mardi 28 février 2023

« 7 mars, le pays à l’arrêt » (Patrick Le Hyaric)



De partout se prépare désormais, l’arrêt de la France, le 7 mars, pour arrêter la contre-réforme des retraites. On prépare des banderoles à mettre aux fenêtres, on discute avec des commerçants pour qu’ils baissent le rideau durant plusieurs heures, on discute avec des salariés des PM et avec leurs employeurs, on distribue des tracts, on tient des réunions d’information, des meetings, on prépare des déplacements collectifs aux manifestations…. On prépare la mise à l’arrêt de la France. Le mouvement doit être puissant, uni, solidaire entre les classes travailleuses, entre les générations, entre les préférences syndicales différentes, les opinions politiques, philosophiques, proches ou discordantes.

Il n’y a qu’un rapport de force inégalé qui peut faire reculer ce pouvoir qui travaille pour les fonds financiers et l’assurance privée en voulant imposer à tout prix cette contre-réforme des retraites. Sa décision de tenter de passer en force est liée à l’enjeu primordial que cette contre-réforme représente pour les forces du capital. Le projet des 64 ans est partie intégrante du projet macroniste global qui comprend les contre-réformes du droit du travail, la réduction des droits de l’assurance chômage, la fameuse loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE, la modification des lycées professionnels et les soubresauts sur un faux partage de « la valeur », voire la participation. La cohérence de cette politique vise à réduire les droits des travailleurs, à accroître ceux du capital, à pressurer les rémunérations salariales durant le travail et hors période du travail, dont l’allocation chômage et les retraites, avec l’idée de déconnecter ces derniers du salaire grâce à des caisses non étatisées.

Le pouvoir, ses alliés et ses donneurs d’ordre assis sur des tas d’or, savent très bien qu’il n’est pas possible pour un boucher, un primeur ou tout autre travailleur du marché national de Rungis de travailler jusqu’à 64 ans, voire 67 ans pour certains. Leur dire, comme l’a fait le fondé de pouvoir Macron, qu’il compte sur leur bon sens, leur « raison » est une pure insulte.

Courtoise peut être, entouré de quelques fraises importées, mais insupportable insulte tout de même. Il prend celles et ceux qui souffrent pour de petits caniches sans « raison » bons qu’à être exploités et surexploités toujours plus. Au cours de cette visite matinale, le président ne s’est même pas fatigué à expliquer le bien-fondé d’une telle régression. Il en appelle à la raison. Il dit ainsi que le peuple doit se soumettre à « une raison » divine, au mépris de la vie des travailleuses et des travailleurs.

La « raison » du pouvoir est bien celle qui permet de servir les fonds financiers et les compagnies d’assurances privées. Quand le Conseil d’État critique plusieurs articles de ce projet de loi, le pouvoir n’en tient aucun compte. Pourquoi ? Parce que les seuls articles importants sont ceux qui permettent le recul de l’âge de départ et l’augmentation du nombre d’années de cotisations.

Le projet est simple : celles et ceux qui ne pourront pas faire autrement iront travailler jusqu’aux limites de leur force, perdant autant d’années de vie en bonne santé et de vie tout court.

D’autres, qui auront des doutes sur la possibilité d’atteindre les 64 ou les 67 ans au travail, tenteront de se payer une retraite complémentaire privée. Autrement dit, dans un contexte où déjà, ce que l’on appelle le « taux de remplacement », c’est-à-dire la différence entre le niveau du salaire et celui de la retraite diminue régulièrement, et continuera forcément de diminuer le projet est bien de conduire les travailleuses et les travailleurs vers la retraite par capitalisation.

En 2019 la Société Générale, dans une longue communication sur « l’épargne retraite et la loi Pacte » commençait ainsi son texte : « L’une des ambitions de la loi Pacte est de développer au sein des entreprises les solutions de retraites supplémentaires. Elle propose ainsi un nouveau plan d’épargne retraite d’entreprise qui offre une solution plus simple et plus souple pour les épargnants ».

