jeudi 28 avril 2022

Le désastreux « effet Poutine » sur l’Europe (Francis Wurtz)

 


On mesure chaque jour un peu mieux l’ampleur des dommages causés par la guerre insensée lancée par Poutine contre l’Ukraine. En plus de faire des Ukrainiens un peuple martyr, de détruire une partie de leur pays et de l’amputer d’une autre – un crime impardonnable qui pèsera lourd sur l’image, l’autorité et le rayonnement de la Russie et coûtera malheureusement très cher au peuple russe dans son ensemble –, cette invasion entraîne d’incommensurables «dégâts collatéraux». En Europe, lOtan en sort renforcée et pire! indûment relégitimée. Quant à lUnion européenne, elle est en train de donner un contenu plus que préoccupant à son ambition «géopolitique» sous leffet du retour de la guerre à nos portes.

L’Otan, tout d’abord. Certes, la grande majorité des dirigeants de l’UE ont, de tout temps, considéré que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord était au cœur de la défense du territoire européen. Même les partisans d’une «défense européenne» ont toujours pris soin de souligner la «complémentarité» de celle-ci avec lorganisation militaire transatlantique. Cependant, un timide débat s’était ouvert sur la pertinence dune alliance tellement éloignée de sa mission initiale quelle apparaissait, aux yeux de certains, «en état de mort cérébrale»… Désormais, lauteur de cette formule audacieuse est totalement rentré dans le rang, estimant que la guerre russe contre lUkraine «redonne une clarification stratégique en la ramenant aux conflictualités de ses origines»(1). Cest une première régression dans la foulée de laventure criminelle de Vladimir Poutine.

S’y ajoute la mue stratégique de l’Union européenne depuis «l’électrochoc» du 24 février. Il suffit pour sen convaincre de comparer les positions défendues par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avant et après ce traumatisme totalement inattendu. Le 5 février 2021, le «haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité commune», alors connu pour sa volonté de dialogue, s’était rendu à Moscou – en plein contexte de «laffaire Navalny» contre lavis des «durs» du Conseil européen. Aucun de ses prédécesseurs navait fait ce geste depuis 2017. Or, le même homme développe aujourdhui, par conviction personnelle ou parce que telle est devenue l’orientation quasi unanime du Conseil européen qu’il représente, une vision de la stratégie européenne diamétralement opposée à celle qui lui avait valu l’ire des ultras un an auparavant.

«LUnion européenne a brisé plusieurs tabous», se félicitait-il ainsi récemment: «Elle a décidé des sanctions sans précédent et, pour la première fois, elle a livré des équipements militaires à un pays attaqué», ajoutant quelle avait «besoin de hard power» (capacité dimposer sa volonté par des moyens militaires ou économiques, par opposition au soft power, capacité de convaincre par la manière douce). Prônant «un changement radical en matière de sécurité et de défense» consistant pour tous à «dépenser plus», à veiller à une «plus grande coordination au sein de lUE et de lOtan», il a appelé à «penser et à agir en termes de puissance» dans cette «nouvelle phase de lhistoire européenne»… (2) Quel gâchis!

(1) Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme pour l’élection présidentielle (17 mars 2022)

(2) Josep Borrell, «le Grand Continent»

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire