jeudi 28 avril 2022

« Les illusions de Macron », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.

 


Une étape incontournable. Alors que les braises de la présidentielle sont encore chaudes, les défilés du 1er Mai, organisés dimanche dans toute la France, marqueront le premier round de la riposte à Emmanuel Macron. Les syndicats le savent: il y a nécessité à faire redescendre sur terre ce président mal élu, qui tente de faire croire que les millions de suffrages anti-Le Pen tombés dans son escarcelle valent soutien à son programme de casse sociale. Il n’en est rien. Rappelons-lui cette simple réalité: seuls 47 % des votes Macron au second tour étaient dans une logique d’adhésion (soit 24 % de l’ensemble des suffrages exprimés). Les autres (53 %) ont souhaité faire barrage à l’extrême droite. Le même rejet vaut pour les mesures phares défendues par le chef de l’État. À commencer par le recul de l’âge de la retraite, refusé par près de 70 % des Français…

La Macronie veut romancer la victoire de son chef. Ce 1er Mai doit servir à lui ôter toute illusion. Il n’y aura pas d’état de grâce. Et une large majorité de la population n’a aucune envie de goûter à un nouveau quinquennat de recettes néo­libérales. Les résultats du scrutin sont, à ce titre, éloquents. Avec, à gauche, un déplacement historique du centre de gravité vers les partisans d’une profonde transformation sociale au détriment des sociaux-libéraux, disqualifiés. Des scores qui témoignent d’une aspiration à un profond changement, que ce soit sur les questions du pouvoir d’achat, de la lutte contre les inégalités ou encore de l’environnement. Et qui rappellent que le terrain social, piétiné durant cinq ans par Emmanuel Macron, est plus que jamais inflammable.

On ne sait si cette colère palpable, illustrée par la multiplication des luttes salariales dans les entreprises, se traduira par un «troisième tour social». Elle est, en tout cas, un carburant puissant pour la bataille des législatives qui sannonce. Et ce 1er Mai, auquel tous les responsables de la gauche, de Fabien Roussel à Jean-Luc Mélenchon, appellent à participer, ressemble plus que jamais à un tour de chauffe. Celui qui doit permettre, d’ici un mois et demi, aux revendications de la rue de se traduire dans les urnes.

 

« La cerise », le billet de Maurice Ulrich.



À peine Emmanuel Macron a-t-il été réélu qu’on en voit les conséquences. «Il y a potentiellement des gens au chômage dans six jours», aurait déclaré un conseiller de l’Élysée, cité par le Parisien, qui évoque Roselyne Bachelot, Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer parmi les ministres en sursis. L’une, parce qu’on ne savait pas ce qu’elle faisait, l’autre, parce qu’on le savait trop, et lui, parce qu’il a fait trop et trop peu dans sa gestion du Covid à l’école, en y réfléchissant depuis les plages d’Ibiza. Bref, le climat social est tendu, pas seulement chez les ministres. En se rendant mercredi sur un marché de Cergy, dans le Val-d’Oise, où les électeurs qui ont voté à 48 % pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour ont fait barrage au second à Marine Le Pen, le président a dû subir une attaque à la tomate cerise, parée par un parapluie. «Il y a de la symbolique, avait-il dit en arrivant, dans les premières heures d’un mandat.» En effet, et ce n’était pas du gâteau.

Le désastreux « effet Poutine » sur l’Europe (Francis Wurtz)

 


On mesure chaque jour un peu mieux l’ampleur des dommages causés par la guerre insensée lancée par Poutine contre l’Ukraine. En plus de faire des Ukrainiens un peuple martyr, de détruire une partie de leur pays et de l’amputer d’une autre – un crime impardonnable qui pèsera lourd sur l’image, l’autorité et le rayonnement de la Russie et coûtera malheureusement très cher au peuple russe dans son ensemble –, cette invasion entraîne d’incommensurables «dégâts collatéraux». En Europe, lOtan en sort renforcée et pire! indûment relégitimée. Quant à lUnion européenne, elle est en train de donner un contenu plus que préoccupant à son ambition «géopolitique» sous leffet du retour de la guerre à nos portes.

L’Otan, tout d’abord. Certes, la grande majorité des dirigeants de l’UE ont, de tout temps, considéré que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord était au cœur de la défense du territoire européen. Même les partisans d’une «défense européenne» ont toujours pris soin de souligner la «complémentarité» de celle-ci avec lorganisation militaire transatlantique. Cependant, un timide débat s’était ouvert sur la pertinence dune alliance tellement éloignée de sa mission initiale quelle apparaissait, aux yeux de certains, «en état de mort cérébrale»… Désormais, lauteur de cette formule audacieuse est totalement rentré dans le rang, estimant que la guerre russe contre lUkraine «redonne une clarification stratégique en la ramenant aux conflictualités de ses origines»(1). Cest une première régression dans la foulée de laventure criminelle de Vladimir Poutine.