 

« Chères campagnes », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



On a du mal à voir en quoi treize heures passées au salon pourraient apporter quoi que ce soit à l’agriculture française. Une caresse à Ovalie, la star bovine, une lichette de camembert ou de beaufort… La vitrine a ses limites quand, en même temps, le président renvoie dans les cordes celles et ceux qui parviennent à l’interpeller, malgré un service d’ordre musclé comme l’a appris un jeune homme à ses dépens. Sans doute, le salon est-il un lieu unique, qui a heureusement retrouvé ses couleurs et ses odeurs après l’épreuve de la pandémie. On aime s’y croiser pour goûter les productions locales, découvrir les plus beaux animaux de nos campagnes, pour avoir la sensation de se ressourcer, comme on dit, dans une ruralité un brin fantasmée. La réalité est plus dure, que le président occulte, sauf pour évoquer, ce qui ne mange pas de pain, la perspective indécise d’une discussion avec les distributeurs sur leurs marges bénéficiaires.

Car, en dix ans, 100000 exploitations agricoles ont disparu, passant de 490000 à 390000. Nous importons un poulet sur deux, deux ovins sur trois, l’élevage bovin est en baisse, le bio recule, la sécheresse s’étend partout, les ressources en eau s’épuisent. Mais, avec cela, un autre danger menace, évoqué précisément par lassociation Terre de liens. Celui de la financiarisation des terres, à savoir leur rachat par des fonds de pension ou des grands groupes. Parmi ces derniers, on retrouve L’Oréal, Chanel, LVMH, dont on pourrait naïvement se demander ce qu’ils ont à voir avec le monde agricole. En fait, rien, sauf une perspective de profit, l’entrée en Bourse du monde agricole ajouté à leur portefeuille, en entravant du même coup l’installation des agriculteurs ou leur relève.

C’est pour le moment relativement marginal, même si les surfaces concernées sont passées, en vingt ans, de 7 à 14% de la surface agricole totale, dont on peut rappeler quelle représente encore près de la moitié du territoire national. Mais le mouvement est en cours dont on peut craindre quil soit à lopposé dune exploitation raisonnée de la terre, privilégiant le local, le développement durable et l’avenir des agriculteurs eux-mêmes.

 

« Steaks tartares », le billet de Maurice Ulrich.



Le ministre du Travail est seul sur la photo que publiait le Monde de dimanche, dans l’Hémicycle vide, à la fin des débats sur les retraites. Assis au premier rang, une écharpe autour du cou serrée «comme une minerve» en raison d’une laryngite, écrit le quotidien, qui dresse son portrait titré «L’écorché de la réforme». Mais qu’on ne s’y trompe pas, Olivier Dussopt, s’il est un peu rose et poupin, n’est pas sans ressort. «À 44 ans, il se lève à 5 h 15 du matin, enchaîne cinquante pompes et autant dabdominaux avant 6 h 30, suit un régime protéiné à base de steaks tartares.» La viande crue plutôt que le barbecue. «On a découvert un dur à cuire», dit Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. C’est son côté Schwarzenegger, passé jusqu’alors inaperçu. On l’a vu d’ailleurs, à la fin des débats, quand il s’est mis à hurler malgré sa voix cassée: «Personne na craqué, personne na craqué, on est là, devant vous, pour la réforme.» Là c’était Terminator; même en morceaux il veut avancer, seul. 

 

lundi 27 février 2023

« Un pognon de dingue », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



La comédie du «il ny a pas dargent» va-t-elle encore durer longtemps? Alors quapproche lexamen de la réforme des retraites au Sénat, le gouvernement sapprête à resservir son mantra du «travailler plus longtemps» parce quil ny aurait, paraît-il, pas d’alternative pour «sauver» le système des retraites. Au même moment, l’argent coule à flots sous le nez des ministres, sans même faire semblant de se dissimuler. Jamais le CAC 40 et ses actionnaires n’ont autant crevé de richesses. Les entreprises françaises cotées en Bourse ont du cash plein les poches, à ne plus savoir qu’en faire. «Année record», «le grand chelem», les patrons ne sont pas avares de superlatifs dans leur communication sur les résultats de l’année 2022. Plus de 140 milliards d’euros de bénéfices nets pour les quarante sociétés du CAC: un chiffre historique, du jamais-vu.

