour vivre cette aventure polaire, et en hommage au « Grand Monsieur » qu’a été Maurice SEBBAH, que je vous invite, mes très cher.e.s ami.e.s, à nous retrouver le 7 décembre à 20 h 30 au Trianon.
« L’Odyssée
Antarctique », racontée par Antoine De Caunes
Film
documentaire long métrage
Réalisateur :
Djamel TAHI
Productrice :
Nathalie DEFOSSEZ
« Si… », le billet de Maurice Ulrich.
Non, « le woke n’est pas un fantasme de réac ». Dans une tribune de presse, l’auteur d’un livre sur la question appelle à la résistance. Le mouvement ainsi baptisé (woke signifie éveillé), qui a déjà fait des ravages aux États-Unis, s’acharne désormais sur la France. Il l’écrit plus amplement dans un livre au titre à rallonge, mais sans doute il le faut : OK, millennials ! Puritanisme, victimisation, identitarisme, censure… L’enquête d’un baby-boomer sur les mythes de la génération woke (Éditions de l’Observatoire). « Ainsi, par exemple, écrit-il, si les résultats en mathématiques des élèves noirs sont inférieurs à ceux des élèves blancs – et surtout à ceux des Américains d’origine asiatique – il faudrait mettre en cause le “racisme” des exercices et des tests mesurant les performances des élèves et, par-delà, le “racisme” qui persiste à structurer insidieusement la société américaine tout entière. » Il faut apprécier l’usage du « si », et des guillemets. Du racisme aux États-Unis, et puis quoi encore ? Les mathématiques, on les a dans la peau…
Vingt- sept centimes… Par Patrick Le Hyaric.
0,27 cts par
jour. Oui, vingt-sept centimes d’euros, voilà la somme qu’octroie royalement le
gouvernement à une partie de celles et ceux qui souffrent durement des hausses
des prix des denrées de haute nécessité.
Les prix de l’énergie comme de la baguette de pain flambent alors que les
salaires et les retraites stagnent.
Ce billet de 100€ pour celles et ceux qui gagnent moins de 2000€ par mois
que sort le pouvoir des caisses de l’Etat dit exactement la nature de sa
politique : éviter que la bouilloire sociale n’explose sans augmenter
la rémunération du travail, ni baisser les impôts indirects.
100€ vite avalés par le prix des plein de carburants ou du caddie de la
semaine. Evidemment, pour impressionner, les responsables dépensent beaucoup
d’encre et de salive pour agiter le coût de l’opération : 3,8
milliards d’euros. Jamais ils ne disent que cette somme sera compensée quasi
intégralement par les recettes supplémentaires de TVA et des taxes sur les
carburants résultant automatiquement de cette même hausse des prix que le
pouvoir et les institutions européennes refusent de combattre. Jamais,
non plus ce chiffre n’est comparé avec les manipulations dont sont
coupables des banques et des fonds de pensions qui ont détourné 33 milliards
d’euros de taxes sur les dividendes (1).
Il ne s’agit pas pour le pouvoir d’être juste et efficace, il veut que la
somme de 100€ se voie sur les feuilles de salaires et des pensions à la veille
des élections présidentielles.
Ajoutons que le critère uniforme d’octroi de cette aide pour celles et ceux
qui n’ont que 2000€ par mois ne tient aucun compte des conditions de vie
réelles des citoyens. Une mère de famille seule avec un ou deux enfants qui
doit utiliser sa voiture pour aller au travail gagnant plus de 2000€ est sans
doute plus touchée par l’actuelle inflation que le célibataire vivant dans
une grande ville avec 1900€. L’efficacité sociale ou économique d’une telle
disposition n’a donc pas été évaluée.
D’autre choix bien plus justes auraient pu être mis en œuvre : celui
de pousser à l’augmentation des rémunérations en commençant par celle du
salaire minimum et en revalorisant les agents de l’Etat et des collectivités
territoriales. Il aurait pu aussi diminuer les taxes sur les carburants et
l’électricité.
Parce qu’il protège le grand patronat, le pouvoir refuse de répondre aux
demandes d’amélioration des rémunérations du travail et des pensions de
retraites. Les profits et la rentabilité du capital restent intacts et le billet
de 100€ est en vérité un bouclier contre les revendications salariales. Les
premiers de corvée connaîtront encore des mois qui finissent le 15 !
Le refus de baisser les impôts indirects, les plus injustes qui soient,
répond aux orientations européennes qui dans leurs recommandations
semestrielles aux Etats – issues du pacte de stabilité – demande d’augmenter
pour financer la dette les impôts dit de « consommation » afin de
diminuer l’impôt dit « de production » c’est-à-dire les impôts sur le
capital.
Le double combat pour la justice sociale, qui implique l’augmentation des
salaires et des retraites et la justice fiscale, doit prendre de la vigueur. Il
doit s’accompagner d’une bataille pour abolir le pacte de stabilité européen et
ses absurdes critères, et s’accompagner d’une vision à long terme pour notre
indépendance énergétique avec la réhabilitation du monopole public d’EDF
démocratisé et un processus de reconquête de notre souveraineté
alimentaire qui doit cesser d’être tributaire du marché capitaliste.
L’alimentation doit donc être sortie des négociations internationales de
l’Organisation mondiale du commerce et des traités de libres échanges. Cela
n’exclurait pas des coopérations entre peuples et entre Etats, bien au
contraire. C’est l’appel à une nouvelle cohérence progressiste contre les lois
de l’argent-roi.
Patrick Le Hyaric
(1) Ce chiffre a été révélé par l’enquête de 15 médias internationaux. Voir
aussi l’Humanité du vendredi
22 octobre 2021.
jeudi 28 octobre 2021
« Rationalité », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.
Face aux semeurs de haine, la réalité brute des chiffres vaut parfois
mieux qu’un long discours. Ce jeudi, une série d’études publiées par l’OCDE
vient tordre le cou aux élucubrations xénophobes de la droite et de son extrême
sur l’immigration. Cette dernière est vue avec une obsession qui frôle la
psychiatrie. Elle serait « massive », coûtant « des
milliards aux comptes publics » et, peu ou prou, à l’origine de tous
les maux de la France. Ces assertions instaurent un climat nauséabond de
suspicion, sabordent le débat et sont, du reste, totalement fausses.
Non, il n’y a pas de déferlement tsunamique d’immigrés. Au contraire même.