S’y ajoute la mue stratégique de l’Union européenne depuis «l’électrochoc» du 24 février. Il suffit pour sen convaincre de comparer les positions défendues par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avant et après ce traumatisme totalement inattendu. Le 5 février 2021, le «haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité commune», alors connu pour sa volonté de dialogue, s’était rendu à Moscou – en plein contexte de «laffaire Navalny» contre lavis des «durs» du Conseil européen. Aucun de ses prédécesseurs navait fait ce geste depuis 2017. Or, le même homme développe aujourdhui, par conviction personnelle ou parce que telle est devenue l’orientation quasi unanime du Conseil européen qu’il représente, une vision de la stratégie européenne diamétralement opposée à celle qui lui avait valu l’ire des ultras un an auparavant.

«LUnion européenne a brisé plusieurs tabous», se félicitait-il ainsi récemment: «Elle a décidé des sanctions sans précédent et, pour la première fois, elle a livré des équipements militaires à un pays attaqué», ajoutant quelle avait «besoin de hard power» (capacité dimposer sa volonté par des moyens militaires ou économiques, par opposition au soft power, capacité de convaincre par la manière douce). Prônant «un changement radical en matière de sécurité et de défense» consistant pour tous à «dépenser plus», à veiller à une «plus grande coordination au sein de lUE et de lOtan», il a appelé à «penser et à agir en termes de puissance» dans cette «nouvelle phase de lhistoire européenne»… (2) Quel gâchis!

(1) Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme pour l’élection présidentielle (17 mars 2022)

(2) Josep Borrell, «le Grand Continent»

« Un nouvel espoir », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité.



La gauche a un nouvel objectif: gagner les élections législatives. Le caractère assez inédit des dynamiques à l’œuvre, entre rejet profond du président élu et «front républicain» qui faiblit mais na pas disparu, rend difficiles les projections. Mais, même si la Macronie assure que le prochain scrutin viendra, comme toujours, confirmer le vote d’avril, rien n’est moins sûr. D’abord, parce que la colère à l’encontre du chef de l’État est très forte et qu’une partie de l’électorat a la sensation de s’être fait voler l’élection. Les législatives pourraient être l’occasion de corriger le tir. Une sorte de troisième tour qu’elles n’étaient pas jusqu’alors. Ensuite, parce que les trois blocs sortis des urnes du 10 avril modifient considérablement la donne politique.

Gauche, droite, extrême droite, chacun d’eux a un poids quasiment équivalent. Reste à savoir ce qui va se passer à l’intérieur de chacun. Il apparaît acquis que le parti «Les Républicains» gardera son autonomie en juin et que, si des ralliements souhaités par Macron sont possibles et des accords de désistement «discrets» pourraient exister, il y aura des candidats de droite dans la plupart des circonscriptions. Le RN et le parti Reconquête! de Zemmour devraient aussi se faire concurrence.

Dans ce contexte, que va faire la gauche? Étant donné la force de LaREM et du RN, un front éclaté hypothéquerait gravement les chances de contester la victoire dans nombre dendroits. Si, au contraire, la gauche sunit sur un programme ambitieux, elle pourrait non seulement conjurer la traditionnelle démobilisation de l’opposition, mais elle serait en position de se maintenir dans quelque 300 circonscriptions, contre à peine 160 en 2017. Répondre aux aspirations sociales et écologiques est donc tout l’enjeu d’un accord à gauche susceptible de mettre en échec à la fois une fuite en avant libérale de Macron et la conquête par le RN de dizaines de sièges à l’Assemblée. Si chacun a ses propres responsabilités, il appartient à Jean-Luc Mélenchon, du fait de son score à la présidentielle, de créer les conditions de ce rassemblement. Il détient la clé de ce nouvel espoir.

 

« La patate », le billet de Maurice Ulrich.



Enfin une bonne nouvelle. La frite est sauvée, momentanément, mais c’est déjà ça. Alors que l’Ukraine et la Russie assuraient notre approvisionnement en huile de tournesol à hauteur de 80 %, elle vient à manquer, laissant les industriels de l’agroalimentaire dans la panade. Face à la crise, le ministère de l’Économie et des Finances vient de donner son feu vert à des changements d’huile, autorisant même l’anticipation de leur inscription sur les emballages. Attention, il est bien clair qu’il s’agit là de la frite d’usine, laquelle n’a rien à voir avec la frite maison, pour laquelle, rappelons-le, deux bains d’huile successifs – le premier pour blondir, le second pour dorer – sont indispensables. Les restaurateurs qui en servent encore, bien que devenus rares, cherchent eux aussi des solutions de remplacement. On parle de la graisse de bœuf. Ça se discute. Mais, si la frite maison vient à être menacée et si Vladimir Poutine ne se décide pas à mettre dans sa politique l’huile de la négociation, qu’il le sache, on a la patate.

 

mercredi 27 avril 2022

« Inquiétant coup de semonce », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité.



C’est une de ces phrases qui font froid dans le dos. Surtout lorsqu’on sait par qui elle est prononcée. Que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, déclare à la télévision publique qu’il y a un «danger réel» d’une «troisièmeguerre mondiale» montre bien que le conflit en Ukraine entre dans une nouvelle phase. Certes, cette déclaration s’adresse aux États-Unis, elle est une réponse à une petite phrase de Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, qui, après sa visite à Kiev, donnait les objectifs de son pays: «Nous voulons voir la Russie affaiblie, incapable de mener le type daction quelle a lancée sur lUkraine.» Si on traduit les propos de Lavrov en langage courant, ils ­signifient: «Américains, vous poussez le bouchon un peu trop loin. Attention!»