Plus de la moitié de ce pognon de dingue devrait atterrir dans les poches des actionnaires. En ajoutant les programmes de rachats d’actions visant à doper encore la valeur boursière des groupes, 100 milliards d’euros, au bas mot, sont ainsi détournés de la réponse aux besoins sociaux. De quoi combler sept fois le déficit des retraites prévu en 2030, à en croire le gouvernement (14 milliards d’euros), tandis qu’il nous chante le couplet des 64 ans indispensables pour financer nos vieux jours. De qui se moque-t-on?

Cette manne des profits du CAC 40 mériterait d’autant plus d’être «collectivisée» quelle se nourrit des maux dont on rebat les oreilles des Français, appelés à endurer les sacrifices. La prospérité exceptionnelle de ces groupes l’an dernier s’est bâtie non pas en dépit de la crise, mais grâce à elle: en répercutant la hausse des prix aux consommateurs, en jouant à fond de la spéculation sur l’énergie, les grandes entreprises ont engrangé plus d’argent. Total a beau jeu de plafonner le prix à la pompe, fort de ses 20 milliards de profits. La seule mesure de justice serait de rendre l’argent à ceux qui produisent toutes ces richesses.

 

« Ça souffle », le billet de Maurice Ulrich.



La rédaction du Point serait fondée à s’inquiéter de son éditorialiste vedette, Franz-Olivier Giesbert, devant ce qui prend les apparences d’un délire hallucinatoire. Ainsi, dans le dernier numéro de l’hebdomadaire, se met-il en devoir de dénoncer «le grand retour du parti de l’étranger», en interrogeant: «Pourquoi y a-t-il tant de pouti­nolâtres en France?» Eh! oui, ils sont partout, enfin chez les extrêmes, à droite et à gauche, «qui partagent le même pacifisme, le même tropisme autoritaire, le même culte viriliste du chef». Déjà, ça dérape grave. Mais voici le pic de la crise, la dinguerie sur le drapeau: cest «une vieille tradition française que le RN et LFI ont gardée de leurs ancêtres collabos qui applaudissaient aux conquêtes du Führer». Et hop, dans le même sac-poubelle! Et l’éditorialiste enfiévré de citer George Orwell: «Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges et à donner lapparence de la réalité à ce qui nest que du vent.» Ça souffle, dans sa tête.

 

samedi 25 février 2023

« CONSTITUANTES » LE BLOC-NOTES DE JEAN-EMMANUEL DUCOIN



INSTITUTIONS.  «Penser sans peur», disait Descartes ; «vivre pour la vérité», ajoutait Spinoza. Tout républicain digne de ce nom, qui tient à l’universel de sa patrie en agissant ici et partout à l’échelle du monde, doit désormais se poser une question simple mais lourde de signification: la Ve République a-t-elle vécu? Parvenu à ce point de crise démocratique et institutionnelle, regardons la vérité en face. Le régime du monarque-élu se trouve totalement à bout de souffle et, depuis l’arrivée de Mac Macron I et II, du haut de sa verticalité jupitérienne poussée jusqu’à la caricature, le sentiment de fracture entre le chef de l’État et les citoyens a connu une aggravation si inquiétante que tout retour en arrière paraît impossible. Autant le dire, la défiance croissante n’atteint plus seulement l’Élu des urnes, quelles que soient les circonstances du suffrage, mais bel et bien «la» politique en général – donc, en quelque sorte, tous les élus eux-mêmes, percutant de plein fouet cette sacro-sainte « représentation » qui leur est légitimement conférée. Ne soyons pas naïfs, Mac Macron en personne y réfléchit. Raison pour laquelle, si l’on en croit les dernières consultations au Palais, il songerait sérieusement cette fois à une «réforme des institutions», comme l’assurent certains conseillers. Un chantier lancé à bas bruit. Mais pas moins explosif que celui des retraites…

 