Selon les projections de l’OCDE, l’année 2020 – pandémie de Covid oblige – a
connu un effondrement inédit d’au moins 30 % des « flux migratoires » vers les
pays développés (– 21 % pour la France). Une tendance qui devrait se
poursuivre en 2021. Résultat : les « 2 millions d’immigrés en
plus » sur le quinquennat Macron, comme aime à le claironner Zemmour,
seraient en réalité à peine 620 000…
Et non, l’immigration ne ruine pas non plus la France. L’OCDE réaffirme ici
un constat déjà fait à maintes reprises : la contribution des immigrés, sous la
forme d’impôts et de cotisations, apparaît supérieure aux dépenses que les pays
consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation. En France,
cette contribution budgétaire nette serait de 1,02 % du PIB, donc excédentaire.
Et encore, seuls 56 % des immigrés sont intégrés au marché du travail. Avec un
taux d’emploi similaire au reste de la population, ils généreraient 0,2 % de
PIB supplémentaire pour les comptes publics. Vous avez dit poids de
l’immigration ?
Cette analyse de l’OCDE
ne suffira pas, seule, à anesthésier la propagande des Le Pen, Zemmour et
autres Ciotti. Ne rêvons pas. Mais elle doit aider à éclairer la manipulation
intellectuelle aujourd’hui à l’œuvre. Et rappeler à la gauche que la
rationalité peut être également une arme redoutable dans le combat politique à
mener contre l’hystérie nationaliste.
« Bon retour au pays, « bochio » ! », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.
Ce sont des joyaux qui vont, enfin, retrouver leur écrin d’origine. Le
9 novembre, vingt-six œuvres, dont la magnifique statue « bochio » du roi
Béhanzin, quitteront le musée du quai Branly pour s’en retourner au Bénin. On
le sait, l’itinéraire de ces trésors est une affaire de spoliation. En 1892, en
pleine guerre coloniale, le général français Dodds avait mis à feu et à sang
l’ancien royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin, et pillé ces œuvres
appartenant à Béhanzin, capturé et condamné à l’exil aux Antilles, puis en
Algérie.
Comme toujours, l’histoire officielle s’est chargée de tordre les faits, de
les réécrire, afin de repeindre le monarque africain en terrible sanguinaire.
Quant à Dodds, il passait jusqu’alors pour un héros ; l’appartenance de ces
artefacts au patrimoine national était présentée comme le fruit d’un généreux
« don » du militaire.
Depuis la demande officielle de restitution formulée par les autorités béninoises
il y a cinq ans, que de tergiversations sournoises sur de prétendues mauvaises
conditions de conservation de ces objets dans leur pays d’origine ! En
dérogeant à l’inviolabilité des collections des musées nationaux français, la
loi d’exception de 2020 a permis de donner une réponse favorable à Porto-Novo.
Mais l’absence de cadre juridique pérenne freine les procédures engagées par
d’autres anciennes colonies.
Il n’y aura pas de
relations apaisées, refondées avec l’Afrique tant que perdurera le séquestre de
tout un patrimoine issu de la dépossession coloniale. Saluons à cet égard le
travail remarquable de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy, auteurs en 2018 d’un
important rapport sur la restitution de ces chefs-d’œuvre, et sans qui cet acte
de réparation n’aurait pu voir le jour. Ils ont contribué à faire sauter les
verrous politiques, idéologiques, mais aussi financiers, les collectionneurs
privés voyant là une atteinte à leur butin. Le temps des razzias est fini : le
retour de ces objets au pays natal s’inscrit dans le sens de l’histoire.
« Figaro-ci et là… »,le billet de Maurice Ulrich
L’alerte a été lancée la
semaine passée par le Figaro Magazine à la une. « Enquête sur
une mainmise culturelle, France Inter, France Télévisions, à gauche toute ». On
ne l’avait pas vraiment remarqué en écoutant Léa Salamé, Nicolas Demorand ou
Dominique Seux, de la direction des Échos… Peut-être faut-il
chercher parmi les nouveaux chroniqueurs. Étienne Gernelle, directeur du Point ?
Alexandre Devecchio, directeur adjoint de la rédaction du… Figaro ?
C’est dans le même Figaro qu’on lisait jeudi à quel point la
France se droitise, ce qu’illustrait un camembert. 34 % pour la gauche
(Jadot, Hidalgo, Mélenchon). 56 % pour la droite (Bertrand, Dupont-Aignan,
Le Pen et Zemmour). 56 + 34 = 90 %. Mais où est passé Macron ? Tout à
sa démonstration, le quotidien l’a oublié, où qu’il le situe. Sinon, l’un de
ses éditorialistes vedettes, Yves Thréard, sur LCI, il y a quelques jours, n’a
pas hésité à pointer la responsabilité des politiques vis-à-vis d’Éric
Zemmour : « Ils n’arrêtent pas d’en parler. » L’émission, par
ailleurs, était pour l’essentiel consacrée à Éric Zemmour. Figaro-ci, Figaro-là…
C’est parfois n’importe quoi.
mercredi 27 octobre 2021
« Les mots », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.
J’avais suffisamment fréquenté les gens du monde « pour savoir que
ce sont eux les véritables illettrés et non les ouvriers électriciens », écrivait
Marcel Proust, dans le Temps retrouvé. Il évoquait aussi ce
qu’on appellerait aujourd’hui le populisme en littérature, qui s’adresserait
davantage, disait-il, « aux membres du Jockey Club qu’à ceux de la
CGT ». Qu’en est-il quand un démagogue fascisant se met en devoir de
complaire aux milieux populaires en prônant la suppression du permis à points,
etc. Boire, fumer, conduire vite… Que demande le peuple ? Sous le couvert de
défendre les plus modestes, c’est le même mépris que celui de cet ancien
porte-parole du gouvernement pour qui les manifestants des ronds-points étaient
ces Français « qui fumaient des clopes et roulaient au diesel ». Les
mêmes devant qui on agite les chiffons frelatés de l’immigration avec toutes
ses déclinaisons. Et quelle est cet autre mépris qui amène le premier ministre
et le président de la République à répondre aux attentes du pays en termes de
pouvoir d’achat en signant un chèque de 100 euros. Circulez, votez…
Il était question de bien autre chose, hier, avec notre invitée, la
réalisatrice Catherine Corsini, parlant des réponses d’autres pays comme
l’Espagne sur cette question avec une baisse des taxes, avec des prélèvements
sur les bénéfices des entreprises quand, en France, « c’est la carotte
et le bâton ». Quand elle parlait aussi de l’une des actrices de son
film, aide-soignante dans le réel. Calme, attention, générosité, intelligence,
comme autant de manières, disait-elle, « d’amener une vérité », au
regard de tant de discours tissés de mensonges… Cette vérité, c’est aussi celle
de notre reportage, près de Dieppe, sur un rond-point : « Si on ne se
bat pas maintenant, nos enfants vont manger quoi ? »
Soyons lucides. On sait
bien que la pollution des esprits peut s’étendre dans toute la société, comme
une nappe toxique. Les mots de Catherine Corsini à propos de son film et les
combats politiques à venir nous invitent à redonner sens à ceux du partage, de
l’humanisme vrai, en rejetant les mensonges et la haine.