Mais cette déclaration de Lavrov constitue aussi un coup de semonce et un tournant inquiétants dans la guerre. Les Russes tracent une ligne rouge qui coïncide avec l’accélération des livraisons d’armes américaines et occidentales à l’Ukraine. Chars Guepard allemands, missiles antichars Milan et canons Caesar français, et obusiers, drones tueurs et hélicoptères américains… autant de matériels qui vont un peu plus compliquer la tâche de l’armée russe. Une situation qui, comme l’explique Lavrov, signifie que «lOtan est, en substance, engagée dans une guerre avec la Russie». Le ministre précise que ces armes sont donc «des cibles légitimes». De là à frapper des zones de stockage hors Ukraine, donc de fait des territoires de l’Otan? La menace est implicite mais réelle.

Pour engager la désescalade, l’Otan ne doit pas se laisser entraîner dans le scénario d’une défaite militaire de la Russie, qui semble avoir désormais la faveur de certains de ses membres. Sans en rabattre sur le soutien à l’Ukraine agressée, la France doit rester sur sa ligne, peser de tout son poids pour ne pas laisser se fermer les portes du dialogue, et refuser toutes chimères d’un règlement militaire du conflit.

 

« Ordinaires ? », le billet de Maurice Ulrich.



«La contestation des gens ordinaires ne sarrêtera pas, car elle est existentielle.» Voilà donc un nouveau concept avancé par Christophe Guilluy, l’auteur de Fractures françaises (Flammarion), interviewé par le Figaro, qui résume: le score de Marine Le Pen témoigne, selon lui, de la «révolte des classes populaires». Bien, mais à quoi ressemblent donc les gens ordinaires? On peut supposer que, vus den haut, du bon côté du périph, ils pourraient être une sorte de synthèse de Zézette épouseX avec les Bidochon. Singulièrement, dans le département le plus pauvre de France, la Seine-Saint-Denis, les électrices et électeurs, quand bien même labstention y est forte, ont voté au premier tour pour Jean-Luc Mélenchon à près de 50 % et à moins de 12 % pour Marine Le Pen. Au second tour, c’est avec leur vote massif pour faire barrage à la candidate du RN qu’Emmanuel Macron se retrouve en tête avec des scores allant de 75 à 83 % dans toutes les villes. Les gens ordinaires, dirait-on, ne se sont pas trompés de révolte.

 

mardi 26 avril 2022

« Une nouvelle séquence politique », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité.

 


Du jamais-vu. Au lendemain de son élection, Emmanuel Macron cherche les moindres traces d’une adhésion populaire véritable. Il ne les trouvera pas. Non seulement il a perdu 2 millions de suffrages exprimés par rapport à 2017 – Marine Le Pen en récolte plus de 2,5 millions supplémentaires –, mais les enquêtes d’opinion indiquent de manière implacable qu’une large majorité des Français souhaitent une cohabitation lors de son second quinquennat. En résumé, 63% des personnes interrogées espèrent que le chef de l’État réélu «ne dispose pas dune majorité» à l’issue des légis­latives, sachant que 44% aimeraient le voir cohabiter avec Jean-Luc Mélenchon comme premier ministre. Enfin, 57% de nos concitoyens plaident pour que les partis de gauche (FI, PCF, EELV et PS) présentent des candidats communs. L’union des forces de progrès reste dans les têtes, telle une aspiration sinon une exigence…

Nous entrons dans une nouvelle séquence politique. Elle peut, de toute évidence, ne pas ressembler à celle de 2017 et fracasser l’absurdité du désespoir. Le gagnant ne bénéficie d’aucun blanc-seing, d’autant que sa propre campagne électorale, brève et assez évanescente, n’a pas servi de purge cathartique des monumentales colères qui traversent le pays. Sombre victoire en vérité. Emmanuel Macron se voit élu dans un océan d’abstention, avec, en sus, 3 millions de votes blancs et nuls, et au moins la moitié des personnes ayant voté pour lui ont glissé son nom dans l’urne pour barrer la route à l’extrême droite et non par soutien à son projet libéral. Le voilà très affaibli, dans un contexte de possible explosion sociale. Pouvoir d’achat en berne, colère dans les hôpitaux et dans le monde éducatif, réforme des retraites pouvant être décidée par 49-3 (dixit Bruno Le Maire), urgence climatique, etc.: le président ne possède aucun état de grâce pour le début de son nouveau mandat. Parlons plutôt de défiance.

Rien n’est impossible désormais pour répondre aux attentes populaires, enclencher une vraie dynamique d’espoir, et s’adresser aux 11 millions d’électeurs de gauche du premier tour et aux 12 millions d’abstentionnistes. L’objectif: élire une majorité au Parlement et battre le bloc raciste de lextrême droite, comme le bloc libéral de la droite représenté par Macron.