CONSTITUTION. Aussi incroyable que cela puisse paraître eu égard au climat social et politique (sans parler de l’affaiblissement de la majorité au Parlement), Mac Macron voudrait en effet montrer qu’il n’a pas renoncé à un projet censé «redonner de la souveraineté populaire» (sic), idée qui figurait dans son programme. Après avoir consulté Nicoléon et Normal Ier il y a quelques semaines, le prince-président réfléchirait au retour du septennat, au calendrier électoral, à la proportionnelle, voire à un nouveau redécoupage des super-régions. Mi-janvier, lors d’un dîner avec des éditocrates triés sur le volet, Mac Macron avait précisé sa pensée en ces termes: «Il faut se donner pour ambition de faire quelque chose de grand, sinon je ne suis pas pour le faire.» Dilemme. Si le chantier ne saurait se résumer à un simple toilettage de la Constitution, comment le concevoir alors que le pays est sens dessus dessous et que les conditions à réunir pour une modification de la Constitution (qui doit être approuvée par les deux Chambres en vote identique, puis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par l’ensemble du Parlement réuni en congrès) semblent inatteignables. Sauf par référendum. Solution improbable, évidemment, puisque l’auteur de la question deviendrait la cible – et sans doute la victime – de toutes les attaques.

 

CRISE. Mac Macron s’apprêterait donc à assumer un big-bang institutionnel? Attention aux mots, soyons sérieux. Il s’agirait au mieux d’un «accommodement». Car, de toute évidence, la Constitution, l’organisation des pouvoirs publics, la démocratie et donc la République ne correspondent plus aux attentes ni aux exigences de solidarité, de justice et à l’aspiration croissante à un nouveau mode de développement. Nous voici parvenus à un point de non-retour dangereux pour les équilibres fondamentaux de la nation. Nous sommes au bout d’un cycle, celui d’une démocratie représentative pensée à la fin du XVIIIe siècle, qui ne reconnaît au citoyen que la compétence d’élire des représentants qui vont vouloir pour lui. Un autre cycle s’ouvre et il ne réclame pas de demi-mesures: il a pour principe la compétence normative des citoyens, à savoir leur capacité d’intervenir personnellement dans la fabrication des lois et politiques publiques. À l’approche de son soixante-cinquième anniversaire, le régime fondé par le général de Gaulle est en voie de battre le record de longévité détenu jusqu’à présent, dans l’histoire constitutionnelle française, par la IIIe République (1870-1940). Un réajustement juridique soumis à une représentation nationale contestée, serait insuffisant pour rénover la Ve République. Seule une (r)évolution citoyenne pourrait permettre le vrai big-bang salutaire, par l’élaboration d’une Constituante, pleine et entière. Tout autre chemin nous conduit au chaos.

 

vendredi 24 février 2023

L’urgence de trouver des solutions pacifiques en Ukraine (Fabien Gay)



Le 24 février 2022, l’horreur frappait de nouveau en Europe. Avec l’invasion de l’Ukraine par Poutine et le cénacle des oligarques russes, c’est un crime contre la paix et contre l’intégrité territoriale d’un Etat, au mépris du droit international, qui a été perpétré.

Rien ne peut justifier cette guerre, pas même les erreurs et provocations occidentales avec l’élargissement de l’OTAN depuis vingt ans. Disons-le même tout net : le peuple ukrainien a le droit de résister face l’invasion lancée par le maître du Kremlin. Ce dernier s’est inventé une légitimité à envahir son voisin pour restaurer un passé mythifié et se trouver un débouché économique dans la reconfiguration géopolitique en cours.

 

Cette guerre signifie avant tout le chaos, la mort et la destruction. 300 000 personnes ont déjà succombé sous les rafales des balles et les tirs des obus. Des millions d’Ukrainiens, femmes et enfants, ont été contraints à l’exil. Les dégâts matériels sont considérables.


Les jeunesses des deux pays, véritable chair à canon, prisonniers de combats durs et féroces, n’ont rien à y gagner, sauf à y perdre leurs vies et à ajouter du malheur au désastre. Une génération d’Ukrainiens et de Russes risque de nourrir ressentiments et haines pendant des décennies.