La rédactrice en chef d’un jour. « La politique de la carotte et du bâton ! »
Le gouvernement français
agit au coup par coup avec des mesures conjoncturelles. Ce chèque de 100 euros,
c’est un peu une aumône qui infantilise les Français. On a l’impression qu’Emmanuel
Macron utilise la politique de la carotte et du bâton ! En matière de pouvoir
d’achat, d’autres pays européens ont agi différemment. Face à l’augmentation du
coût de l’énergie qui ampute gravement le budget des foyers les plus pauvres,
la gauche espagnole a fait un autre choix, structurel. Le gouvernement de Pedro
Sanchez a décidé tout d’abord de baisser les taxes sur l’énergie. Ensuite, les
bénéfices de certains fournisseurs d’électricité ont été plafonnés, avec une
redistribution des excédents vers les ménages. Un exemple qui va vers une
réduction des inégalités ! La question du pouvoir d’achat n’est pas uniquement
comptable. Derrière les chiffres de ceux qui basculent dans la pauvreté, se
dessine une fracture sociale. Un cercle de plus en plus restreint de
privilégiés peuvent consommer sans limites, tandis que le reste de la
population doit se concentrer uniquement sur sa survie, exclu de tout pouvoir
de décision. Au risque que la violence de cette injustice débouche sur une
explosion de la société.
Cinéma. « La Fracture », de Catherine Corsini : une nuit au bord de la rupture.
Un couple de femmes
aisées se retrouve aux urgences avec un gilet jaune blessé. Entre drame et
comédie, la réalisatrice signe un film sous tension, traversé par les
violences policières et la lutte des classes. Catherine Corsini est la
rédactrice en chef d'un jour de l'édition du mercredi 27 octobre 2021 de l'Humanité,
à retrouver en kiosques.
La Fracture, Catherine Corsini, France, 1 h 38
Un pied, dont les orteils s’agitent nerveusement, dépasse d’une couette.
Pianotant sur son smartphone, Raf (Valeria Bruni-Tedeschi) agonit d’injures par
SMS sa compagne, Julie (Marina Foïs), qui dort profondément à côté d’elle.
Respectivement dessinatrice et éditrice de bande dessinée, les deux femmes, en
couple depuis vingt ans, ont parlé de se séparer. Une décision que n’accepte
pas Raf, au bord de l’implosion. Au même moment, Yann (Pio Marmaï), un
chauffeur de poids lourd nîmois, prend la route avec un copain pour se rendre à
la manifestation des gilets jaunes, sur les Champs-Élysées.
Une crise de couple sur une crise sociale et politique
Difficile de faire plus différentes que ces deux vies que tout sépare : la
classe sociale, la géographie, l’âge, la sexualité. D’abord filmées en
parallèle comme deux couloirs étanches, elles vont se percuter et cohabiter le
temps d’une nuit aux urgences. Dans la salle d’attente surchargée d’un hôpital
de l’Est parisien, Raf, qui s’est cassé le coude en tombant dans la rue, est
allongée sur un brancard. Assis sur un fauteuil roulant, Yann, qui s’est fait
charger par les CRS sur les Champs-Élysées, est gravement blessé à la jambe.
Tandis que les soignants tentent de faire face à l’afflux de patients de toute
sorte, la bourgeoise de gauche et le trentenaire précaire, qui risque de perdre
son emploi s’il ne rend pas son camion à temps, vont s’agacer, s’injurier puis
dialoguer au milieu du chaos.
Dans un huis clos fiévreux, Catherine Corsini greffe une crise de
couple sur une crise sociale et politique. L’hôpital, inspiré de celui de
Lariboisière, est un microcosme où apparaissent les lignes de fracture et les
dysfonctionnements de la société française : des inégalités criantes, la
fermeture des lits en psychiatrie, les carences dans la prise en charge des
personnes âgées et des SDF, les sous-effectifs et l’épuisement des soignants.
Dans ce lieu au bord de la rupture, s’engouffre la violence politique et
policière avec l’arrivée des gilets jaunes tabassés dans les manifestations et
dont les blessures spécifiques nécessitent de pratiquer une médecine de guerre.
Caméra à l’épaule, Catherine Corsini et la cheffe
opératrice Jeanne Lapoirie plongent en apnée dans ce cauchemar nocturne où la
tension ne retombe jamais, où se télescopent la lenteur de l’attente et
l’urgence des gestes à effectuer dans la seconde.
Les contradictions d’une génération qui a renoncé à faire la révolution
Toujours sur le fil, noue le rire et les larmes, les
chamailleries de couple, la lutte des classes et le drame qui sourd à chaque
instant. Dans le rôle de l’artiste capricieuse et agaçante qui hurle son besoin
d’amour, Valeria Bruni-Tedeschi est en constant déséquilibre, laissant deviner
les failles de son personnage. En contrepoint, Marina Foïs joue une femme
raisonnable jusqu’à la dureté, inquiète pour son fils parti manifester et
enserré dans une nasse policière.
Face à ce couple emblématique des contradictions d’une génération qui a
renoncé à faire la révolution, Pio Marmaï incarne un homme sanguin et
chancelant qui avance comme un équilibriste sans filet. D’abord centré sur les
trois personnages principaux, le film devient plus choral et empathique à
mesure que les deux femmes prennent conscience de la réalité qui les entoure.
