On mesure chaque jour un peu mieux l’ampleur des dommages causés par la guerre insensée lancée par Poutine contre l’Ukraine. En plus de faire des Ukrainiens un peuple martyr, de détruire une partie de leur pays et de l’amputer d’une autre – un crime impardonnable qui pèsera lourd sur l’image, l’autorité et le rayonnement de la Russie et coûtera malheureusement très cher au peuple russe dans son ensemble –, cette invasion entraîne d’incommensurables « dégâts collatéraux ». En Europe, l’Otan en sort renforcée et – pire ! – indûment relégitimée. Quant à l’Union européenne, elle est en train de donner un contenu plus que préoccupant à son ambition « géopolitique » sous l’effet du retour de la guerre à nos portes.
L’Otan, tout d’abord. Certes, la grande majorité des
dirigeants de l’UE ont, de tout temps, considéré que l’Organisation du traité
de l’Atlantique Nord était au cœur de la défense du territoire européen. Même
les partisans d’une « défense européenne » ont
toujours pris soin de souligner la « complémentarité » de celle-ci
avec l’organisation militaire transatlantique. Cependant, un
timide débat s’était ouvert
sur la pertinence d’une alliance
tellement éloignée de sa
mission initiale qu’elle apparaissait,
aux yeux de certains, « en état de mort
cérébrale »… Désormais, l’auteur de cette formule audacieuse est totalement rentré dans le rang, estimant que la guerre russe contre l’Ukraine « redonne une clarification stratégique en la ramenant aux conflictualités de ses
origines »(1). C’est une première régression dans la foulée de l’aventure criminelle de Vladimir Poutine.
S’y ajoute la mue stratégique de l’Union européenne
depuis « l’électrochoc » du 24 février. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les positions défendues par le chef de la
diplomatie européenne, Josep Borrell, avant et après ce traumatisme totalement
inattendu. Le 5 février 2021, le « haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité commune », alors connu pour sa volonté de dialogue, s’était
rendu à Moscou – en plein contexte de « l’affaire
Navalny » – contre l’avis des « durs » du Conseil
européen. Aucun de ses prédécesseurs n’avait fait ce geste depuis 2017. Or, le même homme développe aujourd’hui, par conviction personnelle ou parce que telle est devenue
l’orientation quasi unanime du Conseil européen qu’il représente, une vision de
la stratégie européenne diamétralement opposée à celle qui lui avait valu l’ire
des ultras un an auparavant.
« L’Union européenne a brisé plusieurs tabous », se félicitait-il ainsi récemment : « Elle a décidé des
sanctions sans précédent et, pour la première fois, elle a livré des équipements militaires à un pays attaqué », ajoutant qu’elle avait « besoin de hard power » (capacité d’imposer sa volonté par des moyens militaires ou
économiques, par opposition au soft power, capacité de convaincre par la
manière douce). Prônant « un changement radical en matière de sécurité et de défense » consistant pour tous à « dépenser plus », à veiller à une « plus grande coordination au sein de l’UE et de l’Otan », il a appelé à « penser et à agir en termes de puissance » dans cette « nouvelle
phase de l’histoire européenne »… (2) Quel gâchis !
(1) Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme
pour l’élection présidentielle (17 mars 2022)
(2) Josep Borrell, « le Grand Continent »
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