jeudi 23 février 2023

« Désolant spectacle », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



L’Assemblée nationale n’est pas seulement l’agora où se fabrique la loi. C’est aussi un théâtre, où le conflit se met en scène et tourne parfois au spectacle. Tout s’y prête: le décor, les costumes, la scène – l’Hémicycle –, les rôles bien codifiés – la majorité,­ ­l’opposition, le gouvernement –, le rythme des séances et le règlement avec lequel on peut jouer. Unité de lieu, de temps et d’action. Cela nuit-il à la dignité du travail du législateur? Pas forcément. On se régale encore du beau «spectacle» du débat sur la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État ou, plus ­récemment, de la vibrante «performance» assurée sans notes de Christiane Taubira en faveur du mariage pour tous.

Il arrive aussi, comme au théâtre, que la «pièce» soit mauvaise, ou quelle soit mal servie par la troupe. Cest ce qui sest produit avec la réforme des retraites. Le véritable drame est que celle-ci na rien dune comédie, car cest du sort de millions de Français qu’il est question. Pas sûr que le citoyen, à qui le gouver­nement demande de sacrifier deux ans de vie, ait été spécialement heurté par la «violence» des opposants à la réforme. Mais beaucoup ­auront trouvé le spectacle désolant. La faute en incombe en premier lieu au gouvernement, qui a imposé un délai intenable à l’examen du texte. Et qui n’a pas voulu voir que la «scène» ne se limitait pas au Palais Bourbon, mais se jouait aussi dans la rue avec la participation de millions de manifestants. Dans ces conditions, le fait que les députés insoumis décident d’écrire leur propre ­intrigue, sans concer­tation avec le reste des troupes, a assuré le ­gâchis final d’un débat tronqué et sans vote.

L’examen du texte aurait-il été à la hauteur des attentes en évitant les invectives faciles et souvent inutiles? Rien ne permet de le dire, mais la véhémence incontrôlée de certains députés sert aujour­dhui la propagande des partisans de la réforme. Temps, lieu, ­action: aucune des règles n’a été res­pectée. Il appartient au Sénat de les imposer pour que les Français, qui ont le droit de faire valoir leur avis majoritaire dans ce débat, puissent enfin y parvenir.

 

 

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