Une multitude de visages et de récits émergent : Laurent, un gilet jaune
ami de lycée de Julie, lui rappelle les origines du Nord qu’elle a voulu
oublier ; Élodie, sa compagne de manifestation, manque de perdre la vie parce
qu’elle a minimisé ses blessures ; un médecin étranger fait acte de
désobéissance civile en laissant entrer des manifestants dans l’hôpital
encerclé par la police. Et surtout, Kim, l’infirmière, jouée par l’incroyable
Aïssatou Diallo Sagna, aide-soignante dans la vie, est la révélation du film.
Prise en étau entre son travail et son mari qui panique à cause de la fièvre de
leur bébé, elle fait face avec douceur et sang-froid, refusant de porter
plainte quand un patient psychiatrique la prend en otage.
C’est toute cette
humanité, cette solidarité, que filme Catherine Corsini, dessinant une fragile
utopie qui s’évapore au petit matin pour laisser place, au dehors, à la
violence la plus nue, la plus crue.
mardi 26 octobre 2021
« Les leçons de la « grande démission », l’éditorial de Christophe Deroubaix dans l’Humanité.
Aux États-Unis, c’est le phénomène social du moment : le « big quit ».
Traduisez : la « grande démission. » Ces six derniers mois, près de
20 millions de départs volontaires ont été enregistrés par le Bureau des
statistiques du travail. Un pic historique a même été atteint en août :
4,3 millions. Sans surprise, avec un taux de démission jamais vu de
6,8 %, les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et du commerce
sont les plus touchés. Mais pas que… Les cols blancs s’y mettent également,
avec un record de 700 000 démissions en mai dernier. Et ils ne partent pas en
silence : les démissions se font souvent en direct sur TikTok. Pour
l’économiste Robert Reich, ancien ministre du Travail sous Bill Clinton et
désormais très proche de Bernie Sanders, l’explication est aussi simple que
limpide : « Les États-Unis sont frappés par une grève générale
officieuse, jusqu’à ce qu’ils obtiennent une hausse des salaires et de
meilleures conditions de travail. »
Éclatante
outre-Atlantique, cette nouvelle forme de révolte sociale (« Vous
ne nous ferez pas travailler à n’importe quel prix, ni à n’importe quelles
conditions ») trouve également son chemin en Europe. Selon l’OCDE, le
nombre d’habitants de ses pays membres ne travaillant pas et ne cherchant pas
de travail a bondi lui aussi de 14 millions depuis le début de la
pandémie. L’Allemagne (6 %) et le Royaume-Uni (4,6 %) mènent la
danse. La France apparaît légèrement moins impactée (2,3 %), mais la
récente et fort médiatisée « pénurie » de main-d’œuvre dans les secteurs de
l’hôtellerie-restauration souligne le même malaise. Avec sa réforme de
l’assurance-chômage, le gouvernement français veut y répondre par la
contrainte, comme si le rabougrissement des droits pouvait conduire des
salariés – considérés, donc, comme des fainéants – à accepter l’inacceptable.
Si tel était le cas, le « big quit » n’aurait jamais eu lieu dans le système
social le moins protecteur de tous les grands pays industrialisés. CQFD
« Justice », le billet de Maurice Ulrich.
Selon le Monde, les 2 000
participants à l’université d’été du Medef à la fin août avaient été
« médusés » lorsque le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, leur avait
lancé : « Je suis venu draguer les patrons ! » Au-delà de la
formule cavalière, il s’agissait de les inciter à se tourner davantage vers le
travail des détenus, donc, en milieu pénitentiaire. Le journal y revenait
dimanche, car, malgré quelques avancées, « il y a du boulot ». Mais,
dans un sens, pas tant que ça. Moins de 30 % des détenus travaillent pour
environ 350 entreprises qui ont passé des marchés. Nombre d’entre eux pourtant
le souhaiteraient. Travailler en prison, c’est pouvoir améliorer le quotidien,
cantiner comme on dit, et ce n’est pas donné à tous alors que la pauvreté y est
endémique. Travailler, donc, mais encore ? Le droit social ne s’y applique pas,
avec un salaire horaire largement inférieur au Smic. Draguer les patrons,
peut-être, encore faudrait-il s’entendre sur les tarifs. La justice sociale
pourrait être une ambition pour le ministre de la Justice.
Rapport. RTE électrise le mix énergétique du futur.
Le gestionnaire du
Réseau de transport d’électricité (RTE) a remis son scénario « Futurs
énergétiques 2050 ». S’il ne tranche pas entre nucléaire et énergies
renouvelables, il mise sur une forte augmentation de la production électrique.
En préparation depuis deux ans, attendu de pied ferme alors que le
gouvernement envisage une relance du nucléaire, le scénario « Futurs
énergétiques 2050 » de RTE a été rendu public ce lundi 25 octobre. À
quelques jours de la COP26, le gestionnaire du Réseau de transport
d’électricité développe plusieurs scénarios de mix énergétique. S’appuyant sur
une part variable de nucléaire et d’énergies renouvelables, tous misent sur
l’essor de l’électricité. Tous permettent aussi d’atteindre la neutralité
carbone en 2050, condition sine qua non pour limiter le réchauffement
climatique. La sobriété énergétique reste la grande absente des perspectives
exposées. Explications.
1/ Consommation énergétique : on augmente ou on diminue ?
Aujourd’hui, pétrole, gaz et charbon, très émetteurs de CO2, comptent pour
environ 60 % de notre consommation énergétique. Atteindre la neutralité
carbone en 2050 implique de ne plus en utiliser du tout. Il faut donc trouver
moyen de les remplacer, et/ou de réduire notre consommation globale d’énergie.
Pour établir ses prospectives, RTE reprend l’objectif défini dans la
stratégie nationale bas carbone (SNBC) : réduire la consommation d’énergie
finale de 40 % d’ici trente ans. Celle-ci passerait de
1 600 térawattheures (TWh) actuellement à 930 TWh en 2050. Cette
baisse ne compense pas totalement la disparition des fossiles. La SNBC pose
donc l’hypothèse d’augmenter la production de gaz décarboné (grâce à des
systèmes de capture et de stockage du carbone, entre autres) et de production
de chaleur renouvelable (brûlage de déchets ou chaleur solaire, par exemple).