Tout semble indiquer que le conflit pourrait durer longtemps. L’accord pour livrer plus d’armes à l’Ukraine le prouve. Demain des chars et après-demain des avions ? Toujours plus destructrices, ces livraisons n’entraineront que plus de chaos, de morts et de fracas.

 

Alors quelle autre solution ? Il n’est pas possible de « parier » sur une prolongation du conflit en Ukraine. Les va-t-en guerre de plateaux nous accusent déjà de céder à l’envahisseur russe. Il n’en est rien. La lucidité et l’esprit de responsabilité nous imposent de trouver des solutions politiques.


Tous les efforts diplomatiques doivent être déployés pour obtenir un cessez-le-feu d’abord puis construire un plan de paix, respectant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sous l’égide l’ONU et des grandes puissances (y compris non occidentales). Les quelques espaces de négociation entre Russes et Ukrainiens ouverts en 2022, sur le blé et les échanges de prisonniers, montrent que rien n’est jamais fermé. Ce conflit doit être le prélude à bâtir une nouvelle architecture de sécurité collective en Europe, seul à même de construire durablement la paix. C’est à ce prix que les plaies ne resteront pas béantes pendant des générations.


Les relations internationales se tendent dangereusement comme l’illustrent les 2 113 milliards dépensés en armes en 2021. Un mouvement mondial pour la paix doit également se lever pour l’Ukraine et les autres théâtres de guerre dans le monde. Pas celui d’un pacifisme béat qui reviendrait à ne pas agir mais celui d’une voix forte pour imposer la paix et le désarmement comme projet pour l’humanité. Partout où les combats sévissent dans le monde, ce sont les peuples qui en paient le prix fort, renforçant les intégrismes et nationalismes toujours plus belliqueux. L’arme nucléaire étant une menace toujours aussi effrayante aux mains d’autocrates, il faut œuvrer à son élimination.


Les besoins sociaux immenses (dans la formation, la santé) et le changement climatique et avec lui ses défis colossaux pour nos sociétés et le vivant dans la gestion des ressources, nous imposent urgemment à changer de logiciel. Partout, nous devons coopérer et partager les savoirs, les pouvoirs et les richesses. Le prix de la paix et des communs reste le pari le plus juste pour notre avenir.

 

« Qui travaille ? », le billet de Maurice Ulrich.



À entendre la première ministre, le partage de la valeur, objet d’une négociation il y a quelques jours, serait un acquis historique. Ainsi Stellantis, résultant de la fusion de PSA et Chrysler, fort de son résultat exceptionnel de 17 milliards d’euros, pourrait redistribuer 2 milliards à ses 280000 salariés et 4 milliards à ses actionnaires (14,4% pour la famille Agnelli, 7,2% pour la famille Peugeot). Même Nicolas Demorand, jeudi sur France Inter, en recevant Olivier Véran, le ministre du Renouveau démocratique – belle ambition – semblait s’en inquiéter, c’est dire! 2 milliards dun côté, 4 milliards de lautre? «Ce nest pas à l’État, a répondu le ministre, de dire aux entreprises ce qu’elles doivent redistribuer.» Passons. Mais on voudrait ici évoquer une simple expérience, possible à réaliser chez soi. Admettons que l’on mette dans un tiroir une somme d’argent déterminée. Si on l’ouvre au bout d’un an, on retrouvera la même somme. En revanche, l’argent de l’actionnaire, placé comme il convient, lui rapporte. Il a «travaillé», comme on dit. Tout seul?