Elle envisage, surtout, de revoir à la hausse la part d’électricité dans le mix
énergétique. Celle-ci passerait de 25 % actuellement à 55 % en 2050,
soit de 430 TWh à 645 TWh dans trente ans. Dite de référence, cette
hypothèse prend pour acquis la continuité de la croissance économique et suppose
un bon niveau d’efficacité énergétique (le fait de consommer moins, à usage
équivalent). Elle n’implique aucun changement dans nos modes de vie.
Deux autres hypothèses existent dans le rapport exhaustif de RTE. Long de
plus de 600 pages, celui-ci n’était pas encore rendu public lundi après-midi.
L’une, dite de réindustrialisation, prévoit de relocaliser les productions
manufacturières fortement émettrices de CO2 à l’étranger : cela bénéficierait à
l’empreinte carbone globale de la France, mais aurait pour impact d’augmenter
la consommation d’électricité (+ 107 TWh par rapport au scénario de
référence). Une autre hypothèse, dite de sobriété, suppose à l’inverse une
baisse de la consommation électrique (– 90 TWH par rapport au scénario de
référence) rendue possible par une évolution des modes de vie (déplacement,
consommation, partage des ressources, télétravail…). Le hic, c’est que RTE ne
décortique aucun de ces deux scénarios dans la synthèse présentée ce lundi. Il
faudra, pour cela, attendre 2022 et une prochaine analyse. Or, de ces
équilibres dépend le mix électrique du futur. Le calendrier tombe d’autant plus
mal qu’Emmanuel Macron prévoit d’intervenir sur la relance du nucléaire avant
Noël.
2/ De l’électricité avec ou sans le nucléaire ?
Partant de cette hypothèse de référence, RTE développe six scénarios
possibles de mix. Trois excluent la construction de nouveaux réacteurs
nucléaires (les scénarios nommés M0, M1 et M23), dont un, le M0, vise le
100 % énergies renouvelables dès 2050. Trois autres scénarios (N1, N2 et
N03) envisagent la construction de nouveaux EPR. Le N03 prévoit que la part de
l’atome composera 50 % du mix électrique au milieu du siècle. Tous
impliquent une augmentation de la production d’électricité solaire et éolienne,
prévient RTE. Et tous se confrontent à de fortes incertitudes technologiques et
industrielles.
Les « scénarios M » impliquent de pouvoir développer un important parc
d’usines thermiques décarbonées, de batteries ou d’hydrogène vert, afin de
suppléer à la variabilité de leur production, dépendante du vent et du soleil,
et de stocker l’énergie.
Les « scénarios N » sont, eux, associés à des incertitudes quant à la
capacité de prolonger certains réacteurs jusqu’en 2060 (un impératif dans le
scénario M03). Idem concernant la mise en service d’un grand nombre de nouveaux
réacteurs entre 2035 et 2050. Or, le scénario N1 (26 % de nucléaire,
74 % d’EnR en 2050) prévoit le développement de 6 nouveaux EPR entre
2035 et 2045. Le scénario N2 (36 % de nucléaire, 63 % d’EnR en 2050),
prévoit d’en développer 14, essentiellement entre 2040 et 2050.
3/ Quels impacts sur l’environnement ?
La bonne nouvelle, c’est que tous les scénarios retenus par RTE débouchent
sur une réduction des émissions de CO2, permettant d’envisager d’atteindre la
neutralité carbone en 2050. Cela vaut pour les scénarios qui misent sur le
nucléaire autant que pour ceux qui envisagent d’en sortir. Et cela prend en
compte l’intégralité des cycles de production, assure le gestionnaire du
réseau. Le coût carbone induit par l’extraction de l’uranium au Kazakhstan est
intégré dans ce calcul tout autant que celui de la pale d’éolienne fabriquée en
Chine. Même dans un système décarboné comme l’est aujourd’hui le système
électrique français, insiste RTE, « il est intéressant de développer
fortement les énergies renouvelables ».
D’autres facteurs environnementaux sont pris en compte dans le rapport,
entre autres l’emprise au sol des systèmes d’énergies renouvelables. Un
scénario 100 % d’EnR en 2050 nécessiterait l’édification de 25 000 à
35 000 mâts d’éoliennes. C’est beaucoup plus que ce qui est envisagé par
l’association négaWatt (lire ci-contre). Cet écart peut s’expliquer par le fait
que celle-ci s’appuie sur une perspective de sobriété énergétique marquée.
RTE estime par ailleurs que les panneaux solaires couvriront entre
155 000 et 250 000 hectares, sans pour autant être synonyme
d’artificialisation des sols, puisque posés sur des toits ou des châssis. Le
nucléaire, quoi qu’il en soit, permet une moindre occupation spatiale. Il pose
en revanche des questions au regard des bouleversements climatiques à venir. Un
monde plus chaud de 1,5 °C (cela devrait se produire aux alentours de 2030,
indique le dernier rapport du Giec) promet une multiplication des sécheresses
et des vagues de chaleur. L’eau vive servant à leurs systèmes de
refroidissement, « les centrales situées en bord de fleuve seront
régulièrement affectées », prévient RTE, qui invite à « gérer
autrement le stock hydraulique », voire à envisager de construire de
potentiels nouveaux réacteurs en bord de mer.
4/ Et tout cela à quel coût ?
Là encore, RTE
prévient : quel que soit le scénario envisagé, les investissements devront être
massifs. De tous les scénarios, le moins coûteux reste celui du moitié EnR,
moitié nucléaire (N03), dont le coût est estimé à 59 milliards d’euros par
an. Le plus cher est le scénario M1 (13 % de nucléaire, 87 % d’EnR),
estimé à 80 milliards d’euros par an. Tout cela ne dit rien du prix qui
sera payé par les usagers en 2050, prévient le gestionnaire. Les factures
dépendent certes du coût de production, mais tout autant des fluctuations de
marché et des politiques publiques. Impossible de les prévoir trente ans à
l’avance.
Présidentielle. Ivresse des sondages, gueule de bois démocratique.
Dans un contexte
politique instable, les enquêtes d’opinion, de plus en plus nombreuses, n’ont
jamais eu autant de poids. Elles sont les témoins, le symptôme, mais aussi
parfois la cause, d’une crise profonde de la démocratie représentative.
C’est une décision éditoriale forte. Ouest-France, journal
le plus vendu en France, a fait savoir, le 24 octobre, qu’il ne publierait
ni ne commenterait plus aucun sondage d’intentions de vote jusqu’à la fin de la
présidentielle de 2022. « Le temps passé à les commenter
détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la
rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées », justifie
le rédacteur en chef du quotidien régional, François-Xavier Lefranc.
Cette annonce intervient dans un contexte général d’inflation sondagière.
La campagne de 2002 avait fait l’objet de 193 sondages. Il y en a eu 409
en 2012, 563 en 2017. Dans l’optique de l’élection de 2022, la Commission des
sondages en dénombre déjà 44 depuis le 1er janvier 2021. Qui les
commande ? Des médias ou des formations politiques. Qui les réalise ? Des noms
désormais familiers du débat public : Ifop, Ipsos, Elabe, BVA, Harris
Interactive… Ces entreprises – bien qu’on les qualifie d’« instituts » de
sondage – sont en concurrence sur le marché de l’opinion, même si les
sondages politiques ne représentent qu’une part substantielle de leur chiffre
d’affaires (c’est moins de 1 % de l’activité d’Harris Interactive, par
exemple). L’essentiel de leurs recettes provenant d’enquêtes de lancement de
produits ou de satisfaction à destination d’entreprises commerciales.
Toujours est-il qu’on n’a jamais autant sondé les Français sur leurs
intentions de vote que maintenant. Or, la période se caractérise par une forte
instabilité et fracturation du paysage politique. Le traditionnel clivage
gauche de gouvernement/droite de gouvernement s’est effrité, et avec lui une
grande partie du vote partisan. L’électorat est plus volatil et indécis qu’il
ne l’a jamais été. Un paradoxe qui a fait dire au sondeur et politologue Jérôme
Sainte-Marie (PollingVox) : « Jamais les sondages n’ont autant
d’influence politique qu’au moment où ils ont le moins de réalité. »
« Une certaine défiance »
Car, s’il y a overdose de sondages, il y a surtout indigestion de
commentaires sur les plateaux de télévision. « C’est une sorte de
Bourse, un appareil permanent de cotation des titres politiques », brocarde
le politologue Daniel Gaxie. Un exemple entre tous : le traitement médiatique
de la percée d’Éric Zemmour. Le premier sondage à donner le polémiste xénophobe
à 10 %, le 14 septembre, a été vendu, en boucle, comme le fait politique
du jour sur BFM, CNews et consorts. Puis rebelote le 6 octobre, avec la
première enquête à l’annoncer au second tour. Puis le 22 octobre, on
pouvait lire ce titre sur BFM : « Un deuxième sondage donne Zemmour au
second tour ». Y aura-t-il une édition spéciale pour le troisième ? Ce
faisant, les sondages structurent un récit médiatique : Emmanuel Macron dans le
rôle du maillot jaune que personne ne parvient à rattraper, Jean-Luc Mélenchon
en tête du gruppetto de gauche, et Éric Zemmour qui aspire à être meilleur
grimpeur.
Et le fait politique majeur de passer sous les radars. Quelle est la part
de l’électorat à être encore très indécise sur son vote ? Combien se
désintéressent complètement de cette précampagne présidentielle ? Une donnée
qui implique une autre inconnue : le taux d’abstention. « C’est un défi
pour nous, admet Paul Cébille, chargé d’études à l’Ifop. Les gens
sont moins attachés aux partis, donc peuvent changer d’avis très vite. Une
certaine apathie, une défiance, s’est aussi installée. » Échaudés par
leur échec collectif lors des régionales de 2021, les sondeurs cherchent donc à
mesurer, sur une échelle de 1 à 10, le degré de certitude de vote de chaque
sondé. Ils éliminent ensuite les moins certains (ceux qui ont répondu 7 ou
moins, en général). Mais cette méthode, en plus d’anticiper parfois une
abstention de 50 %, recèle certains biais (voir page 6).
La plupart des sondages tels qu’ils nous sont actuellement présentés
éliminent donc d’office les indécis, dont on estime l’intention de vote peu
fiable. Ce qui a le don d’agacer Alain Garrigou, président de l’Observatoire
des sondages : « Vous trouvez ça sain, que l’analyse politique se fonde
sur des échantillons de 350 personnes qui sont certaines de leur vote ? » Mathieu
Gallard, directeur de recherche chez Ipsos, n’y voit pas de problème : « C’est
une photographie de l’opinion à cet instant, pas une prédiction. Les scores se
préciseront à mesure que les électeurs se décideront dans la campagne. » Paul
Cébille nuance : « En réalité une intention de vote ne dit rien en soi.
Ce qu’il faut regarder c’est le détail, la structure sociologique
– tranche d’âge, statut social, vote antérieur… Là on peut en tirer des
enseignements. »
Une dynamique de campagne
Photographie de l’opinion, prédiction ou prophétie autoréalisatrice ? Voilà
qui renvoie à un débat vieux comme les sondages eux-mêmes. Ont-ils un rôle
performatif ? Poussent-ils les électeurs à « voir le vote comme un jeu,
avec des calculs d’opportunités, des équations de vote utile », comme
les accuse Alain Garrigou ? Est-ce à force de marteler que tel candidat a une
dynamique électorale qu’il finit par en avoir une ? Tout en nuançant leur
poids, Mathieu Gallard considère qu’ « il n’y a rien d’illégitime à ce
qu’une partie des électeurs se décident en fonction des sondages, puisque nous
sommes dans un système à deux tours où l’enjeu est de se qualifier pour le
second ». « À partir du moment où les gens croient que les sondages
mesurent l’opinion publique, l’opinion publique existe telle qu’elle est
mesurée par les sondages », répond le politologue Daniel Gaxie.