 

« Dans un monde de tranchées », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



L’emballement belliciste est à son comble. Combien de souffrances le peuple ukrainien devra-t-il encore endurer avant que la raison l’emporte sur les visées hégémoniques pour mettre enfin un terme à cette guerre? Loin de toute naïveté, cest peut-être la seule question qui vaille d’être posée avant qu’il soit trop tard. Depuis l’agression russe contre l’Ukraine décidée par un Vladimir Poutine aux ambitions impériales, chaque jour qui passe est un jour de trop. Trop de morts, trop de vies brisées et des haines, des divisions attisées que le temps pourra difficilement guérir. Sur le plan des relations internationales, on peine encore à mesurer combien cette injustifiable invasion a fragilisé le respect de l’intégrité territoriale des États. Les violations du droit international laissent toujours de funestes traces. La guerre en Irak et en Libye hier, l’Ukraine aujourd’hui, et après?

La politique de la terre brûlée choisie par Moscou, qui pourrait encore intensifier ses manœuvres militaires, conforte les va- t-en-guerre de l’Otan et leurs alliés, qui se soucient bien peu du sort des populations. À leurs yeux, il ne peut y avoir d’issue à la guerre sans un écrasement total de la Russie. Cette stratégie mortifère mène à l’impasse les peuples. Elle n’a pas soulagé les Ukrainiens du fardeau de la guerre. Elle a servi de prétexte au dangereux virage militariste pris en Europe. Des milliards d’euros sont engloutis dans des engins et des armes de destruction massive. Cette surenchère est une aberration qu’il faut stopper, sauf à précipiter une partie du globe dans les tranchées. Avec l’ombre du cauchemar nucléaire…

Le conflit en Ukraine rebat les cartes sur notre continent et dans le monde ; il a accéléré de grandes tendances déjà sensibles. Les leaderships occidentaux d’hier sont de plus en plus contestés par des puissances émergentes qui refusent de s’aligner et font entendre une autre voix. Certes, elles jouent, elles aussi, la partition de leurs propres intérêts. Mais cette mondialité reconfigurée peut aussi offrir l’opportunité pour un nouveau dialogue, de nouveaux rapports entre les nations. Le chemin de la paix est le plus dur, le plus long, il est chaotique, mais il est le seul viable.

 

 

jeudi 23 février 2023

« Désolant spectacle », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



L’Assemblée nationale n’est pas seulement l’agora où se fabrique la loi. C’est aussi un théâtre, où le conflit se met en scène et tourne parfois au spectacle. Tout s’y prête: le décor, les costumes, la scène – l’Hémicycle –, les rôles bien codifiés – la majorité,­ ­l’opposition, le gouvernement –, le rythme des séances et le règlement avec lequel on peut jouer. Unité de lieu, de temps et d’action. Cela nuit-il à la dignité du travail du législateur? Pas forcément. On se régale encore du beau «spectacle» du débat sur la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État ou, plus ­récemment, de la vibrante «performance» assurée sans notes de Christiane Taubira en faveur du mariage pour tous.

Il arrive aussi, comme au théâtre, que la «pièce» soit mauvaise, ou quelle soit mal servie par la troupe. Cest ce qui sest produit avec la réforme des retraites. Le véritable drame est que celle-ci na rien dune comédie, car cest du sort de millions de Français qu’il est question. Pas sûr que le citoyen, à qui le gouver­nement demande de sacrifier deux ans de vie, ait été spécialement heurté par la «violence» des opposants à la réforme. Mais beaucoup ­auront trouvé le spectacle désolant. La faute en incombe en premier lieu au gouvernement, qui a imposé un délai intenable à l’examen du texte. Et qui n’a pas voulu voir que la «scène» ne se limitait pas au Palais Bourbon, mais se jouait aussi dans la rue avec la participation de millions de manifestants. Dans ces conditions, le fait que les députés insoumis décident d’écrire leur propre ­intrigue, sans concer­tation avec le reste des troupes, a assuré le ­gâchis final d’un débat tronqué et sans vote.

L’examen du texte aurait-il été à la hauteur des attentes en évitant les invectives faciles et souvent inutiles? Rien ne permet de le dire, mais la véhémence incontrôlée de certains députés sert aujour­dhui la propagande des partisans de la réforme. Temps, lieu, ­action: aucune des règles n’a été res­pectée. Il appartient au Sénat de les imposer pour que les Français, qui ont le droit de faire valoir leur avis majoritaire dans ce débat, puissent enfin y parvenir.