Mathieu Gallard : « C’est exagéré de penser que la dynamique Zemmour,
par exemple, n’est qu’une création des sondages qui ne reposerait que sur du
vent. Si l’élection avait lieu ce dimanche, il ferait un bon score, aucun
doute. » « Si vous voulez, c’est le pire instrument de mesure de
l’opinion à l’exception de tous les autres, lâche Jean-Daniel Lévy,
directeur délégué de Harris Interactive. Mais c’est vrai que les
sondages prennent plus d’importance quand le poids politique des acteurs est de
moins en moins fort. »
Ils ont de toute façon un poids très concret dans la campagne. Tout
d’abord, en matière de financement. Pour obtenir un prêt d’une banque, les
candidats doivent rassurer sur leur capacité à faire au moins 5 %, seuil
au-delà duquel les frais de campagne sont remboursés à hauteur de
8 millions d’euros (en dessous, c’est dix fois moins :
800 000 euros). Pour cela, il faut justifier de sondages favorables devant
son créditeur. Aux européennes de 2019, la liste Génération·s s’était vu
demander trois sondages à 7 % au moins, en échange d’un prêt. Et puis il y
a la question du temps de parole fixé par le CSA. Du 1er janvier au
28 mars 2022, chaque candidat aura un temps d’antenne supposé représenter
son poids politique. Or, celui-ci est estimé selon plusieurs critères par le
gendarme de l’audiovisuel : les scores aux élections des cinq dernières années,
le nombre d’élus locaux, la taille des groupes parlementaires, mais aussi les
résultats des sondages. Donc, qui dit sondage favorable dit temps de parole
accru, avec un potentiel effet boule de neige.
Dans un contexte de décomposition politique, où les partis politiques se
multiplient et constituent de moins en moins des repères, où le confusionnisme
règne et le clivage gauche/droite est brouillé, les sondages tendent donc à
devenir une des dernières boussoles. Y compris au sein des partis politiques
eux-mêmes. Ainsi « Les Républicains » ont-ils commandé début septembre, à
l’Ifop, un sondage pour savoir quelle méthode les sympathisants de droite
plébiscitaient pour sélectionner leur candidat. Au second tour de la primaire
écologiste, certains partisans de Yannick Jadot n’ont pas hésité à brandir ses
« bons » sondages présidentiels (autour de 7 %), contre 2 % pour
Sandrine Rousseau.
« On ignore les mauvais... »
La mauvaise foi est de
toute façon un grand classique de l’usage des sondages par les partis. Ils sont
les premiers à en commander, les premiers à les fustiger quand ils sont
négatifs et les premiers à les médiatiser quand ils sont positifs. « Bien
sûr qu’il y a de la mauvaise foi, avoue Sandra Regol, secrétaire nationale
adjointe d’EELV. On sait que ce sont des petits échantillons pas
représentatifs, notamment les rollings (sondages quotidiens – NDLR) en fin
de campagne, mais on ne peut pas s’empêcher de les regarder. On ignore les
mauvais et quand il y a un qui est positif, on dit : “Ah non, celui-là, il est
bon !” Reste qu’en dehors des urnes c’est le seul moyen qu’on a de mesurer un peu
les dynamiques politiques en cours. » La France insoumise n’est pas en
reste pour, d’un côté, critiquer les enquêtes d’opinion, et, de l’autre,
rappeler que, selon les sondages, Jean-Luc Mélenchon est le « mieux
placé pour gagner » à gauche. « On considère que le sondage
est un instrument de communication et d’influence, se défend Manuel
Bompard, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Donc, puisque
c’est un outil de com, je ne peux pas en vouloir à nos militants quand ils
mettent en avant un sondage positif ! » Faut-il alors sonner
politiquement la charge contre les sondages ? Au PS, qui en achète bien moins
que par le passé, pour des raisons budgétaires, on tempère. « Ça risque
de donner un débat sans fin où on commente les commentaires des commentaires… », estime
la numéro deux du parti, Corinne Narassiguin. Parce que ce n’est pas déjà le
cas ?
lundi 25 octobre 2021
« Reniement » ? Le billet de Maurice Ulrich.
Elle ne fait pas dans la
dentelle, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie
de Montchalin, qui, dans un entretien du Parisien de dimanche,
taille un short à la droite qui n’a « rien appris de ses recettes
éculées », alors que ses candidats potentiels, déboussolés, en sont à
courir après « les propositions de Le Pen et Zemmour ». Pas
faux. La preuve, il y a même ceux qui, « comme monsieur Ciotti ou
madame Pécresse, renchérissent sur le nombre de fonctionnaires à supprimer ». Mais
oui, et c’est juste. Mais, lui objecte-t-on timidement, « en 2017, le
candidat Macron lui-même proposait d’en supprimer 120 000 ». Alors là
madame de Montchalin est ferme : « Il ne s’est pas renié. Depuis 2017
il a dit une chose simple : nous devons supprimer des postes dans les
ministères pour les remettre sur le terrain. » Et, donc, « il
y aura 5 000 postes supplémentaires d’ici à 2022, sans augmenter les
effectifs ». Euh… Bien. Que celles ou ceux qui comprennent nous
adressent une petite note.
« Notre ami le roi », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.
C’est un fait inédit dans l’histoire de votre journal, qui a pourtant tout
vécu des intimidations, censures et pressions de toute sorte. Pour la première
fois, un pouvoir étranger met en branle sa puissance d’État dans une procédure
judiciaire contre l’Humanité et l’une de ses journalistes,
Rosa Moussaoui. Notre crime : avoir mis en lumière les agissements de la
monarchie marocaine dans l’affaire dite « Pegasus », du nom du logiciel d’espionnage
israélien auquel plusieurs pays sont suspectés d’avoir eu recours, parmi
lesquels le Maroc, en violation des libertés des journalistes et des opposants
à sa politique.
Pour le royaume, raconter, enquête à l’appui, les soupçons de
cyberespionnage qui pèsent sur lui – et dont Rosa Moussaoui a pu être une
des cibles personnelles –, mais aussi les machinations ourdies contre des
journalistes pour les faire tomber, ou encore les persécutions infligées au
peuple colonisé du Sahara occidental, ne relève pas du journalisme mais de
la « diffamation ». Quand ce ne sont pas ses avocats qui le disent,
ce sont ses organes de « presse » non officiels mais clairement liés au régime,
lesquels n’hésitent pas de leur côté à noyer l’information qui dérange sous un
flot d’injures et de diffamations authentiques. Faut-il que ce que met à nu la
plume de Rosa fasse trembler le Maroc pour que notre courageuse reporter en
fasse aujourd’hui les frais, sa photo jetée en pâture aux réseaux pro-Mohammed
VI accompagnée de commentaires infamants.
Avec le procès qui
démarre mardi, les moyens changent, mais l’objectif au fond est le même. L’État
du Maroc, qui se présente comiquement comme un « particulier » injustement
sali, sait bien que ses chances de berner les juges sont réduites. L’essentiel
est ailleurs : faire peur et, surtout, faire taire, pour que notre ami le roi
n’ait jamais à s’expliquer sur l’affaire Pegasus et toutes les autres. Il est
mal tombé. Ce lundi soir, à la veille du procès intenté par le Maroc, la bourse
du travail de Paris va résonner de toutes les voix de la solidarité avec l’Humanité et
pour une presse libre, et elles sont nombreuses : amis, lecteurs, confrères,
élus, syndicalistes. Pour continuer de chercher la vérité. Et de la dire !
Disparition. Avec Marcel Bluwal s’éteint l’âge d’or de la télévision française
Le documentaire comme la
fiction doivent beaucoup à ce réalisateur. Communiste de cœur, Marcel Bluwal a
voulu faire de la télévision un outil de réflexion sociale au service du
public. Il est mort samedi, à l’âge de 96 ans.
Il a été « un homme essentiel ». Hommage d’une grande actrice,
Ariane Ascaride, à un grand réalisateur, Marcel Bluwal, qui a été son
professeur au conservatoire supérieur d’art dramatique (et celui de Jean-Pierre
Darroussin, ou encore de Catherine Frot). Homme de théâtre, de cinéma et surtout
de télévision, il a marqué de son empreinte cette dernière, en réinventant, en
plus de soixante ans de carrière, le documentaire et la fiction. Il est
décédé « paisiblement » samedi matin à Paris, selon son
entourage, à l’âge de 96 ans.
Marcel est né à Paris en 1925, dans une famille de juifs d’origine
polonaise. À 11 ans, depuis le quartier populaire du
12e arrondissement, il ressent l’effervescence du Front populaire. À 15,
l’entrée des Allemands dans la capitale douche les espoirs de vivre mieux. À
17, Marcel échappe de peu à la rafle du Vél’d’Hiv, avec sa mère, grâce à son
professeur de piano qui les cache. Au sortir de la guerre, le jeune homme entre
à la télévision, après quatre ans au service cinématographique des armées « où
(il a) appris (son) métier de cameraman ». Cette formation et un amour pour
le cinéma cultivé depuis son enfance poussent le jeune homme vers un média en
plein essor.
Nous sommes en 1949. « C’était l’enfance de la télévision. Le
patron des programmes m’a confié un magazine pour les enfants tous les quinze
jours », confiait-il à l’Humanité en 2009. Il le
tiendra quatre années durant. « Il y avait là des gens qui ont fait la
télévision durant quarante ans : Desgraupes, Barma, de Caunes, Tchernia… » Des
légendes dont il fut, avec ses camarades Maurice Failevic, Raoul Sangla,
Stellio Lorenzi… Dès 1953, il met en scène des pièces dramatiques en direct,
bousculant l’interprétation figée des grands auteurs classiques. Son Dom
Juan, diffusé en novembre 1965 à une heure de grande écoute, sera
suivi sur plus de 7 millions de postes de télévision. Les critiques
parleront de « pièce rajeunie et dépoussiérée ».
À droite toute, une série multirécompensée
Marcel n’en était pas à son coup d’essai. En 1960, son film la
Surprise avait remporté la palme d’or du film de télévision au
Festival de Cannes. C’est le temps des grands bouleversements dans ce qu’on
appelle aujourd’hui la « consommation des médias », et Marcel Bluwal va mettre
la télé au service du public. Avec Marcel Moussy, il crée Si c’était
vous…, la première émission du fait social et sociétal, explorant le
malaise de la jeunesse, la précarité, le mal-logement. « L’un des trois
ou quatre événements de la télévision française, depuis ses origines », appuyait
alors André Bazin dans Radio-cinéma-télévision. Même le
Figaro littéraire, sous la plume de Claude Mauriac, en soulignait « la
vérité dans la simplicité ». On peut dire que Marcel Bluwal a inventé la
télévision sociale, préoccupation qui ne l’abandonnera jamais : « Je
traitais tous les conflits en espérant que, pour le public, il en sortirait une
exaltation révolutionnaire », confiera-t-il quelques années plus tard.
Sous son influence, la fiction a également été renouvelée. C’est lui qui a
lancé, en 1962, le concept de feuilleton, avec L’inspecteur Leclerc
enquête, tout d’abord, puis Vidocq en 1967. Jusqu’à
ses dernières réalisations, il a brillamment utilisé ce média dont on n’a pas
fini d’explorer les ressources. Lorsque, en 2009, après quatorze ans
d’absence, il écrit À droite toute, une série sur la montée en
puissance du fascisme dans la France des années 1930, il met tout le monde
d’accord : fipa d’argent de la meilleure série, fipa d’or pour son interprète
Bernard-Pierre Donnadieu, et pour le scénario coécrit avec Jean-Claude Grumberg.
Quatre ans plus tard, il tournera encore une fable sociale, les Vieux
Calibres, sur quatre retraités qui n’ont pas raccroché les banderoles.
Comme lui.
Son credo : informer, cultiver, distraire
Car ses succès ne lui feront jamais oublier où va son cœur. À chaque fois
qu’il tourne, il pense au « mineur d’Anzin » pour faire
vivre « cette télévision d’auteur que la télévision de formatage a
essayé de tuer ». Fidèle, toujours, au programme culturel du Conseil
national de la Résistance : « Informer, cultiver, distraire ». Il
n’a pas toujours porté la carte du PCF, mais en avait épousé les valeurs dès
son entrée à la télévision, où il a fortement contribué à créer le premier
syndicat CGT de la branche. Compagnon de route du Parti, il a intégré le comité
de soutien de Jacques Duclos pour l’élection de 1969. Il adhère en 1971,
reconnaissant aux communistes « une bonne part » de
responsabilité dans « la hausse des avantages sociaux ». Il sera
également, de 1976 à 1981, rédacteur à l’Humanité Dimanche.
Des divergences l’ont
amené à quitter le PCF en 1981, mais il est resté « à gauche, gauche », nous
confiait-il en 2009 à la sortie d’ À droite toute : « Je
suis resté en colère parce que l’état de la société ne s’est pas amélioré
depuis (les années 1930 – NDLR). Sauf pour une minorité. Pour le
reste, les gens sont pauvres avec un réfrigérateur, une voiture et la Sécurité
sociale qu’ils n’avaient pas avant. » Le secrétaire national du PCF,
Fabien Roussel, a salué dimanche la mémoire d’un « réalisateur
d’exception au tempérament mémorable », qui ne cédait « ni à
la facilité, ni à l’abaissement des débats ».
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